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Full text of "Correspondance de Pasquier Quesnel, prêtre de l'Oratoire, sur les affaires politiques et religieuses de son temps"

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UN  JANSÉNISTE  EN  EXIL 


CORRESPONDANCE 

DE 

PASQUIER  QUESNEL 


PRETRE    DE    L  ORATOIRE 


SUR  LES  AFFAIRES  POLITIQUES  ET  RELIGIEUSES  DE  SON  TEMPS 


PUBLIEES  AVEC  DES  NOTES 


PAR 


Mme   ALBERT    LE   ROY 

) 

TOME   SECOND 


Librairie  académique  PERRIN  et  Cie 


wcteur  Joseph  AZAÏS 

S'-PON3,h 


rault) 


CORRESPONDANCE 


DE 


PASQUTER  QUESNEL 


[I 


A    \A  MEME   LIBRAIRIE 


PAR  ALBERT  LE   ROY 


La  France  et  Rome  de  1700  à  1715,  histoire  diplomatique  de 
la  Bulle  «  Unigenilus  »  jusqu'à  la  mort  de  Louis  XIV,  un 
volume  in-8° 8  francs. 


UN  JANSÉNISTE  EN  EXIL 


CORRESPONDANCE 

DE 

PASQUIER  QUESNEL 


PRETRE    DE    L  ORATOIRE 


SUR  LES  AFFAIRES  POLITIQUES  ET  RELIGIEUSES  DE  SON  TEMPS 


PUBLIEE  AVEC  DES  NOTES 


l'A  R 


Mme   ALBERT    LE   ROY 


TOME    SECOND 


PARIS 

LIBRAIRIE       ACADÉMIQUE        DIDIER 

PERRIN   ET  Cj<\    LIBRAIRES-ÉDITEURS 

35,    QUAI   DES   GRANDS-AUGUSTIN*,    35 
1900 

Tous  droits  réservés 


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CORRESPONDANCE 


DE 


PASQUIER  QUESNEL 


Quesnel  à  du  Vaucel 


11  janvier  1697. 


Le  cardinal  Le  Camus  m'a  toujours  paru  peu  instruit 
des  affaires  du  jansénisme  et  n'avoir  point  de  principes 
assurés.  S'il  trouve  la  première  partie  de  l'ordonnance 
belle  et  bonne,  tout  le  monde  n'est  pas  de  son  avis. 

Je  ne  sais  à  quel  propos  vous  me  dites  que  vous  ne 
voyez  pas  que  ce  soit  donner  un  démenti  aux  papes 
que  d'autoriser  la  distinction  du  fait  et  du  droit  et 
de  dire  que,  les  papes  ayant  pu  se  tromper  sur  la  ques- 
tion de  fait,  il  suffit  à  cet  égard  de  garder  le  silence. 

Je  ne  suis  pas  encore  botté  pour  Paris,  et  je  ne  pren- 
drai pas  encore  sitôt  la  botte.  Ce  qu'on  me  proposait 
d'écrire  à  Dom  Bernard  [Noailles]  sur  sa  pièce  eût  été 
pour  l'approuver  et  me  faire  par  là  ouvrir  la  porte. 
Rien  ne  presse. 

Le  R.  P.  général  de  l'Oratoire  prêcha  donc,  le  pre- 
mier de  Tan,  aux  Jésuites  de  Saint-Louis.  Il  finit  son 
troisième  point  en  demandant  au  Saint-Esprit  (le  bon- 
net à  la  main)  de  graver  dans  nos  cœurs  l'amour  de 
ce  divin  nom,  dont  il  avait  exalté  les  effets  admirables 
h.  1 


2  CORRESPONDANCE    DE    PASOUIER    OLESNEL 

et  la  vertu,  etc.  Puis,  se  tournant  vers  l'autel  (toujours 
le  bonnet  à  la  main)  :  «  Et  vous,  s'écria-t-il,  célèbre 
compagnie  établie  pour  étendre  la  gloire  de  ce  nom 
adorable,  pour  le  porter,  comme  l'apôtre,  devant  les 
rois  et  les  princes  et  jusqu'aux  extrémités  de  la  terre, 
suivez  la  route  qui  vous  est  marquée!  Dispersés  de 
l'orient  à  l'occident,  du  midi  au  septentrion,  que  rien 
n'échappe  à  votre  zèle  !  Qu'il  détruise,  qu'il  consume, 
qu'il  anéantisse  tout  ce  qui  s'oppose  à  ce  rêve  !  Faites 
que  les  rois  et  les  puissances  s'y  soumettent,  que  les 
sages  du  siècle  le  révèrent,  que  les  nations  différentes 
et  les  divers  peuples  disent  tous  d'une  même  bouche 
avec  l'apôtre  :  «  La  gloire  est  au  Seigneur  !  »  Enfin 
que  toute  langue  confesse  que  le  Seigneur  Jésus  est 
dans  la  gloire  de  Dieu  son  Père  !  Gloire  que  je  vous 
souhaite,  etc.  » 

Celui  qui  m'écrit  comme  témoin,  en  sortant  du  ser- 
mon, entendit  un  abbé  qui  se  tourmentait  fort  pour 
faire  goûter  ce  compliment  à  un  vieux  jésuite;  mais, 
quelques  efforts  qu'il  fît,  le  bon  Père  témoignait  ouver- 
tement que  l'encens  n'était  pas  d'assez  bonne  odeur. 
«  Etablie,  établie,  destinée  »,  disait-il,  en  interrompant 
l'autre,  et  marquant  qu'il  avait  bien  compris  que  le 
Père  général  n'avait  pas  voulu  dire  que  la  société  répon- 
dît aux  fins  de  son  institution.  «Mais  que  pouvait-il 
dire  de  plus  honorable  ?  reprit  l'abbé.  »  —  «  Il  est  vrai, 
repartit  le  bon  Père,  il  était  dans  la  chaire  de  vérité, 
il  ne  devait  pas  parler  autrement.  »  Le  P.  Bourdaloue 
a  dit,  chez  un  magistrat,  que  le  Père  général  avait,  dans 
cette  fin  de  sermon,  donné  aux  prédicateurs  un  excel- 
lent modèle  à  imiter,  en  exhortant  au  devoir  et  s'abs- 
tenant  de  louer.  Le  P.  Gaillard,  dit-on,  prêchera  la  fête 
des  grandeurs  de  Jésus  à  l'Oratoire  et  imitera,  sans 
doute,  le  Père  général. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 


Quesnel  à  du  Vaucel 

24  mai  1697. 

Vous  demandez  comment  il  est  possible  que  M.  de 
Paris  et  le  roi  n'ouvrent  point  les  yeux.  Et  qui  sait 
s'ils  ne  les  ouvrent  point?  Les  nouvelles  de  Paris, 
manuscrites  et  qui  seront  dans  la  première  Gazette, 
disent  que  le  P  de  La  Chaise  n'a  point  paru  à  Versailles 
depuis  quinze  jours  ;  que  la  dernière  fois  que  le  roi 
s'est  confessé,  c'a  été  à  M.  Hébert,  curé  de  Versailles,  et 
que  l'on  soupçonne  une  disgrâce  de  ce  pauvre  Père. 
D'autres  lettres  de  particuliers  marquent  que  c'est  le 
bruit  de  Paris. 

L'évêque  de  Vence  est  mort  à  Tournay1.  C'est  bien 
loin  de  sa  résidence.  Celui  de  Metz  est  aussi  parti2. 

On  a  dit  à  M.  de  Reims  que  le  général  des  jésuites 
s'est  vanté  qu'il  écrirait  pour  le  Nodus.  Ce  prélat  l'y 
attend,  et  il  a  bien  promis  qu'il  censurera  son  livre,  s'il 
ose  le  faire.  Il  devait  partir  lundi  dernier  pour  son 
diocèse,  d'où  je  doute  fort  qu'il  revienne  sans  don- 
ner quelque  coup,  ou,  comme  on  m'écrit,  sans  lancer 
quelque  foudre  qu'on  craint  depuis  longtemps. 

La  querelle  est  toujours  fort  échauffée  entre  M.  de 
Cambrai  et  M.  de  Meaux.  Ce  dernier  a  fait  ses  remarques 
sur  le  livre  du  premier  et,  après  les  avoir  communi- 
quées à  Mgr  de  Paris  et  à  M.  de  Chartres,  il  les  a  don- 
nées à  M.  de  Cambrai.  Si  celui-ci  ne  donne  des  éclair- 
cissements qui  tiennent  lieu  de  rétractation,  l'autre  est 
résolu  d'écrire,  prétendant  que  c'est  l'intérêt  de  la  reli- 
gion et  de  la  vérité. 

1.  Jean-Balthazar  de  Cabanes  de  Viens,  évêque  de  Vence,  de  1686 
à  1697. 

2.  Georges  d'Aubusson  de  la  Feuillade,  évêque  de  Metz,  de  1668 
à  1697. 


CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 


Quesnel  à  M.  de  Pomponne 1 

ljr  septembre  1697. 

Tout  le  monde,  à  Paris  et  en  Flandre,  publie  si 
hautement  que  la  paix2  est  faite,  que  la  lettre  que  j'ai 
l'honneur  de  vous  écrire  ne  devrait  être  qu'une  lettre 
de  congratulation.  Je  la  crois,  au  moins,  si  avancée 
que  je  ne  risque  rien  en  prenant  la  liberté  de  vous 
dire,  par  avance,  qu'au  milieu  de  la  joie  universelle  de 
toute  l'Europe  pour  l'accomplissement  d'un  si  grand 
ouvrage,  j'en  aurai  une  toute  particulière  de  le  voir 
si  heureusement  terminé  par  votre  ministère.  Cepen- 
dant je  n'ai  pas  laissé  de  me  charger  d'écrire  à  Votre 
Excellence  d'une  chose  que  Ton  souhaiterait  fort  qui 
pût  entrer  dans  les  articles  qui  sont  encore  en  négo- 
ciation. 

Vous  êtes  trop  sérieux,  Monseigneur,  si  vous  ne 
riez  pas  de  ma  proposition;  niais,  après  avoir  donné 
au  ridicule  ce  qu'il  mérite,  ne  laissez  pas  d'avoir  la 
bonté  de  m'écouter  et  de  ne  m'en  pas  croire  moins  bon 
Français  parce  que  je  vous  sollicite  en  faveur  de  l'Es- 
pagne. Mais  non,  ce  n'est  point  pour  l'Espagne,  c'est 
pour  l'Eglise,  c'est  pour  l'université  de  Louvain,  qui 
en  est  un  ornement  et  un  soutien.  Il  est  question  de 
la  faire  jouir  des  grâces  que  les  papes  et  les  souve- 
rains lui  ont  accordées,  en  lui  donnant  le  droit  de  no- 
mination à  quelques  bénéfices  dans  les  églises  qui  étaient 
alors  sous  la  domination  de  ses  anciens  souverains,  et 
maintenant  sous  l'obéissance  du  roi. 

Je  n'explique  pas  l'affaire  davantage  à  Votre   Excel- 

1.  Lettre  appartenant  en  original  au  P.  Ingold,  de  l'Oratoire. 

2.  Paix  de  Ryswick,  en  quatre  traités  conclus  :  avec  la  Hollande,  le 

20  septembre;  avec   l'Espagne,  une  heure  après;  avec  l'Angleterre,  le 

21  ;  enfin  avec  l'empereur,  le  30  octobre  1697. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  5 

lence,  Monseigneur,  sachant  qu'elle  en  est  amplement 
informée  d'ailleurs.  J'ose  seulement  la  supplier  très 
humblement  de  vouloir  bien  écouter  très  favorablement 
ceux  de  Louvain,  qui  ont  charge  de  l'en  entretenir  et 
de  lui  représenter  la  justice  de  leur  demande,  comme 
ils  le  croient.  Il  semble,  en  effet,  qu'il  y  ait  quelque 
justice,  sauf  correction,  que  les  nominations  accordées 
par  les  papes  à  cette  université  ne  reçoivent  aucune 
atteinte  par  les  changements  de  souverains,  comme  il 
serait  juste  que  l'université  de  Douai  jouit  des  nomina- 
tions qu'elle  aurait  sur  les  églises  de  la  domination 
d'Espagne,  si  elle  avait  été  en  possession  de  quelques- 
unes  avant  que  d'être  à  la  France.  Il  me  semble,  d'ailleurs, 
qu'il  serait  de  la  grandeur  et  de  la  dignité  du  roi  de  se 
rendre  le  bienfaiteur  d'une  université  étrangère,  qui 
tiendrait  à  un  grand  honneur  d'avoir  une  obligation 
signalée  à  un  si  grand  roi,  et  qui  pourrait  en  laisser  un 
monument  perpétuel  de  reconnaissance  à  ses  descen- 
dants. Ce  serait  aussi  de  nouveaux  sujets  que  Sa  Majesté 
acquerrait  par  les  nominations  de  l'université  de 
Louvain,  sans  en  perdre  aucun  des  siens,  et  on  peut 
s'assurer  que  ce  serait  des  sujets  de  mérite,  très 
capables  de  servir  l'Eglise  par  leur  science  et  de  l'édi- 
fier par  leur  piété;  car  il  faut  avouer  que  cette  uni- 
versité en  a  toujours  été  remplie.  Ce  mélange  serait 
avantageux  à  la  nation  et  pourrait  avoir  encore,  dans 
la  suite,  des  utilités  considérables,  selon  les  occur- 
rences. 

Mais  vous  verrez  mieux  par  vous-même,  Monseigneur, 
la  justice  et  les  avantages  qui  peuvent  se  trouver  dans  la 
demande  de  ces  messieurs,  et  ce  n'est  qu'en  cas  que 
vous  les  trouviez  en  effet  que  je  vous  supplie  d'avoir  la 
bonté  d'apporter  les  facilités  qui  pourront  dépendre 
de  Votre  Excellence  dans  cette  affaire,  et  de  vouloir 
regarder  de  bon  œil  les  députés  pour  qui  j'ai  l'honneur 
de  vous  faire  cette  prière. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 


Quesnel  à  du  Vaucel 


3  janvier  1698. 


On  m'a  mandé  de  Paris  à  peu  près  la  mémo  chose 
que  vous,  touchant  ce  qu'on  impute  à  M.  de  Meaux; 
que  les  fénelonistes  disaient  que  M.  de  Meaux  lui  avait 
recommandé  de  favoriser  les  jansénistes  de  son  diocèse 
et  qu'ayant  été  obligé  d'en  pousser  quelques-uns  il  en 
avait  été  irrité.  C'est  le  contraire;  car  il  a  paru  d'abord 
avoir  de  l'estime  et  pour  M.  Huygens  et  pour  les  autres. 
Ce  pauvre  prélat  est  à  plaindre;  il  paraissait  prendre 
un  train  à  souhait.  Il  prêche  avec  une  facilité,  une 
onction  et  d'une  manière  qui  gagne  tout  le  monde.  Il 
prêchait  les  plus  fortes  vérités,  était  zélé  pour  la  disci- 
pline. J'ai  peur  que  tout  cela  ne  dépérisse.  Il  avait  ren- 
voyé la  plupart  des  moines  à  l'examen.  Dans  la 
dernière  ordination,  il  les  a  tous  reçus.  Il  avait  engagé 
les  Pères  de  l'Oratoire  de  Mons  à  mettre  un  de  leurs 
Pères  à  Soignies,  à  la  place  d'un  homme  contre  qui  il  y 
avait  beaucoup  de  plaintes  et  qui  était  passé  de  l'Ora- 
toire de  M.  de  Bérulle  à  l'Oratoire  de  Saint-Philippe, 
qui  est  établi  à  Soignies.  Il  devait  soutenir  cette  affaire, 
ayant  interdit  ce  premier  curé.  Depuis  peu,  il  a  écrit 
aux  Pères  de  Mons  qu'après  y  avoir  bien  pensé  il 
croyait  qu'ils  feraient  aussi  bien*  de  retirer  leur  Père. 
Peut-être  que  les  Rouliers  [jésuites]  lui  ont  demandé 
des  preuves  de  son  opposition  aux  jansénistes  et  de  sa 
confiance  aux  moines.  La  famille  de  ce  prélat  est,  de 
longue  main,  attachée  à  Saint-Sulpice.  Je  crois  que 
c'était  son  père  qui  en  était  un  grand  support,  M.  le 
marquis   de  Fénelon. 

Le  fils  du  prince  de  Monaco,  abbé  de  vingt-sept  ans, 
prêt  à  entrer  en  licence,  est  entré  depuis  peu  à  l'Ora- 
toire. Les  jésuites  ont  fait  tout  ce  qu'ils  ont  pu  pour 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QTJESNEL  7 

l'en  détourner  et  sont  venus,  les  uns  après  les  autres,  le 
voir  pour  décrier  l'Oratoire.  Ils  ont  fait  de  même  auprès 
du  prince  de  Monaco.  M.  l'archevêque  de  Paris  fut 
celui  qui  lui  en  porta  la  nouvelle  et  qui  fit  ce  qu'il  put 
pour  le  disposer. 

M.  de  Tillemont  est  toujours  fort  incommodé.  On 
craint  qu'il  ne  devienne  asthmatique. 

On  imprime  le  discours  en  vers  de  M.  Boileau-Des- 
préaux  sur  l'Amour  de  Dieu,  avec  quelques  autres. 


Quesnel  à  du   Vaucel 

24  janvier  1698. 

Les  deux  épîtres  X  et  XII  de  M.  Despréaux  font  bien 
mal  au  cœur  aux  révérends  Pères.  Ils  clabaudent,  ils 
se  déchaînent;  mais  il  n'en  sera  rien  davantage. 

Ce  qui  a  fait  faire  si  tut  le  mariage  du  duc  de  Bour- 
gogne est  que  le  roi  avait  promis  de  le  faire  célébrer, 
aussitôt  que  la  princesse  aurait  douze  ans  accomplis. 
Elle  les  eut  accomplis,  le  6,  et  on  la  maria,  le  7,  avec 
dispense.  On  les  mit  au  lit  comme  deux  poupées;  on  fit 
entrer  l'ambassadeur  de  Savoie,  et  le  roi  lui  dit  qu'il 
pouvait  mander  qu'il  avait  vu  les  conjoints  ensemble 
au  lit.  M.  le  duc  de  Bourgogne  se  releva  un  peu  après. 

On  a  porté  à  Port-Royal  les  saintes  dépouilles  de  feu 
M.  de  Tillemont.  On  l'a  revêtu  d'habits  sacerdotaux,  et 
M.  le  Brûleur  [Le  Noir  de  Saint-Claude]  me  mande 
qu'il  avait  le  visage  vermeil,  les  joues  point  enfoncées 
et  les  membres  souples,  quoiqu'il  y  eût  trois  jours  qu'il 
était  mort.  C'était  assurément  un  grand  serviteur  de 
Dieu.  La  Gazette  de  France  en  a  fait  une  mention 
honorable,  aussi  bien  que  d'un  P.  de  Chevigny,  de 
l'Oratoire,  qui  était  de  mes  bons  amis  et  avait  été  autre- 
fois capitaine  aux  gardes,  avait  commandé  dans  Ypres 
et  dans  Belle-Isle,  où  il  fut  envoyé  pour  s'en  rendre 


8  CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

maître,  quand  on  arrêta  M.  Fouquet.  C'était  un  homme 
bien  à  Dieu. 

Il  y  a  une  cinquième  lettre  du  P.  Alexandre.  Elle 
est  sur  la  grâce.  Je  ne  l'ai  pas  vue.  Jansénius  y  est 
encore  maltraité,  car  il  semble  qu'on  ne  puisse  établir 
le  bon  jansénisme  qu'en  daubant  le  bon  Jansénius. 


Quesnel  à  M.  Boilean^  chanoine  de  la  Sainte-Chapelle, 

à  Paris 

18  février  1698. 

J'apprends,  Monsieur,  à  ce  moment,  qu'une  personne 
qui  vous  est  chère,  et  que  j'honore  au  dernier  point,  a 
dit  avec  douleur  à  un  de  mes  amis  que  Msr  l'arche- 
vêque de  Reims  m'attribuait  un  certain  livre,  qui  paraît 
depuis  quelque  temps  contre  l'ordonnance  de  Mgr  l'ar- 
chevêque de  Paris,  du  20  août  1696 2. 

Bien  plus,  ce  grand  prélat  ajoute,  dit-on,  qu'il  en  est 
sûr.  Il  le  dit  hautement  et  ajoute  qu'il  n'est  pas  homme 
à  dire  des  choses  en  l'air.  Je  savais  déjà  bien  que  le 
bruit  en  courait,  et  je  ne  m'en  alarmais  pas,  sachant 
que,  depuis  trois  ou  quatre  ans,  on  a  pris  un  vain  plai- 
sir à  m'attribuer  tout  ce  qui  paraissait  d'odieux  dans  le 

1.  L'original  de  cette  lettre  appartient  au  P.  Ingold,  de  l'Oratoire. 
Une  copie  se  trouve  à  la  Bibliothèque  nationale,  ms.  13899. 

2.  Histoire  abrégée  du  Jansénisme,  avec  des  remarques  sur  l'ordon- 
nance de  M.  l'archevêque  de  Paris.  Cologne,  Druckerus,  1698,  in-12. 

Cet  ouvrage  semble  l'œuvre  collective  de  MM.  Louail,  Fouillou, 
et  de  M"e  de  Joncoux.  11  va  amener  une  querelle  de  quelques  mois 
dans  le  parti,  et  jusque  dans  l'intimité  du  P.  Quesnel.  Fouillou,  de 
même  que  MUo  de  Joncoux,  la  savante  fille,  traductrice  de  Nicole, 
étaient  inconnus  de  notre  exilé.  Aussi,  à  la  suite  de  cette  lettre  à 
M.  Boileau,  ayant  eu  l'intuition  d'une  correspondance  secrète  entre 
M.  Ernest  Ruth  d'Ans,  qui  vivait  avec  lui,  et  les  auteurs  de  VHistoire 
abrégée,  Quesnel  se  crut-il  en  droit  de  pénétrer  dans  la  chambre  du 
chanoine  absent  et  de  s'approprier  les  lettres  clandestines.  Nous  verrons, 
en  1700,  que  de  là  datent  ses  relations  personnelles  avecMllede  Joncoux, 
qui  commencèrent  non  sans  une  certaine  aigreur. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  9 

public  en  matière  d'écrits,  et  qu'après  plusieurs  lettres 
de  désaveu  que  j'ai  écrites  à  quelques-uns  de  mes  amis, 
on  m'avait  assuré  que  ce  faux  bruit  était  tout  à  fait 
tombé,  mort,  enseveli.  Mais,  à  ce  que  je  vois,  le  voilà 
ressuscité  d'une  manière  bien  glorieuse,  puisque  c'est 
dans  la  bouche  d'un  prélat  si  éminent  par  sa  dignité 
et  par  tant  d'autres  endroits. 

Ce  qui  me  console,  c'est  que  je  le  crois  trop  plein  de 
raison  et  d'équité  pour  vouloir  ajouter  foi  à  un  bruit 
qui  m'est  si  injurieux,  sans  en  avoir  des  preuves 
claires  comme  le  jour,  et  que  je  suis  assuré  que  ceux 
qui  l'ont  voulu  surprendre  sur  ce  sujet  ne  lui  en  sau- 
raient donner  aucune  qui  ait  la  moindre  couleur  de 
vraisemblance,  loin  d'être  fondée  dans  la  vérité. 

Je  suis  si  las  de  donner  des  désaveux  et  des  éclair- 
cissements sur  de  semblables  attributions  qu'il  mé- 
prend quelquefois  envie  de  laisser  parler  le  monde  et 
de  me  renfermer  dans  un  profond  silence,  content  du 
témoignage  de  ma  conscience  et  de  mon  innocence,  dont 
Dieu  est  témoin;  mais  j'avoue  qu'en  cette  occasion  je 
ne  me  puis  résoudre  à  faire  le  philosophe.  Le  profond 
respect,  la  tendresse,  si  je  l'ose  dire,  la  vénération  dont 
j'ai  le  cœur  pénétré  pour  mon  digne  archevêque,  que  je 
vénère  comme  un  don  des  plus  signalés  que  Dieu  ait 
fait  depuis  longtemps  à  l'Eglise  de  Paris  et  à  toute 
l'Eglise  de  France  ;  ces  sentiments,  dis-je,  ne  me  per- 
mettent pas  de  laisser  ni  dans  son  esprit,  ni  dans  celui 
de  Mgr  de  Reims,  ni  d'aucun  autre,  une  idée  si  fausse 
et  qui  me  déshonorerait  si  fort. 

Je  vous  supplie  donc,  mon  cher  Monsieur,  de  prendre 
la  peine  de  désabuser  Mër  de  Reims  de  ce  faux  bruit,  faux 
de  toute  la  fausseté  imaginable,  faux  dans  le  fond  et 
dans  les  circonstances,  faux  en  toutes  manières. 

Je  n'ai  jamais  eu  la  moindre  pensée  de  faire  aucun 
écrit  contre  l'ordonnance  en  question.  Je  n'ai  point  fait 
celui  qui  a  pour  titre  :  Abrégé  de  ï histoire  du  Jansénisme 


10  CORRESPONDANCE    DE    PASQUTER    QUESNEL 

avec  des  remarques  sur  T ordonnance  de  Me?  V archevêque 
de  Paris,  du  20  août  1696. 

Je  n'en  ai  eu  aucune  connaissance  avant  l'impression  ; 
je  n'y  ai  eu  aucune  part,  de  quelque  manière  que  ce 
soit;  je  n'en  connais  point  l'auteur  et  ne  soupçonne 
pas  même  qui  peut  l'être.  Je  suis  assuré  que  ce  n'est 
aucune  personne  avec  qui  j'aie  quelque  commerce  ou 
quelque  liaison.  Je  n'en  ai  eu  connaissance  que  fort  tard 
depuis  qu'il  est  imprimé  ;  je  ne  l'ai  jamais  eu  que  par 
emprunt.  Il  a  passé  par  mes  mains,  comme  un  éclair. 
Je  l'ai  parcouru  fort  vite,  en  m'arrêtant  principalement 
à  ce  qui  est  de  doctrine  et  passant  une  partie  du  reste. 
Je  ne  l'ai  pu  recouvrer  depuis,  et  il  ne  m'en  est  resté 
qu'une  idée  fort  légère  et  fort  confuse. 

Je  ne  sais  si  l'opinion  de  ma  bonne  foi  est  assez  bien 
établie  dans  l'esprit  de  Mgr  de  Reims  pour  me  faire 
espérer  que  Sa  Grandeur  sera  persuadée  de  la  sincérité 
de  cette  déclaration  ;  mais  vous  pouvez,  Monsieur, 
l'assurer  que  je  suis  prôtd'en  faire  serment.  Non  seule- 
ment je  n'y  ai  aucune  part,  mais  je  suis  très  fâché  que 
l'auteur,  quel  qu'il  soit,  se  soit  avisé  d'une  telle  entre- 
prise et  l'ait  exécutée  d'une  manière  si  contraire  au 
respect  dû  à  l'autorité  épiscopale  et  à  la  vénération 
que  tous  ceux  qui  aiment  l'Eglise  doivent  particu- 
lièrement avoir  pour  un  archevêque  d'un  mérite  si 
extraordinaire,  qui  fait  tant  d'honneur  et  tant  de  bien 
à  l'Eglise,  et  qui,  par  la  bonne  odeur  de  ses  vertus  épis- 
copales  et  de  ses  travaux  apostoliques,  embaume,  pour 
ainsi  dire,  toute  la  France1.  Je  serais,  d'ailleurs,  ingrat 
et  injuste,  si  je  n'avais  ces  sentiments;  et  il  y  a  même 

1.  Fouillou,  ayant  eu  connaissance  de  ce  passage,  fulmine  contre  le 
P.  Quesneldans  une  lettre  à  M.  Ernest  Ruth  d'Ans,  du  16  mai  1098,  une 
de  celles  justement  que  confisqua  Quesnel,  peu  de  temps  après:  «  En  se 
déclarant  contre  les  Remarques ,  il  est  allé  contre  le  sentiment  universel 
de  tous  ses  amis.  S'ils  n'ont  osé  approuver  le  livre,  du  moins  ne  l'ont- 
ils  point  condamné.  Il  semble  même  que  ces  Remarques  ont  fait  quelque 
impression  sur  M.  de  Paris.  »  (Amersfoort,  boîte  K.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         il 

des  conjonctures  particulières  qui  me  regardent  dans  le 
le  temps  où  cet  écrit  a  paru,  qui  seules   auraient  dû 
me  détourner  de  le  faire,  quand  mille  autres  considéra- 
tions ne  m'en  auraient  pas  empêché,  et  qui  m'auraient 
fait  passer  pour  un  étourdi  et   un   insensé,   si  j'avais 
seulement  pensé  à  le  faire.  Ce  n'est   pas,  par  la  grâce 
de  Dieu,  aucune  vue  humaine  qui  me  fait  faire   une 
telle  déclaration.  Jen'ai  aucunes  prétentions.  Je  n'attends 
rien,  je  ne  demande  rien,  je  crains  plus  les  grâces  des 
hommes  que  je  ne  les  désire.  C'est  la  seule  considéra- 
tion de  la  vérité  qui  me  fait  parler  et  la  crainte  de  perdre 
la  part  que  je   puis  avoir,  tout  indigne  que  j'en  suis, 
aux  honnes  grâces  de  mon  pasteur  et  de  mon  père,  et 
de  contrister  le  Saint-Esprit  dans  un  cœur  qu'il  a  consa- 
cré à  Dieu  d'une  manière  qui   réjouit  la  cité  de  Dieu. 
On  ne  me  soupçonnera  pas  non  plus  d'user  ici  d'équi- 
voques ou  de  restrictions   mentales.  Il   serait  difficile 
qu'il  y  en  eût  de  cachées  sous  des  paroles  si  claires,  et 
vous  savez,  d'ailleurs,  Monsieur,  que  je  n'ai  jamais  tâté 
de  ces  drogues-là.  Vous  pouvez  donc  assurer  en  toute 
confiance   Msv  de  Reims   que  ceux  qui  lui   ont  voulu 
faire  accroire  que  je  suis  auteur  du  livre   en  question, 
ou  l'ont  trompé  ou  ont  été  trompés  eux-mêmes  ;  qu'on 
ne  peut  lui  en  avoir  produit   aucune   preuve  qui   ne 
soit  fausse;  que  je  défie  qui  que  ce  soit  d'en   produire 
de  véritables,  et  que  rien  ne  me  ferait  plus  de  plaisir 
que  de  voir  approfondir  ce  mystère,  qui  pourrait  bien 
descendre   en  droite    ligne    de  ce  mystère   d'iniquité 
tramé  contre   les    théologiens  de   Douai   par    le    faux 
Arnauld.  Gomme   la  fausseté  ne  peut  pas  se  soutenir 
longtemps,  j'espère  que  celle-ci  tombera  bientôt  d'elle- 
même  dans  l'esprit  d'un  prélat  qui  n'est  pas  d'humeur 
à  dire  des  choses  en  l'air.  Je  vous  aurai  beaucoup  d'obli- 
gation, Monsieur,  de  ce  que  vous  voudrez  bien  y  con- 
tribuer, et  ce  me  sera  une  nouvelle  raison  d'être  plus  que 
jamais  votre  très  humble  et  très  obéissant  serviteur. 


12        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 


Quesnel  à  du  Vaucel 

14  mars  1698. 

Il  est  vrai  que  M.  Gerbe rt  [l'archevêque  de  Reims] 
a  baissé.  Il  n'est  pas  aimé  et  ne  paraît  pas,  aussi,  fort 
aimable.  Il  n'est  pas  de  la  race  de  ceux  par  qui  le 
salut  doit  être  donné  à  Israël.  On  vient  de  m'envoyer 
vingt-quatre  vers  intitulés  :  Secret  infaillible  pour  faire 
cesser  les  remontrances,  adressé  à  M.  l'archevêque  de 
Reims1.  C'est  une  censure  véhémente  et  bien  mordante 
de  sa  conduite  et  de  sa  personne.  Il  serait  à  souhaiter 
qu'il  ne  donnât  pas  lieu  à  la  censure. 


SECKET    INFAILLIBLE    POUR  FAIRE    CESSER  LES  REMONTRANCES 
ADRESSÉ  A  M1*'1  L'ARCHEVÊQUE    DE    REIMS 

Paris  depuis  un  mois    contre  vous  se  déchaîne, 
Et  je  vois  que  la  cour  en  rit  depuis  longtemps. 
Voulez-vous  au  public  ne  plus  donner  de  scène? 
Maurice,  écoutez  bien  ces  avis  importants  : 
Condamnez-vous  enfin  à  faire  résidence, 

Et  n'embarrassez  plus  la  cour 

De  votre  importune  présence. 
Vous  y  paraissez  trop,  et  la  nuit  et  le  jour. 

Contentez-vous  d'un  bénéfice, 

Ce  point  n'est  pas  indifférent. 

En  avoir  dix,  c'est  avarice  ; 

Saint  Augustin  n'en  veut  pas  tant. 
Mais  surtout,  plus  de  jeu,  plus  de  galanterie, 

Plus  d'aventures  dont  on  crie  ! 

Tel  commerce  ne  convient  pas 

Au  plus  saint  de  tous  les  états. 

Songez  encore  à  vous  défaire 

De  ce  qui  vous  rend  odieux. 
Votre  ton  de  Sarmate  et  vos  airs  de  corsaire 
Vous  donnent  dans  le  monde  un  travers  furieux. 

Soyez  humble,  doux,  gracieux; 
Ne  cherchez  plus  à  mordre  sur  personne, 
Et  mettez  à  profit  les  avis  qu'on  vous  donne. 
Il  vous  en  coûtera;  mais  vous  en  serez  mieux. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         13 

On  a  imprimé  trois  lettres  de  M.  de  Cambrai  à 
M.  de  Paris.  Il  lui  écrit  sur  son  instruction  pastorale. 
Tout  roule  sur  des  questions  de  fait.  J'en  ai  eu  un 
exemplaire  qu'on  avait  donné  à  un  de  mes  amis  d'ici, 
et  je  l'ai  envoyé  à  un  de  mes  amis  de  delà,  nommé 
Dom  Antoine  de  Saint-Bernard  [Noailles],  comme  je 
lui  avais  envoyé  les  autres  que  j'ai  pu  avoir. 


Que  sue  l  à  du  Vaucel 

21  mars  1698. 

On  m'écrit  de  Versailles  ceci  :  «  Les  semi-quiétistes 
se  vantent  que  M.  du  Til  [Henné bel]  a  gagné  M.  Orose 
[cardinal  de  Noris]  pour  M.  du  Repos  [Fénelon].  Si  cela 
est  vrai,  je  ne  sais  comment  on  peut  donner  dans  le 
piège  d'un  prélat  qui  imprime  que,  quoi  qu'on  décide 
delà  les  monts,  il  s'en  tiendra  là  et  qu'il  ne  prépare 
point  d'échappée  par  la  distinction  du  fait  et  du  droit.  » 

J'ai  répondu  qu'il  n'y  avait  rien  de  vrai  en  cela  et 
que  M.  du  Til  [Hennebel]  n'a  point  assez  de  crédit  sur 
l'esprit  d'Orose  [cardinal  de  Noris]  pour  le  faire  tourner 
de  ce  côté-là,  quand  il  le  voudrait;  mais  que  je  le 
croyais  dans  une  disposition  contraire,  ou  plutôt  qu'il 
ne  se  mêlait  point  de  cette  affaire. 

M.  Talon,  ci-devant  avocat  général,  est  mort  prési- 
dent au  mortier1.  Le  fils  de  feu  M.  le  premier  prési- 
dent a  sa  charge,  et  celle  d'avocat  général  qu'il  avait 
est  donnée  à  M.  Portail,  neveu  de  feu  M.  de  Tillemont, 
pour  400.000  livres.  C'est  un  jeune  homme  de  vingt- 
trois  ans,  fils  du  conseiller  de  la  grand'chambrc. 

1.  «  Il  alla  dans  l'autre  monde,  nous  dit  Saint-Simon,  voir  s'il  est 
permis  de  souffler  le  froid  et  le  chaud.  » 


14  CORRESPONDANCE    DE    PASOUIER    QUESNËL 


Quésnel  à  du  Vaucel 


28  mars  1698. 


Je  plains  le  P.  Soanen,  évoque  de  Seriez,  qui  est 
entré  par  la  porte  de  la  cour  et  par  ses  complaisances 
pour  le  P.  Regnauld  [P.  de  La  Chaise]  dans  l'épiscopat. 
Il  a  prêché  à  Aix  devant  le  parlement.  On  me  mande 
de  là  qu'il  y  a  édifié  par  sa  modestie  autant  que  par 
ses  prédications.  Mais,  en  vérité,  un  évoque,  qui  entre 
dans  un  diocèse  de  la  nature  de  celui-là,  doit  y  trouver 
assez  de  besogne  pour  n'en  devoir  pas  aller  chercher 
chez  ses  voisins.  S'il  était  sage,  il  ferait  de  deux  choses 
l'une,  ou  de  sortir  du  poste  où  il  est  mal  entré,  ou  de 
renoncer  au  moins  à  tout  dessein  de  translation  et  de  se 
sacrifier  par  les  travaux  de  son  ministère.  Mais  bientôt, 
si  Dieu  ne  lui  fait  une  grande  grâce,  l'air  se  trouvera 
trop  brûlant,  et  il  en  faudra  changer. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

4  avril  1698. 

On  a  su  que  le  cardinal  de  Bouillon  avait  demandé 
au  pape  que  l'affaire  de  M.  de  Cambrai  fût  ôtée  aux 
consulteurs  et  renvoyée  au  Saint-Office  à  droiture,  afin 
que,  comme  doyen,  il  la  pût  faire  traîner  si  longtemps 
qu'on  l'oubliât.  Je  ne  conçois  pas  trop  comment  il 
l'aurait  pu  faire,  ni  s'il  tient  rang  de  doyen  à  la  con- 
grégation. On  ajoute  qu'on  pourrait  bien  substituer  un 
ambassadeur  à  cette  Eminence  si  partiale1.  Je  doute 

1.  Le  roi,  en  etï'et,  s'apercevait,  depuis  l'année  précédente,  que  le  car- 
dinal de  Bouillon  exécutait  mollement  les  instructions  reçues  de  Paris. 
Aussi  lui  écrit-il  une  lettre  assez  sèche,  le  27  novembre  1697  :  «  Mon  cou- 
sin, les  ordres  que  je  vous  ai  donnés  de  solliciter  fortement  et  de  presser 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUÎER    QUESNEL  15 

qu'on  le  fît  pour  cette  raison;  mais,  s'il  devenait  effecti- 
vement doyen,  il  ne  pourrait  plus,  comme  je  pense, être 
chargé  des  affaires  d'un  royaume  particulier. 

On  disait,  dans  ce  pays-là,  qu'on  doutait  de  la  cano- 
nisation de  Don  Juan,  parce  qu'on  avait  vu  la  lettre 
d'un  homme  qui  dit  en  avoir  parlé  au  pape,  qui  lui 
répondit  de  manière  à  faire  croire  que  Sa  Sainteté  n'y 
pensait  plus. 


Quesnel  à  du   Vaucel 

11  avril  1698. 

11  n'y  arien  de  nouveau.  Le  neveu  de  M. l'archevêque 
de  Paris  [  a  épousé  la  nièce  de  Mmc  de  Maintenon.  Le 
roi,  en  donnant  la  chemise  au  nouveau  marié  (ce  qu'il 
ne  fait  qu'aux  princes  du  sang),  comme  Mme  la  duchesse 
de  Bourgogne  la  donna  à  la  nouvelle  épouse,  le  roi  leur 
donna  à  chacun  8.000  livres  de  pension.  Mme  de  Mainte- 
non  en  a  reçu  les  compliments  de  toute  la  cour  dans 
son  lit,  et  il  n'y  avait  pas  un  siège  dans  la  chambre, 
de  sorte  que  Mmc  la  duchesse  de  Bourgogne,  voulant 
s'asseoir,  se  mit  sur  le  bord  du  lit.  Vous  rirez   de  tout 

le  pape  de  prononcer  sur  le  livre  de  l'archevêque  de  Cambrai,  sont  si 
positifs  que  j'ai  peine  à  croire  les  avis  que  je  reçois  que  vous  laissez 
présentement  languir  cette  affaire.  »  (Aff.  étr.  Rome  385.)  Et,  un  an  plus 
tard,  envoyant  un  nouvel  ambassadeur,  le  prince  de  Monaco,  pour  ter- 
miner l'affaire  de  M.  de  Cambrai,  le  roi  écrit  au  cardinal  dé  Bouillon: 
«  Pour  vous  dire  tout,  on  prétend  que,  dans  le  temps  que  vous  êtes 
obligé  de  vous  acquitter  de  mes  ordres,  vous  en  traversez  vous-même 
le  succès  par  des  intrigues  secrètes,  par  le;>  voies  sourdes  que  vous 
employez,  par  un  accueil  favorable  à  ceux  qui  favorisent  la  doctrine  de 
l'archevêque  de  Cambrai.  »  (Aff.  étr.  Rome  389.) 

1.  Le  comte  d'Ayen  (Adrien-Maurice  de  Noailles)  épousa,  le  Ie1'  avril, 
Mlle  d'Aubigné.  Ce  mariage,  désiré  par  Mm0  de  Maintenon,  «  qui  se  vou- 
lait entièrement  attacher  M.  de  Paris  et  se  frayer  un  chemin  d'avoir  part 
aux  affaires  de  l'Eglise  »,  fut  considéré,  d'après  le  succès  des  Noailles, 
comme  un  symptôme  de  défaite  certaine  pour  l'archevêque  de  Cambrai 
et  ses  amis. 


16         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

cela1.  Voilà  qui  augmentera  bien  le  crédit  du  prélat. 
Je  lui  vois  déjà  un  chapeau  rouge  sur  la  tête. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

lfi  mai  1698. 

Il  faut  commencer  par  vous  dire  la  nouvelle  que 
nous  n'attendions  pas  si  tôt  et  qui  arriva,  il  y  a  aujour- 
d'hui huit  jours,  au  soir.  C'est  que  les  ordres  sont  venus 
d'Espagne  pour  le  rétablissement  de  M.  Ernest  [Ruth 
crAns\l  en  toutes  ses  charges,  bénéfices  et  honneurs. 
L'ami  de  la  poste  nous  vint  annoncer  cette  bonne  nou- 
velle et  nous  fit  lire  les  lettres  du  comte  de  Monterey 
et  de  M.  le  nonce,  qui  étaient  fort  obligeantes  et  qui 
marquaient  que  le  roi,  ayant  été  informé  de  son  inno- 
cence, envoyait  à  Son  Altesse  la  permission  de  le  rétablir 
en  ses  charges  et  honneurs.  On  n'a  point  voulu  répandre 
cette  nouvelle  avant  que  Son  Altesse  eût  donné  les  ordres 
pour  le  rappel.  Cependant,  comme  plusieurs  personnes 
en  ont  eu  l'avis,  il  s'est  répandu  par  toute  la  ville. 
Son  Altesse  même  a  fait  mander  à  M.  Chaumont,  par 
un  de  ses  ministres,  qu'on  apprît  cette  nouvelle  à 
M.  Ernest  [Rat h  d'Ans]  pour  le  consoler.  On  dit  que 
l'ordre  a  été  dressé  ici  et  envoyé  à  Marimont,  où  est  le 
prince.  11  revient  demain,  et  nous  ne  savons  pas  s'il 
veut  faire  ici  ce  qu'il   faut  à  son  retour.   Enfin  nous 

1.  L'habitude  de  recevoir  les  visites  de  compliment  sur  le  lit  était 
motivée  surtout  par  des  raisons  de  préséance.  Les  visiteurs  pouvaient, 
sans  inconvenance,  s'asseoir  sur  le  lit  comme  sur  un  siège.  (His- 
toriettes, t.  Il,  p.  204.) 

2.  Après  sa  nomination  de  chanoine  en  1695,  Ernest  Ruth  d'Ans, 
protégé  par  l'électeur  de  Bavière  et  persécuté  par  le  conseil  d'Espagne, 
fut  exilé  en  Italie,  en  qualité  de  ministre  à  Florence.  Le  confesseur 
jésuite  du  roi  d'Espagne  étant  mort,  on  accorda  son  rappel  à  l'électeur. 
Il  revint  donc  à  Bruxelles,  en  1698,  pour  être  bientôt  exilé  de  nouveau 
en  Italie. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        17 

n'avons  encore  aucune  nouvelle  sur  cela  de  la  cour. 
Le  secrétaire  espagnol  y  est  allé,  et  nous  nous  défions 
toujours  de  quelque  coup  d'Arcade  \T archevêque  de 
Matines],  h  qui  cette  poire  aura  été  bien  amère,  et 
qu'il  n'omettra  rien  pour  accrocher  l'exécution.  Je  vous 
écris  en  grande  hâte,  parce  que  j'ai  été  occupé  l'après- 
dînée,  qu'il  est  tard  et  que  j'attends  un  de  mes  frères1 
qui  vient  d'arriver. 

On  me  mande  de  Paris  que  le  roi  est  fort  fâché 
contre  M.  le  cardinal  de  Bouillon,  parce  qu'il  a  envoyé 
un  courrier  à  M.  de  Cambrai  à  droiture,  et  on  ajoute 
qu'on  rappelle  ce  cardinal.  Peut-être  qu'ayant  fait  à 
Rome  ce  qu'il  voulait  pour  la  coadjutorerie  de  Cluny 
il  ne  sera  pas  fâché  de  retourner  en  France.  On  vous 
enverra  aujourd'hui  de  quoi  achever  votre  sixième 
exemplaire  de  Y  Apologie,  qui  est  fort  bien  reçue  en 
France. 

Quesnel  à  du  Vaucel 

23  mai  1698. 

On  a  envoyé  à  M.  Ernest  [Ruth  dAns]  la  permission 
de  revenir  à  sa  chanoinie,  et  il  devait  partir  aujour- 
d'hui dans  la  calèche  qu'il  a  amenée  et  qui  l'a  ramené 
lui-môme  de  Rome,  pour  être  demain  au  soir  ici.  Plu- 
sieurs personnes  ont  été  d'avis  qu'il  ne  perdît  pas  un 
moment  de  temps,  de  peur  de  quelque  changement 
tramé  parle  sieur  Arcade  \T archevêque  de  Malines]. 

Votre  première  lettre  pour  M.  Albert  (car  Yi  n'est 
plus  de  saison)  [M.Tourreil\  lui  fut  envoyée  d'abord.  La 
seconde  partit  hier. 

M.  l'abbé  d'Orval  est  ici  comme  député  des  Etats 
du  Luxembourg.  Le  P.  de  Fresnes  [Quesnel]  le  doit  voir 

1.  Guillaume  Quesnel,  alors  supérieur  de  l'Oratoire  d'Orléans,  et 
qu'il  n'avait  pas  vu  depuis  quatorze  ou  quinze  ans. 

il.  2 


18         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

demain  quelque  part  et,  s'il  y  a  lieu  d'aller  voir  son 
abbaye  avec  lui,  il  le  fera;  car  il  y  a  longtemps  qu'on  l'y 
invite  et  qu'il  le  désire,  pour  un  peu  respirer  un  aussi 
bon  air  que  celui-là.  S'il  y  va,  ce  sera  fort  incognito. 

Il  est  bon  que  M.  Albin  [cardinal  Casanate]  ait  vu 
Y  Histoire  abrégée  K  Elle  lui  aura  fait  voir  l'état  des 
choses  et  combien  il  est  nécessaire  que  Rome  s'explique 
clairement  sur  le  fait,  si  elle  veut  sérieusement  que  la 
paix  s'établisse  solidement.  Pourquoi  ferait-elle  diffi- 
culté de  reconnaître,  en  général,  que  l'Eglise  n'exige 
point  par  son  autorité  la  créance  intérieure  des  faits  non 
révélés  et  que  ce  n'a  jamais  été  l'intention  des  papes, 
quand  les  faits  n'ont  point  été  évidents  ou  avoués  de 
part  et  d'autre?  Ce  ne  serait  pas  assez,  pour  affermir 
la  paix,  d'appuyer  et  de  confirmer  le  premier  bref;  mais 
il  faudrait  qu'il  y  eût  quelque  chose  qui  fût  plus  clair, 
comme  de  marquer  par  quelques  paroles  qu'on  exclut  le 
sens  des  Additions  et  du  premier  décret  des  évoques.  11 
faudrait  tâcher  de  leur  persuader  que  les  signatures  ne 
sont  bonnes  qu'à  troubler  l'Eglise  et  qu'à  persécuter  des 
gens  de  bien,  et  qu'il  ne  faudrait  plus  les  souffrir  qu'à 
l'égard  de  ceux  qui  ont  donné  de  justes  sujets  de  croire 
qu'ils  soutiennent  les  erreurs  des  cinq  propositions. 

L'alliance  où  est  entrée  la  famille  de  Dom  Antoine 
[F  archevêque  de  Noailles]  est  une  chose  d'elle-même 
indifférente,  mais  elle  peut  être  utile,  parce  que  la 
personne  qui  est  si  liée  avec  M.  Desmarets  [Louis XIV] 
sera  engagée  de  soutenir  ce  bon  abbé2.  Les  intentions 
de  l'un  et  de  l'autre  sont  bonnes  ;  il  n'y  a  que  la  mali- 
gnité du  temps  ou  plutôt  de  M.  Regnauld  [P.  de  La  Chaise] 
et  la  p.évention  de  ce  M.  Desmarets  [Louis  XIV]  qui 
les  arrêtent.  Si  l'alYaire  des  orphelines    [religieuses  de 

1.  Histoire  abrégée  du  Jansénisme,  avec  des  remarques  sur  l'ordon- 
nance de  M.  l'archevêque  de  Paris.  (Cf.  lettre  du  18  février  1698.) 

2.  M"10  de  Maintenon,   dont  la  nièce  avait  épousé  un  Noailles.  (Voir 
la  lettre  du  11  avril  10!)8.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        19 

Port-Royal)  était  approfondie,  cela  ferait  un  grand 
coup,  en  mettant  M.  Desmarets  [le  roi)  en  défiance  du 
sieur  Regnauld(P.  de  La  Chaise). 

M.  l'évêque  de  Montpellier  paraît  avoir  de  la  fermeté1. 
Les  jésuites  ont  fait  tout  ce  qu'ils  ont  pu  pour  l'enga- 
ger à  approuver  tous  ceux  de  leur  société  ;  il  a  tenu 
ferme  à  n'en  approuver  que  deux,  comme  il  a  fait  dans 
chacun  des  autres  ordres.  Un  jésuite  a  prêché  le  carême 
dans  sa  cathédrale.  Il  sut,  la  semaine  sainte,  qu'il 
devait  faire  un  sermon  sur  la  fréquente  communion  et 
décrier  le  livre  qui  porte  ce  titre  et  sa  doctrine.  Il  fit 
avertir  le  prédicateur  de  lui  apporter  ce  sermon  pour 
le  lire  avec  lui.  Cela  fut  fait;  on  y  changea  et  corrigea 
plusieurs  choses.  Le  prédicateur  se  soumit  à  tout,  au 
moins  en  apparence  ;  mais  il  l'oublia  ou  ne  voulut  pas 
s'en  souvenir  en  chaire,  et  il  prononça  son  discours 
comme  il  l'avait  écrit.  Il  avait  encore  à  prêcher  le  ven- 
dredi saint  et  le  jour  de  Pâques.  Le  mercredi  saint,  le 
prélat  lui  défendit  de  prêcher  et  mit  à  sa  place  un 
autre  prédicateur.  Aussitôt  le  recteur  accourt  pour 
faire  sa  paix.  Il  trouva  le  prélat  inébranlable.  Il  en 
écrit  au  R.  P.  de  La  Chaise,  qui  s'en  plaignit  au  roi. 
Le  roi  en  fut  choqué  (et  apparemment  le  narré  n'avait 
pas  été  adouci).  Il  envoya  quérir  le  marquis  de  Torcy, 
son  frère,  et  lui  fit  des  plaintes  du  prélat.  Le  marquis 
en  fut  quitte  pour  dire  qu'il  ne  lui  en  avait  point  écrit 
et  qu'il  jugeait  bien  que  ces  matières-là  ne  lui  conve- 


1.  Nous  rencontrons,  pour  la  première  fois,  le  nom  d'un  des  plus 
grands  parmi  les  quatre  évêques  jansénistes,  appellants  au  futur  con- 
cile de  la  bulle  Unigenitas  promulguée  contre  le  livre  du  P.  Quesnel. 
Colbert  de  Croissy,  frère  du  ministre  d'Etat  M.  de  Torcy,  fut  nommé 
à  Montpellier  en  1698.  Rien  ne  put  entamer  sa  fermeté.  11  lutta  durant 
tout  son  épiscopat  contre  les  jésuites,  contre  Rome,  contre  la  cour  ; 
mais  sa  grande  situation  de  fortune  et  de  famille,  son  caractère 
aimable  et  plein  de  naturel,  lui  évitèrent  le  dur  traitement  que  subit 
le  pieux  Soanen,  déposé  parle  «  conciliabule»  d'Embrun  et  relégué  à  la 
Chaise-Dieu  pendant  de  longues  années. 


20        CORRESPONDANCE  DE  PASQUTER  QUESNEL 

naient  pas.  A  peine  ent-il  achevé  de  parler  que  le  roi, 
voyant  arriver  M.  l'archevêque  de  Paris,  se  mit  à  lui 
faire  part  de  l'histoire  en  question.  Sa  Majesté  lui  avait 
dit  d'abord,  en  général  seulement,  que  le  petit  évêque 
de  Montpellier  faisait  bien  du  fracas  contre  les  jésuites 
dans  son  diocèse.  Sur  quoi  M.  l'archevêque  releva 
agréablement  ces  termes  généraux,  en  disant  au  roi  : 
«  Quoi  donc,  Sire,  est-ce  que  M.  de  Montpellier  a  in- 
terdit toute  la  société  dans  son  diocèse?  »  Et,  après 
que  Sa  Majesté  lui  eut  dit  l'affaire  en  détail,  M.  l'arche- 
vêque lui  dit  :  «  La  chose  étant,  Sire,  comme  il  a  plu 
à  Votre  Majesté  de  me  l'apprendre,  je  la  puis  assurer 
que  je  n'en  aurais  pas  moins  fait  que  M.  de  Montpel- 
lier, si  j'avais  été  en  sa  place.  »  Ce  qui  a  fait  que  le 
roi  a  laissé  tomber  cette  affaire. 


Quesnel  à  du  Vaucel 


13  juin  1698. 


Le  roi  a  envoyé  quérir  M.  Vittement,  recteur  de 
l'Université  de  Paris,  pour  le  faire  lecteur  du  duc  de 
Bourgogne,  ayant  nouvellement  ôté  cette  charge  à 
l'abbé  de  Langeron,  soupçonné  de  quiétisme,  comme  Sa 
Majesté  a  ordonné  au  duc  de  Beauvilliers  de  congédier 
pour  la  même  raison  l'abbé  de  Beaumont,  un  des  sous- 
précepteurs  de  ce  prince,  avec  MM.  de  l'Echelle  et 
Dupuis,  et  un  de  ses  gentilshommes  de  la  manche,  et 
de  chercher  trois  autres  sujets  pour  remplir  ces  trois 
dernières  places.  Mais  on  dit  dans  le  monde  que  M.  de 
Beauvilliers,  passant  lui-même  pour  un  des  plus  atta- 
chés aux  sentiments  de  M.  de  Cambrai,  ne  paraît  pas 
par  cet  endroit  fort  propre  à  faire  un  choix  au  gré  du 
roi. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         21 

Le  P.  de  La  Combe1  est  à  Vincennes.  Il  est  interrogé 
par  M.  d'Argenson  (lieutenant  de  police  à  la  place  de 
M.  de  La  Reynie)  sur  les  faits.  Il  y  a,  m'écrit-on,  bien 
de  l'ordure  dans  son  procédé.  Il  a  déclaré  que,  pour 
mieux  renoncer  à  la  propriété,  il  avait  embrassé  le 
vice  le  plus  opposé  à  la  vertu  pour  laquelle  il  avait  le 
plus  d'inclination  et  d'attrait.  Il  l'a  dit  ainsi,  d'une 
manière  vague,  sans  spécifier;  mais  le  sens  va  là.  Je 
vous  le  donne  pour  le  prix  qu'on  me  l'adonné. 

Voici  des  vers  pour  feu  M.  Arnauld.  J'en  sais  l'au- 
teur, mais  je  ne  le  puis  dire2  : 

Sublime  en  ses  écrits,  doux  et  simple  de  cœur, 

Puisant  la  vérité  jusqu'en  son  origine, 

De  tous  ses  longs  combats  Arnauld  sortit  vainqueur 

Et  soutint  de  la  foi  l'antiquité  divine. 

De  la  grâce  il  perça  les  mystères  obscurs, 

Aux  humbles  pénitents  traça  des  chemins  sûrs, 

Rappela  le  pécheur  au  joug  de  l'Evangile. 

Dieu  fut  l'unique  objet  de  ses  désirs  constants. 

L'Eglise  n'eut  jamais,  même  en  ses  premiers  temps, 

De  plus  zélé  vengeur,  ni  d'enfant  plus  docile. 

(4  avril  1698). 

Quesnel  à  du  Vaucel 

20  juin  1698. 

Mme  Guyon  est  à  la  Bastille.  M.  l'archevêque  l'avait 
été  interroger  à  Vaugirard,  auprès  de  Paris,  où  elle 
était  dans  une  communauté.  Apparemment  il  ne  la 
trouva  pas  disposée  à  son  gré,  puisqu'on  l'a  fait  con- 
duire à  la  Bastille,  où  ce  prélat  l'a  encore  interrogée. 

Vous  ai-je  mandé  que  M.  de  Cambrai  a  été  rayé  de 
dessus  l'état  de  la  maison  du  duc  de  Bourgogne,  pour 

1.  Barnabite  savoyard,  confesseur  de  la  célèbre  Mrae  Guyon,  homme 
ardent  et  extravagant,  qui  communiqua  à  sa  pénitente  toutes  les  rêve- 
ries mystiques  et  bizarres  de  son  imagination. 

2.  Jean  Racine. 


22        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

les  12.000  livres  d'appointements  de  pension  comme 
précepteur.  Le  recteur  de  l'Université,  M.  Vittement, 
a  été  fait  lecteur  de  ce  prince,  à  la  place  de  l'abbé  de 
Langeron.  On  a  fait  trois  ou  quatre  autres  changements 
pareils.  Un  abbé  de  Beaumont,  neveu  de  M.  de  Cambrai, 
était  sous-précepteur.  M.  Le  Fèvre,  supérieur  de  l'hôpi- 
tal de  la  Pitié,  et  qui  a  été  au  cardinal  fie  Bouillon,  a 
été  mis  en  sa  place. 

Mon  frère  n'a  eu  d'autre  dessein  que  de  me  voir, 
et  il  sait  bien  que  les  choses  ne  sont  point  disposées 
à  cela  de  ce  côté-là,  et  elles  ne  le  sont  pas  mieux  de  ce 
côté-ci.  Je  n'y  pense  point  du  tout.  On  m'embarras- 
serait, si  on  me  le  proposait  sans  condition  ;  mais,  tant 
qu'on  y  mettrait  la  moindre  condition,  je  n'en  serais 
pas  embarrassé,  parce  que  je  le  refuserais. 

Nous  avons  eu  aujourd'hui  à  dîner,  dans  notre  petit 
réfectoire,  le  bon  abbé  d'Orval1,  qui  est  un  vraiment 
bonhomme,  d'une  sage  simplicité  et  d'un  cœur  bien 
droit.  Il  est  ici  depuis  quelques  semaines,  fort  à 
contre-cœur,  comme  député  des  Etats  du  Luxembourg, 
pour  faire  décharger  la  province  des  taxes  qu'on  leur 
demande.  Ils  ont  bien  réussi. 

Voilà  une  petite  réponse  au  P.  Mabillon.  Elle  est 
maligne  et  assez  adroite. 

Quesnel  à  du  Vaucel 

4  juillet  1698. 

Vous  aurez  vu  à  Borne  la  Relation  de  M.  de  Meaux, 
qui  est  une  pièce  terrible  pour  le  pauvre  archevêque 
de  Cambrai.  La  lettre  pastorale  de  M.  de  Chartres  est 
encore  un  autre  coup.  Je  crois  que  le  pauvre  prélat  n'est 
pas  à  se  repentir  de  s'être  engagé  dans  une  si  malheu- 
reuse affaire. 

1.  Le  II.  P.  Charles  François,  abbé  d'Orval. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         23 

Il  y  a  peu  de  nouvelles  présentement.  On  ne  songe 
qu'à  se  divertir.  Tant  il  est  vrai  qu'on  ne  se  sert  du 
bienfait  de  la  paix  que  pour  s'abandonner  au  plaisir! 

Que  vous  dirai-je  de  mon  frère?  Il  me  semble  que  je 
l'avais  laissé  jeune,  quand  je  quittai  le  pays,  et  je  l'ai 
trouvé  portant  lunettes,  se  portant  fort  bien  néanmoins, 
et  de  fort  bonne  humeur,  comme  il  a  toujours  été.  Il 
nous  a  confirmé  la  prévention  où  la  cour  est  toujours 
sur  le  jansénisme.  Il  a  été  ici  près  de  trois  semaines, 
et  il  s'en  est  retourné  en  se  promenant  par  les  villes  de 
la  route  où  on  lui  a  donné  des  connaissances. 


Quesnel  à  du  Vaucei 

23  août  1698. 

Vous  ne  nous  dites  point  ce  que  j'ai  appris  par  des 
lettres  de  Paris  du  16,  comme  écrit  de  Rome,  dès  le 
4  ou 5  sans  doute,  par  un  courrier  extraordinaire,  que, 
dans  une  congrégation  M.  le  cardinal  de  Bouillon  ayant 
interrompu  le  pape,  pour  faire  parler  un  partisan  de 
M.  de  Cambrai  qui  avait  droit  à  son  rang,  ce  cardinal 
avait  été  mortifié,  Sa  Sainteté  lui  ayant  dit  :  «  Ce  ne 
sert  ni  vous  ni  lui  qui  parlerez,  mais  ce  sera  moi  »,  et 
que  ce  cardinal  avait  pris  le  parti  de  faire  agréer  à  Sa 
Sainteté  et  à  Sa  Majesté  qu'il  se  tînt  retiré  à  Frascati 
jusqu'à  la  sentence,  n'ayant  pas  le  courage,  a-t-il  dit, 
devoir  condamner  ses  amis1.  Cette  nouvelle  venait  de 
chez  Dom  Antoine  de  Saint-Bernard  \V  archevêque  de 
Noailles] . 

Selon    la  gazette  d'hier  de  Bruxelles,  à  l'article   de 

1.  Louis  XIV,  malgré  cette  attitude,  est  encore  en  correspondance 
ivec  le  cardinal  de  Bouillon.  Il  lui  écrit,  à  propos  de  la  nomination  du 
prince  de  Monaco  :  «  Je  suis  persuadé  que  vous  et  lui  entretiendrez, 
chacun  de  votre  côté,  toute  la  bonne  intelligence  qu'il  est  nécessaire 
que  vous  conserviez  ensemble.  »  (Aff.  étr.   Rome,  389.) 


É4  CORRESPOiNDAXCE    DE    PASQUIER    QUÈSNËt 

Paris,  le  prince  de  Monaco  l  est  nommé  pour  l'ambas- 
sade de  Rome. 

On  me  mande  de  Paris  que  le  P.  de  La  Chaise  a  livré 
une  lettre  que  le  P.  de  La  Combe  a  écrite,  je  ne  sais  pas 
quand,  a  Mme  Guyon.  C'est-à-dire  qu'il  tire  son  épingle 
du  jeu,  par  politique. 

Je  ne  savais  pas  la  nouvelle  dignité  de  promoteur  de 
la  discipline.  Il  ne  tiendra  pas  à  lui  qu'on  n'établisse 
de  bons  règlements. 

Vous  verrez,  par  la  lettre  que  je  vous  communique, 
qu'il  se  forme  de  bons  évoques,  et  que  le  beau-frère  de 
la  nièce  de  M.  Arnauld  a  de  la  vigueur,  tout  jeune 
qu'il  est2. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

9  octobre  1698. 

Je  suis  affligé  de  ce  que  vous  me  mandez  de  pom 
Antoine  de  Saint-Bernard  [Nouilles,  archevêque  de 
Paris].  Les  fautes  en  attirent  d'autres.  Le  malheur  des 
personnes  qui  sont  élevées  est  qu'on  n'ose  leur  Jaire 
envisager  les  suites  que  peuvent  avoir  les  premières. 
Ce  qui  fait  qu'on  n'en  guérit  pas.  On  a  peine  mène  à 
lesreconnaître,  de  peur  de  se  sentir  pressé  de  les  répaier, 
et  tout  cela  éloigne  la  grâce  de  Dieu,  dont  on  a  dou- 
tant plus  besoin  qu'on  est  plus  exposé  aux  occasions 
de  chutes  et  aux  grandes  affaires.  C'est  un  grand  dom- 
mage. 11  faut  prier  beaucoup  pour  ce  bon  abbé,  qui  a 
d'ailleurs  tant  de  bons  sentiments,  afin  qu'il  puisse  au 


1.  Louis  Grimaldi,  prince  de  Monaco,  duc  de  Valentinois,  ne  réussit 
guère  à  Rome. Saint-Simon  attribue  cetinsuccèsà  une  exigence  sur  le  titr^ 
de  Monseigneur,  qu'il  réclamait  et  que  Louis  XIV  n'accorda  pas.  «  M.  de 
Monaco  partit  outré  et  brouillé  avec  Torcy,  et  l'effet  de  cette  brouiUerie 
se  répandit  sur  toute  son  ambassade,  au  détriment  des  affaires  qui  en 
souffrirent  beaucoup.  »  (Saint-Simon,  1,  430.) 

2.  Colbert  de  Groissy,  évoque  de  Montpellier. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    OUESNEL  £5 

moins  profiter,  dans  la  suite,  de  ses  fautes  et  que  Dieu 
pour  cela  lui  ouvre  les  yeux  et  ouvre  la  bouche  à  ceux 
qui  ont  obligation  de  lui  parler. 


Quesnel  à  du  Vaacel 

11  octobre  1698. 

J'attends  sans  empressement  l'issue  de  l'affaire  de 
M.  du  Repos  [Féneion].  Ce  qu'ils  y  feront  n'est  pas 
digne  d'impatience;  mais  au  moins  qu'ils  finissent! 
Les  Routiers  [les  Jésuites]  font  les  politiques.  Ils  sont 
pour  M.  de  Cambrai,  sans  se  trop  soucier  de  sa  doctrine. 
S'il  en  avait  avancé  une  contraire,  ils  seraient  autant 
à  lui.  Cependant,  pour  ne  pas  tout  à  fait  déplaire  aux  puis- 
sants, ils  ont  fait  prêcher  le  jour  de  Saint-Bernard,  aux 
Feuillants  delà  rue  Saint-Honoré,  contre  M.  de  Cambrai 
par  le  P.  de  La  Rue,  qui  avait  aussi  prêché  une  fois,  le 
carême  dernier,  devant  le  roi  contre  cette  nouvelle 
secte.  Depuis  ils  font  courir  le  bruit  que  les  supérieurs 
ne  l'approuvent  pas.  On  m'avait  dit  que  son  sermon 
avait  été  imprimé.  Cela  ne  s'est  pas  trouvé  vrai,  mais 
on  le  vend  manuscrit. 

Ce  n'est  qu'en  effigie  que  le  curé  de  Seurre,  près 
Dijon,  a  été  brûlé  pour  la  morale  pratique  du  plus 
vilain  quiétisme.  On  a  dit  à. Paris  que  le  pape  avait 
fait  emprisonner  à  Rome  deux  augustins  déchaussés 
sur  la  même  accusation,  c'est-à-dire  du  même  crime; 
que  l'un  des  deux  se  nomme  le  P.  Bénigne  et  que  les 
chapelles  où  ils  confessaient  ont  été  scellées  par  ordre 
de  Sa  Sainteté,  à  cause  de  l'horrible  profanation  qu'ils 
en  ont  faite. 

Nous  attendrons  le   nouveau  nonce1.   Pourvu    qu'il 

1.  Jean-Baptiste  Bussi,  internonce  à  Bruxelles,  puis  nonce  à  Cologne, 
enfin  cardinal  et  évêcme  cTAncône,  en  1712.  Féneion  lui  reprochera  plus 
tard  trop  de  mollesse  à  l'égard  des  jansénistes. 


26  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

soit  équitable  et  ferme,  on  n'aura  pas  de  peine  à  s'ac- 
commoder de  lui.  Son  prédécesseur  est  fort  aise  de  lui 
quitter  la  place.  LeMulart  [P.  Désirant]  se  vanted'avoir 
fait  la  paix  entre  ce  ministre  et  M.  l'archevêque.  On 
ne  croit  pas  que  la  paix  soit  fort  cordiale.  C'est  à  peu 
près  comme  entre  ce  prélat  et  le  P.  de  Hondt  et  le 
P.  Paulin  [Ru (h  d'Ans}.  Le  P.  de  Hondt  le  fut  voir,  ces 
jours  passés.  Il  le  reçut,  l'entretint,  mais  fort  froide- 
ment. Le  Père  témoigna  désirer  lui  baiser  son  anneau 
pastoral.  Le  prélat  se  garda  bien  de  le  lui  permettre  et 
retira  sa  main,  de  peur  qu'elle  ne  fût  profanée  par 
un  baiser  janséniste.  On  dit  que  c'est  Dom  Quiros  qui 
a  obligé  l'archevêque  à  faire  au  moins  semblant  de 
n'être  plus  mal  avec  le  ministre  de  Sa  Sainteté. 

M.  le  chancelier  du  conseil  de  Brabant  est  mort,  et  le 
chancelier  de  France  était,  à  ce  qu'on  dit,  fort  malade. 


Ques?iel  à  du  Vaiicel 

25  octobre  1698. 

Je  sais  en  secret  que  M.  de  Cambrai  a  envoyé 
M.  Le  Comte  à  Louvain  pour  proposer  l'approbation  de 
quelques  propositions  à  ces  MM.  les  docteurs.  Je  crois 
que  nos  amis  se  garderont  bien  de  se  mettre  entre  le 
marteau  et  l'enclume.  Ce  n'est  point  leur  affaire  de  se 
rendre  juges  d'une  doctrine  qui  est  devant  le  Saint- 
Siège.  On  leur  a  donné  avis  de  ne  se  point  laisser  sur- 
prendre; je  crois  qu'ils  s'en  garderont  bien. 

Il  faut  donc  attendre  que  MM.  les  cardinaux  finissent 
leurs  vacances  pour  voir  leur  décision.  Je  doute  fort 
que  le  Saint-Esprit  se  trouve  dans  leurs  vignes  pour  les 
inspirer. 

On  a  élu  un  nouveau  recteur  de  l'Université  de  Paris. 
Les    jésuites  avaient  une   forte  brigue  pour  en   avoir 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  27 

un  favorable,  à  cause  de  quelques  affaires  qu'ils  ont 
ensemble  à  régler;  mais  on  a  si  bien  fait  qu'on  a 
rompu  leurs  mesures  et  qu'on  en  a  un  fort  bon. 

M.  Simon  [Guelphe]  est  encore  à  Amsterdam.  Je  ne 
sais  ce  qu'il  y  fait,  à  moins  qu'il  n'y  vive  aux  dépens 
de  ses  amis.  Il  dépense  plus  dix  fois  que  les  affaires 
qu'il  y  a  ne  valent.  Il  a  laissé  la  servante  à  Liège.  Je 
sais  qu'on  l'avait  chargé  de  quelques  papiers  contre 
le  quatrième  volume.  Il  ne  m'en  a  dit  mot.  Me  voilà 
au  bout,  car  le  temps  est  stérile  de  nouvelles.  M.  le 
pasteur  de  Sainte-Catherine  a  été  voir  M.  l'archevêque 
pour  quelque  affaire  de  sa  paroisse.  Il  l'a  fort  bien 
reçu  ;  mais  je  crois  que,  s'il  lui  eût  demandé  à  lui  baiser 
la  main,  comme  le  P.  de  Hondt,  il  l'aurait  retirée  bien 
vite. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

8  novembre  1698. 

M.  Thomas  du  Fossé,  après  avoir  longtemps  langui  et 
beaucoup  souffert  avec  une  merveilleuse  patience,  mou- 
rut le  4,  sur  le  midi1.  Vous  savez  que  c'était  lui  qui 
continuait  l'ouvrage  de  feu  M.  de  Sacy  sur  la  Bible. 
Les  quatres  Evangiles  sont  publiés;  il  reste  les  Actes 
et  les  Epîtres.  Je  ne  sais  qui    sera  digne  d'achever   ce 


1 .  Racine  écrit  à  sa  tante,  l'abbesse  de  Port-  Royal,  le  9  novembre  1698, 
en  parlant  de  la  mort  de  M.  du  Fossé  :  «C'était,  pour  ainsi  dire,  le  plus 
ancien  ami  que  j'eusse  au  monde.  »  M.  du  Fossé  avait  alors  soixante 
ans;  il  avait  été  l'un   des  solitaires  de  Port-Royal. 

Dans  une  lettre  de  ce  saintlaïque  àErnest  Ruth  d'Ans,  du  2  juillet  1692, 
nous  trouvons  un  passage  relatif  aux  Réflexions  morales  du  P.  Ques- 
nel :  «  Je  lis  tous  les  jours  le  Nouveau  Testament  avec  les  Réflexions 
morales;  c'est  un  livre  admirable.  Si  j'étais  bien  riche,  je  serais  ravi 
d'en  donner  à  des  personnes  capables  d'en  profiter.  Ne  l'imprimera- 
t-on  point  en  vos  quartiers  et  ne  le  donnera-t-on  point  moins  cher 
qu'ici,  où  on  le  vend  seize  francs?  » 


£8  CORRESPONDANCE    DE    PASOTJIER    QUESNEL 

grand  ouvrage.  Il  est  enterré  à  Saint-Etienne  du  Mont, 
auprès  de  M.  Pascal  et  de  M.  Perrault,   le  docteur. 

M.  Méliaud1,  évoque  d'Aleth,  quitte  sonévôché;  on 
croit  qu'il  s'y  ennuyait.  On  met  en  sa  place  un  M.  Taf- 
foureau,  doyen  de  Sens,  et  on  croit  que  M.  Méliaud 
pourra  être  trésorier  de  la  Sainte-Chapelle.  Un  abbé 
Fleury2,  aumônier  du  roi  (ce  n'est  pas  l'historien  sous- 
précepteur  des  princes)  est  fait  évêque  de  Fréjus,  et 
l'abbé  d'Àcquin,  rappelé  de  Fréjus,  est  fait  évoque 
de  Séez.  On  unit  àl'évêché  de  Toul  l'abbaye  des  Trois- 
Fontaines. 

Je  ne  sais  comment  va  l'abbaye  de  la  Trappe.  L'an- 
cien s'est  démis,  comme  vous  savez.  Celui  qui  lui  avait 
succédé  mourut  aussitôt;  celui  qui  l'était  en  dernier 
lieu,  qui  est,  je  crois,  un  carme  reçu  depuis  peu,  s'est 
démis  de  l'abbaye.  11  a  été  à  la  cour,  a  vu  le  confesseur. 
Ce  Père  confesseur,  peu  auparavant,  avait  reçu  une  lettre 
où  on  lui  mandait  que  tels  et  tels  étaient  jansénistes  et 
qu'il  ne  fallait  pas  les  faire  abbés.  Le  pauvre  abbé  an- 
cien doit  être  humilié.  Toutes  ses  démarches  politiques 
ne  lui  réussissent  pas,  et  je  crains  que  Dieu  ne  lui  fasse 
sentir  ce  qu'il  a  fait  contre  la  vérité  en  attaquant  ses 
amis. 

On  me  mande  que  M.  Tafïbureau,  doyen  de  Sens, 
nommé  à  l'évêché  d'Aleth,  refuse  l'éveché.  Le  roi  est 
surpris  de  voir  qu'un  homme  pleure  pour  n'être  point 
évoque.  On  lui   dit  que,  quand   il  donnera  des  évechés 

1 .  Victor-Augustin  Méliaud,  évêque  d'Aleth,  de  juin  1684  à  octobre  1698, 
fut  remplacé  par  Charles-Nicolas  Tafïbureau  de  Fontaine. 

2.  André-Hercule  de  Fleury,  futur  cardinal  et  premier  ministre  de 
Louis  XV,  fut  nommé  à  la  prière  de  Noailles.  Le  roi,  raconte  Saint- 
Simon,  dit  à  ce  dernier  :  «  Souvenez-vous  bien,  et  je  vous  le  prédis, 
que  vous  vous  en  repentirez.  »  Fleury  disait  que,  dès  qu'il  avait,  vu 
sa  femme  (son  évêcké),  il  avait  été  dégoûté  de  son  mariage,  et  il 
signa  une  lettre  de  plaisanteries  au  cardinal  Quirini  :  «  Fleury,  évêque 
de  Fréjus  par  lindignation  divine.  »  II  donna  sa  démission  en  1715, 
sous  prétexte  que  l'âge  lui  ôtait  la  force  d'administrer  son  diocèse, 
et  accepta  cependant  d  être  premier  ministre  à  soixante-treize  ans. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  29 

à  ceux  qui  les  demandent,  il  ne  les  verra  pas  pleurer, 
mais  que,  quand  il  les  donnera  à  ceux  qui  ne  les 
demandent  point,  il  en  trouvera  qui  les  refuseront. 

M.  l'archevêque  de  Paris  à  été  saigné  deux  fois  pour 
une  fièvre  tierce. 

11  faut  que  je  m'informe  de  l'histoire  de  cette  exclu- 
sion faite  par  Dom  Antoine  de  Saint-Bernard  [Noailles, 
archevêque  de  Paris]  pour  la  signature.  Je  ne  la  sais  que 
d'une  personne.  11  se  peut  faire  que  des  gens,  exclus 
pour  d'autres  raisons,  se  couvrent  de  celle-là.  IL  est  vrai 
que  ces  engagements  sont  déplorables.  On  n'en  revient 
point.  Les  Romains  étudient  la  situation  de  France  et, 
tant  qu'ils  verront  les  évoques  disposés  à  exiger  la 
signature  pure  et  simple,  ils  n'en  démordront  point. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

22  novembre  1698. 

Vous  demandez  s'il  n'y  a  personne  dans  le  diocèse 
de  Cambrai  qui  s'aperçoive  de  la  fausseté  des  principes 
du  prélat.  Non,  que  je  sache.  Tout  le  monde  est  pour 
lui  ;  il  y  est  adoré  et  on  y  croit  sa  doctrine  très  catho- 
lique. 

Gomment  ne  vous  accordez- vous  point,  vous  et  M.  du 
Til  [Henneôel],  dans  le  choix  des  noms?  Celui  que  vous 
appelez  M.  Frizon  [ï internonce  Bassi]  a  un  autre  nom, 
selon  M.  du  Til,  et  il  faut  charger  sa  mémoire  de  deux 
mots  différents1. 

Voilà  qu'on  sonne  la  grosse  cloche  de  Sainte-Gudule 
pour  la  réception  du  premier  de  l'Université,  qui  est  de 
Bruxelles  et  de  la  paroisse  de  Sainte-Catherine. 

1.  Cette  question  des  faux  noms  est  une  difficulté  continuelle  pour 
la  lecture  de  la  correspondance  janséniste,  d'autant  que  nous  n'avons 
trouvé  nulle  part  la  liste  complète  des  pseudonymes.  Pour  rinternonce 
Bussi,nous  relevons  trois  noms  indifféremment  employés. 


30         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

M.  l'archevêque  de  Paris  se  porte  mieux,  après 
quatre  accès  de  fièvre  tierce  ;  on  a  prévenu  le  cinquième 
par  le  quinquina. 

La  bonne  somr  Anne-Marie  de  Jésus  a  été  fort  mal, 
ces  jours-ci.  Elle  souffre  étrangement  de  son  rhuma- 
tisme. 

Le  pain  est  extraordinairement  cher  en  ce  pays-ci, 
et  le  blé  partout  à  un  prix  fort  haut,  parce  qu'il  est 
rare. 


Quesnel  à  du  Vancel 

29  novembre  1698. 

Je  ferai  tout  ce  que  je  pourrai  pour  engager  les  gens 
au  recueil  que  vous  proposez  contre  le  quiétisme,  et  je 
saurai  si  M.  Gerbert  [Le  Tel/ier,  archevêque  de  Reims] 
voudra  faire  traduire  ses  sentiments. 

Il  y  a,  dans  les  Remarques  à^M..  de  Meaux,des  réponses 
qui  montrent  la  corde,  comme  celle  par  laquelle  il 
répond  à  ce  qu'on  lui  avait  objecté,  qu'on  n'avait  point 
distribué  les  livres  de  Mme  Guyon  et  qu'on  le  défiait  de 
nommer  une  seule  personne. 

Les  Anglais  ont  dessein  d'établir  un  collège  pour  les 
Grecs,  afin  de  former  à  leurs  dogmes  et  à  leurs  rites 
ceux  de  cette  nation  et  d'introduire  dans  le  Levant  leur 
secte.  Un  particulier  fort  riche  a  laissé  pour  cela  une 
somme  considérable  par  testament.  On  me  mande  de 
Paris  que  l'on  travaille  à  rompre  le  coup;  mais,  si  les 
Anglais  l'entreprennent,  ils  en  viendront  à  bout,  et  les 
Hollandais  les  aideront  et  les  imiteront.  On  leur  a 
reproché  qu'ils  n'avaient  point  de  zèle  pour  répandre  le 
christianisme;  ils  profitent  de  ces  avis  au  préjudice  du 
christianisme. 

Gomme  c'est  un  protestant  qui  rimprime  en  Hollande 
le  Saint  Augustin  ou  qui  au  moins  se  dispose  à  le  faire, 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  31 

on  mande  qu'il  y  aura  des  notes  du  sieur  Le  Clerc,  calvi- 
niste, franc  socinien  et  pélagien.  Si  les  notes  ne  sont 
qu'historiques,  passe.  Encore,  s'il  y  met  son  nom, 
sera-ce  une  tache  pour  l'ouvrage;  mais,  si  elles  sont 
doctrinales,  je  doute  qu'elles  ne  soient  mauvaises.  On 
dit  que  M.  de  Witte  les  doit  revoir. 

Voilà  une  lettre  de  change  sur  laquelle  vous  pren- 
drez, s'il  vous  plaît,  les  200  livres  dont  je  vous  ai  parlé 
la  dernière  fois,  ce  qui  me  restait  à  vous  donner  des 
200  livres  précédentes  sur  lesquelles  vous  avez  reçu 
seize  pistoles  d'Espagne,  et  le  contenu  de  votre  mémoire 
dû  par  le  R.  P.  [Quesnel],  qui  vous  salue  et  vous  remer- 
cie très  humblement.  Vous  donnerez  le  reste  à  M.  Hen- 
nebel. 


Quesnel  à  du  Vancel 

13  décembre  1698. 

Nous  n'avons  point  encore  vu  ici  les  Remarques  de 
M.  de  Cambrai  sur  la  Réponse  de  M.  de  Meaux.  Je 
n'avais  appris  les  premières  nouvelles  de  la  censure  des 
docteurs  de  Paris  sur  le  l'énelonisme  que  par  la  Gazette 
de  Bruxelles,  où  était  inséré  ce  que  les  feuilles  manus- 
crites de  nouvelles  disent  deux  fois  la  semaine,  et  qui 
sont  envoyées  régulièrement  de  Paris.  Elles  disaient 
que  M.  de  Reims  en  avait  parlé  au  roi,  comme  s'en 
plaignant  et  craignant  que  Rome  ne  le  trouvât  pas  bon, 
et  que  le  roi  en  avait  comme  grondé  M.  de  Paris  et 
lui  avait  dit  qu'il  s'en  tirât  comme  il  pourrait  avec  Rome, 
qu'il  ne  s'en  voulait  point  mêler. 

M.  de  Meaux  a  tant  d'affaires  sur  les  bras  que  je 
cloute  qu'il  songe  fort  à  satisfaire  l'archevêque  de  Séville. 
Il  faut  une  occasion  pour  cela,  et  on  n'en  trouve  pas  si 
souvent  de  cette  nature. 

Vous  admirerez  sans  doute  l'insolence  des  auteurs  du 


32  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Problème  ecclésiastique1.  Ce  sont  assurémentles  jésuites. 
On  le  sait  de  science  certaine.  Je  ne  vois  pas  que  le 
P.  Quesnel  s'en  doive  mettre  beaucoup  en  peine  ;  c'est 
à  M.  l'archevêque  de  Paris  de  voir  ce  qu'il  a  à  faire. 
S'il  a  un  peu  de  vigueur,  il  ne  doit  pas  laisser  tomber  à 
terre  cette  occasion. 

La  bonne  Mme  la  marquise  de  Saint-Loup  est  morte 
à  Poitiers,  âgée  de  soixante-dix-neuf  ans.  Je  crois  vous 
avoir  mandé  la  mort  de  M.  du  Fossé,  qui  continuait 
l'ouvrage  de  M.  de  Sacy. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

20  décembre  1698. 

Je  ne  crois  pas  que  le  Père  confesseur  [P.  de  La 
Chaise]  ait  eu  part  à  la  nomination  du  nouvel  évoque 
d'Aleth 2.  On  m'a  dit  que  c'était  M.  le  duc  de  Beauvilliers 
qui  l'avait  indiqué  au  roi,  et  que,  le  roi  en  ayant 
demandé  des  nouvelles  à  M.  l'archevêque  de  Sens,  ce 
prélat  avait  répondu  à  Sa  Majesté  que  c'était  un  homme 
qui  avait  beaucoup  de  capacité  et  de  piété,  et  sur  cela 
le  roi  le  nomma.  On  me  mande  qu'il  accepte,  avec  la 
résolution  de  s'aller  consacrer  uniquement  au  service 
de  son  diocèse.  11  était  des  amis  de  feu  M.  de  Sens,  de 
Gondrin,  à  qui  il  dédia  ses  thèses,  où  il  fit  mettre  le 
grand  portrait  qu'on  a  de  ce  prélat.  Il  était  aussi  ami 
de  M.  Boileau,  qui  lui  a  résigné  son  doyenné.  Il  le  pria 
à  dîner,  dans  un  voyage  que  je  fis  à  Sens,  il  y  a  environ 
quatorze  ans,  et  je  mangeai  avec  lui. 

1.  Petite  brochure  de  vingt-quatre  pages,  lancée  par  les  molinistes 
contre  l'archevêque  de  Paris.  Elle  tendait  à  mettre  le  prélat  en  contra- 
diction avec  lui-même,  pour  avoir,  à  une  année  d'intervalle,  approuvé 
les  liéflexions  morales  du  P.  Quesnel  et  censuré  YExposUion  delà  foi  de 
Martin  de  Barcos. 

2.  Tail'oureau  de  Fontaine. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QUESNEL         33 

Quesnei  à  du  Vaucel 

27  décembre  1698. 

Il  y  a  une  déclaration  du  roi  nouvelle,  qui  confirme 
la  révocation  del'édit  de  Nantes,  ordonne  aux  évoques 
de  continuer  à  résider  et  de  s'appliquer  à  l'instruction 
des  nouveaux  catholiques,  et  défend  toute  assemblée 
des  huguenots. 

L'ange  gardien  [M.  Vuillart]  me  mande  queM.  Racine, 
gentilhomme  ordinaire  de  chez  le  roi,  lui  avait  con- 
firmé (car  le  bruit  en  était  déjà  fort  grand)  que  le  roi 
a  reçu  un  courrier  qui  lui  a  apporté  la  nouvelle  que 
le  roi  d'Espagne  a  déclaré  que  le  prince  électoral  de 
Bavière  lui  succéderait  à  la  couronne  et  que  la  reine 
serait  régente 1.  Je  ne  sais  qu'en  croire.  Le  bruit  en  court 
aussi  en  ce  pays;  mais  il  me  semble  qu'une  si  grande 
nouvelle  y  devrait  faire  plus  de  mouvement,  aussi  bien 
qu'en  France,  où  l'on  ne  dit  point  comment  cela  est 
reçu. 

Qitesnel  à  du  Vaucel 

3  janvier  1699. 

J'ai  si  grande  confiance  que  la  Causa2ne  sera  pas  mal  re- 
çue à  Rome  que  je  me  flatte  quasi  qu'on  pourrait  venir  à 
bout  de  faire  retirer  de  l'index  les  cinq  pièces  qui  y  sont 

1.  Charles  II  fit  un  premier  testament  qui  désignait  le  prince  de 
Bavière  comme  devant  lui  succéder  au  trône  d'Espagne.  Quelques  his- 
toriens en  contestent  la  réalité;  plusieurs  n'en  font  pas  mention  ;  en  tous 
cas,  il  signa  un  autre  testament  en  octobre  1700. 

2.  Causa  Arnaldina,  seu  Antonius  Arnaldus  a  calumniis  vindi- 
catus,  ardente  apologie  des  œuvres  et  des  idées  d'Antoine  Arnauld. 
Le  pauvre  Quesnel  se  fait  illusion  sur  l'effet  de  son  livre  à  Rome.  Il 
y  fut  condamné  par  le  pape  Innocent  XII,  quelques  mois  plus  tard. 

Il4  3 


34         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

de  ce  recueil1,  si  un  homme  du  poids  de  M.  Albin 
[cardinal  Casanaté]  voulait  bien  seconder  ce  dessein,  et 
qu'un  aussi  habile  négociateur  que  M.  de  La  Rue  [du 
Vaucel]  s'y  employât  de  son  mieux,  comme  je  suis 
assuré  qu'il  ferait.  Dans  un  mémorial  qu'il  dresserait, 
il  ferait  considérer  les  services  que  l'auteur  a  rendus 
à  l'Eglise  contre  les  hérétiques;  combien  hautement  il 
se  déclare  pour  le  Saint-Siège  et  pour  la  primauté  du 
pape  de  droit  divin;  combien  il  serait  avantageux  à 
1  Eglise  que  des  écrits  qui  portent  le  nom  d'un  de  ses 
plus  illustres  défenseurs  ne  fussent  point  flétris  ;  que 
les  écrits  ne  contiennent  rien  que  de  très  catholique; 
qu'il  ne  les  a  faits  que  pour  se  défendre  contre  des 
ennemis  déclarés,  ligués  contre  lui;  qu'ils  ont  été 
approuvés  par  près  de  quatre-vingts  docteurs,  qui  défen- 
daient enSorbonne  de  vive  voix  ce  qu'il  y  envoyait  par 
écrit;  que  ces  écrits  n'ont  été  mis  à  l'index  que  par  le  cré- 
dit du  cardinal  Mazarin,  qui  faisait  de  cette  affaire  une 
affaire  politique,  et  par  haine  contre  le  cardinal  de  Retz, 
qu'il  croyait  que  M.  Arnauld  favorisait.  Il  me  semble 
que  ces  écrits  sont  si  purs  qu'ils  ne  contiennent  que  la 
doctrine  commune  de  l'école  de  saint  Thomas.  Que  si 
on  pouvait  obtenir  une  revision,  il  me  semble  qu'on 
ne  pourrait  s'empêcher  de  dire  qu'il  n'y  a  rien  de 
contraire  à  la  foi  ni  aux  bonnes  mœurs.  Je  ne  doute 
pas  qu'on  ne  m'oppose  de  grandes  raisons  contre  un 
tel  dessein.  Je  ne  dis  pas  que  cela  soit  sans  difficulté; 
mais,  si  on  ne  demande  rien,  on  n'obtient  rien,  et 
en  demandant  d'une  certaine  manière  on  peut  se  pro- 
mettre quelque  chose.  Je  vois  bien  que  l'affaire  serait 
plus  favorable  dans  un  autre  temps,  lorsque  M.  Des- 
marcts  [Louis  XIV]  ne  serait  plus;  car  alors  l'abbé 
David  [de  Pomponne]  pourrait  s'y  intéresser.  Si  pour- 
tant le  père  de  cet  abbé    voulait    un    peu    s'aider,    il 

1.  C'est-à-dire  cinq  des  œuvres  de  M.  Arnauld,  qui  étaient  à  l'index 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         35 

obtiendrait  aisément  que  M.  Desmarets  ne  s'en  mêle- 
rait pas  et  qu'il  souffrirait  même  que  les  parents 
agissent.  Il  lui  ferait  toucher  au  doigt,  s'il  voulait,  qu'on 
l'a  engagé  fort  mal  à  propos  dans  cette  affaire;  qu'il 
n'y  a  pas  eu  de  liberté  ;  qu'il  ne  peut  être  qu'hono- 
rable à  sa  famille  de  purger  la  mémoire  de  son  oncle 
et  que,  si  on  jugeait  à  Rome  que  la  doctrine  n'a  rien 
que  de  bon,  ce  serait  un  avantage  de  tous  côtés,  etc. 

Vous  voyez  bien  par  laque  mes  prétentions  vont  bien 
plus  loin  que  les  espérances  qu'on  vous  donne  que 
l'affaire  passera  impunément.  En  toute  autre  occasion, 
je  ne  voudrais  pas  les  tenter  du  plaisir  qu'ils  auraient 
à  casser  une  censure  de  Sorbonne;  mais,  en  celle-ci, 
je  n'en  ferais  pas  de  scrupule.  Pensez-y  un  peu,  car 
l'affaire  ne  me  paraît  pas  infaisable. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

10  janvier  1699. 

Le  courrier  qui  apportait  les  lettres  de  Rome  a  été 
rolé  entre  Namur  et  Bruxelles,  et  les  lettres  dispersées. 
Cependant,  parmi  le  débris  rapporté  à  Bruxelles,  la 
vôtre  s'est  heureusement  trouvée,  et  je  la  reçus,  aus- 
sitôt après  l'arrivée  du  courrier,  jeudi  à  midi  seulement. 
Je  soupçonne  que  c'est  la  cour  de  France  qui  aura 
envoyé  enlever  les  lettres  pour  M.  de  Cambrai,  peut- 
être  pour  voir  aussi  ce  que  M.  de  Massac  [cardinal  de 
Bouillon]  peut  mander  à  M.  du  Repos  [Fénelon].  C'est 
ma  vision. 

Puisqu'on  paie  communément  19  et  20  pour  100  de 
Paris  à  Rome,  vous  ne  devez  pas  vous  étonner  qu'il 
vous  en  ait  coûté  autant.  Si  vous  aviez  à  Paris  des 
correspondants,  comme  M.    Charmot,  vous  trouveriez 


36         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

comme  lui  des  avantages.  Ce  qu'on  a  mandé  de  Liège 
de  la  misère  est  très  vrai.  Le  blé  est  partout  très  cher 
et  très  rare. 

Je  ne  sais  pourquoi  vous  disiez  dernièrement  que 
franchement  vous  n'étiez  pas  trop  disposé  à  croire  les 
miracles  que  fait  M8'r  l'évêque  de  Ghâlons  défunt1. 
Qu'avez-vous  connu  de  lui  qui  vous  empêche  de  le 
croire  saint?  C'est  un  prélat  de  mœurs  très  pures,  qui 
a  apporté  l'innocence  dans  l'épiscopat,  qui  y  a  travaillé 
sans  relâche  durant  quarante  ans,  qui  a  eu  un  très  grand 
amour  pour  les  pauvres,  qui  a  fait  ses  visites  fort  soi- 
gneusement, qui  a  consumé  quatre  cent  mille  francs  de 
patrimoine  en  établissements,  cures,  séminaires,  mis- 
sions, communautés  de  filles  utiles  au  public,  écoles,  etc. , 
qui  était  éloigné  de  tout  faste,  nullement  courtisan, 
qui  a  abandonné  sou  palais  pour  demeurer  dans  son 
séminaire  et  y  occuper  une  seule  chambre  de  bois  pour 
ainsi  dire,  qui  avait  vendu  toute  son  argenterie  pour 
secourir  les  pauvres,  et  s'était  réduit  à  manger  dans  de 
la  faïence  de  Hollande.  Il  avait  un  amour  pour  l'Eglise 
et  pour  la  vérité,  très  simple,  mais  très  sincère,  appli- 
qué jour  et  nuit  aux  intérêts  de  la  paix  de  l'Eglise, 
comme  il  me  l'a  dit  à  moi-môme  en  confiance.  Il  n'avait 
pas  cet  éclat  de  sainteté  qui  relevait  devant  le  monde 
un  M.  d'Aleth,  parce  qu'il  avait  une  simplicité  fort 
grande  avec  sa  sagesse  et  sa  prudence,  qui  le  faisait 
estimer  de  tout  le  monde.  C'est  à  lui  que  le  feu  cardi- 
nal de  Retz  doit  son  salut,  après  Dieu.  Enfin  Dieu  se 
plaît  quelquefois  à  relever  la  sainteté  de  certaines  per- 
sonnes après  leur  mort,  par  cette  raison-là  même 
qu'elle  n'a  pas  éclaté  durant  leur  vie  ;  et  cela  sert  à 
faire  voir  que,  pour  être  saint,  il  ne  faut  que  faire  bien 
son  devoir  dans  son  état.  On  me  mande  que  les  miracles 
continuent. 

1.  Félix  Vialarl 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUlER    QUESNEL  37 

Quesnel  à  du  Vaucel 

M  janvier  1699. 

Le  Problème  ecclésiastique,  que  je  vous  ai  envoyé, 
fut,  par  arrêt  du  parlement  du  10,  lacéré  et  brûlé  le  12, 
par  la  main  du  bourreau.  Ce  sont  les  gens  du  roi  qui 
Font  requis  d'office,  sans  que  le  prélat  s'en  soit  mêlé. 
Je  sais  le  nom  de  l'imprimeur,  je  sais  le  nom  du  jésuite 
qui  le  lui  a  mis  en  main1  et  qui  est  de  la  domination 
de  France.  Si  on  peut  savoir  cela  à  Paris,  il  passerait 
mal  son  temps. 

M.  Tiberge  2  a  de  la  réputation  pour  la  prédication  et 
la  conduite.  Je  ne  sais  ce  que  c'est  que  son  discours. 
Mme  de  Maintenon  ayant  été  désabusée  des  maximes  du 
quiétisme  par  M.  de  Paris  et  M.  de  Meaux,  je  ne  doute 
point  que  M.  Tiberge  n'y  renonçât  aussi,  s'il  avait 
avancé  quelque  chose  de  douteux  et  d'équivoque  sur 
cette  matière. 

Pour  ce  qui  est  de  l'abbé  Brisacier3,  neveu  du  fameux 
M.  Brisacier  et  héritier  de  son  entêtement,  c'est  un  faux 
zélé  qui  n'a  jamais  appris  de  théologie  que  sous  les 
jésuites  du  collège  de  Paris,  où  je  l'ai  vu  étudier,  il  y  a 
bien  quarante  ans,  ayant  accompagné  une  personne 
qui  y  allait  rendre  visite.  Il  a  trahi  le  séminaire  et  les 
Missions  par  son  approbation  de  la  Défense  des  nou- 
veaux chrétiens. 


1.  Le  P.  Souâtre  fit  imprimer  le  Problème  à  Bruxelles  et  l'expédia  à 
Paris,  mais  il  n'en  est  pas  l'auteur.  Ce  fut  l'œuvre  du  P.  Doucin,  de  la 
cabale  des  Normands. 

2.  L'abbé  Louis  Tiberge,  directeur  du  séminaire  des  Missions  étran- 
gères, à  Paris,  conseillait  souvent  M*"°  de  Maintenon  et  entretenait  une 
correspondance  suivie  avec  Fénelon.  On  a  de  lui  des  livres  de  piété  et 
quelques  mémoires  théologiques,  rédigés  avec  M.  de  Brisacier. 

3.  Jacques-Charles  de  Brisacier,  supérieur  du  séminaire  des  Missions 
étrangères,  alternait  tous  les  trois  ans  avec  l'abbé  Tiberge.  11  fut  aussi  cor- 
respondant de  Fénelon  et  s'occupa  activement  de  l'affaire  deMmeGuyon. 


38  CORRESPONDANCE    DE    PASQCItiR    QUÉSNEL 

Je  crois  vous  avoir  mandé  qu'il  paraît,  à  Paris,  un 
écrit  (sans  doute  des  révérends  Pères)  contre  le 
dixième  volume  de  Saint  Augustin  des  Pères  bénédic- 
tins. On  m'écrit  que  l'abbé  de  Lorraine  a  dit  que  le 
dessein  des  jésuites  est  de  se  déclarer  contre  la  doctrine 
de  saint  Augustin,  comme  condamnée  par  les  papes 
Urbain,  Innocent  et  Alexandre.  Ils  le  font  assez  ;  mais 
ils  se  gardent  bien  de  le  dire. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

7  février  1699. 

Je  vous  avoue  que  je  n'aurais  jamais  soupçonné 
qu'on  me  dût  faire  un  procès  sur  l'ange  du  bonnet  carré1. 
Lespeinlres  et  les  graveurs  sont  en  possession  de  faire 
ce  qu'il  leur  plaît  des  anges  et  de  les  faire  servir  à  tout. 
On  ne  trouvera  guère  de  portrait  historié  où  l'on  n'en 
trouve.  Je  vois  qu'au  portrait  du  cardinal  Bellarmin  il 
y  en  a  trois  sous  sa  figure  :  l'un  tient  ses  armes  ou  son 
écu;  l'autre,  son  chapeau,  sa  mitre,  sa  crosse,  etc.;  un 
troisième,  je  ne  sais  combien  d'instruments  d'art  et  de 
science.  J'ouvre  la  Théologie  morale  de  M.  de  Merbcs, 
dédiée  à  M.  l'archevêque  de  Reims.  Ses  armes  sont  à 
la  tête  del'épître  dédicatoire;  deux  anges  s'y  trouvent, 
qui  se  jouent  de  sa  crosse  et  de  ses  autres  ornements. 
Il  n'y  a  pas  jusqu'à  l'enseigne  du  libraire,  qui  est  une 
couronne  d'or,  que  deux  anges  tiennent  élevée  en  haut. 
M.  Paulin  [Rutk  d'Ans]  a  rapporté  d'Italie  les  portraits 
des  papes  :  il  y  a  un  ange  qui  porte  les  armes  du  pape 
Innocent  XI.  Je  ne  vois  pas  pourquoi  les  graveurs  de 
Paris  n'auraient  pas  droit  d'employer  aussi  des  anges 
pour  tenir  Je  bonnet  d'un  docteur  au-dessus  de  sa  tète. 

1.  11  s'agit  d'un    portrait  de  M.   Arnauld,  qui  avait  été  gravé  à    Paris 
par  les  soins  de  M.  de  Beaubrun. 


Correspondance  de  pasquier  quesnel  30 

Car  ces  messieurs  les  peintres  n'aiment  point  à  faire 
une  tête  couverte  ;  la  vue  du  front  dans  toute  son 
étendue  contribue  beaucoup  à  la  ressemblance,  et  ils 
aiment  mieux  placer  en  l'air  l'habillement  de  tête  que 
de  le  mettre  dessus.  Et  comment  le  faire  sans  le 
secours  des  anges,  qui  sont  bons  à  tout  et  prêts  à  tout? 
Voilà  tout  le  mystère.  Que  si  pourtant  on  y  en  veut 
trouver,  cet  ange  qui  vient  du  ciel  marque  fort  bien 
que  la  science  et  le  ministère  des  docteurs  est  un  de 
ces  dons  que  Jésus-Christ  a  faits  à  son  Eglise  en  mon- 
tant au  ciel,  comme  saint  Paul  l'explique  au  chapitre  îv 
de  l'épître  aux  Ephésiens.  Enfin,  quand  on  aurait 
voulu  marquer  par  cet  ange  la  pureté  des  dispositions 
avec  lesquelles  le  docteur  est  entré  dans  ce  ministère, 
qu'il  a  paru  que  Dieu  l'y  avait  appelé  pour  le  service 
de  son  Eglise  et  pour  la  défense  de  la  vérité  contré  les 
hérétiques,  on  n'aurait  rien  dit  que  les  évêques  n'aient 
dit  de  lui  dans  leurs  approbations  pour  le  livre  de  la 
Perpétuité  de  la  foi,  et  surtout  M.  d'Aleth,  M.  de  Vence 
et  le  Père  théologal  d'Orléans,  qui  est  un  saint  à 
miracles.  Voyez  la  Question  curieuse. 

Pour  ce  qui  est  de  la  beauté  de  l'ange,  je  ne  sais  ce  qui 
y  manque.  11  est  des  plus  jolis  qu'on  puisse  faire,  et  il 
frappa  d'abord  les  yeux  de  tous  ceux  qui  virent  la 
planche,  par  son  air  joli  et  qui  marque  la  joie  qu'il  a 
de  servir  à  ce  ministère.  Mettez  donc  vos  lunettes,  je 
vous  en  prie,  et  assurément  vous  le  trouverez  beau,  à 
moins  qu'elles  ne  soient  troubles. 

Vous  aurez  déjà  su  combien  il  est  certain  que  le 
prince  électoral  de  Bavière  ne  sera  ni  roi  d'Espagne  ni 
électeur,  et  que  Dieu  a  mieux  aimé  en  faire  un  élu  et 
un  roi  dans  le  ciel,  en  le  retirant  du  monde,  la  nuit  de 
mercredi  à  jeudi  dernier.  Vous  pouvez  vous  imaginer 
l'affliction  où  est  l'électeur;  l'électrice,.  dont  le  fils  est 
devenu  par  là  prince  électoral,  s'en  consolera  plus 
aisément.  Voilà  bien  des  mesures  renversées.  Cela  met 


40  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

la  France  un  peu  plus  au  large.  Le  roi  Guillaume  y  sera 
aussi  un  peu  plus;  car  il  était  embarrassé,  dans  cette 
affaire,  entre  l'empereur  qui  a  ses  prétentions  et  l'élec- 
teur qui  avait  les  siennes.  Dieu  se  joue  des  hommes  et 
leur  fait  voir  la  vanité  et  l'incertitude  de  leurs  projets. 
Mais  ils  ne  la  veulent  point  voir. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

21  février  1699. 

Le  bon  M.  Feydeau  était  fort  bon  homme,  mais  il  me 
semble  qu'il  ne  se  ménageait  pas  assez  dans  les  temps 
fâcheux1  et  ne  ménageait  pas  assez  non  plus  le  pré- 
lat qui  l'employait.  M.  de  Chârfms,  qui  avait  à  dos  le 
confesseur  et  l'archevêque  défunt  qui  le  décriaient 
dans  l'esprit  du  roi,  aurait  tenté  en  vain  de  ramer 
contre  le  fil  de  l'eau,  et  il  croyait  devoir  ménager  le 
reste  de  la  confiance  du  prince  pour  le  bien  de  l'Eglise. 
L'abbé  de  Haute-Fontaine  était  aussi  d'un  zèle  trop 
ardent  et  pas  assez  mesuré. 

On  me  mande  de  Paris  ce  qui  suit,  du  16  de  ce  mois  : 
«  On  a  trouvé,  dans  la  malle  des  jésuites  missionnaires 
de  la  Chine,  un  journal  signé  de  huit  de  leurs  Pères, 
qui  sert  à  justifier  tout  ce  qui  a  été  dit,  et  au  delà,  dans 
la  Morale  pratique.  L'original  a  été  mis  entre  les  mains 
de  M.  l'archevêque  de  Paris,  et  un  de  mes  amis  l'a  vu. 

«  Ils  avaient  dans  leur  maison  de  Bruxelles  un  sau- 
vage, je  crois,  du  Canada  ou  de  quelqu'un  de  ces  pays- 
là,  qu'ils  font  passer  pour  roi.  On  dit  qu'on  la  vu  ser- 
vir la  messe,  que  c'était  un  mangeur  d'hommes  ;  ils  le 
vantaient  fort.  On  dit  aujourd'hui  qu'il  est  mort  et 
qu'ils    le  regrettent  fort.  Je  crains  que  ce  ne  soit  une 

1.  Sainte-Beuve  dit  que  «  M.  Feydeau  se  préoccupait  beaucoup  plus 
de  la  grâce  que  de  la  liberté  ».  Aussi  mourut-il  en  exil,  à  Annonay. 


CORRESPONDANCE  DE    PASQUIER    QUESNEL  41 

fourberie,    ou    que   c'est   quelque    Iroquois,    capitaine 
d'une  habitation,  qu'ils  honorent  du  nom  de  roi.  » 


Quesnel  à  du  Vaucel 

28  février  1699. 

Je  vous  suis  obligé  de  la  lecture  des  trois  lettres  de 
Siam  qui  sont  à  garder.  C'est  pourquoi  j'en  veux  faire 
copie. 

Les  gazettes  étrangères  parlent  fort  de  la  magnifi- 
cence des  équipages  du  nouvel  ambassadeur1.  Je  m'ima- 
gine qu'il  se  servira  de  l'occasion  pour  tâcher  de  con- 
duire au  chapeau  monsieur  son  fils  l'abbé,  qui  est  de 
l'Oratoire  et  qui  est  déjà  assez  âgé  pour  la  promotion. 
Je  crois  qu'il  est  petit-neveu  du  feu  cardinal  Grimaldi. 

Tout  ce  que  j'entends  dire  de  M.  l'internonce  me 
plaît  fort.  C'est  un  homme  d'esprit  équitable,  de  facile 
accès,  plein  d'honnêteté,  franc  et  ouvert,  qui  a  de  la 
résolution  et  ne  s'embarrasse  de  rien,  qui  aime  à 
être  instruit  des  affaires  qui  concernent  sa  charge,  qui 
sait  connaître  ceux  qui  vont  droit  et  ceux  qui  cherchent 
à  le  tromper.  Enfin  il  y  a  lieu  d'espérer  que  les 
affaires  de  l'Eglise  iront  mieux  sous  sa  main,  et  il 
paraît  très  bien  intentionné  pour  procurer  la  paix  de  ces 
provinces  et  pour  faire  justice,  en  ce  qui  dépendra  de 
lui.  Son  prédécesseur  avait  promis  au  R.  P.  de  Hondt  de 

1.  Le  prince  de  Monaco,  nouvel  ambassadeur  de  Louis  XIV  à  Rome. 
Nous  voyons,  en  effet,  aux  archives  des  Affaires  étrangères  (fonds  Rome 
390;  un  mémoire  fantastique  «  des  meubles,  hardes,  vaisselle  d'argent  et 
équipages,  que  le  prince  de  Monaco  fait  sortir  du  royaume»,  entre  autres: 
«670  livres  de  galons,  étoffes,  rubans,  dentelles  et  boutons  or  et  argent 
pour  chamarrer  les  habits  dudit  prince;  3  livres  déplumes  d'autruche, 
800  livres  de  linge  de  table,  30  chapeaux  tant  de  castor  que  loutre, 
60  épées  de  cuivre  doré,  4  paires  déboucles  de  diamant,  500  livres  tant 
chemises,  coiffes  de  nuit,  mouchoirs,  cravates,  peignoirs  et  autre 
menu  linge  garni  de  dentelle  et  point  de  France;  12  paires  d'habits  de 
drap,  galonnés  et  brodés  or  et  argent,  etc. 


42         CORRESPONDANCE  DE  PASQDIER  QUESNEL 

lui  donner  sa  confirmation  par  écrit.  Sa  timidité  ne  lui 
a  pas  permis  de  la  lui  laisser  en  parlant  ;  mais  il  l'avait 
laissée  à  son  successeur,  à  condition  qu'il  ne  la  donne- 
rait pas  au  Père.  Gela  était  assez  bizarre;  mais  M.  l'in- 
ternonce  la  lui  a  donnée  sans  façon  et  de  bonne  grâce. 
Vous  avez  raison  de  dire  que  la  brûlure1  n'empêche 
pas  qu'on  ne  voie  la  contradiction  entre  les  deux  livres, 
l'un  censuré,  l'autre  approuvé.  On  dit  que  le  prélat  ne 
s'est  point  mêlé  de  la  brûlure,  que  les  gens  du  roi  l'ont 
requise  d'office;  on  dit  même  que  le  roi  l'a  voulue.  Le 
roi  demanda  au  prélat  s'il  ne  soupçonnait  pas  l'auteur 
du  libelle.  Il  répondit  que  tout  le  monde  le  donnait  au 
P.  Daniel,  mais  qu'il  le  niait,  et  qu'il  fallait  bien  l'en 
croire.  On  m'a  mandé  qu'il  y  avait  un  second  écrit 
contre  ce  prélat.  Il  peut  faire  quelque  chose  de  bon  de 
cette  affaire,  pourvu  qu'il  prenne  bon  conseil;  mais 
j'appréhende  qu'il  ne  consulte  des  personnes  trop  timides 
et  qu'il  ne  gâte  tout  par  ce  moyen. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

14  mars  1699. 

Pour  ce  qui  est  de  Dom  Antoine  de  Saint-Bernard 
{Nouilles,  archevêque  de  Paris\,  je  ne  sais  ce  qu'il  fera 
du  Problème.  On  avait  bien  dit  que  quelqu'un  répon- 
drait pour  la  justification  du  Nouveau  Testament,  mais 
on  dit  maintenant  qu'on  ne  répondra  pas  et  qu'on  s'en 
tiendra  à  la  brûlure.  C'est  assez  mon  avis  que  Dom 
Antoine  de  Saint-Bernard  ne  payât  que  de  mépris  l'écrit 
fait  contre  lui  ;  mais,  autant  qu'il  y  aurait  de  courage 
à  se  mettre  au-dessus  de  ces  faiseurs  de  libelles  de 
cette  manière,  autant  serait-il  peu  digne  de  lui  de  se 

1.  Quesnel  fait  allusion  à  l'arrêt  du  parlement  condamnant  au  feu  le 
Problème  ecclésiastique. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QtlESNËL  43 

retirer  du  combat  par  timidité.  J'appréhende  qu'il  ne 
prenne  des  conseils  timides  par  la  suggestion  de  gens 
qui  l'approchent  et  qui  ne. servent  qu'à  l'intimider.  S'il 
s'avisait  de  faire  des  changements,  il  se  ferait  grand  tort, 
et  il  donnerait  bien  du  courage  à  ses  ennemis,  qui  lui 
feront  tous  les  jours  de  nouvelles  incartades  pour  le 
mater  et  le  forcera  leur  donner  son  amitié  et  à  fléchir 
sur  eux. 


Quesnel  à  du  Vaucel. 

21  mars  1699. 

Gomment  n'aurais-je  pas  pris  soin  de  justifier  le  petit 
ange,  après  ce  que  vous  me  mandiez  que  le  sieur  Albin 
[cardinal  Casanate]  en  était  alarmé,  qu'il  craignait 
qu'on  n'en  abusât,  qu'il  opinait  à  ôter  la  figure?  Vous 
avez  oublié  tout  cela.  Dans  une  petite  planche,  on  ne 
pouvait  pas  mettre  un  grand  archange.  On  ne  mesure 
pas  les  anges  à  l'aune. 

Je  vous  félicite,  Monsieur,  d'avoir  été  si  bien  reçu 
par  le  bon  P.  Patrice  [le pape].  C'est  le  meilleur  homme 
du  monde.  C'est  dommage  qu'il  soit  ce  qu'il  est. 
Je  suis  fort  en  peine  du  jugement  qu'on  fait,  en 
l'autre  monde,  de  ces  bonnes  gens  qui  ne  paraissent 
faire  mal  à  personne,  qui  font  du  bien  à  beaucoup  de 
monde,  qui  sont  disposés  à  faire  tout  celui  qu'ils  con- 
naîtraient et  qu'ils  pourraient,  et  qui  cependant  sont 
entrés,  peut-être  fort  volontiers,  dans  une  supériorité 
dont  ils  ne  sont  pas  capables,  et  qui  sont  cent  mille 
piques  au-dessous  de  leurs  charges. 

Nous  attendrons  patiemment  la  fin  de  l'affaire  de 
Cambrai,  puisqu'on  nous  la  fait  espérer  si  proche.  Dieu 
veuille  quelle  donne  la  paix! 

Il  est  vrai  que  la  voie  des  grains  d'ici  à  Rome  est  fort 
commode  ;  mais,  avant  cela,  il  faut  que  l'argent  vienne 


44         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

de  Paris,  et  on  ne  le  peut  qu'en  y  perdant  beaucoup, 
l'argent  étant  demeuré  fort  haut  en  France  et  au  même 
pied  que  durant  la  guerre,  et  les  gens  de  ce  pays-ci 
ayant  été  assez  sots  que  de  rabaisser,  aussitôt  après  la 
paix,  leur  monnaie.  Les  Hollandais  ont  fait  cela  sans 
doute  moyennant  quelque  présent.  Cependant  la  France 
profite  seule.  Tout  l'or  et  tout  l'argent  qui  peut  avoir 
cours  en  France  y  est  envoyé,  et  cet  avantage  considé- 
rable est  cause  que  nous  n'avons  plus  celui  de  faire 
venir  de  Paris  notre  argent,  comme  auparavant. 


Que  s  ne  I  à  du   Vaucel 


28  mars  1699. 

Par  lettres  du  23  et  une  autre  du  25,  j'ai  appris  que, 
le  22,  à  midi,  M.  le  nonce  avait  reçu  à  Paris  la  bulle 
contre  M.  de  Cambrai,  datée  du  12  et  partie  le  13 
de  Rome  ;  qu'il  y  a  vingt-trois  propositions  condam- 
nées comme  erronées,  scandaleuses,  malsonnantes.  La 
deuxième  lettre  ajoute  que  c'est  in  sensu  obvio  (c'est  le  mot 
à  la  mode)  et  qu'il  y  a  motu  proprio  et  exsertascientia. 
Il  me  semble  qu'on  ne  reçoit  pas  volontiers  en  France 
ces  clauses,  au  moins  en  certains  cas1;  mais,  comme  la 

1.  En  effet,  le  14  août,  en  enregistrant  le  bref  et  les  lettres  patentes, 
d'Aguesseau  protesta  contre  les  clauses  contraires  à  nos  libertés.  On 
s'en  émut  à  Rome,  et,  le  prince  de  Monaco  ayant  écrit  le  6  novembre 
que  <<  la  cabale  ne  cesse  de  fatiguer  l'esprit  du  pape  et  de  l'inquiéter  là- 
dessus  »,  le  roi  répond  aussitôt  :«  11  parait  que  le  cardinal  Ottoboni  a 
tenté  inutilement  d'animer  le  pape  au  sujet  du  discours  prononcé  par 
M.  d'Aguesseau.  Sa  Sainteté  est  trop  bien  informée  de  l'usage  des  parle- 
ments de  mon  royaume  pour  avoir  été  surprise  des  observations  faites 
sur  le  défaut  de  formalités  de  ce  bref  et  sur  les  termes  qui  peuvent 
blesser  les  droits  de  ma  couronne  et  les  maximes  inviolables  de  la 
monarchie.  Ainsi  je  suis  persuadé  qu'il  ne  sera  plus  parlé  de  cette 
affaire.  »  (Aff.  étr.,Rome,  393-394.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        45 

bulle  a  été  demandée,  on  passera  par  dessus.  Le  roi 
avait  reçu  un  prompt  avis  de  l'incertitude  du  pape  et 
lui  avait  récrit  par  un  courrier  qui  rencontra,  vers  Lyon, 
celui  qui  apportait  la  bulle.  Ainsi  le  pape  sera  bien  aise 
d'avoir  prévenu  la  sollicitation  du  roi.  Je  plains  le 
pauvre  archevêque  et  souhaite  qu'il  prenne  en  cette 
occasion  un  bon  parti,  et  qui  le  remette  en  repos  et  en 
état  de  servir  l'Eglise.  Il  doit  connaître  maintenant  que 
les  Rouliers  [jésuites]  ne  sont  pas  infaillibles  dans  leurs 
promesses. 

Vous  ne  m'aviez  pas  demandé  les  Problèmes.  En  voilà 
toujours  deux,  que  je  trouve  dans  ma  chambre;  s'il  y 
en  a  quelque  autre  dans  la  maison,  je  les  ajouterai.  Le 
libraire  n'a  point  été  arrêté  où  il  est,  encore  moins  où 
il  n'est  pas,  comme  à  Lille.  Celui  qui  Ta  fait  imprimer 
est  un  jésuite  de  Lille,  nommé  de  Souâtre,  fils  d'un 
baron  du  pays  d'Artois.  Il  est  venu  à  Bruxelles,  et 
il  l'a  mis  entre  les  mains  de  celui  qui  l'a  fait  impri- 
mer. Je  sais  tout  cela  de  bonne  part,  mais  je  ne  puis 
pas  dire  tout.  J'ai  fait  savoir  tout  ce  que  j'en  pouvais 
dire. 

Notre  ami  M.  Racine  est  fort  malade.  Il  a  un  abcès 
dans  le  corps;  on  lui  a  ouvert  le  côté,  dont  il  est  sorti 
du  pus,  mais  on  craint  qu'il  n'y  en  ait  un  plus  avant. 
Il  est  en  grand  danger,  et  ce  serait  une  grande  perte 
pour  la  bonne  cause;  car  il  est  fort  bien  dans  le  monde 
et  à  la  cour,  où  il  a  la  confiance  de  beaucoup  de  per- 
sonnes et  surtout  de  la  Dame  \Mme  de  Maintenon]. 

Une  fî lie  du  comte  d'Auvergne  et  nièce  du  cardi- 
nal de  Bouillon  est  entrée  aux  Carmélites  du  grand 
couvent  [Port-Royal].  On  dit  que  c'est  de  quoi  faire  une 
grande  religieuse.  On  dit  qu'elle  ne  regrette  la  perte 
de  sa  liberté  qu'en  ce  qu'elle  n'en  a  pas  usé  pour  aller 
rendre  visite  à  nos  bonnes  sœurs. 

M.  le  marquis  de  Pomponne  est  parti  aujourd'hui, 
fort  content  de  l'accueil  qu'on  lui  a  fait  ici,  comme  on 


46  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

est  aussi  fort  content  de  lui.  Car  je  crois  vous  avoir 
mandé  qu'il  était  venu  faire  les  condoléances  sur  la 
mort  du  prince  électoral. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

4  avril  1699. 

Voilà  donc  la  grande  affaire  terminée  à  Rome.  Dieu 
veuille  qu'elle  le  soit  à  Paris,  à  Versailles,  à  Cambrai 
et  partout  !  On  dit  que  le  pauvre  archevêque  a  reçu  cela 
fort  tranquillement.  Je  n'en  doute  pas,  mais  je  ne  sais 
si  on  le  laissera  en  repos.  On  parle  d'une  déclaration 
du  roi  pour  la  faire  enregistrer  au  parlement.  C'est 
une  nouvelle  scène.  Après  cela,  j'ai  peur  qu'on  ne 
demande  au  prélat  quelque  témoignage  par  écrit  de  sa 
soumission.  J'en  ai  appris  la  nouvelle  de  fort  bonne 
heure.  Le  nonce  de  Paris  en  reçut  la  nouvelle,  le  22. 
Le  bref  était  imprimé  ici  par  nos  soins,  en  latin  et  en 
français,  avant  que  nous  eussions  reçu  l'édition  de  Rome. 
On  l'a  traduite  à  Paris  en  deux  manières.  J'en  ai  une 
imprimée  par  Anisson,  par  les  soins  de  M.  de  Meaux, 
qui  n'est  pas  trop  excellente. 

Je  vous  ai  déjà  mandé  qu'on  ne  ferait  point  paraître  de 
réponse  au  Problème,  du  côté  de  Paris.  Je  supprime 
aussi  une  réponse  que  j'avais  faite  pour  justifier  le 
dogme,  et  j'en  substituerai  une  autre  qui  consistera  à 
tirer  du  Problème  les  avantages  qu'on  en  peut  tirer, 
pour  montrer  que  le  jansénisme  est  un  fantôme  et  que 
ks  Rouliei's  [jésuites]  en  veulent  à  saint  Augustin.  Il 
n'en  faut  point  parler  qu'on  ne  la  voie.  J'ai  sujet  de 
croire  que  Dom  de  Saint-Bernard  [Noailles,  archevêque 
dr  Paris]  ne  changera  rien  aux  endroits  accusés.  La 
Gazelle  de  Bruxelles  disait  hier,  dans  l'article  de  Paris, 
qun  M.  l'archevêque  de  Paris  avait  eu  quelques  accès 
de  fièvre    tierce  cl   qu'il  prenait   du   quinquina.   11   fut 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  47 

pourtant  va  en  bonne  santé,  le  24,  par  l'ange  gardien 
[M.  Viiillart],  et  à  qui  il  donna  charge  de  dire  au 
P.  deFresnes  qu'il  ne  s'alarmât  pas,  etc.  Il  est  pourtant 
sollicité  par  bien  des  gens  à  qui  il  ne  tiendrait  pas 
qu'il  ne  s'affaiblît.  Il  a  de  la  piété  et  est  fort  attaché  à 
saint  Augustin.  Le  P.  Amelote  lui  aura  servi  à  cela  ; 
car  il  n'y  avait  personne  qui  parlât  plus  fortement  pour 
saint  Augustin  et  pour  la  grâce  efficace,  quoiqu'en 
môme  temps  il  criât  contre  Jansénius. 

M.  Racine  se  portait  beaucoup  mieux  ces  jours  passés, 
quoiqu'on  lui  ait  ouvert  le  côté.  On  a  fait  pour  lui  une 
neu vaine  au  tombeau  de  Mgr  l'évéque  de  Ghâlons. 
C'est  un  bon  ami  que  M.  Racine  et  fort  utile  au  bien  : 
il  faut  prier  Dieu  qu'il  nous  le  rende.  Sa  tante  n'est 
plus  abbesse  de  Port-Royal-des-Champs.  Elle  est  prieure, 
et  celle  qui  était  prieure  est  abbesse.  C'est  une  très 
bonne  fille,  qui  a  été  sous  la  conduite  du  feu  Père 
abbé  dès  ses  commencements,  et  qui  est  fort  humble. 

Quesnel  ci  Mme  de  Fontpertuis 

9  avril  1699. 

J'ai  reçu,  mon  très  cher  ami,  les  lettres  du  19  février 
et  du  18  mars  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire,  et  j'ai  reçu  les  avis  que  vous  avez  eu  la  bonté 
de  m'y  donner  avec  un  grand  désir  d'y  déférer1.  Je  vous 
ai  déjà  fait  dire  que  je  consentais  de  très  bon  cœur  que 

1.  A  la  suite  de  la  lettre  du  P.  Quesnel  à  M.  Boileau  sur  Y  Histoire 
abrégée  avec  des  Remarques,  MM.  Duguet,  Fouillou  et  M"c  de  Joncoux 
répondirent  par  un  écrit  qui  courut  de  main  en  main,  et  auquel  notre 
Quesnel  voulut  à  son  tour  répliquer.  M1"0  de  Fontpertuis  fut  chargée 
d'intervenir,  quoique  ses  relations  avec  l'exilé  de  Bruxelles  fussent  plus 
que  froides  depuis  la  mort  d'Arnauld,  dont  elle  n'avait  pas  strictement 
respecté  les  dernières  volontés.  «  Je  ne  puis  m'empêcher  de  vous  con- 
jurer, lui  écrit-elle,  d'en  demeurer  aux  coups  que  vous  vous  êtes  portés, 
l'auteur  de  la  Héponse  et  vous,  de  peur  que,  n'ayant  lâché  que  de  la 
fumée  jusqu'ici,  vous  ne  vous  blessiez  tout  à  fait.  Il  faut,  s'il  vous  plaît, 
vous  souvenir  que  vous  êtes  l'agresseur  et  que  c'est  vous  qui  avez  donné 
lieu  à  la  défense.  ^>  (18  mars  1699.) 


48  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

l'écrit  ne  fût  point  imprimé;  grâces  à  Dieu,  je  n'ai  point 
de  démangeaisons  sur  cela.  Mais  je  n'ai  pas  cru  qu'il 
pût  arriver  aucun  inconvénient,  si  j'en  faisais  donner 
une  copie  à  l'auteur  de  la  lettre;  car  il  en  sera  le  maître, 
et  je  crains  qu'il  n'y  puisse  faire  une  bonne  réponse, 
surtout  sur  les  deux  points  capitaux.  Le  premier,  que, 
selon  l'esprit  de  nos  maîtres  et  des  prélats  même  les 
plus  attachés  à  la  vérité,  le  silence  était  le  seul  parti 
qu'il  fallait  prendre  en  cette  occasion.  Le  second,  qu'outre 
qu'on  a  beaucoup  manqué  en  prenant  le  parti  contraire, 
on  a  encore  beaucoup  péché  contre  le  respect  dû  à  un 
bon  prélat.  J'ai  prié  môme  qu'on  prît  garde  s'il  n'y  a 
point  trop  de  louanges  et  qu'on  en  retranchât  ce  qu'on 
jugerait  à  propos.  Avec  cela  il  me  semble,  encore  un 
coup,  qu'on  ne  gâte  rien.  Une  ouverture  de  cœur,  à  se 
dire  l'un  à  l'autre  ce  qu'on  pense  sur  des  lettres,  ne  peut 
qu'être  utile.  Je  ne  lui  parle  point  ni  avec  aigreur  ni 
par  ressentiment.  J'aime  cet  auteur,  tout  inconnu  qu'il 
m'est;  je  voudrais  avoir  part  à  son  amitié,  quoiqu'il  en 
ait  usé  avec  moi  d'une  manière  qui  n'est  guère  mesurée. 
Je  ne  crois  pas  lui  avoir  fait  aucun  tort  et,  en  examinant 
la  chose  devant  Dieu  selon  votre  conseil,  je  ne  trouve 
point  du  tout  avoir  rien  fait  qui  soit  sujet  de  répréhen- 
sion. J'ai  dit  foin  aux  donneurs  d'avis,  parce  que  je 
n'aime  point  à  donner  ces  sortes  d'éclaircissements 
qu'on  m'a  forcé  de  donner  par  des  instances  très  vives 
et  réitérées,  et  je  ne  l'ai  fait,  à  la  fin,  que  parce  que 
je  compris,  par  ce  qu'on  me  disait,  que  cela  pourrait 
apaiser  la  colère  où  l'on  était,  disait-on,  contre  les  gens 
et  qui  retomberait  sur  la  Viémur  [Port-Royal].  Voyant 
donc  le  bruit  que  la  lettre  faisait1  et  ne  sachant  pins 
précisément  ce  qu'il  y  avait,  n'en  ayant  point  gardé  de 
copie,  je  craignis  qu'il  n'y  eût  quelque  chose  de  fort 
mal.  Mais,  ayant  été  obligé  de  l'examiner  de  nouveau 

1.  Sa  lettre  à  M.  Boileau,  du  18  février  1698. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  49 

après  en  avoir  demandé  copie  de  Paris,  je  trouvai  que 
l'on  avait  tort,  que  la  lettre  de  Fauteur  inconnu1  était 
toute  fausse,  depuis  le  commencement  jusqu'à  la  fin; 
qu'il  n'y  a  pas  une  accusation  raisonnable,  et  qu'il  n'a 
pas  même  compris  un  endroit  de  la  lettre  sur  lequel  il 
emploie  une  bonne  partie  de  la  sienne  à  déclamer  en 
l'air.  Tout  ce  qui  pourrait  donc  détourner  de  donner 
au  public  la  réponse,  c'est  la  crainte  de  lui  donner 
encore  une  scène,  de  renouveler  une  affaire  assoupie 
et  de  donner  trop  de  confusion  à  l'auteur  ;  car  assuré- 
ment il  est  tombé  en  des  excès  qui  en  doivent  donner. 
Les  hommes  qui  ont  jugé  favorablement  de  sa  lettre 
se  sont  laissé  éblouir  par  le  clinquant  ;  mais  enfin  il 
n'est  pas  question  de  publier  la  réponse.  Je  n'y  songe 
plus,  ni  même  à  la  faire  courir  manuscrite. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

11  avril  1699. 

Il  paraît  que  M.  de  Cambrai  est  parfaitement  soumis. 
Je  voulais  vous  envoyer  copie  d'une  lettre  qu'il  a  écrite 
à  M.  d'Arras,  à  qui  il  témoigne  qu'il  ne  conçoit  pas 
qu'il  y  ait  d'autre  parti  à  prendre  ;  que  l'humilité  coûte, 
mais  qu'il  lui  coûterait  cent  fois  plus  de  résister  le 
moins  du  monde  au  Saint-Siège  ;  que  son  mandement 
est  tout  prêt;  qu'il  n'attend  que  les  ordres  du  roi  qu'il 
a  demandés  à  M.  de  Barbezieux,  à  cause  des  formalités 
dont  on  use  en  France. 

On  dit  qu'après  avoir  reçu  ces  nouvelles,  il  avait 
assemblé  tous  ses  domestiques  et  leur  avait  fort  bien 
parlé  sur  ce  sujet,  et  dans  le  sens  que  je  viens  de  dire. 
J'espère  que  ce  sera  une  affaire  finie,  pourvu  qu'on  ne 
le  chicane  point  du  côté  de  la  cour.  M.  de  Beauvilliers 

1.  Fouillou  et  Mlle  de  Joncoux. 

il.  4 


50        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

et  plusieurs  seigneurs  ont  d'abord  envoyé  à  M.  l'arche- 
vêque leur  livre  des  Maximes. 

On  me  mande  de  Paris  qu'on  commence  à  y  voir, 
mais  à  lèche-doigts,  un  assez  gros  livre  du  P.  Dez1, 
jésuite,  qui  entreprend  de  démontrer  qu'Innocent  X  et 
Alexandre  Vil  ont  condamné  la  doctrine  de  saint 
Augustin  sur  la  grâce  efficace.  Si  cela  est,  c'est  lever 
le  masque  ;  mais  c'est  une  hardiesse  extrême  et  qui  va 
à  les  perdre.  J'ai  peine  à  croire  cette  nouvelle,  mais  ce 
serait  un  grand  avantage  si  elle  était  vraie.  Car  il  fau- 
drait bien  alors  examiner  Jansénius,  puisqu'ils  ne 
peuvent  soutenir  cette  thèse  sans  montrer  que  Jansé- 
nius n'a  rien  enseigné  que  la  grâce  efficace  et  que  c'est 
son  sensus  intentus.  Ce  sera,  apparemment,  un  livre 
anonyme  qu'ils  jettent  dans  le  monde  pour  voir  ce 
qu'on  en  dira,  et  qu'ils  se  réservent  d'avouer  ou  de 
désavouer,  selon  qu'on  le  prendra. 

Le  confrère  de  Monaco2  a  bien  vingt-huit  ans.  Il  a 
fait  fort  sagement  de  ne  pas  accompagner  monsieur 
son  père,  chez  qui  il  aurait  été  exposé  à  une  grande 
dissipation,  perte  de  temps,  etc. 

Il  me  semble  que  ceux  qui  ont  voulu  la  condamnation 
de  M.  de  Cambrai  doivent  être  contents.  Elle  est  assez 
sèche,  et  on  n'y  trouve  pas  le  moindre  adoucissement. 
Autrefois  on  gardait  ce  ménagement,  dans  la  condam- 
nation des  livres  des  religieux,  de  ne  pas  mettre  le 
nom  de  l'ordre  dont  ils  étaient.  On  aurait  bien  pu 
avoir  quelque  égard  à  l'ordre  épiscopal  et  au  mérite 
particulier  du  prélat  et  ne  pas  mettre  son  nom  dans  le 
titre  du  livre. 

Les  Pères  de  l'Oratoire  devraient  toujours  avoir  à  Rome 
un  bon  prédicateur.  Il  y  en  a  un  qui  commence  à  l'Ora- 

1.  Jean  Dez,  recteur  du  collège  de  Sedan,  puis  de  l'Université  de 
Strasbourg,  s'occupa  surtout  d'ouvrages  de  controverse  contre  les  cal- 
vinistes. Il  fut  député  deux  fois  à  Home  et  cinq  fois  provincial. 

2.  Fils  de  l'ambassadeur  à  Rome,  le  prince  de  Monaco. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUES  NEL  51 

toire  de  Paris,  qu'on  dit  qui  est  une  merveille  :  c'est  un 
P.  Massillon,  auteur  d'une  certaine  lettre  sur  l'ordon- 
nance de  l'archevêque  de  Paris.  Un  de  mes  amis,  très 
bon  juge  et  maître  en  l'art,  l'avait  entendu  une  fois  et 
m'en  avait  écrit  merveille.  Il  le  fut  entendre  à  l'Oratoire, 
près  du  Louvre,  le  jour  de  l'Annonciation.  «  Jamais, 
dit-il,  je  n'ai  rien  vu  de  si  grand,  de  si  plein  de  sens, 
de  si  enlevant.  »  On  en  parle  comme  d'un  prodige.  Il  y  a 
ordinairement  une  centaine  de  carrosses  ;  on  en  voit 
quelquefois,  outre  la  cour  qui  est  toute  pleine,  depuis 
la  Croix  du  Tirouer  jusqu'à  Saint-Honoré.  Je  remercie 
bien  Dieu  de  ne  m'avoir  pas  donné  un  tel  talent  ;  car 
c'est  de  quoi  faire  un  homme  bien  orgueilleux,  à  moins 
qu'on  n'ait  une  humilité  héroïque. 

Je  ne  sais  si  un  chevalier  de  Dampierre  serait  encore 
à  Rome  et  si  vous  l'y  pourriez  déterrer.  Il  est  fils  d'une 
dame  de  mes  très  bonnes  amies.  Il  est  allé  de  Malte  à 
Rome,  avec  des  recommandations  de  son  grand-maître, 
pour  tâcher  d'obtenir  quelques  besoins  vacants  par 
la  mort  d'un  de  sa  famille  mort  à  Malte.  Vous  pou- 
vez lui  dire  que  c'est  moi  qui  l'ai  fait  chercher;  car, 
quoique  je  ne  l'aie  vu  que  très  jeune,  il  se  souvient  bien 
pourtant  de  moi.  II  a  un  frère  guidon  des  gendarmes, 
un  autre  dans  le  service,  et  un  jeune,  abbé  à  Saint- 
Magloire.  Je  crains  fort  que  ce  jeune  chevalier  n'ait  pas 
les  instructions  nécessaires  sur  la  matière  des  béné- 
fices, et  ce  serait  charité  de  l'en  instruire.  Leur  mère 
est  fort  chrétienne  et  ne  voudrait  pas  voir  ses  enfants 
riches  aux  dépens  de  leur  conscience  et  de  leur  salut; 
mais  les  vues  d'une  mère  ne  font  guère  d'impression 
sur  des  jeunes  gens  qui  ont  bon  appétit. 


52        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 


Quesnel  à  du    Vaucel 

Samedi  saint,  18  avril  1699. 

Doù  vient  que  les  Romains  n'ont  point  mis  de  titre 
au  bref  contre  M.  de  Cambrai?  Quelle  différence  entre 
constitution,  bulle,  bref,  décret?  Quelle  solennité 
manque  à  ce  bref  pour  n'être  pas  traité  de  constitu- 
tion? Veulent-ils  accoutumer  la  France  à  recevoir  de 
simples  brefs? 

Le  roi  entend  volontiers  le  P.  Séraphin1,  capucin, 
qui  prêche  au  Louvre  une  bonne  morale.  Il  s'éleva 
fort,  dernièrement,  contre  ceux  qui  demandent  des  béné- 
fices, et  le  roi  dit,  après  le  sermon,  qu'on  ne  lui  avait 
jamais  parlé  comme  cela  et  qu'à  l'avenir  il  n'en  donne- 
rait plus  à  ceux  qui  en  demanderaient. 

Le  général  de  l'Oratoire,  avant  que  de  partir  pour 
ses  visites,  a  pris  congé  du  roi,  présenté  à  l'ordinaire 
par  M.  l'archevêque  de  Paris,  avec  qui  il  entra  seul 
dans  le  cabinet  du  roi.  On  m'a  dit,  d'un  côté,  que  le 
roi  lui  avait  fort  recommandé  et  conjuré,  par  l'amour 
qu'il  avait  pour  lui,  de  bien  veiller  sur  la  doctrine.  Ce 
fut  peut-être  à  cette  occasion  qu'il  fit  connaître  au  roi 
que  M.  de  Noyon2,  qui  a  été  fort  malade,  avait  donné 
par  son  testament  4.000  livres  à  l'Oratoire.  Sur  quoi  le 
roi,  pour  répondre  à  la  libéralité  du  prélat,  ordonna 
qu'on  donnerait  aux  maisons  de  l'Oratoire  de   Saint- 

1.  «  Ses  sermons,  dont  il  répétait  souvent  deux  fois  de  suite  les 
mêmes  phrases,  et  qui  étaient  fort  à  la  capucine,  plurent  fort  au  roi, 
et  il  devint  à  la  mode  de  s'y  empresser  et  de  l'admirer.  »  (Saint-Simon, 
1,  199.)  La  Bruyère  fit  du  P.  Séraphin  un  grand  éloge  :  «Les  courtisans, 
dit-il,  ont,  chose  incroyable,  abandonné  la  chapelle  du  roi  pour  venir 
entendre  avec  le  peuple  la  parole  de  Dieu,  annoncée  par  cet  homme 
apostolique.  » 

2.  François  de  Glermont-Tonnerre. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  53 

Honoré  et  de  l'Institution  deux  exemplaires  de  tous  les 
livres  qui  s'impriment  à  son  imprimerie  du  Louvre. 


Quesnel  à  du  Vaucel 


25  avril  1699. 


M.  l'ange  gardien  [M.  Vuillart]  quia  vu  Dom  Antoine 
de  Saint- Bernard  [Noailles,  archevêque  de  Paris]  pour 
le  P.  de  Fresne  [Quesnel]  et  mandé  par  cet  abbé-là,  a 
appris  de  lui  que  son  correspondant  lui  avait  écrit  en 
secret  que  le  dixième  tome  de  Saint  Augustin  et  le 
livre  du  P.  Quesnel  avaient  été  déférés  à  Rome.  Non, 
c'est  à  M.  Alberti  [Tourreil]  que  cet  abbé  l'a  dit  confïdem- 
ment,  ajoutant  :  «  Je  suis  sûr  qu'en  cela  on  m'en  veut 
plus  qu'au  P.  Quesnel  »,  et  paraissait  animé  d'indi- 
gnation contre  les  indignes  délateurs.  11  a  recommandé 
le  secret.  Il  faut  que  l'on  sache  cela,  s'il  est  vrai,  par 
voie  indirecte.  Je  crois  qu'il  n'y  a  rien  à  craindre. 

M.  Gerbais1,  docteur,  est  mort  et  enterré,  le  15  de 
ce  mois,  aux  charniers  de  Saint- Etienne-du-Mont.  Un 
M.  Benoise,  âgé  de  quatre-vingt-trois  ans,  qui  a  deux 
filles  à  Port-Royal,  est  mort  aussi  et  a  donné  à  cette 
maison  son  cœur  et  1.000  livres.  Une  autre  perte  d'un 
de  nos  bons  amis  est  celle  de  M.  Racine,  qui  mourut  à 
trois  ou  quatre  heures  du  matin,  mercredi  dernier,  dans 
de  fort  grands  sentiments  de  piété  qu'il  a  fait  paraître 
dans  toute  sa  maladie  et  dans  les  dernières  années 
de  sa  vie.  Il  a  demandé  à  être  enterré  aux  pieds  de 
M.  Hamon,  à  Port-Royal,  dont  l'abbesse  dernière,  main- 
tenant prieure,  est  sa  tante. 

1.  Jean  Gerbais,  reçu  docteur  de  Sorbonne,  en  1661,  avait  publié 
plusieurs  volumes  très  gallicans,  qui  déplurent  à  Rome.  Innocent  XI 
condamna  la  doctrine  d'un  de  ses  ouvrages,  en  1679.  Il  avait  une  chaire 
d'éloquence  au  collège  royal. 


54  CORRESPONDANCE    DE    PASQLIER    QUESNEL 

Quesnel  à  du  Vaucel 

2  mai  1699. 

Je  commence  par  vous  dire  ce  que  l'on  me  mande  de 
Paris,  du  29  avril,  qu'il  y  a  une  lettre  du  roi  à  tous  les 
archevêques  de  son  royaume,  pour  les  faire  assembler 
avec  leurs  sulfragants  pour  savoir  leur  avis  touchant  le 
bref.  Je  n'en  sais  pas  davantage.  Voilà  un  grand  éclat 
qui  déplaira  fort  à  Rome  et  qui,  apparemment,  tend  à 
prendre  une  résolution  peu  favorable.  Je  ne  sais  pour- 
tant qu'en  dire.  Je  ne  suis  pas  bien  aise  de  tout  cela. 
Je  voudrais  qu'on  laissât  en  repos  ce  pauvre  arche- 
vêque, qui  est  assez  humilié,  sans  le  faire  tympaniser 
davantage  par  tout  le  royaume  dans  les  assemblées 
provinciales. 

Je  n'ai  point  lu  Y  Apologie  de  l'amour  de  Dieu,  car  je 
n'en  ai  pas  eu  le  temps,  et  je  ne  l'ai  point  encore.  Je 
suis  accablé  et  si  las  d'être  ici  exposé  à  mille  corvées 
que  je  voudrais  pouvoir  trouver  un  trou  où  me  jeter 
pour  être  en  repos. 

On  m'écrit  que  les  jésuites  destinent  le  P.  Dez  pour 
successeur  au  R.  P.  de  La  Chaise.  Ils  voudraient  même 
le  voir  incessamment  dans  ce  poste,  où  ils  se  plaignent 
que  ce  Père  fait  moins  pour  sa  compagnie  depuis  qu'il 
est  pressé  de  faire  plus  que  jamais  pour  sa  parente.  Il 
est  ainsi  battu  des  deux  côtés,  comme  l'est  l'isthme  de 
Corinthe.  Un  vieillard  dans  sa  caducité  est  moins  propre 
à  soutenir  une  telle  agitation. 

Ce  que  vous  me  mandez  du  P.  Patrice  [le  pape],  de 
la  promesse  par  écrit  donnée  par  lui  avant  son  élection 
au  provincialat,  est  terrible  et  fait  grand'pitié  ;  car  c'est 
une  abomination  que  le  bonhomme  ne  sent  seulement 
pas.  Cependant  entrer  par  cette  voie  simoniaque  dans 
une  telle   charge,  dont  d'ailleurs  il  n'est  pas  capable, 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  55 

quelle  misère,  et  que  peut-on  espérer  pour  le  salut! 
Que  de  bonnes  œuvres,  bonnes  ex  officio,  bonnes  peut- 
être  ex  fine,  qui  néanmoins  ne  peuvent  guère  servir  à 
un  homme  entré  dans  une  telle  charge  par  une  telle 
voie! 


Quesnel  à  du  Vaucel 

23  mai  1699. 

Il  faut  se  consoler  de  la  condamnation  de  la  Causa 
Arnaldina.  Cela  n'empêchera  pas  de  vendre  la  pre- 
mière édition,  puisqu'elle  est  déjà  toute  enlevée  ou 
peu  s'en  faut,  ni  d'en  faire  une  seconde.  Elle  serait 
déjà  commencée,  si  on  n'avait  d'autres  choses  à  faire. 
J'aurais  cru  que  les  dominicains  auraient  employé  leur 
crédit  pour  empêcher  ce  coup,  qui  retombe  assuré- 
ment sur  la  doctrine  de  leur  école.  Ces  gens-là  sont  des 
misérables,  qui  n'aiment  la  vérité  que  quand  elle  se 
trouve  dans  leur  froc. 


Mile  de  Joncoux  à  Quesnel1 

8  juin  1699. 

J'ai  appris,  mon  révérend  Père,  avec  une  terrible 
douleur,  que  vous  vous  êtes  trouvé  offensé  de  la  lettre 
que  je  me  donnai  l'honneur  de  vous  écrire  l'année  der- 
nière au  sujet  de  la  vôtre  à  M.  Boileau,  chanoine  de  la 
Sainte-Chapelle  de  Paris.  C'en  est  assez  pour  me  porter 
d'abord  à  vous  faire  toute  la  satisfaction  que  vous  pou- 
vez justement  attendre  de  moi.  Je  puis  vous  assurer, 
avec  toute  la  sincérité   possible,  que  je  n'ai  eu  aucun 

1.  Archives  cTAmersfoort,  boîte  K.  —  C'est,  semble-t-il,  la  première 
lettre  de  M"e  de  Joncoux  au  P.  Quesnel.  Encore  lui  écrit-elle  comme 
«l'auteur  des  Remarques»,  et  ignore-t-il  que  son  correspondant  est  une 
femme. 


56  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

dessein  de  vous  faire  de  la  peine  et  que  j'ai  un  véri- 
table regret  de  vous  en  avoir  causé  sans  le  vouloir.  Ne 
m'accusez  point  non  plus,  mon  révérend  Père,  d'avoir 
rendu  ma  lettre  publique.  Quelques  protestations  con- 
traires que  puisse  faire  M.  Boileau,  il  est  certain  que 
c'est  de  ses  mains,  et  non  des  miennes,  qu'elle  est  passée 
dans  celles  du  public1.  Je  ne  J'avais  écrite  que  pour  vous 
seul.  J'aurais  seulement  souhaité  que  vous  eussiez 
marqué  en  termes  généraux,  dans  quelqu'une  de  vos 
lettres  que  vos  amis  auraient  répandue,  comme  ils 
avaient  fait  la  première,  que  vous  L'aviez  reçue  et  que 
vous  aviez  fait  attention  à  ce  que  je  vous  y  représen- 
tais. Je  me  reposais  assez  sur  votre  prudence  du 
choix  des  moyens,  qui  auraient  été  les  plus  propres 
pour  empêcher  que  la  condamnation  que  vous  aviez 
faite  des  Remarques1  ne  nuisit  à  la  vérité.  Et  l'événe- 
ment a  fait  voir  qu'en  cela  je  ne  me  trompais  pas. 

Mais,  quel  que  vous  supposiez,  mon  révérend  Père, 
qu'ait  été  mon  procédé,  je  vous  conjure,  au  nom  de  celui 
qui,  étant  devenu  notre  réconciliation  et  notre  paix,  a 
détruit  par  sa  croix  toute  inimitié,  de  vouloir  oublier  ce 
que  vous  pouvez  avoir  contre  moi  là-dessus,  afin  qu'étant 
animés  de  la  charité  qu'il  nous  a  méritée  par  le  prix 
de  son  sang,  nous  continuions  à  vivre  dans  l'unité  d'un 
même  esprit  et  que,  sans  nous  connaître,  nous  n'ayons 
qu'un  cœur  et  qu'une  âme. 

Je  vous  ai  déjà  protesté,  mais  permettez-moi  de  le 
répéter  ici,  que  je  n'ai  eu  en  vue,  dans  tout  ce  que 
j'ai  fait,  que  les  intérêts  de  la  vérité  et  le  bien  de 
l'Eglise.  J'honore  et  je  respecte,  comme  vous,  le  digne 
archevêque  dont  vous  avez  entrepris  la  défense. 
J'ai  été  affligé,  avec  tous  les  gens  de  bien,  de  la  néces- 

1.  Note  manuscrite  d'Adrien  Le  Paige  :  «  Par  les  copies  qui  en  furent 
données,  mais  sans  l'imprimer,  au  moins  je  le  crois  ainsi.  » 

2.  Note    manuscrite  d'Adrien  Le  Paige  :  «  Sur    l'instruction  du  car- 
dinal de  Noailles  de  1696  ». 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  57 

site  où  il  mettait  ceux  qui  l'honoraient  davantage  de  ne 
pouvoir  se  taire,  par  le  respect  si  justement  dû  à  son 
mérite  et  à  sa  dignité,  sans  manquer  à  ce  que  l'on  doit 
à  la  justice,  à  la  charité  et  à  la  vérité,  et  de  ne  pouvoir 
aussi  rompre  le  silence  sans  s'exposer  à  plusieurs 
inconvénients. 

Il  est  vrai  que  je  n'ai  pas  cru  pouvoir  prendre  en 
conscience  le  premier  de  ces  deux  partis.  Mais  j'ai  fait 
tout  ce  qui  était  en  moi  pour  ne  point  blesser  le  res- 
pect que  j'ai  toujours  eu,  que  j'ai  encore  et  que  j'aurai 
toute  ma  vie  pour  cet  illustre  prélat.  Si  j'ai  péché 
contre  ce  devoir,  c'a  été  tout  à  fait  contre  mon  inten- 
tion. Et  je  déclare  ici  que,  s'il  y  a  quelque  chose  dans 
mes  Remarques  qui  soit  injurieux  et  contraire  à  ce  que 
l'on  doit  selon  les  règles  de  l'Evangile  aux  pasteurs  de 
l'Eglise,  je  suis  tout  prêt  de  l'effacer  de  mes  larmes  et 
de  me  condamner  moi-même  à  en  faire  toute  la  répara- 
tion que  l'on  jugera  nécessaire. 

Nous  ne  nous  sommes  pas  rencontrés,  vous  et  moi, 
mon  révérend  Père,  dans  le  même  sentiment  sur  ce 
sujet.  J'ai  cru  que  toutes  sortes  de  raisons  m'obligeaient 
d'écrire.  Et  vous  avez  cru  que  j'aurais  dû  demeurer 
dans  le  silence.  Mais  chacun  a  ses  lumières  et  chacun 
a  ses  vues.  Vous  avez  dit  vous-même,  dans  un  endroit 
de  vos  ouvrages  [Défense  de  F  Eglise  romaine,  Préface) 
qu'on  doit  révérer  les  différentes  dispositions  que  Dieu 
met  dans  les  âmes.  Or,  selon  ce  principe,  il  semble, 
mon  révérend  Père,  que  vous  auriez  pu  laissera  Dieu  le 
jugement  de  l'écrit  d'un  auteur  dont  les  motifs  vous 
étaient  inconnus.  Mais  vous  jugeâtes  à  propos  de  mar- 
quer à  vos  amis  ce  que  vous  en  pensiez.  Et,  l'ayant  fait 
d'une  manière  qui  me  parut  préjudiciable  à  la  cause 
que  je  défendais,  je  me  vis  dans  la  nécessité  de  m'en 
plaindre  à  vous  et  en  même  temps  de  vous  donner 
quelque  éclaircissement  sur  ma  conduite.  Si  je  l'ai  fait 
d'une  manière  trop  forte,    si   je    n'ai  pas  bien  pris  le 


58  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

sens  d'un  endroit  de  votre  lettre,  j'espère  que  vous 
aurez  assez  de  générosité  pour  me  pardonner  une 
faute  que  je  voudrais  de  tout  mon  cœur  pouvoir  répa- 
rer. Vous  avez  appris  depuis  longtemps,  et  par  vos 
propres  souffrances  et  par  'exemple  du  grand  docteur 
auquel  la  Providence  vous  a  lié  par  tant  d'endroits,  à 
pardonner,  à  oublier  les  injures,  à  aimer  même  vos 
ennemis.  Pardonnez  donc,  encore  une  fois,  à  un  ami 
qui  n'a  point  eu  dessein  de  vous  offenser,  mais  de  vous 
prier  de  lui  faire  justice.  Je  dis  un  ami,  mon  révé- 
rend Père,  et  j'espère  que  vous  ne  serez  point,  fâché  que 
je  prenne  cette  qualité,  puisque  Dieu  me  fait  la  misé- 
ricorde d'être  ami  de  la  vérité  que  vous  aimez,  et 
dans  laquelle  vous  aimez  sans  doute  tous  ceux  qu'elle 
a  attachés  à  elle  par  les  liens  d'un  amour  sincère  et 
désintéressé. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

20  juin  1699. 

Je  vous  envoie  copie  de  la  lettre  du  P.  Daniel  à  M.  de 
Paris.  Vous  verrez  comment  il  se  disculpe  avec  ser- 
ment. M.  de  Reims  se  trouva  à  l'ouverture  du  paquet, 
et  dit  :  «  Je  le  croirais  volontiers,  s'il  n'était  pas  le  père 
des  équivoques.  » 

Le  P.  de  La  Ferté,  jésuite,  fils  du  feu  maréchal,  ayant 
eu  le  choix  de  Nantes  ou  de  Blois,  a  choisi  le  dernier 
pour  lieu  de  sa  relégation.  On  dit  que  la  cause  est  que, 
le  jour  de  la  Quasimodo,  à  Saint-Roch  où  il  avait 
prêché  le  carême,  il  dit,  sur  l'évangile  du  jour,  qu'il 
ne  fallait  point  espérer  de  paix  solide  pendant  qu'on 
laisserait  subsister  tel  et  tel  désordre  et  qu'une  femme 
impérieuse,  dont  la  naissance  était  obscure  et  qui 
devrait  rentrer  dans  la  poussière  dont  elle  avait  été 
tirée,  aurait  part  au  gouvernement.  Vous  voyez  que  les 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         59 

jésuites    commencent    à   voyager   aussi    bien    que   les 
autres. 

La  punition  du  P.  Souatre,  qui  a  fait  imprimer  le 
Problème,  consiste  en  une  translation  de  Lille  à  Mau- 
beuge.  La  punition  est  terrible.  Si  c'eût  été  un  jansé- 
niste, il  serait  à  la  Bastille  pour  y  pourrir. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

juillet  1699. 

Pour  revenir  à  votre  retour,  de  quelque  utilité  que 
soit  aux  affaires  de  l'Eglise  votre  séjour  à  Rome,  il  y 
aurait  de  l'injustice  de  ne  point  approuver  le  désir  de 
revoir  la  patrie  après  une  si  longue  absence,  et  y  ayant 
d'ailleurs  quelque  raison  de  vous  rapprocher  de  votre 
famille.  Comme  on  n'a  rien  à  vous  demander,  je  crois 
aussi  qu'il  n'y  aura  aucun  obstacle.  Je  crois  cependant 
qu'il  sera  bon  de  prendre  quelque  mesure,  afin  que 
si,  après  votre  retour,  les  Roui i ers  {jésuites]  venaient 
à  vouloir  donner  de  vous  de  mauvaises  impressions  au 
roi,  ils  trouvent  les  ouvertures  bouchées. 

La  pensée  de  disposer  en  faveur  des  pauvres  de  ce 
qui  sera  à  votre  disposition  est  très  louable  et  digne 
d'un  prêtre.  J'y  applaudis  de  tout  mon  cœur.  Je  prie 
Dieu  qu'il  y  donne  sa  bénédiction  et  qu'il  vous  prépare 
une  retraite  qui  vous  soit  propre,  et  où  vous  puissiez 
passer  tranquillement  vos  jours  en  attendant  le  Sei- 
gneur. Je  respire,  aussi  bien  que  vous,  à  une  vie  où  je 
puisse  être  plus  à  moi,  et  il  semble  que  cette  vie  s'en- 
fuit de  moi,  plus  je  la  cherche.  Vous  avez  soixante  ans, 
et  moi  soixante-six,  du  14  de  ce  mois.  Jugez  si  je  n'ai 
pas  plus  de  droit  de  songera  la  retraite. 


60  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIEK    QUESNEL 


Quesnel  à  du   Vaucel 


11  juillet  1699. 


Je  m'attendais  bien  que  les  Romains  ne  seraient  con- 
tents qu'à  demi  des  procès-verbaux.  Il  y  en  a  de  plus 
vigoureux  que  celui  de  Paris,  et  je  comprends  bien 
qu'ils  auront  fort  mal  au  cœur  de  voir  le  pape  mis  dix- 
huit  fois  sur  la  sellette,  pour  y  être  examiné,  jugé  et 
contrôlé.  Je  crois  qu'une  autre  fois  ils  en  feront  marché 
avant  que  de  donner  des  bulles.  Ces  délibérations  ne 
s'accommodent  guère  avec  la  sainte  infaillibilité.  Il  n'y 
a  que  M.  d'Arras  qui  sera  un  grand  saint  chez  eux1; 
mais  je  crois  qu'il  sera  seul.  Nous  avons  reçu,  cette 
semaine,  les  procès-verbaux  de  Sens  et  de  Bordeaux,  et 
on  les  imprimera.  Je  crois  qu'Alexandre  VII  aurait  fait 
mettre  tout  cela  à  l'index.  Un  protestant  a  fait  une  his- 
toire de  cette  affaire,  avec  des  réflexions  bien  empor- 
tées contre  les  évêques  et  surtout  contre  M.  de  Meaux. 
Il  y  a  aussi  un  écrit  de  M.  Simon  contre  le  deuxième 
volume  du  Saint  Jérôme  des  bénédictins,  où  il  avait 
été  un  peu  houspillé  dans  la  préface  et  dans  les  notes. 

Ce  que  vous  nous  mandez  de  M.  Héron  [Fabroni] 
fait  connaître  que  c'est  un  homme  bien  dangereux.  Je 
le  voudrais  archevêque  quelque  part,  à  condition  qu'il 
ne  reviendrait  plus  à  Rome. 

1.  Guy  de  Sève  de  Rochechouart  sera  cependant  favorable  à 
rappel  de  la  bulle  Unic/eni/us,  mais  en  se  bornant  à  ne  pas  publier 
la  constitution  dans  son  diocèse.  L'évêque  lHssy  écrivait  à  Pénelon,  le 
24  juillet  1714:  «  J'ai  envoyé  votre  mandement  à  M.  d'Arras.  11  a  besoin 
dï-tre  soutenu,  quoiqu'il  ait  toujours  passé  pour  croire  le  pape  infail- 
lible. » 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         61 


Quesnel  à  du  Vaucel 


18  juillet  1699. 


La  comtesse  de  Grammont ] ,  qui  est  fort  amie  de  Port- 
Royal,  y  va  quelquefois  et  y  alla  à  la  Fête-Dieu  dernière. 
Elle  a  été  omise  pour  cela  sur  le  mémoire  des  dames  qui 
sont  des  promenades  de  Marly.  La  Gazette  de  Bruxelles 
en  parle  et  l'attribue  à  ce  qu'elle  cultivait  trop  Port- 
Royal.  On  me  l'avait  déjà  mandé,  et  que  le  roi  avait 
dit  qu'elle  avait  d'autant  plus  tort  quelle  ne  pou- 
vait ignorer  qu'il  avait  en  horreur  cette  maison.  Plus 
on  voit  le  prince  opposé,  plus  les  courtisans  se  res- 
serrent et  se  tiennent  clos  et  couverts.  Gela  me  sert  à 
admirer  la  protection  que  Dieu  donne  à  cette  sainte 
maison,  si  haïe  du  monde,  et  qui  est  aux  portes  de 
Versailles.  Le  maître  voudrait  qu'elle  fût  détruite.  Il 
le  peut,  et  il  ne  le  fait  pas,  parce  quelle  est  dans  la  main 
de  Dieu.  Et  l'Enfance,  qui  étaitsi  loin,  si  peu  connue  et, 
comme  il  semblait,  à  couvert  de  l'orage  par  la  signa- 
ture, a  été  détruite,  et  Port-Royal  subsiste  et  subsis- 
tera, comme  je  l'espère. 

Quoique  je  ne  doute  pas  qu'on  n'ait  envoyé  à  Rome 
au  R.  P.  de  Montfaucon2  un  lot  de  livres,  peut-être 
n'en  aura-t-il  pas  assez  pour  vous  en  donner.  Voilà  ce 
révérend  Père  noyé  dans  une  mer  délicieuse  de  ma- 
nuscrits. Je  conçois  quelle  joie  c'est  pour  lui,  car  j'en 

1.  Elisabeth  Hamilton,  comtesse  de  Grammont,  dame  du  palais 
depuis  1667,  était  l'objet  d'une  grande  amitié  de  la  part  du  roi.  Aussi 
son  court  voyage  à  Port-Royal  «  ne  mit  la  comtesse,  dit  Saint-Simon, 
qu'en  pénitence,  non  en  disgrâce.  » 

2.  Dom  Bernard  de  Montfaucon,  célèbre  érudit,  bénédictin,  membre  de 
l'Académie  des  inscriptions,  fit,  en  1698,  avec  le  P.  Brioys,  un  voyage 
d'érudition  qui  dura  jusqu'en  mars  1701.  Dans  les  trois  volumes  de  la 
Correspondance  inédite  de  Mabillon  et  de  Montfaucon,  on  trouve  vingt- 
deux  lettres  du  P.  Quesnel  au  bibliographe  florentin  Magliabechi. 


62         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

ai  un  peu  ressenti  autrefois,  et  ce  serait  encore  un  de 
mes  plaisirs  de  pouvoir  un  peu  bouquiner. 

Avez-vous  vu  les  Aventures  de  Télémaque1,  fils 
d'Ulysse,  qui  cherche  son  père  par  toutes  les  mers, 
accompagné  de  Minerve,  sous  la  figure  d'un  sage  ami 
qui  prend  toutes  les  occasions  pour  lui  donner  de  sages 
conseils  et  lui  faire  voir  ses  défauts?  C'est  un  joli  roman. 
Ayant  été  imprimé  à  Paris,  on  l'a  fait  arrêter.  M.  de 
Harlay  m'en  a  fait  donner  un.  Il  est  admirablement 
bien  écrit.  On  l'a  réimprimé  en  ce  pays.  On  dit  que 
M.  de  Cambrai  le  revoit  et  qu'il  donnera  la  suite  ;  car  ce 
qu'on  en  a  n'est  qu'un  morceau,  et  il  n'y  a  que  M.  le 
duc  de  Bourgogne  et  lui  qui  aient  le  reste. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

8  août  1699. 

Il  y  a  un  homme  qui  a  écrit,  peut-être  à  M.  de  Paris, 
qu'il  est  surpris  comment  le  P.  Daniel  ose  dire  qu'il 
n'est  pas  auteur  du  Problème  ;  qu'il  est  prêt  de  se  cons- 
tituer prisonnier,  pourvu  que  le  P.  Daniel  en  fasse 
autant,  et  de  demeurer  en  prison  jusqu'à  ce  qu'il  ait 
prouvé  clairement  et  invinciblement  que  c'est  lui, 
P.  Daniel,  qui  est  l'auteur  du  Problème.  M.  Le  Brûleur 
[Le  Noir]  me  manda  cette  nouvelle,  il  y  a  un  mois, 
comme  l'ayant  appris  de  l'archevêché,  et  on  me  l'a 
écrite  d'un  autre  côté,  il  y  a  huit  jours. 

1.  Les  opinions  différaient  dans  le  monde  janséniste  sur  la  valeur  morale 
du  livre.  L'évêque  de  Ghàlons,  Gaston  de  Noailles,  écrivait  à  son  frère 
l'archevêque  de  Paris,  le  9  octobre  1699:  «  Télémaque  m'a  tenu  assez 
mauvaise  compagnie  en  chemin.  J'y  trouve  de  beaux  principes  de  gou- 
vernement ;  mais  le  style  cause  de  l'indignation.  Il  est  poétique  outré  ; 
je  n'y  vois  rien  d'admirable,  et  le  livre  me  paraît  très  dangereux  et  peu 
propre  à  inspirer  à  un  jeune  prince  une  éducation  chrétienne.  »  Le  14 
octobre,  l'archevêque  répond  en  marge  :  «  Télémaque  n'est  pas  digne 
d'un  prêtre  et  ne  convient  point  à  l'éducation  d'un  prince  qu'on 
voulait  élever  chrétiennement.  » 


CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QUESNEL         63 

Mme  la  comtesse  de  Grammont,  qui  est  anglaise 
et  qui  avait  été  rayée  de  la  feuille  des  divertissements 
de  Marly  pour  avoir  été  à  Port-Royal,  a  eu  l'honneur 
de  saluer  le  roi  '  à  qui  elle  a  dit  qu'elle  n'avait  pas 
été  là  pour  déplaire  à  Sa  Majesté,  mais  par  une  recon- 
naissance des  bienfaits  qu'elle  a  reçus  de  cette  maison 
qui  la  reçut,  madame  sa  mère  et  elle,  au  sortir  d'An- 
gleterre, et  qui  les  a  nourries  et  entretenues  par  pure 
charité,  n'ayant  rien.  Elle  ajouta  que  le  peu  qu'elle 
savait  de  la  religion,  elle  en  avait  l'obligation  à  cette 
maison.  Le  roi  ne  voulut  point  de  justification  et  lui 
dit  qu'il  ne  ferait  jamais  de  grâces  à  cette  maison  et 
qu'il  ne  pouvait  s'en  expliquer.  N'est-ce  point  que  les 
jésuites  lui  en  ont  fait  faire  vœu  ou  serment? 

Si  les  gens  du  Dôme  sont  étonnés  que  le  livre  ne 
paraisse  pas  encore,  le  P.  Quesnel  en  est  cause.  Il  nous 
a  fait  perdre  un  mois  de  temps,  en  attendant  l'index 
dont  il  s'est  chargé.  Il  s'amuse  à  je  ne  sais  quelles 
bagatelles,  et  on  court  risque  de  trouver  quelque  ani- 
croche. Nous  avons  des  approbations  en  nombre  com- 
pétent :  un  docteur  augustin,  un  docteur  dominicain, 
l'un  et  l'autre  de  Douai,  un  provincial.  Peut-être  en 
aurons-nous  encore  quelqu'un,  et  j'espère  que  nous 
aurons  des  quatre  mendiants. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

15  août  1699. 

Je  n'attends  ni  ne  désire  des  remerciements  du  côté  de 
M.  d'Amboise  [M.  de  Pomponne],  pour  la  Cause'1.  J'en 
ai  envoyé  un  à  l'abbé  de  Pomponne  et  un  à  son  docteur. 

1.  Saint-Simon  dit  que  Mraede  Grammont  vit  le  roi  chez  Mme  de  Main- 
tenon.  «  11  la  gronda,  ils  se  raccommodèrent,  et,  au  grand  déplaisir  de 
Mmo  de  Maintenon,  il  n'y  parut  plus.  »  {Mémoires,  VI,  218.) 

2.  Causa  Arnaldina. 


64         CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QEESNEL 

Ils  m'en  ont  fait  dire  un  grand  merci;  mais  ils  se  sont 
bien  gardés  de  rien  écrire.  De  la  manière  dont  M.  Des- 
marets  [Louis  XIV]  a  parlé  de  la  Viémur  \Port-Royal], 
il  faut  qu'il  soit  bien  assuré  que  M.  d'Amboise  ne  tient 
guère  à  cette  famille,  quoiqu'il  y  ait  une  sœur;  car  il  a 
beaucoup  de  considération  pour  ce  gentilhomme,  et  il 
ne  voudrait  pas  le  désobliger.  On  dit  même  qu'il  aura 
bonne  part  à  la  charge  de  chancelier,  si  elle  vaque 
avant  sa  mort,  comme  il  y  a  apparence. 

En  quelque  lieu  que  vous  soyez,  Monsieur,  à  Rome 
ou  en  France,  vous  pouvez  vous  assurer  que  ce  qu'on 
recevra  de  Nordstrand1  de  la  succession  de  feu 
M.  Davy  [Arnauld]  sera  pour  vous.  Je  voudrais  que 
vous  l'eussiez  déjà;  mais  l'affaire  n'est  pas  encore  ter- 
minée. Les  princes  sont  d'étranges  gens  :  ils  paient 
leurs  dettes  comme  il  leur  plaît.  Ils  ne  veulent  pas 
entendre  parler  des  arrérages.  C'est  beaucoup,  si  on 
retire  le  fonds  en  plusieurs  paiements. 

J'appréhende  que  quelque  guerre  entre  la  Suède  et 
le  Danemark  ne  se  rallume.  Gomme  le  duc  de  Holstein 
est  allié  de  la  Suède  et  est  même  général  des  armées 
de  Suède,  cela  renverrait  encore  le  paiement  bien  loin. 

Un  nouveau  mémoire,  adressé  aux  évoques  de 
France,  contre  le  dixième  volume  du  Saint  Augustin 
des  bénédictins,  est,  me  dit-on,  une  insolence  bien 
curieuse.  Il  est  de  soixante  ou  soixante-dix  pages  in-12. 
On  l'attribue  au  P.  Daniel;  mais  je  crois  que  c'est 
en  devinant.  M.  Salmon  et  M.  Blampignon,  censeurs 
de  livres,  ont  tous  deux  refusé  d'approuver  un  livre 
de  ce  Père  sur  les  péchés  d'ignorance.  On  dit  aussi 
que,  ce  Père  étant  allé  voir  MST  de  Paris  pour  lui 
dire  de  vive    voix  ce  qu'il  lui  avait  écrit,  ce  prélat  lui 

1.  Ile  sur  les  côtes  du  Holstein,  et  faisant  partie  du  royaume  de  Dane- 
mark, où  les  principaux  jansénistes  placèrent  des  sommes  assez  consi- 
dérables dans  une  entreprise  industrielle.  Le  duc  de  Holstein  racheta  la 
part  de  ces  messieurs,  en  1678,  mais  les  paiements  furent  longs  à  liquider. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  65 

dit  :  «  Je  vous  croirai,  quand  vous  m'aurez  nommé 
l'auteur  du  Problème,  qui  ne  peut  vous  être  inconnu.  » 
Et  il  lui  tourna  le  dos. 


Qtiesnel  à  du  Vaucel 

12  septembre  1699. 

Vous  savez  peut-être  déjà  la  mort  de  M.  le  chance- 
lier de  France1.  En  me  la  mandant,  on  me  marquait 
qu'il  y  avait  grande  apparence  que  M.  de  Pontchartrain 
aurait  la  charge.  On  ne  m'en  a  rien  mandé  depuis,  jus- 
qu'aujourd'hui 12.  Cependant  la  Gazette  de  Bruxelles, 
à  l'article  de  Paris,  dit  qu'on  mande  de  la  cour,  qui 
est  à  Fontainebleau,  que  c'est  celui-là  même  que  le  roi 
a  nommé.  On  ne  peut  faire  un  meilleur  choix. 

Il  y  a,  à  Paris,  un  Père  de  l'Oratoire  turc  et  autrefois 
mahométan.  Il  est  fort  bien  converti,  est  prêtre  et 
habile.  Il  a  traduit  Y  Aie  or  an  et  l'a  réfuté  fort  bien,  par 
un  commentaire  que  M.  l'archevêque  de  Paris  a  vu  et 
en  est  si  content  qu'il  le  presse  de  le  faire  imprimer, 
pendant  qu'il  diffère  de  donner  au  P.  Bouhours  sa  per- 
mission pour  publier  le  reste  de  sa  traduction  du  Nou- 
veau Testament,  assez  fâché  de  l'avoir  donnée  pour  les 
Evangiles.  Sur  quoi  un  homme  de  la  cour,  venant  de 
Paris  et  interrogé  par  Mçr  le  Dauphin  des  nouvelles 
qu'on  y  disait  :■«  Il  y  en  a,  Monseigneur,  etd'assez  singu- 
lières, c'est  que  M.  l'archevêque  aime  mieux  YAlcoran 
des  Pères  de  l'Oratoire  que  l'Evangile  des  jésuites.  » 
\JAlcoran  bien  réfuté  (cela  s'entend)  que  l'Evangile 
mal  traduit. 


1.  Louis  Boucherat,  chancelier  et  garde  des  sceaux  de  France,  mourut 
à  Paris,  le  2  septembre  1699.  «  Le  plus  parfait  et  le  plus  accompli  de 
tous  les  chanceliers,  si  on  se  contentait  d'un  chancelier  en  cire,  du  reste 
bon  homme  et  honnête  homme.  »  (Saint-Simon,  VI,  554.) 

h.  5 


66  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1EK    QUESNEL 

Quesnel  à  du  Vaucel 

26  septembre  1699. 

Vous  demandez  à  quoi  aboutit  la  confidence  de 
Mme  Tonnelier  [Mme  de  Fontpertuis]  avec  M.  d'Àm- 
boise  [Pomponne].  A  rien.  On  n'a  jamais  fait  fond  sur 
cet  homme,  le  plus  timide  de  tous  les  hommes.  Il  peut 
plus  nuire  par  son  silence  qu'il  ne  servirait  en  parlant; 
car  M.  Desmarets  [Louis  XIV]  fut  prévenu  de  longue 
main,  et  dès  le  berceau,  contre  une  famille  que 
M.  d'Àmboise  connaît  si  particulièrement.  Que  peut-il 
croire,  le  voyant  n'ouvrir  pas  seulement  la  bouche 
pour  dire  un  mot  en  leur  faveur,  sinon  qu'il  n'a  rien 
de  bon  à  dire  pour  leur  justification?  Il  est  vrai  qu'on 
a  mis  M.  Desmarets  sur  un  tel  pied  qu'il  n'y  a  point 
de  retour  à  espérer  de  lui  que  par  une  espèce  de 
miracle.  Il  a  l'esprit  fort  borné  sur  ces  affaires-là.  Il 
craint  d'être  surpris,  et  il  ne  peut  s'imaginer  qu'il  Tait 
été.  Ce  qui  fait  qu'il  ne  veut  point  entendre  parler 
d'éclaircissement,  et  je  ne  doute  point  que  ce  ne  soit 
ce  qu'on  lui  aura  bien  recommandé,  de  ne  prêter 
jamais  l'oreille  aux  discours  de  ces  gens-là,  qu'ils  sont 
artificieux,  subtils,  hypocrites,  séduisants.  Mais,  à  pro- 
pos de  Mme  Tonnelier  [Mmede  Fontpertuis],  on  me  mande 
qu'elle  a  une  espèce  de  rechute  qui  fait  beaucoup 
craindre. 

M.  Paulin  [Ruth  d'Ans]  y  est,  je  m'assure,  présente- 
ment ;  car,  étant  allé  à  Lille  pour  les  affaires  d'une 
dame  chez  qui  il  s'est  impatronisc,  il  a  pris  de  là  l'essor 
vers  Paris,  et  il  n'aura  pas  manqué  de  tirer  droit  à 
Fontpertuis,  où  il  sait  quela  malade  est  gisante.  Si  elle 
est  en  état  d'agir,  il  ne  reviendra  pas  les  mains  vides, 
et  il  sera  payé  de  sa  peine  et  de  son  voyage  ;  car  il  y  a 
quelque    temps    qu'on    m'a   assuré    qu'elle    lui  faisait 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         67 

espérer  quelque  petit  fonds,  sans  vouloir  dire  d'où  il 
viendrait.  Et  ce  ne  peut  être  que  des  arrérages  qu'elle 
reçoit  desrevenus  de  feu  son  ami  M.  David  [Arnauld], 
11  faut  prendre  patience.  Tout  ce  quime  fait  delà  peine 
est  sa  conscience  sur  cela. 

M.  l'abbé  Laigneau,  doyen  et  grand-vicaire  de  Chà- 
lons  et  mon  ami,  était  à  Paris  ces  jours  passés.  Il  dit 
que,  novissime,  une  femme  paralytique,  qu'on  avait 
apportée  à  Châlons  sur  le  tombeau  du  saint  évêque,  y 
a  été  si  parfaitement  guérie,  le  neuvième  jour  de  sa 
neuvaine,  qu'elle  s'en  est  retournée  à  pied  avec  son 
mari.  Un  docteur  et  chanoine  de  Reims,  que  j'ai  vu  et 
qui  ne  m'a  pas  paru  des  plus  crédules  sur  ce  chapitre, 
avoue  qu'une  fille  qui,  je  ne  sais  comment,  s'était 
trouvée  enfermée  dans  l'église  durant  la  nuit,  eut  une 
telle  peur  qu'elle  en  perdit  l'esprit.  Et,  ayant  fait  une 
neuvaine  au  tombeau  du  bon  évêque,  le  neuvième  jour 
elle  a  recouvré  son  bon  sens  très  parfaitement. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

3  octobre  1699. 

M.  de  Pomponne  eut,  le  23,  une  faiblesse  qu'on  ne 
compta  pour  rien.  Le  lendemain,  on  le  saigna,  et  on  lui 
donna  le  viatique.  Son  mal,  qui  était  comme  léthar- 
gique, augmenta  le  soir,  et  le  26  il  mourut.  Il  s'est  pos- 
sédé assez  pour  donner  de  grandes  marques  de  foi,  de 
piété,  d'humilité,  de  résignation.  Les  missionnaires, 
qui  sont  curés  de  Fontainebleau  où  il  est  mort,  en 
sont  extrêmement  édifiés.  Il  avait  quatre-vingt-deux 
ou  trois  ans. 

M.  l'abbé  de  La  Lutumière  était  mort  le  15,  dans  son 
séminaire  de  Valognes.  Par  son  testament  olographe, 
il  donne  son  séminaire  de  Valognes,  ses  meubles,  sa 
bibliothèque,  aux  Pères  de  l'Oratoire. 


68        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

M.  Ernest  [Ruth  d'Ans]  a  été  à  Paris  et  y  a  fait 
entrer  deux  Histoires  de  la  congrégation  de  Anxiliis, 
apparemment  pour  M.  Le  Noir  et  pour  M.  des  Touches. 
Il  partit,  le  29,  pour  Fontpertuis,  où  Ton  dit  la  dame  un 
peu  mieux,  quoique  retombée.  De  là  il  doit  aller  à  la 
cour,  pour,  dit-il,  quelque  affaire  de  son  chapitre. 

J'ai  vu  ici  (à  Mons)  le  P.  Regnauld  d'Angers,  prêtre 
de  l'Oratoire.  J'ai  été  bien  aise  d'apprendre  de  lui  une 
nouvelle  que  vous  savez  sans  doute  depuis  quelque 
temps,  qui  est  que  Ton  a  découvert  enfin  que  le 
P.  Daniel  est  l'auteur  du  Problème;  que  le  roi  l'a  rayé 
du  nombre  do  ses  historiographes  et  lui  a  retranché  sa 
pension. 

Quesnel  à  du  Vancel 

17  octobre  1699. 

Votre  billet  n'est  pas  mettable  dans  la  Gazette  de 
Bruxelles.  Celui  qui  l'imprime  est  beau-frère  d'un  jésuite, 
leur  voisin  et  comme  leur  imprimeur,  et  de  plus  la 
Gazette  est  revue  par  un  du  conseil  privé,  qui  n'y  lais- 
serait pas  de  telles  choses...  M.  d'Amboise  [M.  dePom- 
po?i?ie],  dont  vous  savez  sans  doute  la  mort,  a  toujours 
fait  profession  de  ne  se  mêler  de  rien,  et  des  libelles 
de  cette  nature  n'ont  jamais  été  jusqu'à  lui.  Mais  cela 
est  fait.  Il  n'est  plus.  Il  a  rendu  compte  de  tout,  et  son 
corps  est  en  dépôt  à  Saint-Merri  de  Paris,  dans  la 
chapelle  de  sa  famille.  La  veuve  a  12.000  livres  de  pen- 
sion du  roi.  La  charge  de  surintendant  des  postes  et 
relais  est  donnée  au  gendre  de  M.  le  marquis  de  Torcy. 
Je  ne  sache  point  qu'on  ait  encore  mis  d'autre  ministre 
à  sa  place.  M.  le  comte  d'Avaux  ou  M.  de  Harlay,  l'am- 
bassadeur, y  pourront  avoir  bonne  part,  ou  le  comte 
de  Crécy;  car  il  faut  un  homme  qui  connaisse  les  cours 
étrangères. 

Le  monde  dit  qu'il  pourrait  bien  arriver  une  rupture 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        69 

entre  l'Espagne  et  les  Anglais  et  Hollandais.  On  a 
découvert  que  le  roi  Guillaume  a  ménagé  une  ligue 
entre  l'empereur  et  d'autres  puissances,  qu'ils  ont  par- 
tagé entre  eux  les  états  du  roi  d'Espagne,  et  on  dit  que 
l'électeur  de  Bavière  en  est.  C'est  la  France  qui  a  tout 
découvert  et  a  donné  une  copie  du  traité.  J'ai  lu  ce 
matin  un  mémoire  du  roi  d'Espagne,  envoyé  à  tous  ses 
ambassadeurs,  et  surtout  à  ceux  d'Angleterre  et  de 
Hollande,  pour  se  plaindre  d'un  tel  attentat.  On  verra 
comment  tout  cela  tournera. 

L'assemblée  de  l'Oratoire  est  finie.  J'apprends  qu'on 
a  fait  le  P.  Fouquet [  supérieur  de  Saint-Magloire.  C'est 
un  homme  fort  sage,  fils  du  fameux  M.  Fouquet,  fon- 
dateur de  la  bibliothèque  du  collège  des  jésuites  de 
Paris.  On  m'apprend  aussi  que  M.  Duchemin  a  été  fait 
sous-diacre,  ces  derniers  Quatre-Temps.  Vous  savez 
qu'il  a  là  une  des  douze  places  qu'y  donne  M.  l'arche- 
vêque. Le  nouveau  supérieur  l'aime. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  rien  à  faire  auprès  de  Dom 
Antoine  [Nouilles]  pour  la  mémoire  déchirée  du  feu  abbé. 
Il  y  a  des  préventions  amelotiques2  et  des  craintes. 

Oui,  voilà  un  nouveau  chancelier3.  Il  est  vrai  qu'il 
aime  l'Oratoire.  Il  s'y  confesse.  Il  a  une  chambre  à 
l'institution,  où  il  allait  jadis,  les  bonnes  fêtes.  Son 
épouse,  qui  a  été  autrefois  pénitente  du  Père  prieur  de 
cette  ville,  a  encore  beaucoup  de  considération  pour 
lui,  et  elle   aime  les  amis  de  la  vérité,  comme  petite- 


1.  Charles-Armand  Fouquet,  de  l'Oratoire,  fils  du  surintendant  des 
finances.  Grand  ami  des  abbés  Duguet,  Boileau  et  Couet,  il  eut  aussi 
la  confiance  et  l'affection  du  cardinal  de  Noailles.  Il  aurait  succédé  au 
P.  de  La  Tour,  comme  général  de  sa  congrégation,  sans  son  appel  de  la 
bulle  iinigenitus,  qui  le  fit  exclure. 

2.  Le  P.  Amelotte,  de  l'Oratoire,  1006-1678. 

3.  Louis  Phélypeaux,  comte  de  Pontchartrain,  aima,  en  effet,  l'Oratoire 
jusqu'à  s'y  retirer  après  la  perte  de  sa  femme,  en  1714.  Il  fut,  pendant 
son  passage  aux  affaires,  un  grand  ennemi  des  jésuites,  partant 
presque  un  soutien  pour  le  jansénisme, 


70         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

nièce  de  feu  M.  Pavillon,  évoque  d'Aleth,  par  sa  mère, 
nièce  de  ce  prélat1.  M.  de  Pontchartrain  est  assez  franc, 
et  je  crois  qu'il  connaît  assez  les  jésuites.  On  me  disait 
dernièrement  que  le  roi  lui  avait  dit,  un  jour,  qu'on 
disait  qu'il  n'aimait  pas  trop  ces  messieurs,  et  qu'il 
répondit  :  «  Quel  moyen  de  les  aimer?  Ces  gens-là 
veulent  le  corps  et  l'ame.  »  M.  Kerkré  [Gerberon]  m'a 
dit  aussi,  il  y  a  longtemps,  qu'on  lui  avait  mandé  de 
Paris  que  les  Pères  jésuites  ayant  demandé  au  roi  une 
lettre  de  recommandation  pour  les  pays  de  leurs  mis- 
sions, peut-être  vers  Siam,  ils  en  apportèrent  un  pro- 
jet à  M.  de  Pontchartrain.  On  le  lut  au  conseil,  et  il  fut 
trouvé  si  excessivement  outré  en  louanges  que  les 
apôtres  n'étaient  rien  au  prix  d'eux.  On  dit,  tout  d'une 
voix,  que  cela  ne  pouvait  pas  passer.  Le  roi  en  fit  des 
reproches  à  son  confesseur.  Celui-ci,  ou  sur-le-champ 
ou  après  avoir  consulté  ses  Pères,  dit  au  roi  qu'ils 
n'avaient  aucune  part  à  ce  projet,  et  Sa  Majesté  l'ayant 
rapporté  à  M.  de  Ponchar train,  celui-ci  dit  :  «  Gom- 
ment, Sire,  peuvent-ils  dire  une  telle  fausseté  à  Votre 
Majesté,  après  m'avoir  apporté  et  mis  eux-mêmes  ce 
projet  entre  les  mains?  S'ils  osent  m'imposer  de  leur 
imputer  à  faux  une  telle  chose,  à  moi  qu'ils  savent  qui 
ai  l'honneur  d'approcher  Votre  Majesté,  je  vous  laisse  à 
penser,  Sire,  comment  ils  mentent  h  l'égard  de  ceux 
qui  n'ont  aucun  accès  auprès  d'elle.  » 

On   a   imprimé    en  France,   en  trois  petits   volumes 
in- 12,  le  Weiidrock  entier  en  français2.  C'est  une  bombe 


1.  Les  contemporains  sont  unanimes  à  reconnaître  les  mérites  et  les 
parfaites  vertus  de  lachancelière.  Avec  cela,  «  jamais  femme  de  ministre 
ni  autre,  dit  Saint-Simon,  n'eut  sa  pareille  pour  savoir  tenir  une  mai- 
son, y  joindre  plus  d'ordre  à  toute  l'aisance  et  la  magnificence.  » 

2.  Wendrock  est  le  pseudonyme  de  Nicole,  et  il  s'agit  de  la  traduction 
des  notes  sur  les  Lettres  Provinciales,  qui  fut  faite  par  M"°  de  Joncoux, 
en  1699.  M"0 de  Joncoux  était  encore,  à  cette  date,  inconnue  du  P.  Ques- 
nel,  qui  ne  sera  en  correspondance  suivie  avec  elle  qu'après  le  court 
voyage  qu'il  fit  incognito  à  Paris,  en  1700. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  71 

qui  tombe  à  plomb  sur  la  société.  Beaucoup  de   gens 
non  latinisants  la  liront,  qui  ne  l'auraient  pas  lue. 

M.  Paulin  [Ernest  Ruth  d'Ans]  est  encore  en  France. 
Il  a  été  à  Fontpertuis,  où  la  dame  est  mieux. 


Quesnel  à  Mme  de  Fontpertuis 

18  octobre  1699. 

Il  est  bien  arrivé  des  choses  durant  votre  maladie, 
Madame  :  d'un  côté,  un  ami,  qui  était  dans  un  grand 
poste  et  élait  en  faveur1,  est  allé  rendre  compte  de 
soixante  ans  de  mouvement  et  d'agitations  dans  les 
affaires  du  monde;  d'une  autre  part,  un  autre  ami2, 
élevé  à  la  plus  grande  dignité  qu'il  pouvait  désirer.  Ce 
dernier  objet  est  tout  riant,  et  on  n'y  voit  rien  qui  ne 
flatte  beaucoup  la  nature.  L'autre  n'a  rien  que  de  ter- 
rible. Il  ne  paraît  pas,  cependant,  que  le  défunt  ait  été 
ébloui  de  sa  fortune.  Sa  modération  a  été  édifiante ,  et, 
pourvu  qu'il  ait  donné  beaucoup  aux  pauvres  durant 
sa  vie  et  à  sa  mort,  il  y  a  sujet  d'espérer  que  ses 
grands  biens  ne  lui  seront  pas  imputés  à  péché.  Mais, 
sans  cela,  il  y  a  toujours  beaucoup  à  craindre  pour  les 
riches. 

Celui  qui  se  trouve  élevé  de  nouveau  s'est  conduit, 
jusqu'à  présent,  de  manière  que  sa  modestie  ne  sur- 
prendra personne,  puisqu'il  y  a  accoutumé  le  monde 
dans  tous  ses  emplois.  J'espère  que  Dieu  se  servira  de 
lui  pour  faire  beaucoup  de  bien  par  l'usage  de  son 
autorité.  Vous  voyez  tout  cela  en  perspective  de  votre 
lit,  où  je  vous  crois  encore  attachée,  et  vous  en  faites 
sans  doute  le  sujet  de  vos  saintes  réflexions.  Dans  l'une 
et  dans  l'autre,  nous  y  avons  de  grandes  instructions. 

1.  Le  marquis  de  Pomponne. 

2.  Noailles,  nommé  archevêque  de  Paris. 


72         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

Si  l'un  nous  dit  :  «  Tout  est  passé»,  l'autre  nous  crie  : 
«  Tout  cela  passera  dans  un  moment,  et  rien  ne  subsis- 
tera devant  Dieu  que  ce  qui  aura  eu  pour  principe  l'es- 
prit de  Dieu  et  pour  fin  sa  gloire  et  son  règne.  » 


Quesnel  à  du  Vaucel 

24  octobre  1699. 

Je  n'ai  pas  été  peu  surpris  de  l'invitation  si  injuste 
faite  à  M.  de  Sébaste1.  C'est  une  marque  que  la  cabale 
est  bien  puissante  et  qu'il  n'y  a  guère  d'équité  dans  ces 
sortes  de  juges.  Il  fera  bien  de  témoigner  qu'il  est  bien 
aise  d'obéir,  et  cependant  de  gagner  du  temps.  Si  la 
guerre  s'allume  en  ces  quartiers,  il  n'y  a  guère  d'appa- 
rence qu'il  puisse  faire  le  voyage,  et  on  pourrait  bien 
même  le  lui  défendre  ;  car  je  ne  croirais  pas  qu'il  dût 
l'entreprendre  sans  en  donner  part  aux  supérieurs. 

Ce  que  je  dis  de  la  guerre  est  le  sujet  de  l'entretien 
d'aujourd  hui.  Vous  savez  que  l'on  a  découvert  la  ligue 
formée  par  le  roi  Guillaume  pour  se  rendre  maître  des 
états  d'Espagne  après  la  mort  du  roi  ;  que  ce  roi  en 
a  fait  faire  des  plaintes  en  forme  par  un  mémoire 
envoyé  à  tous  les  ambassadeurs;  que  celui  qu'il  a  en 
Angleterre  s'étant  acquitté  de  ces  ordres  auprès  de  la 
régence,  le  roi  Guillaume  lui  a  fait  signifier  qu'il  eût  à 
sortir  au  plus  tôt  d'Augleterre.  On  dit  que  c'est  la  France 
qui  a  découvert  cette  conspiration,  et,  comme  on  dit 
que  Son  Altesse  Eminentissime  de  Bavière  est  du  traité, 
il  n'y  a  pas  d'apparence  qu'il  demeure  ici  gouverneur. 
Il  est  à  Mariémont,  et  l'on  dit  assez  publiquement  qu'il 
ne  reviendra   plus  et  qu'il  ira  de  là  en   son  pays.  Je 

1.  Pierre  Godde,  archevêque  d'Utrecht,  sous  le  titre  d'archevêque  de 
Sébaste,  était  invité  à  aller  se  défendre  à  Rome  des  accusations  de 
jansénisme.  On  prenait  le  prétexte  du  jubilé  pour  l'attirer  hors  de  son 
diocèse. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        73 

viens  de  lire  un  traité  particulier  que  ce  prince  a  fait 
avec  les  Hollandais,  en  date  du  28  août  1698.  Les 
Hautes  Puissances  se  chargent  de  la  garantie  et  défense 
du  Pays-Bas  espagnol  pour  le  feu  prince  électoral,  et, 
pour  cela,  l'électeur  leur  doit  livrer  et  céder  le  fort 
Mar,  sur  l'Escaut,  à  perpétuité;  qu'on  ne  transportera 
aucune  marchandise  étrangère,  ni  par  Ostende,  ni  par 
Nieuport,  Bruges,  etc.  ;  que  les  Hollandais  auront  un 
comptoir  entre  Gand  et  Dendermonde,  pour  visiter 
toutes  les  marchandises  avec  une  garde  de  mousque- 
taires, etc.  Ce  n'est  pas  là  le  traité  général.  Voilà  de 
quoi  entretenir  les  politiques.  Quand  le  roi  d'Espagne 
fit  arrêter  le  feu  duc  Charles  de  Lorraine,  il  n'en  avait 
pas  tant  fait,  et  il  avait  une  armée  de  15.000  hommes. 
La  guerre  d'entre  les  bénédictins  et  les  jésuites 
s'échauffe  de  plus  en  plus.  J'ai  reçu  deux  nouveaux 
écrits  pour  les  bénédictins  cette  semaine.  Les  jésuites 
sont  bien  battus  ;  mais  ces  ladres  ne  sentent  rien  qu'une 
passion  ardente  de  calomnier  sans  pudeur.  Il  n'est  pas 
que  vous  n'ayez  entendu  parler  d'une  tragédie  des 
jésuites  d'Ancône.  On  avait  offert  de  la  mettre  dans  la 
Gazette  de  Hollande  ;  mais,  ne  sachant  pas  si  elle  est 
vraie,  j'ai  attendu.  Voilà  la  relation  qu'on  m'a  envoyée 
de  Paris  ;  je  vous  l'envoie  pour  informer,  et  vous  me 
la  renverrez. 


Quesnel  à  du   Vaucel 

21  novembre  1699, 

11  y  a  aujourd'hui  huit  jours  qu'un  courrier  apporta 
au  roi  la  nouvelle  de  la  maladie  du  bon  pape,  que 
sa  goutte  était  remontée,  qu'il  avait  reçu  l'extrême- 
onction1.   Je  l'appris,   hier  matin,  par  des   lettres  de 

1.  Le  prince  de  Monaco  écrit  au  roi,  le  10  décembre,  que  «  Sa  Sain- 
teté diminuait  de  forces,  qu'elle    extravaguait  par   ses  discours,   que 


74         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

M.  Le  Noir,  dont  je  vous  en  envoie  une,  et  aujour- 
d'hui on  m'écrit,  du  18,  que  le  bruit  de  la  mort  du 
pape  courait  à  Paris.  On  ne  sera  pas  longtemps  sans  en 
savoir  la  vérité. 

On  me  mande  aussi  que  le  roi  a  imposé  silence  aux 
bénédictins  et  aux  jésuites  et  leur  a  défendu  d'écrire 
les  uns  contre  les  autres,  sous  peine  de  son  indignation. 
C'est  ce  qui  leur  a  été  déclaré  par  M.  l'archevêque  de 
Paris.  Les  bénédictins  ont  écrit  les  derniers,  mais  ils 
avaient  encore  bien  des  choses  à  dire. 

J'admire  comment  M.  Albin  [cardinal  Casanate] 
s'étonne  que  les  évoques  de  France  ne  fassent  rien  pour 
mettre  à  couvert  la  mémoire  de  feu  M.  Davy  [Arnauld], 
Quand  ils  auraient  la  meilleure  volonté  du  monde  et 
que  le  maître  y  serait  favorable,  il  est  difficile  de  com- 
prendre comment  ils  s'y  pourraient  prendre. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

28  novembre  1699. 

Nous  avions  appris  par  la  voie  de  Paris  la  maladie 
du  pape.  Un  courrier  du  Savait  apporté  la  nouvelle  de 
son  mieux,  et  avant-hier  nous  savions  ici,  par  Paris 
encore,  sa  promotion  de  cinq  cardinaux  et  de  quatre 
retenus  in  petto.  Dieu  veuille  que  M.  Gasoni  soit  au 
moins  des  derniers!  On  le  traite  bien  mal. 

Voilà  la  querelle  de  l'édition  de  saint  Augustin  finie. 
Je  reçus,  hier  au  soir,  copie  imprimée  de  la  lettre  cir- 

c'était  déjà  le  visage  d'un  mort  ».  Mais  c'est  une  autre  antienne  avec 
le  cardinal  de  Bouillon,  le  2't  novembre:  «11  pourrait  bien  vivre  en  cet 
état  plusieurs  années,  les  médecins  soutenant  qu'il  est  net  de  fièvre. 
Son  visage  et  ses  yeux  n'ont  nullement  paru,  à  tous  ceux  qui  Font 
envisagé,  le  visage  et  les  yeux  d'un  homme  mourant.  Ses  chairs  sont 
encore  belles  et  vives,  mais  ses  parties  basses  sont  tellement  affaiblies 
qu'il  n'y  a  pas  apparence  qu'il  soit  jamais  plus  en  état  de  sortir  du 
lit.  »  (AU*,  étr.,  Home,  4U3.) 


CORRESPONDANCE    DE   PASQUIER    QUESNEL  75 

culaire  du  général  des  bénédictins  à  ses  religieux,  pour 
leur  notifier  les  ordres  du  roi.  On  n'aura  pas  manqué 
de  l'envoyer  à  Rome. 

Voilà  le  P.  Gabrielli  cardinal1.  Je  crains  qu'il  n'y 
ait  dans  le  recueil  du  sfondratisme  des  choses  capables 
de  le  choquer  beaucoup.  Il  faudra  les  examiner  et 
passer  dessus  la  lime.  Car  il  ne  faut  pas  aigrir  des  gens 
qui  peuvent  nuire. 

Il  paraît  que  le  cardinal  Moriggia  est  fort  bien  dans 
l'esprit  du  pape.  Si  c'est  un  homme  droit  et  qui  ait  de 
la  lumière,  il  faudrait  trouver  un  moyen  de  l'aborder, 
de  l'instruire  et  de  le  rendre  par  là  favorable  à  la 
vérité. 


Quesnel  à  du   Vaucel 

5  décembre  1699. 

Je  crois  vous  avoir  mandé  qu'on  a  imprimé  une  tra- 
duction française  du  Wendrock.  On  la  réimprime  en  ce 
pays.  La  traduction  est  faite  par  une  fille2.  Les  jésuites 
n'en  veulent  rien  croire.  Gela  est  pourtant  vrai. 

J'ai  écrit  à  Delft,  afin  qu'on  m'envoie  les  feuilles  de 
la  collection,  et  j'avertis  de  môme  que,  si  on  trouve 
dans  ce  qui  n'est  pas  encore  imprimé  quelque  dureté 
contre  le  protecteur  du  sfondratisme  nouvellement 
métamorphosé,  on  l'adoucisse,  pour  ne  pas  aigrir  un 
homme  qui  peut  nuire  dans  le  poste  où  il  a  été  mis. 

L'âge  de  notre  Saint-Père,  la  saison,  la  nature  de  sa 
maladie,  nous  font  tout  craindre.  H  y  a  des  gageures, 

1.  Un  mémoire,  envoyé  en  1709  par  l'ambassadeur  la  Trémoille  au 
roi,  nous  peint  le  cardinal  Gabrielli  «  très  bon,  très  juste,  essentielle- 
ment ami  des  couronnes,  sincère  et  religieux  ».  (Aff.  étr.  Rome,  494.) 
Aussi  la  France  va-t-elle  lui  l'aire  une  pension,  qui,  d'après  Polignac, 
«  n'est  pas  mal  employée,  puisque,  dans  les  occasions,  il  fait  son  devoir.  » 
(Aff.  étr.,  Rome,  496.) 

2.  M"e  de  Joncoux. 


76         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

faites  à  Londres  qu'il  n'arrivera  pas  jusqu'à  l'année 
sainte. 

Je  voudrais  que  la  seconde  réponse  du  R.  P.  de  Mont- 
faucon  fût  imprimée,  car  on  n'aura  pas  manqué  de  lui 
signifier  les  ordres  du  roi  pour  le  silence. 

En  voilà  assez  pour  un  jour  de  médecine. 


Quesnel  à  du   Vaacel 

Bruxelles,  2  janvier  1700. 

Nous  voici  donc,  non  dans  un  nouveau  siècle  (comme 
quelques-uns  se  l'imaginent),  mais  dans  une  nouvelle 
année.  Je  vous  l'ai  déjà  souhaitée  sainte  et  heureuse; 
mais  il  ne  faut  pas  la  commencer  sans  renouveler  ces 
souhaits,  comme  je  le  fais  de  tout  mon  cœur. 

De  la  manière  dont  parlent  les  gazettes  et  vos  nou- 
velles, il  y  a  apparence  que  le  bon  pape  aura  vu  la 
nouvelle  année.  Je  lui  conseille  de  se  consoler  de 
n'avoir  pas  ouvert  la  porte  de  Saint-Pierre,  pourvu  que 
saint  Pierre  lui  ouvre  la  porte  du  ciel1.  Ce  n'est  pas 
une  petite  affaire  de  l'ouvrir  à  un  pape,  et  je  ne  sais  si 
ce  premier  pape  aura  des  yeux  pour  reconnaître  beau- 
coup de  ses  successeurs  dans  cette  lie  des  siècles. 

Les  nouvelles  de  France  disent  que  les  cardinaux  se 
disposaient  à  passer  à  Rome,  à  la  première  nouvelle  de 
la  mort  du  pape,  et  que  M.  de  Grenoble  ne  se  croit 
point  invité  d'y  aller.  Je  ne  sais  si  cela  est  vrai;  mais 
il  n'y  aurait  pas  beaucoup  à  perdre  pour  lui  ni  pour  la 
cour,  qui  apparemment  le  regarde  comme  un  scru- 
puleux, peu  propre  à  entrer  dans  une  intrigue  et  à 
seconder  les  mouvements  d'une  faction. 

Quoique  MKI  Sacriste  ait  été  cambrésien,  on  ne  laisse 

1.  Du  Vaucel  écrivait  à  M.  Codde,  archevêque  de  Sébaste,  le  19  dé- 
cembre 1699  :  «  C'est  le  cardinal  de  Bouillon,  comme  sous-doyen, 
qui  ouvrira  la  porte  de  Saint-Pierre.  » 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         77 

pas  de  souhaiter  que  le  pape  voulût  penser  à  lui.  il 
serait  beaucoup  mieux  que  d'autres.  Le  pauvre  sieur 
Gasoni  est  en  oubli;  mais,  pourvu  que  Dieu  se  sou- 
vienne de  lui,  il  sera  assez  heureux. 

Toutes  les  places  publiques  sont  remplies  de  casernes, 
où  sont  logés  les  soldats  qu'on  a  fait  venir  des  places 
frontières  pour  réduire  les  nations  de  cette  ville  et  leur 
faire  donner  de  l'argent.  Dieu  veuille  que  cela  ne  soit 
pas  une  semence  de  brouilleries  ! 


Quesnel  à  du  Vaucel 

23  janvier  1700. 

Il  me  fut  impossible,  il  y  a  huit  jours,  de  me  donner 
l'honneur  de  vous  écrire  un  mot,  ayant  été  obligé 
d'écrire  d'autres  lettres  qui  ne  souffraient  point  de 
délai.  Il  n'y  a  pas  grand'perte,  car  il  n'y  a  guère  de 
choses  à  vous  mander. 

On  me  mande  de  Paris,  du  19,  que  les  cardinaux  sont 
partis.  M.  Fromentin,  sous-doyen  et  vicaire  général, 
mon  bon  ami,  n'a  pu  se  défendre  d'accompagner  son 
patron,  le  cardinal  de  Goislin,  quoique  âgé  de  soixante- 
huit  à  soixante-neuf  ans,  chargé  d'infirmités  et  fort 
pesant.  Il  m'a  écrit  pour  me  dire  adieu,  et,  en  lui 
faisant  réponse,  je  lui  ai  marqué  que  vous  êtes  là  depuis 
dix-sept  à  dix-huit  ans  et  que  vous  étiez  dans  le  dessein 
de  revenir  après  Pâques.  Vous  pouvez  le  voir  avec 
toute  confiance;  il  est  tout  à  fait  bon  ami  et,  s'il  y  a 
lieu  de  vous  procurer  de  revenir  avec  Son  Eminence,  il 
le  fera,  et  l'Eminence  est  personne  à  parler  pour  vous  à 
la  cour,  s'il  est  nécessaire,  surtout  sachant  la  liaison 
que  vous  avez  eue  avec  son  cher  oncle.  J'ai  oublié  de 
marquer  cette  circonstance  à  M.  Fromentin.  On  écrit 
de  Paris  que  le  pape  est  tombé  en  enfance.  C'est  peut- 
être  ce  qui   fait  que,   nonobstant    les  nouvelles    de  la 


/8  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

meilleure  santé  du  pape,  nos  cardinaux  se  pressent  de 
partir. 

Vous  demandez  de  quoi  s'avise  M.  Kerkré  [Ger- 
beron]  de  prendre  la  défense  du  «  pur  amour  »  de 
M.  de  Cambrai.  Ne  le  connaissez-vous  pas?  Il  fait 
imprimer  en  Hollande  Y  Exposition,  condamnée  par 
M.  de  Paris,  avec  de  nouvelles  remarques  contre 
l'ordonnance  de  ce  prélat.  Cela  n'est  bon  qu'à  l'aigrir. 
Il  y  aura  deux  volumes  ;  c'est-à-dire  qu'il  aura  tout 
ramassé.  On  dit  qu'il  soutient  là  que  c'est  un  disciple 
de  saint  Augustin  qui  a  fait  le  Problème. 

Je  serais  assez  d'avis  que  le  sieur  Héron  [Fabroni] 
ferait  moins  de  mal  cardinal  que  dans  le  poste  où  il  est  ; 
mais  peut-être  deviendrait-il  chef  de  la  congrégation 
où  il  n'est  que  secrétaire. 

J'ai  vu  un  extrait  d'une  lettre  de  Grenoble,  qui  marque 
qu'à  la  dernière  ordination  M.  le  cardinal  Le  Camus 
s'est  fort  élevé  contre  la  morale  relâchée  et  que,  les 
jésuites  lui  ayant  présenté  des  lettres  patentes  pour 
pouvoir  enseigner  la  théologie  à  Grenoble  dans  leur 
collège,  FEminence  leur  a  dit  que  le  roi  laissait  les 
évoques  maîtres  de  la  doctrine  dans  son  royaume  ;  qu'il 
ne  souffrirait  jamais  de  son  vivant  qu'ils  enseignassent 
la  théologie  dans  Grenoble,  et  qu'il  était  déjà  trop 
fatigué  du  philosophisme  qu'ils  ont  enseigné  à  Cham- 
béry,  sans  le  voir  encore  enseigner  dans  sa  ville  cathé- 
drale. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

30  janvier  1700. 

Il  y  a  un  livre  nouveau  de  M.  Boilean,  ex-doyen  de 
Sens,   qui   est    de    Historia  flagellantium1.    Tous    les 

1.  Ce  livre,  traduit  en  français  en  1701  (Histoire  des  Flagellants,  con- 
tient des  détails  assez  piquants,  et  l'auteur  lui-même  a  soin  de  nous 


CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QUESNEL         79 

moines  flagellants  seront  fort  en  colère,  et  je  ne  doute 
pas  qu'ils  n'écrivent  contre  et  qu'ils  ne  s'efforcent  de  le 
faire  condamner. 

M.  Joly1,  chantre  de  Notre-Dame  de  Paris  et  officiai, 
est  mort  enfin,  âgé  de  quatre-vingt-treize  ans.  Il  allait 
tous  les  jours  à  matines  à  minuit  et  était  fort  assidu 
à  tout.  Il  était  habile,  et  il  faisait  imprimer  un  ouvrage 
(car  je  ne  crois  pas  qu'il  soit  achevé  d'imprimer)  tou- 
chant le  rétablissement  des  sciences  en  France  et 
ailleurs.  Toute  la  vie  d'Erasme  y  doit  être.  La  chantre- 
rie  a  été  donnée  à  M.  l'abbé  Perrochel,  chanoine  de 
Notre-Dame,  grand  homme  de  bien  et  aumônier.  11 
quittera,  je  crois,  une  abbaye  qu'il  a.  Le  choix  n'est 
fondé  que  sur  son  mérite.  C'est  M.  l'archevêque  qui 
donne  toutes  les  dignités,  excepté  le  doyenné  et  lasous- 
chantrerie  et  tous  les  canonicats. 

L'évêque  de  Chartres2  fait  du  pis  qu'il  peut  contre  les 
bons  livres,  et  particulièrement  contre  le  Nouveau 
Testament  du  P.  Quesnel,  qu'il  décrie  comme  un  fort 
méchant  livre.  Il  a  môme  d'autres  évoques  qui  entrent 
dans  son  entêtement  et  qui  (entre  nous)  ont  fait  tout  ce 
qu'ils  ont  pu  pour  porter  celui  qui  l'a  approuvé  à  retirer 
son  approbation  et  à  faire  quelque  chose  de  contraire. 
Il  a  tenu  bon.  Il  faut  prier  Dieu  qu'il  continue  et  n'en 
point  parler. 

Je  voudrais  pourtant  que  deux  cardinaux,  comme 
M.  Le  Camus  et  M.  de  Coislin,  fussent  d'humeur  à 
donner  la  même  approbation  que  M.  de  Chàlons  :  ce 
serait  une  sauvegarde  renforcée.  Je  vais  trouver  occasion 
d'en  parler  ou  faire  parler  par  M.  Fromentin.  Vous 
verrez  s'il  y  a  quelque  chose  à  faire. 

J'avais  oublié  d'écrire.  Je  griffonne  à  la  hâte. 

annoncer,  dans  la  préface,  «  qu'un  ouvrage  de  cette  nature  est  toujours 
agréable  et  que  le  sujet  en  est  relevé  par  le  vinaigre  et  les  pointes  ». 

1.  Claude  Joly,  écrivain  et  théologien,  oncle  de    l'historien  Guy  Joly. 

2.  Godet  des  Marais. 


80  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 

Quesnel  à  du  Vaucel 

6  février  1700. 

Je  vois  bien  que  le  bon  pape  fera  encore  la  nique  aux 
cardinaux  et  qu'il  y  en  pourra  bien  avoir  encore  de  son 
édition. 

A  Tégard  de  M.  de  Cambrai,  je  crois  qu'il  ne  faut  pas 
l'irriter  sans  nécessité.  Il  peut  avoir  du  crédit  et  être 
en  état  de  nuire  ou  de  servir.  Hors  le  point  de  son  enga- 
gement, on  pourra  tirer  de  lui  des  services.  Il  est  bon 
même  de  faire  connaître  qu'on  n'a  point  d'éloignemeut 
de  sa  personne,  et  on  peut  le  ramener.  Le  voilà  payé  de 
ses  peines;  c'est  une  affaire  finie. 

On  m'a  aussi  mandé  de  Hollande  qu'on  était  prêt  d'im- 
primer un  écrit  contre  le  Problème,  où  l'on  défend 
l'auteur  des  Réflexions  sur  le  Nouveau  Testament  ;  c'est 
un  thomiste  apparemment.  On  demandait  à  celui  qui 
m'en  écrit  son  approbation,  qu'il  veut  bien  donner, 
pourvu  qu'on  y  corrige  quelques  endroits  où  il  parle 
contre  le  livre  de  YExposition  sans  beaucoup  de  néces- 
sité. Ce  sera  pour  le  P.  Daniel  un  nouveau  sujet 
d'écrire.  Son  commissionnaire,  le  P.  Souâtre,  est 
retourné  à  Lille,  après  sa  rigoureuse  pénitence  de 
Maubeuge.  On  vous  enverra  dans  huit  jours  une  réponse 
à  la  lettre  du  P.  Daniel  à  M.  l'archevêque  de  Paris.  Je 
vous  dirai  en  secret  que  Dom  Louis  de  Saint-Bernard 
[Noailles]  a  eu  un  grand  choc  à  soutenir  contre  d'autres 
abbés  de  son  ordre,  qui  le  voulaient  engager  à  aban- 
donner certain  livre  du  Père  prieur  [Quesnel]  qu'il  a 
approuve  (car  il  est  docteur  de  Sorbonne).  Il  a  tenu  bon 
jusqu'à  présent,  et  on  espère  qu'il  persévérera.  Vous 
seriez  surpris  d'apprendre  quelles  gens  entraient  dans 
celte  entreprise  et  pressaient  plus  vivement  le  bon 
abbé  [Noailles]. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  81 

Quesnel  à  du  Vaucel 

13  février  1700. 

Nos  cardinaux  seront  peut-être  plus  tôt  à  Rome  que 
cette  lettre.  Ne  manquez  pas,  je  vous  prie,  devoir  M.Fro- 
mentin, mon  bon  ami,  et  qui  Tétait  aussi  de  feu  notre 
cher  M.  de  Pontchâteau.  C'est  un  fort  bon  homme,  fort 
bien  tourné,  dans  de  bons  sentiments  sur  tout,  et  qui 
peut  vous  servir  auprès  de  son  patron1,   qui  est  aussi 
la  meilleure  personne  du  monde  et  qui  n'a  point  peur 
des  gens.  S'il  y  a  lieu  de  vous  servir  pour  votre  pleine 
sûreté,  il  le  fera.  Et  pour  cela  il  est  bon  que  vous  lui 
fassiez  connaître  que  vous  avez  toujours  été  porté  à 
accommoder  les  affaires  de  la  Viémur  [Port-Royal]  et 
que  vous  aviez  fait  l'ouverture  de  certains  moyens  pour 
terminer,  au  contentement    de  la  cour  et  au  profit  de 
l'Eglise,  cette   contestation.    Si    vous   avez   tout  à  fait 
dessein  de  repasser  la  mer  et  qu'il  y  ait  lieu  de  vous 
servir  de  l'occasion  présente  du  retour  des  Eminences, 
je  crois  que  vous  ne  sauriez  mieux  faire  que  de  la  ména- 
ger. Je  crois  en  avoir  déjà  touché  quelque  chose  au  gros 
ami  [Fromentin]  dans  ma  lettre  d'adieu,  où  je  lui  ai 
parlé  de  vous.  Votre  personne  et  vos  papiers,  vos  livres 
même,  viendront  sûrement  en  cette  compagnie. 

La  Gazette  de  Bruxelles  a  parlé  de  l'accident  du  car- 
dinal Gasanate  comme  d'une  attaque  de  paralysie;  mais 
en  même  temps  on  marque  qu'il  se  porte  bien. 

Quesnel  à  dn  Vaucel 

20  février  1700. 

A  ce  que  je  vois,  on  ne  donne  pas  à  Rome  le  jubilé 
à  aussi  bon  marché  que  deçà  les  monts.  Quand  il  vien- 
dra à  nous,  nous  verrons  à  quel  prix  on  le  mettra. 

1.  Le  cardinal  de  Coislin. 

ii.  6 


82         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

J'ai  vu  par  occasion  les  vers  sur  l'Inquisition.  Je  ne 
crois  pas  du  tout  qu'ils  soient  de  dom  Gerberon,  mais 
il  pourrait  bien  les  avoir  envoyés.  Est-ce  d'aujourd'hui 
que  vous  savez  que  c'est  un  esprit  outré  et  qui  ne 
garde  aucune  mesure?  Il  y  a  longtemps  que  dom  Ger- 
beron a  une  dent  de  lait  contre  M.  de  Meaux,  et  je  crois 
que  c'est  par  antipathie  contre  ce  prélat  qu'il  a  pris  des 
sentiments  favorables  et  conformes  à  ceux  de  M.  de 
Cambrai. 

Il  faut  que  je  vous  dise  en  secret  que  l'évêque  de 
Chartres,  que  vous  savez  fort  déclaré  contre  un  certain 
livre,  approuvé  par  dom  Antoine  de  Saint-Bernard 
[cardinal  de  Noailles],  fait  ce  qu'il  peut  pour  faire  entrer 
dans  son  sentiment  plusieurs  docteurs;  et  il  a  gagné 
M.  du  Perron  et  M.  Gerbert.  Le  parti  était  fort,  et  ils 
ont  fait  tous  leurs  efforts  pour  engager  dom  Antoine  de 
Saint-Bernard  à  reculer  sur  ce  sujet.  11  a  tenu  ferme 
et  leur  résiste  en  face.  Il  faut  prier  Dieu  qu'il  continue. 

Il  y  a  ici  un  abbé  de  Chevremont,  Français  comme 
je  crois,  qui  a  fait  imprimer  un  petit  livre  où  il  pré- 
tend montrer  qu'on  n'y  entend  rien  sur  le  quiétisme  et 
que  ni  M.  de  Cambrai  ni  M.  de  Meaux  n'ont  pas  trouvé 
la  fève  au  gâteau1.  On  me  le  prêta  hier,  et  je  n'en  ai 
encore  rien  lu,  le  faisant  brocher.  Il  me  semble  que  j'ai 
déjà  vu  des  livres  de  cet  auteur-là.  Je  ne  sais  pourquoi 
il  est  ici. 

Notre  gros  ami2  vous  dira  des  nouvelles  du  livre  des 
Flagellants  de  M.  Boileau,  le  docteur.  Il  m'en  a  fait  pré- 
sent; mais  je  n'en  fais  pas  plus  grand  cas  pour  cela.  Il 
me  mande  que  le  sieur  Tournély,  faux  Arnauld  et  pro- 
fesseur de  Sorbonne,  s'élève  fort  contre. 

1.  Le  Christianisme  éclairai  sur  les  différends  du  temps  en  matière 
de  quiétisme,  par  l'abbé  J.-B.  de  Chevremont,  Amsterdam,  1700,  in-8°. 
Cet  auteur  fut  secrétaire  de  Charles  V,  duc  de  Lorraine.  Le  Nouveau 
Dictionnaire  historique  cite  ses  ouvrages  comme  «  remplis  de  projets 
ridicules,  d'idées  fausses,  avec  un  style  des  plus  languissants  ». 

2.  M.  Fromentin. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  83 

Le  livre  de  l'abbé  de  Ghevremont  est  intitulé  :  Le 
Christianisme  éclairci  sur  les  différends  du  temps  en 
matière  de  quiétisme,  etc.  11  dédie  son  livre  à  la  reine 
douairière  de  Pologne.  Cet  homme,  dit-on,  est  un  grand 
voyageur  et  a  présentement  une  Histoire  du  Jansé- 
nisme à  imprimer. 

Quesnel  à  du  Vaucel 

27  février  1700. 

Le  diocèse  de  Son  Eminence  patron1  me  paraîtrait 
fort  propre  à  une  retraite  telle  que  vous  la  pouvez  dési- 
rer. On  y  est  en  toute  sûreté.  Le  Père  prieur2  ne  déses- 
père pas  d'avoir  le  bien  de  vous  embrasser,  et,  s'il  peut 
savoir  quand  le  gros  ami  [Fromentin]  sera  aussi  bien 
que  vous  dans  la  grande  ville,  il  pourra  bien  prendre 
des  mesures  pour  vous  rencontrer  tous  deux  quelque 
part  dans  le  voisinage.  Mais  de  cela  il  désire  que  vous 
n'en  ouvriez  pas  la  bouche  à  personne.  Car  cela  lui  est 
d'une  très  grande  conséquence,  et,  dès  qu'on  a  lâché 
la  parole,  il  n'y  a  plus  de  secret.  Cependant  son  des- 
sein serait  de  feindre  un  voyage  d'un  autre  côté,  et,  en 
effet,  il  a  dessein  et  môme  quelque  engagement  à  aller 
à  Orval  voir  et  l'abbé  et  quelque  ami.  Ne  me  récrivez 
donc  rien  sur  cela.  Il  lui  suffira  de  savoir  quand,  com- 
ment et  par  où  vous  reviendrez  en-deçà  des  monts. 

Quesnel  à  du  Vaucel,  à  Rome 

{Pour  vous  seul.)  13  mars  1700. 

Vous  parlez  comme  un  homme  qui  a  quasi  le  pied 
à  l'étrier.  C'est  un  grand  adieu  pour  Rome,  et  un  grand 

1.  Le  cardinal  de  Goislin. 

2.  Quesnel  préparait  alors  un  petit  voyage  à  Paris,  qu'il  fera  effecti- 
vement en  août  et  septembre  1700. 


84         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

bonjour  pour  votre  patrie,  et  une  assez  grande  affaire 
pour  vous    qu'un  nouvel   établissement.   Je   voudrais 
bien  que  l'affaire  du  Holstein1  fût  terminée,  pour  vous 
mettre  un  peu  plus  au  large;  mais  je  vois  cela  reculé 
plus  que  jamais  par  la  guerre  entre  les  couronnes  du 
nord  qui  paraît  allumée.  Tout  ce  que  je  puis  donc  vous 
dire  avec  toute  la   sincérité  de  coeur   est  que,  si    vous 
voulez  vous  rendre  Flamand,  je  suis  prêt  à  prendre  un 
logis  à  part  et  à  vous  recevoir  de  mon  mieux.  Il  y  a 
longtemps  que  je  roule  le  dessein  de  me  retirer  d'ici. 
La  société  avec  le  chanoine2  est  médiocre  et  médiocre- 
ment agréable,  et  mon  inclination  tout  entière  est  de 
me  mettre  ailleurs.  J'ai    en  main    une  demoiselle  fort 
pieuse,  silencieuse,  affectionnée,  cousine  germaine  de 
M.  Robert  le  chanoine,  qui  est  toute  disposée    à  venir 
prendre  soin  du  ménage,    qui  ne  sera  point  à  charge, 
qui   a   môme  une  partie  du   linge,    de  la  vaisselle   et 
d'autres  choses  propres  au  ménage  toutes  prêtes.  S'il 
faut  mourir  en  ce  pays,  je  suis  bien  aise  d'être  un  peu 
plus  séparé.  Si  donc  le  cœur  vous  en  dit,  je  vous  offre 
tout  ce  qui  dépend  de  moi,  et,  si  vous  ne   trouvez   pas 
mieux,  vous  pouvez  toujours  compter  sur  mon  hospice 
et  ma   table.  Mais  peut-être  ne  voudrez-vous  pas,    en 
sortant  d'une  espèce  d'exil,  en  prendre  un  autre?  Vous 
y  penserez.  Quand  on  cherche  la  retraite,  un  pays  est 
aussi  bon  qu'un  autre. 

Les  nouvelles  de  France  disent  le  pape  retombé. 
Quoi  qu'il  en  soit,  nos  cardinaux  ne  se  mettent  guère  en 
peine  de  la  bonne  ou  mauvaise  figure.  Ils  sauront  bien 
faire  bonne  mine. 


1.  Le  règlement  des  comptes  de  l'île  de  Nordstrand. 

2.  Ernest  Rutli  d'Ans. 


CORRESPONDANCE   13Ë    PASOÙlËR    QUËSNEL  85 

Quesnel  à  du  Vaacel 

27  mars  1700. 

Voilà  donc  le  bon  cardinal  Gasanate1  qui  a  quitté  la 
terre.  Quoiqu'il  n'ait  pas  fait  de  grandes  choses  pour  la 
vérité,  il  avait  le  cœur  disposé  à  les  faire,  et  il  a  pu 
empêcher  beaucoup  de  mal. 

Je  suis  dans  l'impatience  d'apprendre  l'heureuse 
arrivée  de  M.  Fromentin;  car  c'est,  pour  un  homme 
âgé  et  infirme  comme  il  est,  une  secousse  un  peu  forte 
qu'un  voyage  de  cette  nature. 

Il  y  a  déjà  longtemps  qu'on  dit  que  M.  de  Paris  était 
nommé  au  chapeau.  S'il  y  a  fondement,  la  Gazette  de 
Paris  ne  manquera  pas  de  le  dire.*  On  croit  bien  qu'il 
sera  le  premier  nommé.  Ce  ne  sera  pas  sans  que  cela 
fasse  mal  au  cœur  à  M.  do  Reims;  mais  il  faudra  qu'il 
prenne  patience. 

Après  plus  de  neuf  ans,  voilà  que  le  P.  Bouhours 
s'avise  de  faire  paraître  une  apologie  sur  l'histoire  ou 
les  bruits  d'amourettes  dont  l'auteur  des  Avis  impor- 
tants fut  obligé  de  parler.  Il  me  semble  qu'il  est  mal 
conseillé  de  remuer  ce  bourbier.  Il  n'est  pas  difficile 
de  lui  répondre,  et  peut-ôtre  sera-t-on  obligé  de  le 
faire,  à  moins  de  passer  pour  un  grand  calomniateur, 
comme  son  apologiste,  qui  est  peut-être  lui-même,  l'en 
accuse. 


1.  Jérôme  Gasanate  mourut  à,  Rome,  dans  la  nuit  du  2  au  3  mars  1700. 
«  Rome  perdit  en  lui,  dit  Saint-Simon,  un  de  ses  plus  illustres  cardi- 
naux par  sa  piété,  par  sa  doctrine,  par  le  nombre  et  le  choix  des 
livres  qu'il  ramassa,  et  par  le  bien  qu'il  fit  aux  lettres.  »  Grand  ennemi 
des  jésuites,  il  fut  de  ceux  qui  contribuèrent  à  la  condamnation  de 
Fénelon. 


86  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Qnemel  à  Mnc  de  Jonconx,  rue  Coq-Héron,  Paris 

30  mars  1700. 

Si  j'avais  eu,  il  y  a  six  mois,  toutes  les  lumières  que 
j'ai  maintenant1,  je  n'aurais  pas  manqué  de  répondre  à 
la  lettre  que  vous  me  fîtes  l'honneur  de  m'écrire,  le 
8  juin  de  l'année  dernière2,  et  je  vous  assure,  ma  très 
chère  sœur,  que  je  l'aurais  fait  d'une  manière  qui  vous 
aurait  contentée.  Il  me  semble  que  je  vous  vois  frémir 
à  cette  parole;  mais  ne  craignez  rien,  je  vous  en  prie; 
votre  secret  est  en  aussi  grande  assurance  dans  mon 
cœur  que  dans  le  vôtre.  La  Providence  a  voulu  que  je 
n'ignorasse  pas  plus  longtemps  qui  vous  êtes,  la  part 
que  vous  avez  à  certaines  Remarques,  à  certaine  lettre  du 
8  juin  dernier,  et  j'espère  qu'elle  me  rendra  fidèle  au 
secret  qu'elle  m'a  confié. 

Plût  à  Dieu  que  vous  m'eussiez  donné  moyen  de 
vous  écrire  directement,  et  que  vous  eussiez  bien  voulu 
prendre  d'abord  la  confiance  de  vous  plaindre  à  moi 
seul  de  la  peine  que  vous  aviez  contre  moi,  au  sujet  de 
ma  lettre  du  18  février  1698  !  Tout  se  serait  passé  douce- 
ment, sans  que  le  public  y  eût  eu  la  moindre  part.  Vous 
saviez  mon  adresse  et  ma  demeure,  et  vous  ne  risquiez 
rien  en  vous  adressant  à  moi.  Vous  ne  l'avez  pas  jugé 
à  propos,  et  je  me  suis  trouvé  obligé  à  prendre  des 
mesures  que  je  n'aurais  pas  prises. 

Puisque  Dieu  veut  que  j'aie  l'occasion  de  vous  entre- 
tenir et  la  consolation  de  vous  parler  seul  à  seul,  je 
vous  dirai  bonnement  que  je  crois,  ma  chère  sœur, 
que  vous  ne    deviez    pas   prendre  en  mauvaise    part, 

1.  Les  «lumières»  auxquelles  f;iit  allusion  Quesnel  doivent  être  les 
lettres  dont  il  prit  copie  en  pénétrant  dans  la  chambre  d'Ernest  Rutti 
d'Ans. 

2.  Lettre  publiée  à  cette  date. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL         87 

comme  vous  avez  fait,  ce  que  j'avais  dit  à  M.  Boileau 
touchant  la  manière  dont  vos  Remarques  étaient  écrites. 
J'étais  très  persuadé  qu'il  y  avait  de  l'excès  dans  ce 
style.  Cependant  je  ne  m'en  serais  jamais  expliqué  si 
des  personnes  fort  sages  ne  m'en  avaient  vivement  pressé, 
persuadées  qu'elles  étaient  qu'il  était  utile  qu'on  sût 
dans  le  monde  que  ni  Port-Royal,  ni  ceux  qui  lui  étaient 
le  plus  liés,  n'avaient  aucune  part  aux  Re??iarqnes,  et 
même  qu'ils  en  improuvaient  la  manière  et  le  style; 
car,  pour  le  fond,  je  m'en  étais  expliqué  très  avanta- 
geusement. Mais  supposons  que  ces  personnes  et  moi 
nous  nous  fussions  trompés,  et  que  j'aie  eu  tort  de  blâ- 
mer cette  manière  d'écrire.  Gela  valait-il  la  peine  d'être 
relevé  par  une  lettre?  Qu'en  souffriez-vous,  demeurant 
inconnue,  aussi  bien  que  l'auteur  du  livre  que  vous 
défendiez?  Au  lieu  que,  quand  vous  m'avez  repris 
publiquement,  comme  une  personne  qui  rougissait  de 
la  vérité,  c'était  une  personne  en  quelque  façon  publique 
que  vous  repreniez,  une  personne  connue  qui  parlait 
en  faveur  de  son  archevêque  et  qui,  par  cette  double 
raison,  devait  être  plus  ménagée. 

Je  vous  avouerai  encore,  ma  chère  sœur,  que  l'em- 
pressement que  vous  avez  eu  de  rendre  votre  lettre 
publique  m'a  paru  excessif.  L'envoyer  de  Paris  en 
Lorraine,  avec  un  billet  dont  j'ai  l'original,  pour  la 
faire  revenir  à  Paris,  la  répandre  dans  les  grandes 
communautés,  etc.,  permettez-moi  de  vous  dire  que  c'a 
été  une  affectation  trop  grande  et  une  envie  trop 
empressée  de  vous  justifier. 

Je  n'ai  pu  me  refuser  la  satisfaction  que  je  me  devais 
à  moi-même  de  me  justifier  à  mon  tour. 

Cependant  c'était  sans  dessein  de  le  communiquer, 
et,  ne  l'ayant  envoyé  à  Paris  que  pour  en  avoir  le 
sentiment  de  mes  amis  qui  sont  les  vôtres,  j'ai  eu 
beaucoup  de  peine  lorsque  j'ai  appris  qu'il  en  courait 
quelques  copies.  J'en  arrêterais  le  cours  si  cela  m'était 


88         CORRESPONDANCE  DÉ  PASQÙIER  QÙESNÈL 

possible;  mais,  puisque  je  n'en  suis  pas  le  maître,  je  ne 
puis  faire  autre  chose  que  d'abandonner  le  tout  à  Dieu. 

Si  j'ai  désiré,  avant  que  d'avoir  le  bien  de  vous  con- 
naître, de  vous  être  uni,  d'avoir  part  à  votre  charité, 
à  votre  amitié,  je  le  désire  encore  plus  maintenant  que 
je  ne  fais  pas  des  désirs  aveugles  et  que  je  sais  à  qui 
j'ai  l'honneur  de  parler. 

Je  vous  supplie  encore  de  ne  pas  faire  de  finesse 
avec  moi,  comme  je  n'en  fais  point  avec  vous.  Je  ne 
me  suis  ouvert  à  qui  que  ce  soit  de  ma  découverte,  et 
je  n'ai  garde  de  m'en  ouvrir  à  aucun  ni  de  mes  amis 
ni  des  vôtres.  Assurez-vous-en  une  bonne  fois  et  de 
l'entière  sincérité  avec  laquelle  je  vous  écris.  Si  cela 
vous  fait  quelque  peine  de  m'écrire,  ne  le  faites  pas;  je 
suis  sans  façon,  et  je  trouve  une  grande  commodité  à 
m'accommoder  aux  manières  qui  agréent  plus  aux  per- 
sonnes avec  qui  j'ai  affaire. 


Qaesnel  à  M.  Vinllart 

13  avril  1700. 

Il  ne  faut  pas  faire  de  peine  davantage  h  notre  cher 
petit  frère  le  Coq1,  qui  est  si  bien  ergoté  que  je  ne  crois 
pas  qu'il  y  en  ait  dans  la  ménagerie  de  Versailles  qui 
voulût  ergoter  contre  lui.  Puisqu'il  était  maître  de  la 
lettre  qui  lui  a  été  écrite,  je  ne  trouve  pas  mauvais 
qu'il  en   ait  fait  part.  Je  m'en  tiens  à  ce  que  je  lui  ai 

1.  En  note,  de  la  main  de  Mlle  de  Joncoux  :  «C'est  moi  qu'il  nomme 
ainsi,  à  cause  de  la  rue  où  je  demeure.»  La  savante  fille  n'avait  pas  été 
ravie  de  la  lettre  du  P.  Quesnel,  du  30  mars.  «  Si  nous  n'étions  pas  dans 
un  temps,  s'écrie-t-elle,  où  l'exemple  de  notre  divin  Maître  nous 
anime  davantage  à  souffrir  l'humiliation,  mon  orgueil  ne  me  permet- 
trait pas  de  demeurer  dans  l'indifférence  sur  le  reproche  de  mon  pré- 
tendu empressement  à  me  justifier.  Si  j'avais  l'honneur  d'être  connue 
de  lui  comme  je  le  suis  de  vous,  il  verrait  bien  que  mes  manières  d'agir 
sont  beaucoup  plus  sincères  et  plus  simples,  et  enfin  que  mes  relations 
sont  bien  moins  étendues  qu'il  ne  le  pense.» 


CORRESPONDANCE  DE  PASQtlER  QUESNEL        89 

dit,  et  j'ai  fondement  pour  ne  pas  changer  de  sentiment. 
La  lettre  écrite  au  P.  Matthieu  de  Petit-Didier [  n'était  pas 
de  son  écriture,  je  le  sais  hien.Mais  on  change  de  plume 
et  de  main,  quand  on  vent.  Et  on  emprunte  celle  de 
ses  amis,  dans  le  besoin.  Que  s'il  a  des  amis  assez  offi- 
cieux pour  prêter  les  leurs  sans  qu'on  les  en  prie,  je 
ne  veux  pas  dire  comment  on  appelle  cela  dans  le 
monde.  On  le  sait  à  Douai.  Voilà  la  copie  de  la  lettre 
écrite  au  P.  Matthieu.  J'en  ai  l'original,  qui  n'est  pas  du 
caractère  de  notre  frère  le  Coq,  non  plus  que  celle  qui 
m'a  été  écrite  en  son  nom,  d'un  caractère  contrefait.  Si 
ces  deux  lettres  sont  désavouées  de  ce  cher  frère,  à  la 
bonne  heure  !  Mais,  comme  il  peut  se  douter  de  la  main 
d'où  ces  deux  coups  sont  venus,  il  est  de  la  prudence 
et  du  bien  de  la  paix  qu'il  n'en  vienne  pas  une  troisième. 
La  menace  qu'on  a  déjà  faite  au  Père  prieur  [Quesnel] 
d'une  réplique,  dont  on  lui  a  déjà  même  fait  en  quelque 
façon  le  plan  lui  fait  croire  qu'on  s'y  prépare.  J'ai  ré- 
pondu que,  si  elle  venait,  le  Père  prieur  verrait  ce  qu'il 
aurait  à  faire2. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

1er  mai  1700. 

Je  ne  crois  pas  que  ce  soient  les  jésuites  qui  se  vantent 
que  ce  soit  le  P.  de  Jouvency 3  qui  a  fait  le  Problème.  Ils 

1.  Dom  Matthieu  de  Petit-Didier,  bénédictin  de  la  congrégation  de 
Saint-Vanne,  enseignait  la  philosophie  et  la  théologie  à  l'abbaye  de 
Saint-Michel. 

2.  Cette  lettre  ayant  été  communiquée  à  MUc  de  Joncoux,  elle  répond, 
le  22  avril,  à  M.  Vuillart,  et  nie  d'être  l'auteur  du  billet  au  P.  Petit- 
Didier  :  «  Je  n'ai  pu  m'empêcher  de  rire  toute  seule,  en  lisant  les  pre- 
mières lignes  de  la  lettre  du  P.  Quesnel.  Je  ne  crois  pas,  en  effet,  qu'on 
trouvât  dans  la  ménagerie  de  Versailles  un  animal  fait  comme  moi.  Il 
me  semble  que,  sans  trop  m'élever  sur  mes  ergots,  j'aurais  quelque 
sujet  de  me  plaindre  du  P.  Quesnel;  mais  aussi  je  ne  suis  qu'un  petit 
coq  auquel  il  n'est  pas  encore  permis  de  chanter  si  haut.  » 

3.  Le  P.  Joseph  de  Jouvency  enseigna  pendant  vingt  ans  la  rhétorique 


90         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

n'ont  garde  de  reconnaître  que  quelqu'un  des  leurs  y 
ait  mis  la  main  ;  mais  on  l'a  peut-être  su  par  quelque 
envieux  du  choix  qu'on  a  fait  de  lui  comme  historio- 
graphe. Il  faudrait  le  faire  un  peu  parler  sur  cela.  J'en- 
tends quelqu'un  qui  ne  serait  pas  suspect. 

On  m'a  envoyé  de  Paris  une  lettre  de  112  pages, 
écrite  au  duc  du  Maine  par  le  P.  Le  Comte1,  sur  les 
cérémonies  de  la  Chine.  Elle  est  sans  nom  d'imprimeur  ; 
mais  elle  est  signée  du  nom  de  ce  Père,  qui  est,  ce  me 
semble,  confesseur  de  Mme  la  duchesse  de  Bourgogne. 
Ce  ne  sont  que  des  paroles. 

On  a  imprimé  ici  une  traduction  du  Wendrock,  de 
latin  en  français.  Elle  avait  déjà  été  imprimée  à  Lyon. 
Elle  est  très  belle.  Les  jésuites  ne  sauraient  croire  que 
ce  soit  l'ouvrage  d'une  fille.  Cela  est  pourtant  vrai  et 
leur  fera  grand  tort  dans  le  monde  ;  car  les  dames  liront 
cet  ouvrage,  et  beaucoup  d'hommes  même,  qui  ne 
l'auraient  pas  lu  en  latin,  le  liront  en  français. 


Quesnel  à  du  Vancel. 

8  mai  1700. 

On  m'a  envoyé  un  écrit  d'un  jésuite  qui  n'est  encore 
qu'en  manuscrit.  Il  n'en  faut  point  encore  parler,  parce 
qu'on  l'a  vu  par  une  communication  secrète.  Le  titre 
est:  Décision  d'un  cas  de  conscience  touchant  la  lecture 

à  Paris  et  fut  appelé,  en  1699,  à  Rome,  pour  continuer  YIHstoire  de  sa 
société.  11  y  mourut  en  1719,  avec  la  réputation  d'un  des  premiers  huma- 
nistes de  son  temps.  Le  dernier  volume  de  son  Histoire  des  Jésuites, 
qui  finit  en  1616,  fit  beaucoup  de  bruit  en  France  et  fut  condamné 
par  deux  arrêts  du  parlement,  en  1713. 

1.  Le  P.  Louis  Le  Comte,  jésuite,  fut  envoyé  en  Chine  comme  mission- 
naire, en  1685.  Il  publia,  à  son  retour,  deux  volumes  de  Mémoires  in-12, 
en  forme  de  lettres,  sur  cet  empire.  La  faculté  proscrivit  le  livre,  et  le 
parlement  le  condamna  au  feu. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  91 

du  Nouveau  Testament  du  P.  Quesnel,  de  l'Oratoire.  Il 
propose  si  on  peut  en  conscience  le  lire,  et  la  réponse 
est  que  le  conseil  est  d'avis  qu'on  ne  le  peut,  parce 
qu'il  insinue,  en  une  infinité  d'endroits,  les  principaux 
dogmes  de  l'hérésie  jansénienne.  Il  faudra  bien  y 
répondre  dès  qu'on  aura  le  loisir. 

Le  bon  pape  traînera  donc  encore  quelque  temps  la 
tiare.  C'est  une  disposition  qui  n'est  guère  admirable, 
que  de  voir  un  pape  occupé  du  soin  d'un  port  et  d'un 
voyage,  dans  le  temps  où  il  devrait  être  plus  troublé 
de  la  pensée  de  la  mort  et  du  compte  qu'il  doit  rendre 
de  tout  autre  chose  que  d'un  ouvrage  de  terre  et  de 
pierre.  Mais,  telle  vie,  telle  mort.  11  a  gouverné,  à  peu 
près  comme  un  bon  lieutenant  de  police  ou  un  bon 
intendant  des  bâtiments  ;  il  mourra,  occupé  de  ces 
petits  soins  et  sans  avoir  jamais  su  ce  que  c'est  que 
d'être  pape. 

On  m'a  fait  dire,  de  la  part  de  M.  notre  révérend 
Père  [l'archevêque  de  Paris],  qu'il  lui  était  revenu  que 
j'écrivais  pour  répondre  au  Problème,  et  que,  comme  on 
connaissait  mieux  là  ce  qu'il  convenait  de  dire  ou  de 
taire,  il  désirait  que  je  ne  fisse  rien  paraître  qu'après 
l'avoir  communiqué.  C'est  ce  qui  m'embarrasse  ;  car,  si 
j'envoyais  mon  écrit  à  Paris,  on  y  changerait,  ajoute- 
terait,  retrancherait  ce  qu'on  jugerait  à  propos,  et  on 
le  ferait  imprimer  sous  mon  nom  ;  cela  ne  m'accommo- 
derait pas. 


Quesnel  à  du  Vauce . 

22  mai  1700. 

Le  cardinal  de    Bouillon   aura   reçu   sans  doute    la 
permission  qu'il  attendait1.  Vous  savez  peut-être  déjà 

1.  Le  6  avril  1700,  le  cardinal  de  Bouillon  réclame  la  coadjutorerie  de 
Strasbourg.  Il  se  plaint  «  des  sentiments  de  l'archevêque  de  Paris  ;  il 


9É  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

que  c'est  un  ordre  du  roi  qui  lui  commande,  sous  peine 
de  désobéissance,  de  se  retirer  à  Tournus  ou  à  Cluny. 
Le  sujet  est  qu'il  a  écrit  une  lettre  au  roi  sur  l'évôché 
de  Strasbourg,  pour  lequel  l'abbé  de  Soubise  lui  a  été 
préféré,  et  qu'il  y  a  perdu  le  respect  et  écrit  en  termes 
fort  imprudents.  Le  roi  a  témoigné  au  duc,  son  frère, 
qu'il  savait  qu'il  n'a  aucune  part  à  la  conduite  du  car- 
dinal. L'abbé  de  Vaubrun1,  lecteur  du  roi,  soupçonné 
de  liaison  et  de  cabale  avec  lettres,  est  exilé  sur  les 
terres  de  son  père2.  On  faisait  assez  d'estime  de  cet 
abbé,  à  qui  sa  charge  ne  produira  pas  apparemment 
les  fruits  qu'il  en  espérait. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

29  mai  1700. 

J'ai  vu  le  pauvre  M.  Codde3.  Il  m'avait  mandé  son 
extrême    opposition  au  voyage,  et  je    l'y  trouvai,    en 

n'y  a  rien  qu'il  ne  fasse  pour  faire  réussir  cette  coadjutorerie  en  faveur 
de  M.  l'abbé  de  Soubise  ».  Il  insiste  aussi  très  vivement  pour  avoir 
permission  de  se  rendre  à  Paris  :  «  Par  ce  moyen,  Sire,  je  détruirai  au 
moins  les  idées  ridicules  dont  on  me  chamarre,  de  papauté  pour  moi 
ou  pour  quelque  autre  contre  les  intérêts  et  les  intentions  de  Votre 
Majesté.  »  La  réponse  du  roi,  du  26  avril  1700,  est  très  dure  pour  le 
cardinal  :  «  Mon  intention  est  qu'aussitôt  que  vous  aurez  reçu  du  prince 
de  Monaco  cette  lettre  que  je  lui  adresse  vous  partiez  sans  chercher 
aucun  prétexte  de  différer  et  que  vous  vous  rendiez  à  votre  abbaye  de 
Cluny  ou  à  celle  de  Tournus.  Vous  pourrez  aller  de  l'une  à  l'autre, 
mais  vous  me  désobéiriez  si  vous  sortiez  de  cette  étendue.  »  (Aff.  étr., 
Rome,  404.) 

1.  Nicolas-Guillaume  de  Bautru,  abbé  de  Vaubrun.  ayant  obtenu  la 
charge  de  lecteur  du  roi,  «  ce  vilain  et  dangereux  escargot  se  produi- 
sit à  la  cour.  Le  cardinal  de  Bouillon  le  reconnut  bientôt  pour  ce 
qu'il  était.  Il  lui  fallait  de  tels  pions  pour  jeter  en  avant,  il  se  trouva 
son  espion,  son  agent,  son  correspondant  dans  toute  sa  conduite  à 
Rome,  cl,  d'un  coup  de  pied,  il  fut  chassé».  (Saint-Simon,  1700.) 

2.  A  Serrant,  en  Anjou. 

3.  M.  de  Sébaste,  archevêque  d'Utrecht,  appelé  à  Rome  sous  le  vain 
prétexte  du  jubilé,  en  réalité  pour  y  rendre  compte  de  sa  doctrine, 
soupçonnée  de  jansénisme. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        93 

effet,  extrêmement  opposé.  Tous  les  amis  de  son  pays 
l'y  avaient  confirmé,  et  il  me  parut  tout  à  fait  déter- 
miné à  n'y  point  penser.  Je  voyais  bien  de  bonnes  raisons 
pour  cela;  mais  il  me  paraissait  néanmoins  que  c'était 
mettre  ses  affaires  dans  un  état  désespéré,  si  on  ne  le 
faisait  pas,  au  lieu  qu'en  s'y  rendant  on  pouvait  espé- 
rer encore  quelque  chose.  Le  résultat  fut  de  gagner  du 
temps  et  de  voir  comment  son  entrevue  avec  le  ministre 
se  passerait.  Elle  se  passa  fort  bien  pour  l'accueil  et  les 
honnêtetés;  mais,  comme  il  se  tenait  toujours  ferme 
pour  la  négative,  le  ministre  n'en  était  pas  content.  Il 
lui  envoya  son  carrosse,  les  invita  tous  à  dîner  ;  enfin  il 
l'a  tant  pressé  qu'il  a  comme  promis  défaire  le  voyage; 
mais  le  ministre  a  bien  vu  que  c'était  en  rechignant, 
dont  moult  lui  déplaisait.  Il  lui  a  donné  jusqu'à  la  fin 
de  juin  pour  se  disposerai!  voyage.  Le  pauvre  M.  Godde 
était  bien  abattu,  et  les  médecins  qui  ont  consulté  son 
état  sont  persuadés  qu'un  tel  voyage  l'exposerait  à 
un  danger  fort  grand  de  maladie  ou  de   mort. 

Une  des  choses  qu'il  craint  est  qu'on  ne  lui  propose, 
de  ce  côté-là,  la  signature  du  formulaire,  et  il  y  est  fort 
opposé.  Outre  cela,  je  vois  bien  qu'il  n'est  pas  accou- 
tumé aux  manières  de  Home.  Il  craint  qu'étant  là  on  ne 
trouve  moyen  de  l'y  accrocher  longues  années  par  des 
chicaneries  sans  fin. 


Qaesnel  à  du  Vaucel 

o  juin  1700. 

Je  fais  état  d'aller  faire  un  tour  à  Mons  la  semaine 
prochaine,  et  peut-être,  mais  entre  vous  et  moi,  irai-je 
plus  loin.  Notre  Père  prieur  [Quesnel]  est  un  peu  en  peine 
de  ce  qu'il  deviendra.  L'hospice  où  il  a  été  jusqu'à  pré- 
sent est  trop  connu;  il  n'est  plus  tenable.  Il  y  a  long- 
temps qu'un  grand  nombre  de  personnes  le  sait  et  gens 


94         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

non  affectionnés.  Mais  ce  qui  est  singulier  et  secret  est 
que  le  sieur  van  Susteren,  officiai  et  conseiller  dômes  - 
tique  de  M.  de  Malines,  qui  a  deux  ou  trois  frères 
jésuites,  a  demandé  depuis  peu  au  P.  Prévost,  de 
l'Oratoire,  et  à  un  autre  de  la  même  maison,  si  ce 
Père  prieur  n'était  pas  logé  en  tel  lieu,  en  mettant  le 
doigt  dessus.  Gela  n'est  pas  fort  agréable  pour  un 
homme  qui  ne  veut  voir  personne,  car  les  visites  de 
ces  messieurs  du  grand  monde  l'incommodent.  J'ai 
conseillé  au  Père  prieur  de  mettre  en  sûreté  .ses  papiers 
et  de  s'aller  promener  pour  quelque  temps,  pendant 
lequel  il  prendra  conseil  de  ses  amis  pour  chercher  un 
autre  hospice  plus  retiré. 


Que  sue  l  à  du  Vaucel 

3  juillet  1700. 

Je  crois  que  je  vous  ai  mandé  que  je  dois  aller  en 
campagne  ;  mais  j'ai  oublié  de  vous  dire  que  je  n'avais 
bougé  d'ici  et  que  mon  voyage  était  différé  jusqu'à  la 
fin  de  ce  mois. 

J'appris  jeudi,  par  une  lettre  de  Paris  du  29,  qu'un 
courrier  avait  apporté  la  nouvelle  du  cardinalat  de 
M.  l'archevêque  de  Paris,  à  lui  conféré  par  le  pape  motu 
proprio].  Le  lendemain,  il  en  était  allé  porter  la  nouvelle 
au  roi.  Le  pape,  pour  prélude  de  cette  grâce,  avait  fait 
l'éloge  du  prélat,  en  parlant  au  député  des  missions. 
Dieu  veuille  en  tirer  sa  gloire! 

Vous  aurez  appris  des  nouvelles  de  l'assemblée  du 
clergé.  Vous  aurez  été  surpris  d'apprendre  que  M.  de 

1.  La  lettre  du  prince  de  Monaco  au  marquis  de  ïorcy  est  datée  de 
Rome,  21  juin,  dix  heures  de  malin  :  «  Le  pape,  écrit-il  en  annonçant 
la  promotion  du  cardinal  de  Noailles,  a  tenu  ce  matin  un  consistoire 
expressément  pour  cela.  »  (AU',  étr.,  Rome,  406.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        95 

Reims  lui  a  dénoncé  le  recueil  contre  Sfondrate.  C'est 
M.  de  Meaux  qui  fait  ce  vacarme.  Il  a  déclamé  à 
outrance  contre  les  jansénistes.  Il  se  plaignit  de  ce 
grand  nombre  de  libelles  qu'ils  répandaient,  dont 
presque  aucun  n'était  exempt  de  propositions  erronées 
et  téméraires,  et  indiqua  même  la  Causa  Arnaldina,  en 
disant  qu'ils  avaient  la  hardiesse  de  crier  :  «  Retour- 
nons au  jugement.  »  Je  ne  comprends  pas  comment  un 
homme  d'esprit  s'amuse  à  faire  un  éclat  sur  si  peu 
de  chose,  quand  il  serait  aussi  vrai  qu'il  y  aurait  là 
quelque  chose  de  mal.  Tout  le  mal  que  j'y  trouve  est 
que  l'expression  du  «  fantôme  »  est  trop  forte  et  qu'elle 
peut  choquer  les  évoques  qui  ont  eu  part  aux  délibéra- 
tions du  clergé;  mais  cela  vaut  bien  la  peine  d'être 
relevé  dans  une  assemblée  d'évêques  ! 


Quesnel  à  du  Vaucel 

10  juillet  1700. 

Vous  savez  sans  doute  tous  les  mouvements,  et  de 
l'assemblée  de  Sorbonne  contre  les  livres  des  jésuites 
idolâtres,  et  de  l'assemblée  du  clergé  contre  le  jansé- 
nisme et  le  rnolinisme  tout  ensemble.  M.  de  Meaux  est 
si  échauffé  et  parle  si  pontificalement  et  si  patriarcale- 
ment,  qu'il  pourra  bien  entraîner  les  autres  dans  son 
entêtement  et  faire  faire  quelque  condamnation  saugre- 
nue de  YAnti-Nodus.  Il  faut  les  attendre  et  se  résoudre 
à  tout.  C'est  un  jugement  terrible  sur  ces  évoques  de 
cour,  qu'ils  ne  soient  bons  qu'à  s'opposer  à  la  vérité  et 
à  ruiner  la  paix  de  l'Eglise.  Il  faut  que  ces  messieurs 
se  fassent  valoir  par  quelque  endroit.  Vous  savez  les 
commissaires?  MM.  de  Meaux,  de  Chalon-sur-Saône1, 

1.  Henry-Félix  de  Tassy,  évêque  de  1677  à  1711. 


96  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

de  Rennes1,  de  Séez2,  de  Cahors3  et  de  Troyes4,  et  les 
abbés  de  Pomponne5,  de  Caumartin6,  de  Louvois7,  de 
Bossuet8.  Après  l'emportement  avec  lequel  l'oncle  de 
ce  dernier  s'est  déclaré,  il  serait  récusable.  On  regarde 
comme  bien  intentionnés  ces  trois  premiers  abbés  et 
les  évoques  de  Chalon  et  de  Rennes  ;  mais  le  grand 
nombre  opinera  du  bonnet.  Une  gazette  dit  que  le  car- 
dinal de  Noailles  (qui  avait  été  invité  à  l'assemblée 
avant  son  cardinalat)  se  trouvera  à  la  tête  de  ce  bureau, 
et  cela  me  paraît  indubitable;  car  il  entendrait  mal  les 
intérêts  de  son  caractère  s'il  souffrait  un  examen  de  la 
doctrine  dans  son  diocèse  sans  qu'il  en  fût,  car  ces  mes- 
sieurs sont  des  juges  arbitraires  hors  de  chez  eux. 

Le  P.  Le  Comte,  confesseur  de  la  duchesse  de  Bour- 
gogne, a  été  congédié.  C'est  une  mortification  qu'il  s'est 
sottement  attirée,  en  mettant  son  nom  et  en  se  signa- 
lant pour  l'idolâtrie  chinoise. 


1.  Jean-Baptiste  de  Beaumanoir  de  Lavardin,  évoque  de  1678  à  1711. 

2.  Louis  11  d'Aquin,  évêque  de  1699  à  1710. 

3.  Henri  de  Briqueville  de  la  Luzerne.  (Voir  la  note  du  26  juin  1693.) 

4.  Denis-François  de  Bouthillier  de  Chavigny,  «  homme  de  vertu,  dit 
Saint-Simon,  de  savoir,  de  mœurs  et  de  mérite  »,  évoque  de  Troyes 
de  1697  à  1716. 

5.  L'abbé  Henri-Charles  de  Pomponne,  fils  du  marquis  de  Pomponne 
fut  ambassadeur  à  Venise  en  1704. 

6.  Jean- François-Paul  Lefèvre  de  Caumartin,  directeur  de  l'Académie, 
alors  en  disgrâce  pour  avoir  ridiculisé,  dans  son  discours  de  réception, 
l'évêque  de  Noyon,  M.  de  Clermont-Tonnerre.  «  11  était  plein  d'es- 
prit et  de  savoir  »,  dit  Saint-Simon.  Mais,  tout  en  restant  de  doctrine 
et  de  cœur  lié  jusqu'à  la  fin  aux  jansénistes,  lorsqu'il  mourra  évêque  de 
Blois,  Colbert  de  Croissy,  évêque  de  Montpellier,  pourra  dire  de  lui  : 
«  Je  le  regrette  beaucoup,  voilà  une  lampe  encore  éteinte,  mais  de  ces 
lampes  que  vous  appelez,  avec  grande  raison,  des  lampes  obscures.  » 
(OEuvres  de  Colbert  de  Croissy,  t.  III.) 

7.  Le  pauvre  abbé  de  Louvois  ne  put  jamais  vaincre  les  soupçons 
que  les  jésuites  et  M"18  de  .Maintenon  donnaient  sans  cesse  au  roi  sur 
son  amitié  avec  les  jansénistes.  Neveu  de  l'archevêque  de  Reims,  «  il 
eût  été,  dit  Saint-Simon,  un  très  digne  évêque,  que  les  jésuites  empê- 
chèrent d'être  placé  et  qui  aurait  honoré  et  paré   l'épiscopat  ». 

8.  Jacques-Bénigne  Bossuet,  futur  appelant  de  la  bulle  Unigeniius, 
devint  évêque  de  Troyes  en  1716. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        97 

Quesnel  à  du  Vaucel 

Bruxelles,  17  juillet  1700. 

Je  vous  l'ai  déjà  dit,  que  vous  n'en  aviez  pas  les  gants 
pour  la  nouvelle  de  la  promotion.  J'en  ai  de  la  joie, 
parce  que  je  crois  que  le  nouveau  cardinal1  n'en  sera 
pas  si  enflé  qu'un  autre  et  qu'il  se  servira  de  ce  nou- 
vel éclat  pour  relever  celui  de  la  vérité  dans  les  occa- 
sions. Une  gazette  de  Hollande  parlait  des  cabales  que 
les  jésuites  faisaient  pour  empêcher  la  promotion  ;  mais 
la  gazette  arriva  à  Paris,  le  même  jour,  dit-on,  que  la 
barrette.  Je  n'ai  rien  appris  de  rassemblée.  On  m'a 
appris  qu'il  y  a  des  personnes,  de  celles  qui  sont  écou- 
tées, qui  avaient  parlé  pour  rabattre  les  coups  et  empê- 
cher qu'on  ne  fasse  rien  de  mal  à  propos  contre  YAnti- 
Nodus;  on  l'espère.  Cependant,  ce  qui  dépend  des  gens 
qui  veulent  faire  claquer  leur  fouet  est  fort  incertain. 
Il  faut  les  attendre  et  les  bien  battre,  s'ils  font  les  sots; 
mais  il  n'y  a  guère  d'apparence  que  ces  messieurs-là 
veuillent  remuer  le  bout  du  doigt  pour  rien  qui  déplaise 
au  pape.  L'un  a  la  pourpre,  l'autre  l'attend,  un  troi- 
sième la  désire.  C'est  maintenant  à  M.  de  Reims  et  à 
M.  de  Meaux  à  tirer  au  court  bâton. 

Je  suis  encore  ici  à  mon  gîte  ordinaire.  Je  serai  libre, 
comme  j'espère,  la  semaine  où  nous  allons  entrer. 

Quesnel  à  du  Vaucel 

Bruxelles,  24  juillet  1700. 

Le  P.  Le  Comte,  ex-confesseur  de  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne,  est  parti  pour  se  rendre  à  Rome,  par  Lyon. 
Les  jésuites  se  tuent  à  dire  que  c'est  une  calomnie  que 

1.  Le  cardinal  de  Noailles. 

il»  7 


98         CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

ce  qui  se  publie  de  sa  disgrâce  ;  qu'au  contraire  il  a 
fallu  faire  de  grandes  instances  auprès  du  roi  pour 
obtenir  la  liberté  de  le  retirer  et  de  l'envoyer  à  Rome 
et,  de  là,  à  la  Chine,  pour  les  affaires  de  la  mission.  Ils 
donnèrent  hier  un  mémoire  au  gazetier  d'ici,  pour  faire 
mettre  à  la  gazette  de  mardi  prochain  ce  petit  conte 
justificatif.  On  dit  qu'il  y  a  un  autre  jésuite  nommé 
pour  confesseur  de  la  princesse1,  qui  désirait  celui  de 
Mme  de  Maintenon,  qui  est  M.  Tiberge. 

Il  faut  prier  Dieu  pour  M.  de  Meaux,  qui  n'est  ni  pur 
augustinien,  ni  pur  thomiste,  mais  qui  des  deux  a  pris 
ce  qui  convient  à  ses  idées.  Il  est  aussi  puissant  dans  sa 
situation  présente  qu'il  y  est  dangereux.  Rien  que  Dieu 
ne  lui  peut  résister.  Il  continue  à  déclamer,  à  jeter  feu 
et  flamme  contre  le  jansénisme. 

Je  n'ai  point  vu  encore  la  nouvelle  édition  du  Saint 
Léon.  Je  crois  qu'il  n'y  a  qu'un  volume  qu'on  peut  relier 
en  deux.  On  en  présentera  un  de  ma  part  à  dom  Antoine 
[cardinal  de  Noailles],  accompagné  d'une  lettre  de  com- 
pliment sur  sa  nouvelle  abbaye.  Ce  n'est  pas  la  première 
fois  que  je  lui  ai  écrit;  mais,  comme  il  ne  s'en  vantera 
pas,  il  se  faut  bien  garder  aussi  de  le  dire  à  personne. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

Paris,  12  août  1700. 

J'ai  reçu,  Monsieur,  votre  lettre  un  peu  tard,  parce  que 
je  suis  en  voyage.  Je  vous  écris  de  chez  M.  Le  Rruleur 
[Le  Noi?'],  qui  vint  mardi  dernier  au-devant  de  moi  et 
me  conduisit  au  lieu   qu'on  m'avait  préparé.  Je  n'ai 

1,  «  On  fit  essayer  plusieurs  jésuites  à  M",e  la  duchesse  de  Bourgogne, 
qui  aurait  bien  voulu  se  confesser  à  pas  un»,  dit  Saint-Simon.  Et  M",e  de 
Coulanges  écrit,  le  30  juillet  1700  :  «  Une  des  grandes  nouvelles  du  monde, 
c'est  que  Mmo  de  Bourgogne  changera  de  confesseur  aussi  souvent  qu'elle 
voudra,  pourvu  qu'il  soit  jésuite.  » 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  99 

point  voulu  loger  chez  aucun  de  nos  amis  pour  ne 
point  donner  de  jalousie  et  pour  d'autres  raisons. 

J'apprends  que  MM.  du  clergé  ont  résolu  de  ne  point 
toucher  aux  propositions  de  la  préface,  hors  celle  du 
fantôme  et  quelques  autres  semblables  qui  ne  sont  pas 
dogmatiques. 

Comme  je  suis  ici  sans  grand  commerce,  je  ne  vous 
dirai  rien  davantage.  Les  prélats  sont  embarrassés.  S'ils 
sont  obligés  de  reculer,  cela  ne  leur  fera  guerre  d'hon- 
neur, et,  s'ils  ne  reculent  pas,  ils  feront  des  démarches 
qu'on  ne  manquera  pas  de  relever. 


Qnemel  à  du  Vancel 

Paris,  1er  septembre  1700. 

J'ai  reçu  toutes  vos  lettres,  Monsieur,  et  la  dernière, 
du  7,  nous  apprenait  la  maladie  du  bon  pape  et  en  même 
temps  qu'il  était  mieux1.  Mais  un  courrier  qui  arriva 
dimanche,  à  neuf  heures  du  soir,  apporta  la  nouvelle 
qu'il  était  à  l'extrémité.  Dieu  sait  ce  qu'il  veut  faire  de 
ce  pape  et  tout  ce  que  sa  mort  peut  avoir  de  suites  ! 

On  ne  parle  que  de  l'affaire  du  cardinal  de  Bouillon2. 
Il  semble  qu'on  le  veuille  pousser  à  bout.  On  a,  dit-on, 
déjà  fait  consulter  du  côté  de  la  cour,  et  M.  le  premier 
président  et  les  gens  qui  peuvent  parler  sur  une  telle 

1.  En  effet,  après  des  dépêches  fort  alarmantes,  le  prince  de  Monaco 
écrit  au  roi,  le  31  août  1700:  «  Cette  dernière  nuit  a  été  bien  meilleure. 
Il  a  reposé,  il  n'a  point  eu  de  redoublement  de  fièvre.  Les  matières  qu'il 
a  rendues  se  sont  trouvées  plus  liées  et  plus  digestes  que  les  précé- 
dentes. On  commence  à  reprendre  quelque  espérance  de  la  vie.  »  (Aff. 
étr.,  Rome,  407). 

2.  Le  cardinal  avait  quitté  Rome,  puis  subitement  y  rentrait,  en 
apprenant  la  mort  du  cardinal  Cibo,  afin  de  faire  valoir  les  droits  qu'il 
avait  de  lui  succéder  au  décanat.  Le  prince  de  Monaco  refuse  de  le  voir 
et  lui  écrit  «  que  c'était  là  l'une  des  plus  misérables  journées  de  sa  vie  ». 
(Aff.  étr.,  Rome,  406.) 


100  CORRESPONDANCE    DE    PASQUÏER    QUESNEL 

conjoncture,  pour     voir  quelles    mesures    on   pourra 
prendre. 

Je  m'imagine  que  quelque  puissance  se  mettra  entre 
deux  et  se  rendra  intercesseur  auprès  du  roi  pour  l'apai- 
ser, quoiqu'il  paraisse  que  les  choses  sont  fort  aigries. 
Le  roi,  qui  a  comblé  ce  cardinal  de  bienfaits,  s'atten- 
dait à  en  recevoir  plus  de  reconnaissance  et  que  sa  sou- 
mission à  ses  ordres  en  rendrait  témoignage.  Heureux 
qui  n'est  point  exposé  à  de  grandes  chutes  par  une  grande 
élévation  ! 


Quesnel  à  du  Vaucel 

Paris,  7  septembre  1700. 

Je  suis  encore  dans  la  grande  ville,  d'où  j'espère 
partir  la  semaine  prochaine,  pour  reprendre  la  route 
de  notre  province.  Vous  savez  peut-être  déjà  que 
l'assemblée  du  clergé  a  fini  l'affaire  de  la  censure  des 
propositions,  tant  de  celles  qui  concernent  le  jansénisme 
que  celles  de  la  morale.  On  dit  que  tout  ce  que  M.  de 
Meaux  avait  dit,  en  dernier  lieu,  contre  les  jansénistes 
se  réduisait  à  prouver  qu'il  y  avait  des  gens  inquiets, 
qui  n'avaient  pas  le  respect  qu'ils  devaient  pour  les 
constitutions,  qui  les  croyaient  injustes  et  qui  s'élevaient 
témérairement  contre  la  décision  du  Saint-Siège,  accep- 
tée par  les  évêques,  sans  doute  à  l'égard  du  fait  con- 
testé. 

On  dit  qu'il  y  a  un  arrêt  du  conseil  qui  supprime  la 
charge  de  grand-aumônier  et  ordonne  la  saisie  du  tem- 
porel du  cardinal  de  Bouillon,  dont  le  tiers  sera  employé 
en  faveur  des  pauvres,  le  second  tiers  aux  réparations, 
et  le  troisième  à  payer  les  dettes  du  cardinal.  On  a  pris 
la  voie  de  la  suppression  et  le  canal  du  conseil,  parce 
que  M.  le  premier  président  et  M.  d'Aguesseau  ont 
représenté  qu'on  ne  pouvait  le  faire   au  parlement  et 


CORRESPONDANCE    DE    PASQLIER    QUESNEL  101 

qu'il  faudrait  faire  le  procès  dans  les  formes  à  cette 
Eminence.  Voilà  pousser  les  choses  bien  loin,  et  cet 
engagement  pourra  avoir  des  suites  fâcheuses  et  embar- 
rassantes, soit  dans  le  conclave  ou  dans  les  consistoires. 
Quelque  puissance  se  mettra  peut-être  entre  deux  dans 
la  suite  et  s'emploiera  pour  calmer  la  juste  indigna- 
tion du  roi  contre  un  sujet  accablé  sous  les  poids  de 
ses  bienfaits.  On  songe  toujours  à  partir  pour  Home, 
au  premier  avis  de  la  mort  du  pape;  on  me  dit  hier 
que  M.  l'abbé  Henaudot1  serait  un  des  conclavistes  de 
M.  le  cardinal  de  Noailles.  A  moins  qu'il  ne  parte  subi- 
tement, je  le  verrai;  j'entends  ce  prétendu  conclaviste. 
M.  l'abbé  de  Louvois  partira  à  la  lin  de  ce  mois.  11  a  un 
ecclésiastique  pour  secrétaire,  qui  a  bien  du  mérite;  il 
se  nomme  M.  Louait2.  Il  m'a  demandé  une  lettre  pour 
vous;  vous  pouvez  agir  avec  lui  avec  toute  confiance3. 
L'affaire  de  la  Chine  s'examine  toujours  en  Sorbonne. 
Les  jésuites  ont,  jusqu'à  présent,  la  pluralité;  mais  ils 
ne  l'auront  pas  longtemps,  et  on  espère  que  le  bon 
parti  triomphera. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux,  à  Paris'* 

Paris,  14  septembre  1700. 

Voilà,  mon  cher  enfant,  ce  que  vous  avez  désiré  de 
moi.  Vous  voyez  avecquelle  confiance  j'agis  avec  vous. 

1.  Eusèbe  Renaudot  prit  l'habit  ecclésiastique  et  la  simple  tonsure 
pour  avoir  plus  de  facilité  à  s'appliquer  à  l'étude  de  la  théologie  et  des 
langues.  «  11  avait,  dans  ses  relations  avec  M.  Arnauld,  dit  le  Nécrologe^ 
pris  l'esprit,  les  maximes  et  la  conduite  de  Port-Royal.  » 

2.  Louail,  prêtre,  prieur  d'Auzay,  fut  élevé  avec  labbé  de  Louvois  et 
ne  le  quitta  qu'à  sa  mort,  survenue  en  1717.  11  vécut  dès  lors  dans  la 
retraite,  sur  la  paroisse  de  Saint-Etienne-du-Mont,  et  fut  appelant  et 
réappelant  de  la  bulle  Unkjenilus. 

3.  11  ajoute  dans  une  autre  lettre,  du  14  octobre:  «  C'est  un  fort  hon- 
nête homme  et  d'une  grande  et  exacte  piété.  C'est  un  homme  à  qui  on 
peut  se  fier.  M.  l'abbé  le  considère  beaucoup.  » 

4.  Quesnel    fit,    durant    ce    voyage    à    Paris,    la    connaissance    de 


102  CORRESPONDANCE    DE    PASQUlER    QUESNEL 

Vous  m'avez  promis  de  me  les  renvoyer.  N'y  manquez 
pas,  je  vous  prie;  autrement  je  ne  serais  pas  content.  J'en 
ferai  ensuite  ce  que  vous  voudrez;  car  je  vous  assure 
que  je  me  suis  uni  à  vous  très  intimement  et  que  je 
serai  toujours  très  disposé  à  vous  faire  connaître  que  je 
suis,  avec  toute  la  sincérité  possible,  entièrement  à  vous. 
Croyez-le  bien,  je  vous  en  conjure,  et  aimez-moi  dans 
la  vérité  qui  nous  unit,  et  que  je  supplie  de  tout  mon 
cœur  qui  nous  fasse  être  à  elle  de  plus  en  plus. 


ilillc  de  Joncoux  au  P.  Quesnel 

15  septembre  1700. 

Vous  voyez.  Monsieur,  jusqu'où  va  ma  bonne  foi  et 
mon  exactitude  à  tenir  ma  parole.  Je  ne  veux  point 
balancer  à  croire  que  vous  me  tiendrez  la  vôtre.  Sou- 
venez-vous seulement  de  la  manière  positive  avec 
laquelle  vous  me  l'avez  donnée,  en  m'assurant  que  vous 
brûlerez  ce  que  je  vous  rends.  Vous  savez,  Monsieur, 
que  cela  ne  vous  appartient  pas,  ne  l'ayant  eu  qu'en 
violant  les  règles  de  la  probité  et  de  la  bonne  foi.  Le 
plus  tôt  sera  ]e  meilleur,  si  vous  voulez  que  je  sois 
convaincue  de  la  sincérité  des  sentiments  que  vous 
m'avez  témoignés  par  rapport  à  cela.  Si  j'avais  l'hon- 
neur de  vous  voir,  je  suis  persuadée  que  vous  n'hési- 
teriez pas  un  moment  à  me  donner  cette  preuve  ;  mais 
j'espère   que  le  premier  billet  dont  vous  m'honorerez 

xMlle  de  Joncoux.  «  On  me  mande  que  vous  êtes  ravie  d'avoir  vu 
M.  de  Fresne  [Quesnel]  »,  écrit  M.  Ernest  Ruth  d'Ans  à  la  «  chère 
sœur  »,  en  la  «  congratulant  »  de  ce  qu'elle  est  dans  la  joie  à  l'espoir 
de  le  voir  dîner  chez  elle.  (31  août  1700,  Archives  d'Amersfoort,  boîte  11.) 
En  note  de  cette  lettre  origina  le  du  P.  Quesnel,  il  y  a,  de  l'écriture  de 
Mlle  de  Joncoux  :  «  Ce  billet  est  de  M.  de  Fresne  et  accompagnait  les 
lettres  qu'il  a  volées  et  qu'il  m'envoyait,  parce  que  je  l'avais  prié 
de  me  les  faire  voir.  »  11  s'agit  toujours  de  la  perquisition  faite  par  le 
P.  Quesnel  dans  les  papiers  de  M.  Ernest  Iluth  d'Ans,  qu'il  soupçonnait, 
avec  raison,  d'une  certaine  fausseté  à  son  égard. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIËR    QUËSNEL  103 

m'apprendra,  d'une  manière  bien  précise  et  sans  res- 
trictions mentales,  que  vous  vous  serez  acquitté  de 
votre  promesse.  Je  ne  puis  vous  exprimer,  Monsieur, 
combien  je  vous  honore  et  avec  quelle  reconnaissance 
je  ressens  toutes  les  honnêtetés  que  vous  m'avez 
témoignées,  et  surtout  la  part  que  vous  me  donnez  à 
votre  amitié,  qui  me  sera  toujours  très  chère1. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

Paris,  15  septembre  1700. 

J'ai  encore  reçu  votre  dernière  du  21  dans  la  grande 
ville,  mais  je  n'y  en  recevrai  plus;  car  je  pars  demain, 
s'il  plaît  à  Dieu,  pour  m'en  retourner,  non  par  le  che- 
min le  plus  court. 

Vous  saurez,  avant  que  cette  lettre  vous  l'apprenne, 
que  M.  le  cardinal  de  Coislin  est  fait  par  le  roi  grand 
aumônier2,  non  de  France  (car  on  a  découvert  que  ce 
n'est  point  une  charge  de  la  couronne),  mais  du  roi,  ce 
qui  donne  à  Sa  Majesté  le  plein  pouvoir  d'en  disposer 
sans  faire  le  procès  à  celui  qu'il  en  dépouille.  Ce  sera 
un  grand  procès  entre  ces  deux  Eminences;  mais  celle 
qui  aura  le  roi  pour  solliciteur  sera  bien  forte,  et  celle 
qui  l'aura  pour  partie  ne  sera  pas  fort  à  craindre. 

Le  P.  Valois3,  confesseur  des  trois  princes  de  France, 

1.  Nous  verrons  la  suite  de  cette  discussion  dans  une  lettre  de 
M11"  de  Joncoux,  du  20  janvier  1701,  et  dans  une  réponse  très  curieuse 
du  P.  Quesnel,  du  5  février  de  la  même  année. 

2.  «  Le  désespoir  du  cardinal  de  Bouillon  fut  extrême,  en  apprenant  cet 
arrêt  et  sa  charge  donnée  au  cardinal  de  Coislin,  qui  n'osa  la  refuser. 
Son  embarras  fut  l'Ordre.  M.  de  Monaco  le  fit  avertir  que,  s'il  ne  le 
quittait,  il  avait  ordre  de  le  lui  aller  arracher  du  col.  »  (Saint-Simon, 
éd.  de  Boislisle,  VII,  199.)  L'ordre  du  Saint-Esprit  était  attaché  non  à 
la  personne,  mais  à  la  charge  de  grand-aumônier. 

3.  «  Le  P.  Valois,  jésuite  célèbre,  mais  meilleur  homme  que  ceux-là 
ne  le  sont  d'ordinaire,  mourut  d'une  longue  maladie  de  poitrine.  C'était 
un  homme  doux  d'esprit  et  de   mérite,   qui  fut   et  qui   mérita   d'être 


104  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

est  mort.  11  leur  en  faudra   un  autre;  mais  je   ne  suis 
pas  chargé  de  le  fournir. 


Quesnel  à  du  Vancel 

Orval,  14  octobre  1700. 

Il  y  a  trois  semaines  que  je  suis  ici1,  et  je  m'y  trouve 
si  bien  que  j'ai  peine  à  en  sortir.  Si  les  papiers  se 
pouvaient  transporter  aisément  et  que  dans  une  commu- 
nauté on  pût  demeurer  inconnu,  je  planterais  ici  mon 
bourdon;  car  il  y  a  un  ermitage,  dans  l'enceinte  de  la 
maison  et  à  l'entrée  du  bois,  qui  est  fort  tentant.  Avec 
un  compagnon  qui  aimerait  la  solitude,  on  pourrait 
attendre  là  l'éternité  avec  beaucoup  de  douceur.  Il  y  a 
une  chapelle,  maison,  et  tout  ce  qui  est  nécessaire 
pour  un  ménage  d'ermite  et  pour  la  sainte  messe. 
Il  y  a  un  jubé  et  une  petite  orgue,  des  allées  admi- 
rables et  l'entrée  dans  le  bois,  où  il  y  a  de  petits  ora- 
toires et  de  belles  allées.  Gela  ne  vous  tente-t-il  point? 
Mais  il  faut,  avant  que  de  répondre,  aider  M.  Godefroi 
(Codde,  archevêque  d'Utrecht)  à  terminer  ses  affaires  et 
plier  bagage.  Apparemment  vous  aurez  un  conclave 
avant  de  partir,  et  vous  nous  donnerez  un  nouveau 
pape. 

La  mémoire  de  feu  M.  de  Pontchâteau  est  ici  en 
bénédiction.  Il  a  beaucoup  contribué  à  perfectionner  la 
réforme  et  à  former  des  sujets.  Son  portrait  en  tableau 
est  dans  la  bibliothèque,  et  il  y  a  une  armoire  où  l'on  a 
conservé  ses  livres,  qu'il  a  laissés  à  la  maison.  Tout  y 

regretté.  »  (Saint-Simon,  VII,  190.)  Louis  Le  Valois,  «  regardé  comme  un 
homme  de  Dieu  »,  dit  le  Nouveau  Dictionnaire  historique,  était  né  à 
Melun,  en  1839.  11  laissa  des  OEuvres  spirituelles  et  un  volume  contre 
les  sentiments  de  Descartes. 

1.  A  l'abbaye  d'Orval,  de  Tordre   de  Cîteaux,  entre  Sedan  et  Luxem- 
bourg, à  cinquante-cinq  lieues  de  Paris. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  105 

est  édifiant,  et,  dans  une  maison  composée  de  près  de 
deux  cents  personnes,  le  silence  est  observé  si  religieu- 
sement partout  que  la  basse-cour  est  presque  aussi 
silencieuse  que  le  cloître.  Il  y  a  environ  soixante-dix 
religieux,  outre  une  douzaine  qui  sont  dans  une  soli- 
tude à  trois  lieues  d'ici,  qui  est  une  dépendance  de 
l'abbaye1.  Il  y  a  cinquante  futurs  convers,  qui  travaillent 
tous  dans  un  silence  admirable.  Enfin  c'est  ici  la  terre 
des  saints  et  un  lieu  bien  propre  à  attendre  le  Seigneur. 
Je  l'avais  proposé  autrefois  à  une  certaine  personne,  et 
qu'il  y  trouverait  repos  et  consolation.  Mais  une  amitié 
humaine  le  tient  captif,  et  la  mort  le  trouvera  dans  ces 
liens.  Pour  moi,  j'aimerais  bien  mieux  mourir  dans 
une  cellule  d'Orval  que  dans  une  cellule   du  conclave. 

Vous  aurez  ouï  parler  du  dernier  volume  de  Saint 
Augustin.  Il  y  a  des  pauvretés  dans  la  préface,  et  c'est 
M.  de  Meaux  qui  les  y  a  fourrées  ou  qui,  au  moins,  en  a 
donné  le  conseil. 

Je  n'ai  point  d'autres  nouvelles  dans  ce  désert  à  vous 
mander.  J'en  partirai  dimanche  pour  Liège,  et  de  là  je 
crois  que  je  prendrai  la  route  de  Bruxelles. 


Quesnel  à  du  Vancel 

Liège,  23  octobre  1700. 

Me  voici  de  retour  de  la  sainte  solitude,  d'où  j'arrivai 
ici  mercredi  au  soir.  J'ai  cru  devoir  mettre  ici  en  dépôt 
le  Père  prieur  [Quesnel],  pour  voir  s'il  est  à  propos 
qu'il  retourne  à  son  petit  hospice,  qui  n'est  plus  pour 
lui  un  hospice  inconnu. 

Vous  voilà  encore  spectateur  d'une  grande  affaire2. 

1.  Le  désert  de  Conques,  où  fut  autrefois  une  ancienne  abbaye,  Casa 
Conchodunum,  fondée  par  le  roi  Sigebert.  Il  n'en  reste  aujourd'hui 
qu'une  grotte  taillée  dans  le  roc  et  appelée  grotte  de  Saint-Rernalde. 

2.  Innocent  XII  était  mort  le  28  septembre.  Le  conclave  s'était  ouvert 
le  10  octobre. 


106  CORRESPONDANCE    DE    PASQUÎER    QtJESNEL 

Dieu  veuille  qu'elle  se  termine  heureusement  par  le 
choix  d'un  bon  pape!  C'est  tout  ce  que  nous  avons  à 
faire  que  de  le  demander  à  Dieu;  car,  si  j'avais  à  donner 
mon  suffrage,  je  serais  bien  empêché.  Je  donnerais,  je 
crois,  ma  voix  moins  au  cardinal  Noris  que  vous  nommez 
qu'à  un  autre.  Il  n'a  point  de  piété;  il  est  d'un  naturel 
railleur,  est  entêté  des  prétentions  papales,  et  serait 
homme  à  porter  son  autorité  aussi  loin  qu'il  pourrait. 
Ce  considéré,  laissons  faire  Dieu,  et  abandonnons-nous  à 
sa  miséricorde. 

On  croit  le  roi  d'Espagne  mort,  quoiqu'on  affecte,  à 
Bruxelles,  de  dire  qu'il  se  portait  mieux  le  6  du  mois. 

Je  vous  en  prie,  ne  songez  point  au  Père  prieur  pour 
quoi  que  ce  soit.  Vous  voyez  que,  depuis  la  mort  de  son 
général1,  il  n'a  pu  encore  trouver  le  temps  de  mettre  en 
ordre  ses  papiers  ni  de  dresser  l'histoire  de  son  gouver- 
nement. Il  est  temps  qu'il  commence,  et  il  n'a  pas  lieu 
de  croire  que  la  vieillesse  s'arrêtera  pour  lui  donner  le 
temps  de  travailler.  Ainsi  il  faut  qu'il  se  ferme  à  toute 
autre  chose. 


Quesnel  à  du  Vaucel 

Liège,  27  octobre  1700. 

Je  suis  de  retour  ici  d'Orval,  dès  mercredi  au  soir.  Je 
me  souviens  à  ce  moment  que  je  vous  l'ai  mandé. 

M.  Brigode  me  presse  de  m'en  retourner  chez  lui  ;  mes 
amis  d'ici,  au  moins  notre  chanoine,  me  pressent  de 
demeurer  ici.  Il  y  a  plus  de  sûreté  ici;  mais  mes  outils 
sont  ailleurs.  Je  n'ai  nul  attrait  pour  la  maison  où  j'ai 
demeuré  si  longtemps.  Les  discours  de  vive  voix  et 
imprimés,  joints  aux  dégoûts,  ne  m'y  attirent  pas  beau- 
coup. Je  me  trouve  dans  un  assez  grand  embarras.  On 

1.  Arnauld. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QtESNEL        107 

me  presse  de  demeurer  ici,  au  moins  cet  hiver;  mais  je 
serai  aussi  avancé  après  l'hiver  que  présentement,  et, 
s'il  y  faut  retourner,  j'aime  mieux  le  faire  dès  mainte- 
nant. Je  n'ai  pas  de  répugnance  pour  la  ville,  mais  pour 
la  maison.  Outre  que  la  sûreté  n'y  est  pas  trop  grande, 
je  ne  m'accommode  pas  de  la  situation,  du  lieu  ni  de 
tous  ceux  qui  y  demeurent1.  J'aurais  cru  qu'on  aurait 
trouvé  aisément,  dans  une  grande  ville,  un  honnête 
homme  qui  aurait  pu  me  prendre  en  pension;  mais,  ou 
les  amis  n'en  veulent  pas  trouver,  ou  la  rareté  en  est 
grande.  Je  verrai,  après  la  fôte,  à  quel  parti  je  me  déter- 
minerai. Je  n'ai  point  de  nouvelles  à  vous  apprendre. 
Le  roi  d'Espagne  se  porte  mieux  et  est  dans  une  pleine 
convalescence.  Au  moins  on  sera  en  repos  dans  le  pays. 

Nous  attendons  un  hon  pape  de  la  main  de  Dieu,  et 
j'aime  mieux  le  laisser  faire  que  de  faire  des  souhaits 
pour  celui-ci  et  celui-là.  Je  voudrais  que  ceux  qui  ap- 
prochent nos  cardinaux  français  les  portassent  à  prendre 
des  mesures  pour  procurer  une  paix  solide  à  l'Eglise. 

Voilà  donc  le  cardinal  doyen  en  possession  de  sa 
dignité  et,  de  l'autre,  dépossédé  de  ses  dignités  fran- 
çaises. 

Quesnel  à  du  Vaucel 

10  novembre  1700. 

A  l'avenir,  le  commerce  sera  plus  réglé,  car  enfin 
la  saison  ne  permet  plus  de  tenir  la  campagne;  il  faut 

1.  M.  Ernest  Ruth  d'Ans  écrit,  de  son  côté,  le  4  novembre,  à  M"°  de 
Joncoux  :  «  Le  pèlerin  [Quesnel]  est  encore  à  Liège.  Il  a  demandé  ses 
habits  d'hiver,  ce  qui  marquerait  un  dessein  d'y  faire  quelque  séjour. 
Je  sais  môme  qu'il  délibère  encore  s'il  reviendra.  La  raison  est  qu'un 
méchant  libelle  de  Louvain  le  nomme  et  la  maison  où  il  demeure  ici,  à 
Bruxelles.  Je  verrai  le  pèlerin  ;  je  lui  ferai  des  honnêtetés  et  lui  offrirai 
de  le  ramener,  en  lui  faisant  pourtant  entendre  doucement  que  ce 
sera  à  condition  de  vivre  avec  plus  d'union  et  de  confiance.  »  (Arch. 
d'Amersfoort,  boîte  11.) 


108  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

entrer  en  quartiers  d'hiver.  J'ai  demeuré  plus  de  quinze 
jours  à  Liège,  dans  l'incertitude  du  parti  que  j'avais 
à  prendre.  On  m'a  fait  presque  violence  pour  m'y 
retenir,  et  j'avais  à  choisir  de  plusieurs  retraites.  J'en 
partis  samedi  dernier,  et  je  pris  la  barque  qui  me  con- 
duisit à  Huy.  J'allai  coucher  le  lendemain  à  Namur, 
croyant  y  prendre  le  carrosse  pour  la  ville  où  j'ai 
mon  habitation.  Il  était  parti  ce  jour-là,  ayant  avancé 
d'un  jour  celui  de  son  départ  ordinaire.  Nous  sommes 
venus  passer  le  temps,  jusqu'au  jeudi  (que  partira  le 
carrosse),  dans  une  abbaye  de  Saint-Bernard,  appelée 
Moulons,  à  trois  lieues  de  Namur,  oùnous  avons  quelque 
connaissance,  l'ami  qui  m'accompagne  et  moi.  Nous 
en  partons  à  midi  pour  aller  prendre  demain  le  carrosse. 
Cette  abbaye  est  dans  une  belle  solitude,  au  bord  de  la 
Meuse  ;  mais,  hélas  !  l'esprit  de  saint  Bernard  y  est 
bien  mort.  Il  n'y  a  que  neuf  religieux  et  un  abbé,  qui 
ne  sait  ce  que  c'est  que  d'être  et  religieux  et  abbé.  Les 
lieux  réguliers  y  sont  beaux  ;  mais  ils  ne  servent  qu'à 
faire  gémir  d'y  voir  la  régularité  éteinte.  Quelle  diffé- 
rence entre  ce  lieu  et  Orval  ou  la  Trappe! 

A  propos  de  la  Trappe,  vous  avez  su  la  mort  de  son 
ancien  abbé,  Bernard-Jean  Bouthillier  de  Bancé^Dieu 
veuille  oublier  les  fautes  qu'il  a  faites  contre  l'honneur 
de  la  vérité  et  contre  le  témoignage  qu'il  lui  devait! 

L'abbé  d'Orval  ne  lui  peut  pardonner  ce  qu'il  a  écrit 
contre  la  mémoire  de  notre  défunt  Père  abbé  [Ârnauld], 
Je  ne  réponds  rien  à  tout  ce  que  vous  me  mandez  du 
conclave.  Il  faut  laisser  MM.  ies  cardinaux  faire  leur 
manège  et  attendre  ce  que  le  Saint-Esprit  en  ordon- 
nera. 

Voilà  le  roi  d'Espagne  mort  tout  de  bon.  Vo^là  de 
quoi  exercer  les  politiques  du  conclave  et  les  autres. 

1.  Le  Nouveau  Dictionnaire  historique  dit  que  «  ce  pieux  réformateur 
mourut  tranquillement,  le  2G  octobre  1700,  et  qu'il  expira  couché  sur  la 
cendre  et  sur  la  paille,  en  présence  de  Tévèquc  de  Séez.  » 


CORRESPONDANCE  DE  PASQWER  QUESNEL        109 

Je  ne  sais  ce  que  deviendra  ce  pays.  S'il  en  faut  déloger, 
j'ai  quelque  part  une  retraite  sûre. 


Quesnel  à    M.   Vuillart,  à   Paris1 

Bruxelles,  13  novembre  1700. 

Me  voilà  de  retour  au  gîte.  Après  bien  des  délibéra- 
tions prises  à  part  moi,  j'ai  cru  devoir  venir  au  moins 
faire  ici  un  tour.  Si  l'ouvrier  avait  eu  ses  outils  au  lieu  où 
il  était,  il  y  serait  demeuré.  Je  souhaite,  mon  très  cher 
ami,  qu'il  plaise  au  Seigneur  de  vous  donner  une  santé 
aussi  bonne  que  la  mienne;  je  prie  tous  mes  amis  de 
louer  Dieu  de  la  bonté  qu'il  a  eue  de  veiller  sur  moi. 
Quand  je  songe  au  jour  où  j'étais  à  huit  heures  du  soir 
au  milieu  d'un  champ,  la  pluie  sur  le  dos  dans  les 
ténèbres,  tenant  deux  chevaux  par  la  bride  sans  savoir 
le  chemin  (car  nous  étions  égarés),  pendant  que  les 
deux  cavaliers  aidaient  le  cocher  à  relever  les  chevaux 
tombés  dans  une  espèce  de  fosse,  et  que  Dieu  nous 
envoya  un  guide  sur-le-champ,  contre  toute  apparence 
de  l'espérer,  et  qu'il  adonné  à  nos  deux  amis  le  moyen 
de  relever  les  chevaux  du  carrosse;  quand  je  pense  à 
tout  cela,  je  me  sens  trop  peu  de  chose  pour  en  louer 
Dieu  dignement,  et  j'invite  mes  chers  amis  à  m'aider 
à  le  bénir.  Il  est  vrai  que,  si  c'est  le  diable  qui  nous  a 
livré  ce  combat,  je  combattis  contre  lui,  ayant  la  cui- 
rasse du  grand  Arnauld  autour  de  moi  et  le  casque 
du  saint  évêque  d'Aleth  en  tête;  car  j'avais,  en  effet, 
la  calotte  de  ce  saint  prélat  sur  la  tête  et  la  chemisette 
de  chamois  de  M.  Arnauld  sur  le  corps.  Je  me  souvins 
de  l'un  et  de  l'autre,  je  les  invoquai,  et  dans  le  moment 

1.  Depuis  le  voyage  du  P.  Quesnel  à  Paris,  nous  trouvons  une  corres- 
pondance régulière  et  suivie  avec  M.  Vuillart.  Il  avait  renoué,  en  ces 
quelques  jours,  les  relations  anciennes  et  repris  langue  dans  sa  patrie. 
Par  contre,  les  lettres  à  Rome  sont  plus  rares. 


110        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

j'entendis  la  voix  de  celui  que  Dieu  nous  envoyait  pour 
nous  montrer  le  chemin.  Je  ne  l'ai  dit  encore  à  per- 
sonne, et  néanmoins  il  me  semble  que  je  n'en  dois 
point  laisser  perdre  la  mémoire1. 


Quesnel  à  du  Vmicel 

20  novembre  1700. 

Votre  lettre  du  30  octobre  m'a  été  rendue  à  l'hospice 
ordinaire  où  je  retournai,  il  y  eut  hier  huit  jours,  avec 
une  joie  fort  médiocre.  On  y  est  moins  tranquillement 
que  je  n'étais  à  Orval,  au  milieu  de  cent  cinquante 
personnes. 

Vous  savez  que  le  roi  a  déclaré  qu'il  s'en  tenait  au 
testament  du  roi  d'Espagne2.  Un  courrier,  qui  venait 
d'Espagne  en  ce  pays,  ayant  été  quelque  temps  à  Paris 
en  attendant  ses  dépêches,  M.  de  Torcy  lui  dit  qu'il 
pouvait  dire  à  M.  le  duc  de  Bavière  que  le  roi  accep- 
tait le  testament.  Son  fils  y  gagne  ;  mais  la  France  y 
perd,  en  abandonnant  le  traité  du  partage,  par  lequel 
il  lui  revenait  des  pays  considérables.  Vous  êtes  admi- 
rable, quand  vous  dites  qu'à  moins  que  le  roi  n'eût 
renoncé  au  partage  il  se  serait  allumé  une  funeste 
guerre.  Et  qui  l'aurait  soutenue,  cette  guerre  contre 
la  France,  l'Angleterre,  la  Hollande  et  peut-être  l'Es- 
pagne? L'empereur  est  bien  en  état  de  cela!  Le  Turc 
n'aurait  pas  manqué  de  profiter  de  la  conjoncture  pour 
reprendre  tout  ce  qu'il  a  perdu.  Au  reste,  les  Vénitiens, 
toujours  attachés  à  la  France  et  qui  ont  besoin  d'elle, 
n'auraient  ou  garde  de  prendre  parti  contre  elle.    Et 

1.  Voir  une  lettre  de  M.  Vuillart  citée  par  Sainte-Beuve  (Port- 
Royal,  VI,  274). 

2.  Le  roi  d'Espagne,  Charles  II,  mourut  le  1er  novembre,  et  Louis  XIV 
accepta  le  testament,  le  11  du  même  mois.  Il  ouvrit  ainsi  la  longue 
guerre  de  la  succession  d'Espagne,  qui  commença  en  1701  par  la  grande 
alliance  entre  l'Autriche,  la  Hollande  et  l'Angleterre. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  111 

qu'est-ce  que  le  reste?  Mais,  enfin,  le  testament  accepte 
conserve  la  paix  dans  l'Europe,  et  le  roi  fait  voir  qu'il 
est  désintéressé1.  Il  y  a  ordre  de  chanter  ici  le  Te  Deum 
aujourd'hui,  pour  l'exaltation  du  nouveau  roi,  qui  s'ap- 
pellera Philippe  V,  nom  qui  ne  déplaira  pas  aux  Espa- 
gnols. Nous  attendons  les  nouvelles  du  conclave;  mais 
la  France  nous  en  apprendra  l'issue  plus  tôt  que  vous. 


Quesnel  à  M.   Vuillart 

Bruxelles,  23  novembre  1700. 

La  flagellation  infligée  au  petit  antiflagellant2  est 
sanglante.  Il  en  a  usque  ad  vitulos.  C'est  à  lui  à  se  faire 
déflageller  comme  il  l'entendra.  Bien  des  gens  le  plain- 
dront3. 

Notre  très  cher  et  aimable  ami  m'a  fait  grand  plaisir 
de  me  mander  un  peu  de  détail  du  nouveau  monarque. 
On  est  en  ce  pays  plein  de  joie,  d'espérance  et  d'estime 
pour  ce  prince;  mais,  si  la  reine  douairière  y  vient 
gouverner,  hélas  !  on  n'en  sera  pas  mieux.  Tout  y  sera 
à  l'encan.  N'est-ce  pas  toujours  M.  Fleury4  qui  était 
son  précepteur?  Le  pauvre  précepteur  en  chef  [Fénelon] 

1.  Charles  II  déclarait  héritier  de  toute  la  monarchie  d'Espagne 
Philippe  de  France,  duc  d'Anjou,  second  fils  du  dauphin,  sous  Ja  réserve 
de  renoncer  à  tous  ses  droits  sur  la  couronne  de  France,  condition  que 
n'accepta  pas  Louis  XIV  et  qui  fut  une  des  causes  de  la  guerre. 

2.  Le  Dr  Boileau. 

3.  Nous  trouvons  encore,  dans  une  lettre  à  M.  de  Beaubrun,  du 
26  novembre,  ce  passage  assez  piquant  sur  le  même  sujet  :  «  J'ai  lu 
une  pièce  faite  contre  V Histoire  des  Flagellants.  Comme  l'auteur  de 
cette  Histoire  ne  prend  pas  lui-môme  cette  discipline,  mais  qu'une  main 
étrangère  lui  fait  cette  charité,  il  est  servi  comme  il  le  désire,  et  il  ne 
se  doit  pas  scandaliser  de  cet  exercice.  » 

4.  L'abbé  Claude  Fleury  fut  sous-précepteur  des  ducs  de  Bourgogne, 
d'Anjou  et  de  Berry.  11  vécut  solitaire  à  la  cour,  occupé  surtout  de  son 
Histoire  ecclésiastique .  Le  régent  disait  qu'il  n'était  «  ni  moliniste,  ni 
janséniste,  ni  ultramontain  ». 


112        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

n'aura-t-il  donc  point  la  consolation  d'aller  rendre  ses 
devoirs  à  ce  monarque?  On  a  imprimé  une  critique 
de  son  Télémaque,  in-12  de  350  pages,  faite  par  l'abbé 
Faydit1. 

Ne  m'enverrez-vous  pas  un  portrait  bien  fait  du  roi 
catholique  ?  Adieu,  mon  cher  ami,  je  suis  tout  à  vous, 
sans  façon  aussi  bien  que  sans  réserve. 

Quesnel  à  du  Vaucel 

Bruxelles,  27  novembre  1700. 

Tout  est  plein  de  joie  en  France,  en  Espagne,  aux 
Pays-Bas.  Le  roi  catholique  part  le  1er  du  mois  prochain. 
M.  le  maréchal  de  Noailles  et  M.  le  duc  de  Beauvilliers 
iront  jusqu'aux  frontières.  Le  comte  d'Ayen,  fils  du 
maréchal  de  Noailles,  ira  jusqu'à  Madrid.  On  me  mande 
qu'on  disait  à  Paris  que  c'était  le  cardinal  Portocarrero 
qui  avait  persuadé  au  roi  défunt  ce  qu'il  a  fait  en  faveur 
du  duc  d'Anjou,  et  qu'un  Père  de  l'Oratoire,  qui  a 
crédit   sur  son  esprit,  y  a  beaucoup  servi. 

Un  de  mes  amis  me  mandait,  le  26,  ce  qui  suit: 
«  J'eus,  hier,  la  joie  de  voir  le  nouveau  roi  d'Espagne 
pendant  tout  son  dîner.  Nous  devons  porter  envie  à  ce 
royaume,  qui  va  posséder  un  tel  prince,  rempli  de 
piété,  de  crainte  de  Dieu,  d'amour  de  la  pureté  et  de 
la  vérité2.  » 

On  dit  que  l'ambassadeur  de  l'empereur  a  fait  une 
protestation  contre  le  testament,  que  les  envoyés  et  les 

1.  L'abbé  Pierre  Faydit,  ancien  oratorien,  avait  déjà  tâté  de  Saint- 
Lazare  pour  ses  livres  singuliers  et  ses  médisances.  La  Télémacomanie, 
«  satire  sans  talent,  pleine  d'envie  et  de  fiel  »,  et  ses  attaques  contre 
Bossuet  nous  le  montrent  comme  une  sorte  de  fou,  non  sans  esprit 
cependant,  et  doué  de  quelque  érudition.  En  1699,  son  Télémaque  spiri- 
tuel avait  été  condamné  par  le  pape  Innocent  XII. 

2.  «  11  a  bon  cœur,  il  est  généreux,  de  plus,  véridique,  car  pour  rien 
au  monde  il  ne  dirait  des  mensonges.  »  (Lettre  de  la  duchesse  d'Orléans, 
princesse  Palatine,  du  13  novembre  1700.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        M3 

courriers  vont  de  côtés  et  d'autres,  de  la  part  des  Anglais 
et  des  Hollandais,  et  qu'ils  cherchent  à  brouiller.  Mais 
qu'ont-ils  à  dire?  Le  roi  abandonne  les  états  que  le  par- 
tage lui  attribuait  pour  conserver  la  paix  de  l'Europe. 
Ils  ne  feront  tous  que  de  l'eau  claire,  et  l'empereur 
serait  bien  mal  conseille  s'il  se  laissait  entraîner  aux 
persuasions  des  Hollandais. 


Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  1er  décembre    1700. 

Je  ne  sais  si  les  Espagnols  seront  contents  qu'on 
donne  à  leur  roi  un  jésuite  pour  confesseur.  Ils  sont 
assez  jaloux  de  leurs  coutumes,  et  les  autres  religieux 
de  leurs  avantages,  qui  sont  passés  en  lois.  Les  domi- 
nicains sont  en  possession  de  confesser  le  roi;  l'ordre 
de  Saint-François,  les  infantes  et  les  reines;  les  augus- 
tins  ont  les  infants.  Je  ne  sais  ce  qu'ont  les  carmes,  ni 
s'ils  ont  quelque  chose.  Je  ne  doute  point  que  tous  ces 
religieux  ne  se  remuent  et  que  le  général  des  domini- 
cains n'agisse  pour  conserver  ce  poste  à  son  ordre. 

Le  cardinal  de  Noailles  arriva  à  Rome,  le  jeudi  11  no- 
vembre, avant  midi.  Il  alla  descendre  chez  le  cardi- 
nal d'Estrées1,  l'ambassadeur  s'étant  retiré  de  Rome,  à 
cause  de  l'affaire  qui  lui  est  arrivée  au  palais  Vaini2. 


1.  Le  cardinal  d'Estrées  écrit  à  Torcy,  du  conclave,  le  16  novembre 
1700  :  «Le  cardinal  de  Noailles  est  entré  ici  dimanche.  Il  s'était  reposé 
chez  moi  deux  jours  entiers.  11  vint  à  Saint-Pierre  avec  un  cortège 
très  nombreux  et  beaucoup  de  peuple  qui  le  suivait  en  foule.  Tous  les 
cardinaux,  prévenus  d'une  grande  estime  pour  lui,  n'ont  épargné  au- 
cune des  attentions  et  des  honnêtetés  qu'ils  savent  si  bien  pratiquer,  et 
son  procédé  plein  de  sagesse,  de  politesse  et  de  douceur,  lui  a  concilié 
l'estime  et  l'affection  de  tous  ses  confrères.  »  (Aff.  étr.,  Rome,  412.) 

2.  On  avait  tiré  contre  la  livrée  et  le  carrosse  du  prince  de  Monaco, 
mais  l'affaire  était  de  peu  d'importance;  car  lu  roi  écrit  à  ses  cardi- 
naux à  Rome,  le  17  novembre  1700  :  «Il  paraît  que  ce  désordre  n'a  été 

II.  8 


114  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Il  ne  devait  entrer  au  conclave  que  le  14.  MM.  Charost, 
Maille  et  Tourreil  l'avaient  salué.  On  dit  que  les  cardi- 
naux d'Estrées  et  de  Janson  avaient  fait  complot  pour 
le  débaucher  dans  l'affaire  de  la  Chine. 


Quesnel  à  du   Vancel 

4   décembre  1700. 

Nous  sommes  en  peine  de  M.  Henncbel;  on  n'a 
aucunes  nouvelles  de  lui.  L'Université  l'a  député  pour 
rendre  ses  hommages  au  nouveau  roi;  mais  apparem- 
ment il  perdra  cet  avantage,  puisque  c'est  aujourd'hui 
que  ce  prince  part.  Son  voyagea  été  différé  à  cause  des 
équipages  et,  entre  autres,  quatre  lits  magnifiques,  dont 
le  roi,  son  grand-père,  lui  fait  présent.  Il  marchera  à 
petites  journées,  cinq  lieues  par  jour  environ.  Il  va 
d'abord  à  Chartres,  pour  arriver,  le  4  janvier,  à  Orléans. 
Le  roi  lui  donne  un  confesseur  jésuite,  qui  est  un  P.  de 
La  Baune,  poète  latin1.  Est-ce  que  les  dominicains  ne 
se  remueront  point  pour  se  maintenir  dans  la  possession 
où  ils  sont  de  confesser  les  rois  d'Espagne?  On  me 
mande  que  les  Espagnols  sont  las  des  dominicains, 
parce  qu'ils  prennent  pour  eux,  dit-on,  les  meilleurs 
bénéfices.  Je  m'imagine  que  c'est  pour  se  défaire  d'eux 
que   l'on  fait  tenir  ce  discours  aux  Espagnols. 

Le  prince  avait  une  entière  confiance  dans  son  sous- 
précepteur,  et  on  lui  donne  un  jésuite  pour  lui  servir 
à  deux   mains,  pour  la  conscience  et    pour  l'étude.   Si 

causé  que  par  l'insolence  de  quelques  sbires  employés  dans  la  maison 
du  prince  Vaini,  et  je  ne  vois  pas  que  qui  que  ce  soit  d'autorisé  dans 
Rome  ait  eu  la  pensée  de  manquer  au  respect  qui  m'est  dû.»  (Aff.  étr., 
Rome,  412.) 

1.  Jacques  de  La  Baune  professa  les  humanités  chez  les  jésuites  et 
laissa  des  Poésies  et  des  Harangues  en  latin.  Ce  n'est  pas  lui,  mais  le 
P,  Daubenton,  qui  fut  nommé  confesseur  de  Philippe  V. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        H5 

toute  la  confiance  se  tourne  de  ce  côté-là,  comme  cela 
peut  arriver  à  un  jeune  prince,  les  affaires  n'en  iront 
pas  mieux. 

Le  nouveau  supérieur  que  M.  l'archevêque  a  donné 
à  Port-Royal  est  un  M.  Gilbert1,  docteur  de  Paris, 
vicaire  général,  qu'on  dit  être  fort  homme  de  bien, 
éclairé  et  fort  retiré.  Il  se  confesse,  à  ce  qu'on  m'a  dit, 
au  P.  Aveillon,  de  l'Oratoire.  II  y  a  fait  visite,  et  on 
paraît  content. 

M.  le  curé  de  Saint-Jacques  du  Haut-Pas,  qui  n'a  pas 
fait  faire  de  service  pour  feuM.  Arnauld,  son  paroissien, 
en  fit  faire  un,  lundi,  pour  le  feu  ancien  abbé  de  la 
Trappe.  Voilà  ce  que  c'est  que  d'être  bien  à  la  cour,  on 
y  gagne  encore  des  prières  après  la  mort. 

Il  y  a  une  lettre  contre  Y  Histoire  des  Flagellants. 
L'auteur  y  est  flagellé  sans  miséricorde,  et  peu  de  gens 
le  plaindront.  Quoiqu'il  m'ait  donné  deux  fois  à  diner, 
dans  mon  voyage,  je  ne  puis  être  engoué  de  son 
ouvrage.  Son  vin  était  meilleur. 

Vous  êtes  trop  timide.  Pourquoi  vous  imaginer 
qu'on  vous  aurait  observé  plus  qu'un  autre  Français 
enrendant  visite  au  cardinal  de  Noailles?  Au  contraire, 
vous  aurez  été  peut-être  le  seul  Français  ecclésiastique 
qui  n'y  aura  pas  été,  et  c'est  ce  qui  sera  observé. 


Quesnel  à  M.  Vuillart 

7  décembre  1700. 

Enfin,  voilà  notre  prince  parti,  voilà  aussi  un  nou- 
veau règne  spirituel2.    Le  pape  est   pour  durer  long- 

1.  M.  Gilbert    succéda   à   M.   Roynette,  comme    supérieur    de    Por.t- 

iRoyal-des-Champs. 
2.  Le  cardinal  Albani  est  élu  parle  conclave,  le  23  novembre,  sous  le 
nom  de  Clément  XI.  Son  pontificat  sera  marqué  par  les  grandes  persécu- 
tions contre  les  jansénistes,  la   destruction  de  Port-Royal,  les  bulles 


110  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

temps.  Nos  cardinaux  sont  las  de  courir  à  Rome,  et  ils 
ont  voulu  en  faire  un  qui  les  laisse  en  repos  le  reste 
de  leurs  jours.  Nous  verrons,  avec  le  temps,  s'il  y  a 
quelque  chose  à  attendre  de  lui  pour  l'Eglise.  S'il  pou- 
vait me  donner  un  ami  cordial,  c'est  tout  ce  que  je  lui 
demanderais;  mais  cela  passe  la  puissance  pontificale. 
Cependant,  sine  homine  amico  nihil  amicum.  Gela  est 
triste,  et  j'ai  besoin  de  la  grâce  de  Dieu  pour  ne  pas 
tomber  dans  une  tristesse  immodérée1.  La  douceur 
que  j'ai  trouvée  dans  ceux  de  delà  me  fait  plus  sentir 
ce  qui  me  manque  de  deçà.  Je  salue  tout  le  monde,  ce 
monde  si  cordial.  Notre  cher  petit  Coq2  saura  aussi,  s'il 
vous  plaît,  que  je  ne  l'ai  pas  oublié. 


Quesnel  à  du  Vaitcel 

11  décembre  1700, 

Nous  apprîmes  l'élection  du  nouveau  pape,  dès 
lundi  au  soir.  Le  courrier  était  arrivé,  le  jeudi  2  du 
mois,  au  roi,  à  Versailles.  Nous  ne  savons  qu'en 
attendre.  J'ai  peur  qu'il  ne  soit  de  ces  bons  papes  qui 
ne  font  ni  bien  ni  mal.  Je  n'ai  pas  assez  de  connais- 
sance de  ce  qui  le  regarde  pour  faire  son  horoscope. 


Vineam  et  Unigenitus.  «  D'un  caractère  faible,  timide,  faux,  fertile  en 
petites  finesses,  dit  d'Aguesseau,  sa  ressource  ordinaire  est  de  ne  pas 
tenir  ce  qu'il  promet.  »  (Journal  inédit,  appartenant  à  M.  Gazier.) 

1.  Quesnel  est  alors  dans  une  phase  de  découragement  et  de  tris- 
tesse. Ernest  Ruth  d'Ans  écrit  le  même  jour  à  Mn°  de  Joncoux  :  «  11  ne 
parle  ni  à  table,  ni  dans  la  conversation.  M.  Brigode  lui  demanda,  hier, 
ce  qu'il  avait.  11  avoua  qu'il  était  dans  une  noire  mélancolie.  Je  vois  ou 
crois  voir  qu'il  n'en  a  pas  à  moi  tout  seul  ou  en  particulier,  mais  nous 
ne  pouvons  deviner  ce  que  c'est.  »  II  est  clair  qu'au  retour  de  ce  court 
voyage  dans  la  patrie  le  contraste  est  dur,  pour  le  P.  Quesnel,  entre 
les  amis  sûrs  et  éprouvés,  laissés  à  Paris,  et  son  entourage  de  Bruxelles 
médiocrement  sympathique. 

2.  M""  de  Joncoux. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  117 

Je  vous  en  laisse  le  soin,  et  vous  l'avez  déjà  fait  en 
peu  de  mots. 

Les  Français  ont  un  hôpital  à  Madrid,  dont  la  direc- 
tion est  entre  les  mains  de  deux  Pères  de  l'Oratoire  de 
France.  Celait  un  P.  Martin  de  ma  connaissance  qui  y 
était,  il  n'y  a  pas  encore  longtemps.  On  pourrait  peut- 
être  lier  commerce  avec  lui.  Enfin  il  faut  qu'on  se  remue 
un  peu,  pour  tacher  d'avoir  quelqu'un  à  la  cour  d'Es- 
pagne qui  puisse  aider  les  majeurs1;  car  les  jésuites 
s'y  remuent  de  leur  côté  beaucoup,  y  ayant  un  confes- 
seur de  leur  société. 

On  m'avait  mandé  que  c'était  le  P.  de  la  Banne.  Les 
nouvelles  publiques  nomment  un  P.  Daubenton2. 

Que  me  l  à  M.  Vuillart3 

16  décembre  1700. 

De  Borne  on  mande  qu'après  la  nouvelle  reçue  de  la 
mort  du  roi  d'Espagne  le  cardinal  Médicis4  et  les  Impé- 

1.  Les  docteurs  de  Louvain. 

2.  Guillaume  Daubenton,  jésuite,  «personnage  avec  qui  il  fallait  comp- 
ter, et  en  France,  à  la  fin,  comme  en  Espagne,  dit  Saint-Simon,  avec 
un  esprit  le  plus  dangereux  en  intrigues,  une  fausseté  la  plus  innée, 
et  une  ambition  démesurée  d'attirer  tout  à  soi  et  de  tout  gouverner». 
Que  si  ce  jugement  d'un  ennemi  de  la  société  parait  sévère,  le  marquis  de 
Louville  écrit  à  M.  de  Beauvilliers,  le  29  juillet  1703  :  «  Ce  Père  se  môle 
de  tout,  de  politique,  de  guerre,  de  finance,  des  emplois.»  Et  il  ajoute 
force  détails  sur  «  sa  passion  de  dominer,  sa  perfidie  et  sa  fausseté 
niaise».  (Mémoires  de  Louville,  II,  91.)  L'abbé  d'Estrées,  ambassadeur 
en  Espagne,  écrit  à  son  tour,  en  mars  1704  :  «Quant  au  P.  Daubenton, 
il  est  toujours  de  la  race  des  Guillaume,  parlant  d'une  façon,  écrivant  de 
l'autre,  et  cherchant  à  caresser  tout  le  monde.  »  (Mémoires  de  Louville, 
11,141.) 

3.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

4.  François-Marie  de  Médicis,  réputé  pour  son  grand  train  et  son  luxe 
magnifique,  «  n'ayant  jamais  dépensé  à  Rome  moins  de  25  louis  d'or 
par  jour  en  eaux  rafraîchissantes  et  en  glaces  ».  (Correspondance 
inédite  de  Mabillon,  lettre  de  Claude  Estiennot,  II,  78.)  Dans  cette 
fameuse  nuit,  dont  parle  Quesnel,  le  cardinal  d'Estrées  écrit  au  roi  que 
Médicis  «  le  vint  réveiller  deux  ou' trois  fois». 


118  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

riaux  et  Espagnols,  pour  hâter  l'affaire  papale,  propo- 
sèrent aux  Français  quatre  sujets,  qui  furent  Marescotti1, 
Acciaoli'2,  Panciatuci3  et  Albane.  D'Estrées  et  Janson 
s'arrêtèrent  au  dernier,  et,  après  quelques  négociations 
jusqu'à  deux  ou  trois  heures  après  minuit,  l'élection 
fut  arrêtée.  On  dit  que  les  cardinaux  Camus,  Coislin  et 
Noailles  n'eurent  point  d'autre  part  à  ce  choix,  sinon 
que,  s'étant  assemblés  avec  les  deux  autres,  Janson,  qui 
avait  le  secret  de  la  cour,  fut  d'avis  qu'on  ne  différât 
pas  un  moment  de  conclure  l'élection  pour  Albane.  Un 
courrier  fut  dépêché  à  l'ambassadeur,  qui  y  donna  les 
mains.  On  convient  que  le  pape  fut  pendant  trois  jours 
dans  de  grandes  angoisses,  pleurant,  gémissant,  refu- 
sant la  tiare  %  qu'il  ne  consentit  d'accepter  qu'après 
avoir  consulté  les  cardinaux  Colloredo5,  Ferrari,  Le 
Camus.  Les  amis  tâcheront  d'arrêter  les  cardinaux  de 
Noailles  et  Le  Camus  qui  veulent  partir,  afin  qu'ils 
puissent  porter  et  concourir  à  quelques  bonnes  choses 
le  nouveau  pontife. 

1.  Dans  un  mémoire  sur  les  cardinaux,  l'abbé  de  Polignac  indique 
Marescotti  comme  étant  «  sans  contredit  le  premier  et  le  plus  excellent 
sujet  du  Sacré  Collège  ».  (AIT.  étr.,  Rome,  506.) 

2.  «  S'il  était  pape,  dit  le  même  mémoire,  il  voudrait  remplir  la  terre 
de  son  nom.  11  serait  superbe  et  inflexible.  » 

3.  «11  estime  la  France,  écrit  le  cardinal  de  Janson;  il  est  désintéressé; 
mais  il  a  l'esprit  dur  et  difficile,  fort  entêté  des  droits  de  Rome.  » 
(Aff.  étr.,  Rome,  383.) 

4.  Nous  retrouverons  souvent  des  allusions  à  ces  «  larmes  »  de 
Clément  XI.  «  11  en  avait  une  source  et  une  facilité  abondante,  dit 
Saint-Simon,  et  elles  étaient  sa  ressource  dans  tous  ses  embarras.  » 
Une  lettre  de  Rome,  du  14  décembre  1702,  le  montre  «  pleurant  beau- 
coup pendant  la  cérémonie  de  son  couronnement  et  pleurant  encore 
tous  les  jours.  »  (Archives  d'Amersfoort,  boite  11.) 

5.  Le  cardinal  Léandre  Colloredo,  correspondant  de  Fénelon,  fut 
chargé  par  lui  de  soumettre  au  pape  les  Maximes  des  Saints. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        119 

Quesnel  à  du  Vaucel 

18  décembre  1700. 

Il  y  a,  à  Paris,  une  espèce  de  béate  qui  fait  du  bruit1. 
Tout  le  monde  parle  de  ses  prophéties  et  de  ses 
miracles.  Deux  de  nos  amis  ont  grand  commerce  avec 
elle,  et  je  crains  qu'ils  n'en  soient  la  dupe. 

On  craint  fort  à  Paris  que  le  nouveau  pape  ne  nuise 
à  la  vérité.  Il  a  eu  soin  de  la  publication  du  Nodus.  On 
y  exagère  fort  sa  liaison  avec  le  sieur  Héron  [Fabronï], 
On  dit  que  ce  nouveau  pape,  avant  son  exaltation, 
avait  dressé  un  bref  en  faveur  du  cardinal  de  Bouillon, 
son  ami,  et  qu'on  en  a  vu  le  projet  à  Paris. 

C'est  un  P.  Daubenton,  qui  était  recteur  à  Strasbourg, 
qui  suit  le  roi  d'Espagne  en  qualité  de  confesseur,  et 
un  autre  en  qualité  de  prédicateur.  Les  dominicains 
sont  fort  alarmés.  Le  général  devrait  aller  faire  la 
visite  en  Espagne.  Le  P.  Montfaucon,  que  je  salue 
très  humblement,  y  devrait  faire  aussi  un  voyage. 

On  n'a  point  encore  bien  fouillé  les  bibliothèques  de 
ce  pays-là.  On  y  pourrait  trouver  bien  des  choses. 

Quesnel  à  M.  Vuillart 2 

29  décembre  1700. 

J'ai  brûlé  le  billet  de  la  Mère  sous-prieure,  comme 
une  lettre  empoisonnée.  Gomment  pouvez-vous  m'aimer 

1.  La  sœur  Rose,  ou  sœur  de  Sainte-Croix,  arriva  à  Paris,  vers  1693, 
et  commença  dès  lors  sa  vie  de  béate  et  de  visionnaire.  L'abbé  Boileau, 
M.  du  Gharmel  et  surtout  l'abbé  Duguet  la  crurent  inspirée,  et  ce  n'est 
que  de  nombreuses  années  plus  tard  que  Duguet  s'écriera,  témoin 
incrédule  des  convulsions  :  «  J'ai  été  une  fois  trompé,  je  ne  veux  pas 
l'être  deux;  j'ai  été  dupe  de  la  sœur  Rose,  je  ne  veux  point  l'être  des 
convulsionnaires.  » 

2.  Bibl.  nat.,  ras.  19730. 


120  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

et  m'envoycr  de  telles  lettres  [  ?  Elle  me  traite  de  saint. 
Et,  si  ce  poisoa  m'allait  monter  à  la  tête,  où  en  serais- 
je?  Je  ne  suis  pas  encore  assez  aveugle  pour  me  croire 
saint.  Mais  toutes  ces  louanges  sont  toujours  si  dange- 
reuses, et  le  poison  en  est  si  subtil,  qu'il  en  demeure 
toujours  quelque  chose.  Plût  à  Dieu  que  j'eusse  fait  le 
premier  pas!  Mais  que  je  suis  loin  d'être  ce  que 
je  devrais  être!  Il  ne  faudrait  qu'une  lettre  comme 
celle-là  pour  faire  d'un  saint  un  réprouvé,  et  elle  me 
fait  craindre  les  jugements  de  Dieu  ;  car  il  faut  que 
je  sois  bien  hypocrite  si  mes  livres  ont  quelque  chose 
qui  fasse  avoir  de  moi  cette  pensée. 

Il  est  vrai  que  j'ai  eu  un  accès  de  tristesse  sur  le 
froid  et  l'indifférence  où  je  voyais  mon  compagnon,  et 
me  voyant  réduit  à  demeurer  dans  un  lieu  exposé  ou 
d'en  sortir  seul  ;  mais  ce  compagnon  m'a  un  peu  con- 
solé en  me  témoignant  qu'il  était  disposé  à  me  suivre. 
Il  aurait  bien  voulu  m'obliger  à  ne  pas  changer,  et  il 
avait  concerté  avec  un  ami  de  paraître  ne  vouloir  point 
m'accompagner  ;  il  est  vrai  qu'en  me  déclarant  sa  dis- 
position favorable  il  m'a  ôté  comme  une  meule  de 
moulin  de  dessus  le  cœur.  Il  cherche  une  maison,  et 
je  crois  que  c'est  de  bonne  foi.  Je  m'accommode 
bien  de  lui,  et  nous  sommes  accoutumés  l'un  avec 
l'autre;  nous  verrons  ce  que  la  Providence  nous  garde. 
Je  vous  assure  que  je  ne  suis  pas  peu  embarrassé  dans 
une  pareille  translation.  Je  crains  de  faire  quelque 
chose  qui  ne  soit  pas  selon  les  desseins  de  la  volonté 
de  Dieu,  et  c'est  cependant  une  chose  bien  difficile  à 
connaître  quand  on  est  seul  et  qu'on  n'a  point  de 
voyant  pour  consulter  la  volonté  de  Dieu2. 

Je   remercie  de  bon  cœur  et  avec  respect  celui  qui 

1.  A  cette  époque,  Qucsnel  est  le  grand  directeur  de  Port-Royal, 
VOracle,  dit  Sainte-Beuve.  Et,  consulté  de  loin  sur  toutes  les  questions, 
il  approuvait  la  résistance  à  outrance. 

2.  Allusion  malicieuse  à  l'abbé  Duguetet  à  la  sœur  Rose. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  121 

m'a  fait  présent  de  ses  nouveaux  noëls.  Il  y  a  une 
chose  que  notre  défunt  abbé  désapprouvait  tout  à  fait, 
c'est  de  mettre  des  airs  et  des  cantiques  saints  sur 
les  chants  des  airs  profanes.  Gela  renouvelle  la  mémoire 
des  chansons  lascives  qui  sont  sur  ces  airs,  les  paroles 
revenant  naturellement  à  la  mémoire  avec  le  chant.  On 
profane  en  quelque  manière  la  sainteté  des  mystères 
par  des  chants  qui  ont  servi  au  péché  et  à  la  corruption. 
Enfin  il  n'est  pas  édifiant,  pour  les  gens  du  monde,  de 
voir  que  des  ecclésiastiques  de  piété  soient  fort  versés 
clans  les  opéras,  les  chansons  àboire  etles  airs  d'amour1. 
Gela  ne  blesse-t-il  pas  le  bon  sens  et  ne  salit-il  pas 
l'imagination  de  voir  ces  paroles  à  la  tête  des  noëls? 

Le  petit  dieu  d'amour 
Vint  voir  Bacchus,  un  jour. 

Sommes-nous  pas  trop  heureux, 
Belle  Iris,  que  vous  en  semble? 

Enfin  qu'a  à  faire  là,  c'est-à-dire  avec  le  mystère 
adorable  de  l'Incarnation,  de  la  naissance  du  Sauveur, 
l'opéra  d'Armide,  le  Théâtre-Italien,  le  Quel  spectacle 
charmant,  impie  et  sacrilège,  s'il  y  en  eut  jamais,  l'opéra 
de  Martesi  et  les  autres  saletés  du  théâtre?  Voilà 
ma  pensée.  Quel  accord  entre  Jésus-Christ  et  Bélial, 
quelle  société  entre  le  fidèle  et  l'infidèle? 


Quesnel  à  M,le  de  Joncoux 

Décembre  1700. 

Je   ne  veux    point    laisser    finir   l'année    sans  vous 
donner,  ma   chère  petite  sœur,  de  mes  nouvelles  par 

1.  Les  livres  de  cantiques  ont  porté  encore  bien  longtemps  les  indi- 
cations profanes  dont  se  plaint  le  P.  Quesnel.  J'ai  un  volume  de  Saint- 
Sulpice    (1863)   donnant  des  airs   connus  pour  les   adapter  aux  chants 


122  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

moi-même.  Je  sais  que  vous  en  savez  assez  par  d'autres  ; 
mais  vous  ne  seriez  pas  contente  de  moi,  et  je  ne  le 
serais  pas  de  moi-même,  si  je  ne  vous  assurais  que 
toutes  mes  courses  et  mes  aventures  ne  m'ont  point 
fait  perdre  le  souvenir  de  votre  chère  personne  ni  rien 
fait  perdre  des  sentiments  d'estime  et  de  respect  que 
j'ai  remportés  avec  moi  pour  tout  le  bien  qu'il  a  plu  à 
Dieu  de  mettre  en  vous.  Il  m'a  paru  aussi  que  vous 
vouliez  bien  me  faire  l'honneur  de  me  mettre  au 
nombre  de  vos  amis,  et  j'estime  trop  cette  nouvelle 
acquisition  pour  la  négliger  et  mériter  par  là  de  la 
perdre. 

Si  vous  écrivez  à  notre  ancienne  amie  du  territoire 
d'Orléans1,  je  vous  prie  de  l'assurer  que  je  ne  manque 
ni  d'estime,  ni  de  respect,  ni  d'amitié  pour  elle,  quoique 
je  ne  me  donne  pas  l'honneur  de  lui  écrire.  Je  ne  le 
pourrais  faire  sans  lui  parler  de  certaines  choses  qui 
lui  rendraient  mes  lettres  fort  désagréables.  Ce  n'est 
pas  que  je  ne  me  crusse  obligé  de  le  faire  pour  le  repos 
de  sa  conscience,  si  je  la  croyais  disposée  à  m'écouter  ; 
mais  je  l'ai  assez  fait,  et  je  n'en  ai  retiré  aucun  fruit 
que  de  la  voir  avec  douleur  fermée  à  des  vérités  qui 
me  paraissent  évidentes.  Je  vous  assure  que  j'en  suis 
très  en  peine.  Elle  se  trompe  assurément  et  s'attribue 
sans  aucun  droit  la  faculté  de  disposer  de  choses  à  sa 
volonté,  quoique  le  testament  lui  ait  marqué  clairement 
la  disposition  qu'il  voulait  qu'elle  en  fît.  Illui  a  dit  qu'elle 
ferait  commeelle  pourrait,  mais  non  pas  comme  elle  vou- 
drait. Il  lui  a  marqué  que  tout  ce  qui  resterait  d'argent  et 
de  choses  dont  on  fait  de  l'argent,  après  ses  dettes  et  ses 
legs  payés,  me  devait  être  mis  entre  les  mains  pour  en 


sacrés.  Ainsi  :   Un  inconnu  pour  nos  charmes  soupire  ;  —  Tout  est  char- 
mant c  fiez  Aspasie;  —  air  de  Femme  sensible  ;  —  Linval  aimait  Arsène,  etc. 
Les  cantiques  dont  on  se  sert  aujourd'hui,  dans  les  paroisses  de   Paris 
du  moins,  ne  contiennent  plus  rien  de  ce  genre. 
1.  Mmo  de  Fontpertuis. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  123 

disposer  selon  ses  intentions,  etje  sais  qu'elle  les  donne 
à  un  chanoine1  qui  n'en  a  aucun  besoin  et  qui  n'y  a, 
non  plus  qu'elle,  aucun  droit.  C'est  une  infidélité  criante 
envers  un  ami  défunt  qui  s'est  fié  à  elle,  et  une  injustice 
envers  ceux  à  qui  il  les  avait  destinés.  Sa  conscience 
et  sa  mémoire  en  demeureront  chargées.  J'en  suis  très 
affligé  pour  elle.  Le  chanoine  à  qui  elle  fait  ces  libéra- 
lités injustes  se  plaint,  de  son  côté,  qu'il  ne  sait  ce 
qu'elle  a  fait  d'environ  trois  mille  francs  qu'elle  avait  à 
lui.  Si  c'est  pour  l'indemniser  qu'elle  en  use  ainsi,  elle 
sait  bien  qu'on  ne  peut  pas  payer  ses  dettes  avecle  bien 
d'autrui.  Qu'elle  se  flatte  tant  qu'elle  voudra,  elle  paraîtra 
peut-être  bientôt  à  un  tribunal  dont  la  lumière,  aussi 
bien  que  la  droiture,  est  terrible.  J'en  parle  sans  intérêt, 
n'ayant  d'autre  vue  que  l'exécution  des  volontés  d'un 
ami  à  qui  on  doit  une  fidélité  inviolable  et  dont  les 
intentions  sont  quelque  chose  de  sacré  après  sa  mort. 

Elle  a  adjugé  à  ce  chanoine  des  livres  dont  on  devait 
faire  de  l'argent  pour  une  personne  qui  en  a  très  grand 
besoin2,  et  il  en  a  déjà  livré  à  des  libraires  pour  plus 
de  500  florins,  outre  les  petits  fonds  d'argent  que  je 
sais  qu'elle  lui  a  fait  espérer  et  dont  apparemment  elle 
l'aura  fait  jouir. 

Vous  ferez  tel  usage  de  tout  ceci  que  vous  jugerez  à 
propos.  J'en  charge  votre  conscience  et  en  décharge  la 
mienne.  J'ajouterai  seulement  que,  si  elle  doutait,  ou 
plutôt  que  comme  elle  devait  au  moins  avoir  du  doute 
sur  tout  cela,  elle  devait  consulter  quelqu'un  de  désin- 
téressé et  d'éclairé,  et  je  suis  assuré  qu'en  exposant  le 
fait,  tel  qu'il  est,  elle  aurait  été  condamnée  à  en  user 
tout  autrement  qu'elle  n'a  fait. 

Je  ne  puis  m'empêcher  d'ajouter  encore  que  ce  qui 
rend  l'injustice  plus  criante,  dont  le  cri  monte  assuré- 


1.  Ernest  Ruth  d'Ans. 

2.  Du  Vaucel. 


124  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

ment  jusqu'aux  oreilles  de  notre  cher  défunt  abbé, 
c'est  que  je  l'ai  vu  fort  en  peine  à  chercher  un  moyen 
de  laisser  quelque  secours  à  un  ami,  qui  a  passé  dix-huit 
ans  dans  un  pays  éloigné  où  il  s'est  consacré  au  ser- 
vice de  l'Eglise  et  de  la  vérité1,  sachant  bien  qu'il 
n'avait  que  peu  de  chose  pour  subsister  et  que,  reve- 
nant de  là  avec  sa  vieillesse  et  ses  infirmités,  il  aurait 
grand  besoin  de  trouver  quelque  chose  pour  les  sou- 
tenir. Cependant  notre  amie,  après  avoir  essayé  de  le 
frustrer,  d'un  autre  côté,  d'un  certain  secours  qui  n'est, 
qu'en  espérance,  le  frustre  d'un  autre  qui  était  plus 
présent.  Pour  moi,  je  serais  bien  fâché  d'avoir  cela  sur 
ma  conscience,  et  j'ai  le  cœur  percé  de  douleur,  voyant 
une  telle  amie  porter  cela  en  l'autre  monde  pour  con- 
tenter son  inclination  et  celle  d'un  ecclésiastique  trop 
peu  scrupuleux,  pour  ne  rien  dire  davantage,  sur  une 
telle  affaire. 


MUe  de  Joncoux  au  P.  Quesnel 

20  janvier  1701. 

J'estime  tellement  l'honneur  que  vous  me  faites,  mon 
révérend  Père,  de  me  mettre  au  nombre  des  personnes 
pour  qui  vous  avez  de  la  bonté,  que  je  ne  puis,  ce  me 
semble,  vous  témoigner  assez  combien  je  suis  sensible 
aux  marques  que  vous  me  donnez  de  votre  souvenir.  11 
est  vrai  que  je  sais  souvent  de  vos  nouvelles  par 
M.  Vuillart,  mais  celles  dont  vous  m'honorez  vous-même 
auront  toujours  un  nouveau  goût  pour  moi.  Je  serais 
tout  à  fait  affligée  si  la  personne  dont  vous  me  parlez 
s'acquittait  si  mal  de  ce  que  l'on  a  confié  à  ses  soins. 
Et,  si  je  ne  puis  justifier  entièrement  sa  conduite,  parce 
que  je  n'en  ai  aucune  connaissance,  permettez-moi  au 
moins  d'excuser  ses  intentions,  que  je  ne  puis  soupçon- 

1.  Du  Vaucel. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        125 

ner  de  n'être  pas  droites,  étant  bien  convaincue  qu'elle 
est  tout  à  fait  éloignée  de  faire  les  moindres  injustices, 
si  elle  pouvait  les  apercevoir.  Elle  doit  savoir  mieux  que 
personne  les  dernières  volontés  de  son  père1.  Il  ne  faut 
pas  toujours  ajouter  foi  à  tout  ce  qu'on  nous  dit,  et  je 
doute  fort  que  ses  largesses  envers  son  ami  soient  telles 
qu'on  vous  les  a  représentées.  Je  suis  bien  aise  de  vous 
dire  encore,  mon  révérend  Père,  que,  quelque  liaison 
que  nous  ayons  ensemble,  elle  ne  me  parle  jamais  de 
ses  affaires.  Cette  réserve  m'ôte  toute  liberté  de  lui  en 
parler.  Mais,  quand  je  le  ferais,  si  elle  n'a  pas  déféré  à 
vos  avis,  quel  cas  pourrait-elle  faire  de  ce  que  je  m'in- 
gérerais de  lui  dire  sans  autorité  et  sans  aucun  fonde- 
ment? Je  ne  puis  m'empecher,  mon  révérend  Père,  de 
me  plaindre  un  peu,  en  finissant  cette  lettre,  de  ne  pas 
trouver,  dans  celle  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de 
m'écrire,  l'assurance  que  vous  avez  satisfait  à  la  parole2 
que  vous  m'avez  donnée  sur  un  certain  article.  Je  veux 
croire  que  votre  silence  vient  d'un  simple  oubli,  et  non 
de  faute  d'exactitude  à  exécuter  votre  promesse.  Si 
cependant  vous  ne  l'avez  pas  encore  fait,  souffrez  que 
je  prenne  la  liberté  de  vous  déclarer  que  c'est  une  dette 
dont  je  ne  vous  quitterai  point  que  vous  n'y  ayez 
satisfait  jusqu'à  la  dernière  obole. 

Quesnel  à  M.  V  util  art 

Bruxelles,  5  janvier  1701. 

J'ai  reçu  la  relation    de  la  mort    de  l'ancien  abbé3. 
J'aime  bien    mieux  m'en    tenir   à   cette  relation  qu'à 

1.  Arnauld. 

2.  11  s'agit  de  la  destruction,  promise  par  Quesnel,  des  lettres  prises 
dans  les  papiers  du  chanoine  Ernest  Ruth  d'Ans.  Nous  avons  donné 
toute  la  correspondance  sur  ce  sujet,  pour  arriver  à  une  lettre  très 
curieuse  de  Quesnel,  du  5  février  1701,  expliquant  sa  conduite  dans 
cette  affaire  délicate. 

3.  L'abbé  de  la  Trappe. 


126        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

toute  autre.  Elle  est  édifiante,  la  mort  conforme  à  la 
vie,  à  la  conduite  de  Dieu  et  aux  désirs  de  mon  cœur. 
Car  je  ne  suis  point  du  tout  chargé  des  intérêts  du 
diable,  pour  favoriser  ses  desseins  sur  les  âmes  des 
élus,  ou  pour  empêcher  le  fruit  de  leur  bon  exemple 
par  de  sinistres  préjugés  qu'il  voudrait  faire  paraître 
dans  leur  mort. 

Il  ne  laisse  pas  d'être  vrai  que  le  cancer  a  com- 
mencé de  se  saisir  de  sa  main  droite,  aussitôt  après 
qu'il  eut  écrit  d'une  manière  désavantageuse  à  la  mé- 
moire de  notre  défunt  abbé.  Car,  dans  la  réponse  qu'il 
me  fit,  il  marquait  qu'il  ne  signait  point,  parce  qu'il 
avait  à  la  main  droite  un  mal  qui  lui  était  survenu, 
et  depuis  ce  temps-là  il  ne  l'a  point  quitté.  C'est  la 
pénitence,  comme  je  l'espère,  qui  aura  expié  et  cette 
faute  et  la  petite  honte  politique  qu'il  a  eue  de  s'expli- 
quer. 

Je  suis  bien  obligé  à  la  bonne  inconnue  du  soin 
qu'elle  a  eu  de  me  faire  communiquer  la  lettre  de 
Rome,  dont  le  détail  est  fort  curieux  et  donne  sujet  de 
croire  que  dom  Antoine  de  Saint-Bernard  [cardinal  de 
Noailles],  informé  de  tout  cela,  en  lit  le  fondement  du 
refus  qu'il  a  fait  de  donner  sa  voix  d'abord  au  pape 
d'aujourd'hui. 

Je  n'ai  pas  de  peine  à  croire  que  le  roi  ait  reçu  les 
pouvoirs  nécessaires  pour  agir  en  faveur  de  son  petit- 
fils  dans  la  conjoncture  présente.  Cela  était  nécessaire; 
mais,  pour  pouvoir  despotique,  je  ne  le  crois  pas1. 

1.  Les  Espagnols  se  plaignaient  de  voir  les  ordres  relatifs  aux  affaires 
d'Espagne  venir  directement  de  Versailles.  Louville  écrivait  à  Torcy, 
en  nul,  qu'un  des  principaux  ministres  de  Philippe  V,  don  Manuel 
Arias,  disait  «  que  le  roi  se  laissait  mener  par  son  aïeul  comme  un 
enfant  de  quatre  ans.  »  (l'hilippe  V  et  la  Cour  de  France,  par  M.  Bau- 
drillart.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  127 

Quesnel  à  M.    Vuillart 

22  janvier  1701. 

Que  vous  êtes  fin,  mon  ami!  Vous  m'envoyez  de  plus 
grand  papier  que  je  n'en  emploie,  afin  que  mes  lettres 
soient  plus  longues.  Mais  je  vous  attraperai  bien,  car 
je  le  plierai  en  deux,  et  mes  lettres  en  seront  plus  courtes, 
ayant  cette  mauvaise  coutume  que  la  mesure  de  mon 
papier  règle  souvent  celle  de  mes  lettres.  Cependant  il 
faut  racheter  le  temps. 

J'ai  reçu  l'estampe  de  la  destruction  de  Jérusalem. 
Elle  m'a  été  tout  à  fait  nouvelle.  Je  n'en  avais  point 
entendu  parler  et  ne  l'avais  point  vue.  Et,  pour  vous 
dire  ce  que  j'en  pense,  je  n'aime  point  cela.  Gela  n'est 
bon  à  rien,  irrite  les  gens  et  le  maître  môme.  On  pren- 
dra cela  pour  un  décri  des  ordres  du  maître.  Je  n'y 
prendrai  point  de  part.  Tout  presque  y  est  faux.  On  n'a 
point  vu  là  de  ces  Pères;  on  n'y  a  point  fait  de  ces 
violences  soldatesques  de  mainmise,  d'insolence  contre 
la  pureté;  au  contraire,  les  gens  d'épée  furent  plus 
touchés  du  spectacle  que  les  gens  d'Eglise.  Il  n'y  a 
point  eu  de  livres  brûlés,  d'édifices  abattus,  d'église 
détruite.  L'image  conviendrait  quasi  mieux  aux  Filles 
de  l'Enfance. 

M.  le  cardinal  de  Noailles  devait  partir  le  3  ;  les 
gazettes  mettent  le  4.  Apparemment  la  mort  de  l'am- 
bassadeur l'aura  retardé.  Nous  saurons  mercredi  matin 
ce  qui  en  est1. 

Je  ne  vous  envie  point,  mon  cher  ami,  votre  trou- 
vaille d'un  si  bon  garçon  de  boutique;  au  contraire,  j'en 

1.  Le  prince  de  Monaco,  ambassadeur  à  Rome,  était  mort  le  2  janvier, 
et  le  cardinal  de  Janson  écrit  au  roi  :  «  M.  le  cardinal  de  Noailles  l'a 
assisté  jusqu'au  dernier  soupir  avec  une  charité  digne  de  lui.  »  (Afl'.  étr., 
Rome,  418.) 


128  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

suis  très  aise.  Mais  j'en  voudrais  avoir  un  de  même. 
Voyez  donc  si  vous  en  pourriez  trouver  un.  Quand  il 
serait  plus  jeune,  on  ne  laisserait  pas  de  s'en  accom- 
moder, pourvu  qu'il  sût  un  peu  écrire,  qu'il  eût  de  la 
piété,  sagesse,  discrétion,  secret,  etc.  Car  nous  en 
aurons  besoin,  en  cas  de  déménagement.  Vous  voyez 
mieux  vous-même  ce  qu'il  nous  faudrait  et,  de  plus, 
qu'il  ne  fût  point  cour  eux. 


Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  29  janvier  1701. 

Il  y  a  toujours  beaucoup  plus  de  sujets  d'espérer  que 
de  craindre  du  nouveau  pontificat.  On  ne  voit  rien  jus- 
qu'ici qui  fasse  croire  que  les  révérends  Pères  aient  eu 
raison  de  tant  faire  de  triomphe  de  son  élection.  On  n'a 
pas  manqué  d'en  informer  Sa  Sainteté,  qui  a  répondu 
qu'on  verrait,  par  les  effets,  s'ils  doivent  tout  attendre 
de  lui.  M.  du  Vaucel  eut  audience  de  lui  lundi  passé,  et, 
sur  ce  qu'il  dit  à  Sa  Sainteté  qu'il  devait  féliciter  non 
Sa  Sainteté,  mais  l'Eglise  et  le  Saint-Siège,  il  rejeta  cela 
bien  loin  et  ajouta  qu'il  se  sentait  accablé  sous  le  poids 
d'une  si  grande  charge,  que  sa  consolation  était  que,  les 
peines  et  les  angoisses  de  l'esprit  se  communiquant  au 
corps,  Dieu  le  délivrerait  bientôt  d'un  état  si  pénible. 

On  tient  pour  certain  que  le  cardinal  de  Bouillon  par- 
tira dans  peu  de  temps  pour  se  rendre  à  son  abbaye  de 
Cluny,  voulant  par  là  se  mettre  en  état  d'obéissance  aux 
ordres  du  roi,  pour  apaiser  Sa  Majesté  et  recouvrer 
au  moins  les  revenus  de  ses  bénéfices1.  Le  cardinal  de 
Goislin  doit  être  en  chemin. 

1.  Le  cardinal  de  Bouillon  avait  espéré  que  le  nouveau  pape  obtien- 
drait du  roi  son  pardon.  Nous  avons  la  preuve  d'une  tentative  infruc- 
tueuse faite  en  sa  faveur  par  Clément  XI,  d'après  une  réponse  du 
cardinal  d'Estrées,  au  commencement  de  1701  :  «  Très  Saint-Père,  le 
roi,   toujours  justement  offensé   de  la  désobéissance  du    cardinal   de 


CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL  129 

Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  2  février  1701. 

M.  le  cardinal  de  Goislin  songeait  à  partir,  vers  le  com- 
mencement de  ce  mois  de  février,  pour  se  trouver,  la 
semaine  sainte,  à  la  cour  et  y  exercer  sa  grande-aumô- 
nerie.  Il  introduisit,  il  y  a  quelque  temps,  M.  Fromentin 
à  l'audience  de  Sa  Sainteté,  qui  lui  témoigna  beaucoup 
d'estime  et  de  bonté.  Il  le  loua  de  ce  que,  par  respect 
pour  le  sacerdoce,  il  était  demeuré  dans  l'état  de  diacre, 
et  il  ajouta  qu'il  aurait  voulu  aussi  ne  point  entrer  dans 
le  sacerdoce,  par  respect  pour  un  si  saint  caractère,  ne 
s'étant  résolu  à  être  ordonné  que  quelques  mois  avant 
le  conclave.  Puis,  montrant  le  cardinal  qui  était  présent, 
il  dit:  «  Et  voici  que  ces  messieurs,  questi  signori,  ont 
voulu  que  je  fusse  Souverain  Prêtre,  Sacerdote  deiSacer- 
doti.  »  Il  y  a  longtemps  qu'un  pape  n'a  parlé  comme 
cela,  et  on  ne  doute  point  qu'il  ne  parle  sincèrement. 

Quesnel  à  Mno  de  Joncoux 

Bruxelles,  3  février  1701. 

J'ai  reçu  votre  lettre  du  20  janvier,  ma  très  chère  sœur. 
Je  n'ai  plus  rien  à  vous  dire,  touchant  l'amie  d'auprès 
d'Orléans;  ma  conscience  en  est  déchargée.  Je  ne  vous 
ai  rien  dit  dont  je  ne  sois  assuré,  touchant  ses  libéra- 
lités injustes  et  touchant  la  plainte  de  son  ami  pré- 
tendu, des  trois  mille  livres  fondues  entre  ses  mains. 
Toute  la  maison  le  sait,  parce  qu'il  n'en  a  pas  fait  la 
petite  bouche. 

.Bouillon  et  encore  plus  de  ce  qu'il  veut  engager  Votre  Sainteté  dans 
son  affaire,  est  persuadé  qu'il  y  va  de  son  autorité  et  de  sa  gloire  de 
faire  obéir  son  sujet.  »  (Aff.  étr.,  Rome,  421.) 

H.  9 


130  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Pour  ce  qui  concerne  la  promesse  dont  vous  m'écri- 
vez, j'ai  trois  choses  à  vous  dire:  La  première,  que  je 
n'ai  point  déterminé  le  temps  de  l'exécution  ;   ainsi,  si 
je  ne  l'ai  pas  encore  fait,  je  puis  prendre  tel  terme  que 
je  jugerai  à  propos.   Deuxièmement,  j'ai  consulté  sur 
ce  cas  de  conscience  des  personnes  fort  intelligentes  et 
qui  passent  pour  avoir  la  lumière  de  Dieu,  et  ils  m'ont 
fait  connaître  que  non  seulement  j'ai  pu  faire   ce  que 
j'ai  fait,  mais  que  je  l'ai  dû,  que  j'y  étais  obligé.  En 
effet,  il  n'y  a  personne  qui,  découvrant  une  intrigue  et 
une  espèce  de  trahison  qui  se  trame  contre  lui  dans  sa 
maison  entre  un  domestique  et  une  personne  inconnue 
dont  il  a  découvert  les  lettres  ne  se  crût  en  droit  de 
prendre  connaissance  de  ces  lettres,  de  suivre  l'intrigue 
jusqu'au  bout,  de  garder  par  devers  soi  tout  ce  qui  peut 
lui  servir  à  découvrir  la  suite,  à  convaincre  les  cou- 
pables, à  s'assurer  des  preuves,  etc. 

Que  s'il  a  droit  de  faire  tout  cela  à  l'égard  d'un  domes- 
tique, il  l'a  beaucoup  plus  à  l'égard  d'un  ami  domes- 
tique, parce  qu'il   ne  communique  pas  ses  affaires  et 
ses  secrets  à  un  domestique,  et  qu'on  n  a  pas  ordinaire- 
ment de  secret  pour  un  ami  domestique.  Ainsi  il  lui  est 
sans  comparaison  plus  important  de  découvrir  ce  qui  se 
trame  entre  un  ami  domestique  et  une  personne  étran- 
gère dont  il  n'a  aucune  connaissance,  et  qu'il  ne  sait  point 
si  ce  n'est  pas  un  émissaire  de  ses  ennemis.  Car  supposez 
que  cette  personne  ait  des  ennemis  qui   le  cherchent 
et  qui  sont  disposés   à  lui  nuire,  qu'il  n'a  de  compa- 
gnie que  celle  de  cet  ami  domestique,  qu'il  ne  se  peut 
cacher  de  lui.  Vous  voyez  bien,  ma  bonne  petite  sœur, 
que  c'est  une  troisième  circonstance  fort  aggravante  et 
qui  fortifie  merveilleusement  le  droit  qu'il  a  de  prendre 
toutes  les  mesures  pour  pourvoir  à  sa  sûreté  et  se  défendre 
de  tout  ce  que  les  étrangers  peuvent  lui  faire  de  sur- 
prises. Vous  voyez  bien   par  là  que   cet  étranger    est 
d'autant  plus  coupable  de  la  trahison  tramée  que  cet 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  131 

ami  domestique  a  plus  la  confiance  de  son  ami  et  plus 
de  connaissance  de  ses  affaires  et  de  ses  secrets.  Mais  ce 
qui  a  surpris  cet  ami  trahi,  c'est  que  cet  étranger,  lui 
écrivant  un  billet  avant  son  voyage1  pour  lui  deman- 
der l'exécution  d'une  promesse,  traite  l'ami  trahi  comme 
un  homme  qui  a  violé  les  lois  de  la  bonne  foi,  de  la 
probité,  de  l'honnêteté,  et  qu'il  demande  hautement 
réparation,  restitution,  etc.  Gela  seul  suffit  pour  rendre 
nulle  la  promesse  qu'on  avait  faite  par  amitié  et  par 
générosité.  Car  on  ne  prétendait  nullement  le  faire  par 
justice  et  par  obligation.  Mais,  puisqu'on  le  demande 
sur  un  titre  faux  et  en  supposant  à  un  prêtre  des  crimes 
qu'il  n'a  point  commis,  la  face  des  choses  est  bien  chan- 
gée. C'est  à  l'étranger  à  rendre  justice  à  qui  il  la  doit,  à 
faire  pénitence  de  son  péché.  Je  vous  dis  franchement  les 
choses  comme  à  son  amie  et  ne  lui  dissimulerais  rien 
si  je  l'entretenais  tête  à  tête.  Car,  d'ailleurs,  je  l'estime, 
je  l'honore,  je  l'aime  sincèrement,  parce  qu'il  me  paraît 
avoir  un  bon  petit  cœur  pour  Dieu,  pour  la  vérité,  pour 
ses  amis.  Dites-lui  donc  qu'elle  prenne  garde  à  la 
manière  dont  il  traite  les  gens  qui  ont  des  caractères 
respectables  à  son  égard. 

C'est  lui-même  qui  est  coupable,  n'y  ayant  guère  de 
conduite  plus  odieuse  ni  plus  contraire  aux  lois  de  la 
probité,  bonne  foi,  honnêteté,  que  de  débaucher  un 
ami  domestique  pour  l'engager  à  agir  contre  son  ami 
et  à  travailler  à  le  faire  tympaniser  dans  le  monde  par 
des  libelles  où  l'on  affecte  de  le  traduire  devant  le  public. 
Voilà  de  gros  péchés!  Vous  pouvez  cependant  l'assurer 
que  je  n'en  ai  point  la  moindre  amertume  dans  le  cœur  à 
son  égard  et  que  je  veux  être  son  ami  à  toute  force.  Vous 
jugez  bien  que,  dans  cette  disposition,  je  n'ai  garde  de 
le  vouloir  envoyer  en  enfer.  Mais,  pour  un  petit  purga- 
toire, il  n'y  a  pas  moyen  de  l'en  dispenser  ;  nous  lui  en 

1.  Lettre  de  MUo  de  Joncoux  au  P.  Quesnel  du  15  septembre  1700. 


132  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

avons  cherché  un  des  plus  doux.  J'ai  lu  autrefois,  je  ne 
sais  si  c'est  dans  sainte  Catherine  de  Gènes,  qu'il  y  a  des 
âmes  dont  le  purgatoire  consiste  à  être  en  l'autre  monde 
dans  l'incertitude  de  leur  état,  ne  sachant  point  assuré- 
ment si  elles  sont  en  enfer  ou  en  purgatoire.  C'est  une 
étrange  peine  pour  une  âme  qui  aime  Dieu.  A  l'instar 
de  cette  sorte  de  purgatoire,  notre  étranger  demeurera 
dans  l'incertitude  entière,  si  la  promesse  dont  il  désire 
si  fort  d'apprendre  l'exécution  a  effectivement  été  exé- 
cutée. Elle  peut  l'avoir  été;  elle  peut  aussi  ne  l'avoir 
pas  été.  Dieu  sait  ce  qui  en  est;  mais,  pour  lui,  il  ne  le 
saura  pas,  jusqu'à  ce  que  le  feu  de  ce  purgatoire  (feu 
follet  comme  vous  voyez)  ait  expié  sa  faute.  Il  pourra 
venir  quelque  jubilé  qui  l'en  tirera.  Voilà  ma  sentence. 
N'en  parlons  plus. 

Quesnel  à  M.  Vuillart 1 

Bruxelles,  12  février  1701. 

Je  me  défie  qu'une  lettre  à  vous  écrite,  et  par  vous 
laissée  entre  les  mains  du  petit  Coq  [Aitte  de  Joncoux], 
a  été  envoyée  au  P.  Paulin  [Ruth  d'Ans].  Car,  en  mon 
absence,  il  a  dit  qu'il  avait  une  de  mes  lettres,  à  vous 
écrite,  entre  les  mains.  Le  Coq  l'aurait  peut-être  envoyée 
à  MmedeMérilles  [de  F  on  tper  tu  is],  et  celle-ci  au  P.  Paulin. 
Il  prétendait  qu'il  y  avait  quelque  chose  de  désobligeant 
pour  lui.  Si  ce  n'est  pas  cela,  je  me  douterais  que  le 
paquet  où  j'envoyais  une  certaine  signature  aurait  été 
ouvert  et  que  la  lettre  qui  raccompagnait,  aussi  bien 
que  la  signature,  aurait  été  enlevée.  Mais  ce  ne  sont 
que  conjectures.  C'était  vers  le  20  avril  1700,  ou  peu 
auparavant,  que  cette  lettre  confiée  avait  été  écrite.  Ce 
petit  Coq  est  un  peu  hermaphrodite;  il  estcoqetpoulelle, 
mais  fine  poulette.  Il  faut  aller  bride  en  main.  Ce  pou  r- 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        133 

rait  bien  être  la  première  lettre  que  je  lui  ai  écrite  sur 
certain  chapitre. 

On  ne  compte  ici  que  10.000  Hollandais  dans  les  places. 
On  dit  qu'il  va  6.000  Français  à  Anvers. 

Quesnel  à  M.    Vuillart { 

Bruxelles,  16  février  1701. 

L'ordre  est  venu  de  France  de  laisser  partir  les  Hollan- 
dais qui  étaient  dans  les  villes2.  On  leur  a  môme  rendu 
des  déserteurs,  qui,  à  cette  occasion,  étaient  passés  de 
Mons  à  Valenciennes. 

Pour  la  transmigration,  je  ne  suis  pas  encore  déter- 
miné. Il  faut  penser  à  tâcher  de  ne  rien  faire  contre 
l'ordre,  ni  contre  la  volonté  de  Dieu3. 

Un  cousin  de  notre  cher  petit  Coq  arriva,  hier  au  soir, 
en  bonne  santé  en  cette  ville.  11  est  venu  de  Lille  où 
il  avait  affaire,  par  Courtrai  à  Gand  et  de  Gand  ici,  et 
il  s'en  retourne  demain,  par  Mons,  encore  à  Tournay,  et 
de  là  à  Lille.  J'ai  reçu  par  lui  une  lettre  du  petit  Coq,  et 

1.  Bibl.  nat,  ms.  19730. 

2.  Au  commencement  de  la  longue  guerre  de  la  succession  d'Espagne, 
où  Louis  XIV  lutta  seul  contre  la  grande  alliance  de  l'Angleterre,  de  la 
Hollande,  de  l'Autriche,  de  la  Prusse  et  du  Hanovre,  il  y  avait  vingt- 
deux  bataillons  hollandais  dans  les  villes  des  Pays-Bas  espagnols.  Le 
roi  ne  voulut  pas  les  retenir,  pour  qu'orme  lui  imputât  point  les  premiers 
actes  d'hostilité. 

3.  Ernest  Ruth  d'Ans  écrit  à  Mlle  de  Joncoux,  le  25  février  :  «  Un  ami 
qui  est  son  confident  (au  P.  Quesnel)  m'a  dit  en  secret  qu'il  avait  pris 
résolution  de  se  retirer  d'ici  et  qu'il  délibérait  seulement  s'il  irait  demeu- 
rer à  Mons  ou  à  Anvers.  A  vous  dire  ma  pensée,  je  ne  crois  pas  que 
cette  résolution  prise  s'exécute.»  (Amersfoort,  boîte  11.)  11  est  assez' 
curieux  de  suivre  cette  contre- correspondance  entre  le  petit  Coq  et  le 
chanoine;  la  mauvaise  humeur  du  P.  Quesnel,  à  ce  sujet,  s'explique 
suffisamment.  Dans  la  même  lettre,  cependant,  Ernest  Ruth  d'Ans  pro- 
met de  surmonter  sa  jalousie  et  de  «  laisser  passer  tous  les  billets  sans 
en  avoir  de  la  peine  »  ;  puis,  quelques  lignes  plus  loin,  il  donne  un  coup 
de  patte  à  son  compagnon  :  «  C'est  assurément  un  étrange  homme  que 
M.  de  Fresne  {Quesnel)  ». 


134  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESISEL 

j'ai  eu  l'honneur  de  le  voir  quelques  moments,  car  un 
homme  qui  n'a  qu'un  jour  pour  voir  cette  ville  n'a  pas 
de  temps  à  perdre.  Je  l'ai  assez  vu  pour  connaître  que 
c'est  un  fort  honnête  homme  et  qu'il  aime  bien  le  petit 
Coq. 

Je  crois  que  notre  chanoine  vous  pourra  voir  avant 
Pâques. 


Quesnel  à  Mlle  de  Joncoux 

Bruxelles,  16  février  1701. 

Nous  avons  vu  monsieur  votre  cher  cousin,  mais 
comme  un  éclair;  sa  course  a  été  si  rapide  qu'à  peine 
avons-nous  eu.  quelques  moments  pour  jouir  de  l'hon- 
neur de  son  entretien.  Je  le  plains  d'être  venu  par  un 
si  mauvais  temps  et  d'avoir  eu  à  traverser  des  chemins 
horribles,  sans  avoir  pu  se  dédommager  par  la  visite 
de  nos  belles  villes,  qui  méritaient  bien  cet  honneur 
de  sa  part.  Vous  avez  trop  de  réserve  à  son  égard  à 
mon  sujet;  car  ceux  que  vous  jugerez  dignes  de  votre 
confiance  ne  me  seront  jamais  suspects. 

Pour  ce  qui  concerne  vos  lettres  de  la  Mère  Angélique1, 
je  ne  sais  ce  que  vous  me  voulez  dire.  Je  ne  les  ai  point 
et  ne  les  ai  jamais  vues.  Ainsi  c'est  à  quelque  autre  à 
vous  en  dire  des  nouvelles.  On  doit  avoir  beaucoup  de 
retenue  à  publier  des  lettres  de  cette  sorte,  au  temps 
où  nous  sommes.  Le  moins  qu'on  puisse  parler  de  ces 
bonnes  filles,  c'est  le  mieux.  Si  le  diable  dort  un  peu, 
il  ne  faut  pas  le  réveiller.  Je  sais  déjà  tout  ce  que  me 
répondrait  la  personne?  à  qui  vous  voudriez  que  j'écri- 
visse. Je  n'ai  rien  de  nouveau  à  lui  dire. 

Elle  me  dira  :  «  Oh!  il  s'est  bien  dit  des  choses  de  vive 

1.  Ces  lettres  n'ont  été  publiées  que  beaucoup  plus  tard,  sous  le  titre: 
Lettres  de  la  Mère  Angélique  Arnauld,  Utrecht,  1742,  ')  vol.  in-12. 

2.  M"":  de  Fontpertuis. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  135 

voix,  depuis  qu'il  a  fait  son  testament.  »  Ce  sont  chan- 
sons dont  je  suis  las  !  Il  faut  s'en  tenir  à  ce  qui  est  écrit. 
En  user  autrement,  c'est  ouvrir  la  porte  à  un  abus 
intolérable.  Bien  loin  de  trouver  mauvais  ce  que  vous 
me  dites  sur  ce  sujet,  je  vous  en  suis  trop  obligé,  et 
je  trouverai  toujours  fort  agréable  ce  qui  me  viendra 
de  votre  part. 

J'ai  eu  l'honneur  de  vous  écrire,  ma  pauvre  petite 
sœur,  depuis  que  vous  êtes  en  purgatoire.  Recommandez- 
vous  bien  aux  prières  du  roi  maure,  car  j'apprends  qu'il 
est  fort  dévot,  et  surtout  à  la  sainte  Vierge.  Il  pourra 
obtenir  votre  délivrance. 

Il  faut  livrer  ma  lettre.  Ainsi  je  vous  quitte,  en  vous 
souhaitant  bien  l'esprit  de  pénitence,  afin  que  vous 
expiiez  les  péchés  que  vous  avez  faits  en  traitant 
d'homme  de  mauvaise  foi,  de  violateur  des  lois  de  la 
probité,  de  voleur,  un  homme  qui  vous  honore  et 
vous  chérit  plus  que  vous  ne  pensez. 

Quesnel  à  M.    Vuillart1 

Bruxelles,  9  mars  1701 

Je  suis  bien  aise  que  le  P.  Le  Doux  [M.  Dodart  le 
père]  ait  pris  l'alarme  et  qu'il  ait  eu  peur  des  rats  et 
des  souris  à  dix  doigts.  Ce  qu'ils  ont  trouvé  en  un  lieu 
où  ils  ne  devaient  pas  le  trouver,  du  temps  de  ce 
bon  prêtre  qui  s'appelait  quasi  comme  Didyme,  doit 
rendre  sage.  Mais  il  faut  que  le  sieur  Le  Doux  se  garde 
aussi  des  rats  qui  peuvent  venir  chez  lui  après  sa  mort, 
car  je  ne  pense  pas  qu'il  se  croie  immortel. 

L'article  du  synode  du  pape  m'était  nouveau.  Il 
est  fort  édifiant.  Le  bon  pape  voit  bien  que  sa  démis- 
sion serait  une  tentative  inutile  ;  mais  il  est  vrai  que 
M.  Gharmot  eut,  le  lundi  14,  audience  très  favorable 

1.  Bibi.  nat.,  ms.  19730. 


136  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

de  Sa  Sainteté,  qui  parut  bien  disposée  sur  les  cultes 
chinois,  qu'elle  a  ordonné  qu'on  portât  à  la  prochaine 
congrégation,  mercredi  après  le  19  février1.  Elle  lui 
parla  encore,  comme  se  sentant  accablée  du  poids  de 
sa  charge,  à  quoi  M.  Gharmot  répondait  en  l'encou- 
rageant et  lui  disant  rondement  que  ces  troubles  et  ces 
inquiétudes  où  il  était  n'étaient  que  pure  tentation. 

Je  n'ai  jamais  reçu  aucun  déplaisir  de  M.  l'abbé  de 
Soubise2.  Ainsi  je  ne  me  réjouis  point  de  ce  qu'on  le 
condamne  à  être  un  jour  évêque  de  Strasbourg.  Il  s'en 
consolera  sans  doute. 

Je  fais  comme  vous,  je  joins,  même  dans  le  canon, 
nos  deux  rois. 

Le  cardinal  de  Goislin  partait  le  19  février,  et  M.  Fro- 
mentin, qui  va  par  Lorette,  le  retrouvera  à  Milan. 

Le  pape  a  signé  un  chirographo  de  550.000  écus 
pour  lever  des  troupes,  pour  mettre  dans  Florence 
et  ailleurs. 

On  tint,  le  15,  une  congrégation  extraordinaire  sur 
l'affaire  de  M.  de  Saint-Pons.  Elle  n  'est  pas  encore  termi- 
née3. 

L'abbé  Renaudot  a  fait  un  discours  à  FAcademia  délia 
Propaganda,  en  latin.  Il  y  avait  bel  auditoire,  et  il  fut 
bien  écouté.  Son  discours  était,  dit-on,  fort  beau. 

Le  cardinal  de  Janson  avait  mené  à  Rome  un  neveu 
du  P.  de  La  Chaise,  prêtre  et  chargé  de  bénéfices  que 

1.  M.  Gharmot  publia  un  livre,  en  italien,  sur  l'Affaire  de  la  Chine. 

2.  Quelques  années  plus  tard,  le  P.  Quesnel  n'en  eût  pas  dit  autant  ; 
car  l'abbé  de  Soubise,  devenu  évêque  de  Strasbourg-  et  cardinal  de 
Rohan,  sera  un  des  plus  puissants  parmi  ses  ennemis.  A  cette  époque, 
point  encore  ambitieux,  il  s'occupait  peu  de  théologie,  mais  beaucoup 
de  «  ses  bonnes  fortunes  et  de  ses  progrès  dans  l'empire  amoureux  ». 
(Lettre  de  Mme  de  Coulanges,  18  janvier  1708.) 

3.  M.  de  Montgaillard,  évêque  de  Saint-Pons,  dont  les  mandements  et  les 
écrits  furent  si  souvent  condamnés  en  cour  de  Rome  qu'on  alla  jusqu'à 
soulever  la  question  de  soumettre  le  prélat  à  un  jugement  canonique. 
Son  grand  âge  seul  lui  épargna  celte  disgrâce.  Il  mourut  en  1713,  à 
quatre-vingt-dix  ans. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  137 

des  évoques  de  cour  lui  ont  donnés  pour  faire  leur  cour 
à  son  oncle  (car  cet  oncle  ne  Ta  point  voulu  avancer 
et  n'a  point  approuvé  son  voyage).  Il  a  trouvé  moyen 
de  ne  point  loger  chez  le  cardinal  de  Janson  pour  être 
plus  libre.  Il  a  vécu  comme  il  a  voulu  et  s'en  est  allé 
à  la  sourdine,  sans  dire  adieu  à  personne,  et  a  laissé 
sept  ou  huit  mille  livres  de  dettes. 


Quesnel  à  M.   Vuillart1 

Bruxelles,  25  mars  1701. 

Il  faut  que  quelqu'un  ait  eu  la  curiosité  d'ouvrir  mes 
lettres  (car  je  les  cachette  toujours),  et  pour  cela  il  aura 
fait  une  autre  enveloppe.  Je  me  suis  souvenu  que  celle 
pour  Toulouse  n'était  pas  cachetée  en  dedans;  mais 
l'enveloppe,  àvous  adressante,  l'était.  Il  fautquele  des- 
sus de  la  première  enveloppe  ait  donc  été  écrite  d'une 
autre  main  que  la  mienne.  Certain,  qui  n'est  pas  le  frère 
Joseph  [Brigode]2,  s'est  mis  sur  le  pied,  depuis  quelque 
temps,  de  prendre  sur  lui  de  faire  les  paquets  de  deux 
l'un,  et  je  m'étais  déjà  édifié  que,  demandant  les  lettres 
longtemps  avant  que  déformer,  il  en  faisait  une  petite 
revue.  Il  se  pourrait  faire  aussi  que  ceux  qui  ont  droit 
de  visiter  de  temps  en  temps  les  paquets  de  la  poste 
l'auraient  fait  ces  deux  fois-là.  Dieu  sait  ce  qui  en  est. 
Dorénavant,  l'enveloppe  de  dessus  le  tout  sera  cachetée 
avec  du  pain  à  chanter  et,  par  dessus,  cire  d'Espagne, 
avec  mon  petit  cachet  qui  est  à  mon  chiffre,  ou  avec  cet 
autre  que  voici. 

Dom  Bernard  de  Montfaucon  doit  partir  le  mercredi, 
après  le  5  du  courant,  pour  France.  On  avait  repris,  le 
jeudi  d'auparavant,  les  cultes  chinois.  Il  fallait  environ 
quatre   congrégations. 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

2.  Mais  le  chanoine  Ernest  Ruth  d'Ans. 


138  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Le  pape  a  fait  les  visites  du  jubilé  en  l'ouvrant. 
En  disant  les  oraisons  où  il  y  a  qui  me  indigmim,  etc.. 
les  soupirs  lui  coupaient  la  parole. 


Quesnel  à  M.    Vuillart 

Bruxelles,  13  avril  1701. 

La  vie  du  P.  Jean-Baptiste  Moralez1  est  très  édi- 
fiante et  très  bien  écrite.  Les  dominicains  ont  fourni 
la  matière,  et  quelque  autre  la  façon. 

Je  salue  tous  les  amis  et  notre  frère  Nicolas.  La  diète 
lui  serait  bonne,  s'il  mange  toujours  comme  je  l'ai  vu 
manger.  Je  ne  m'étonne  pas  qu'il  ait  des  fluxions. 
Une  vie  d'étude  demande  qu'on  mange  fort  modéré- 
ment et  qu'on  trempe  bien  son  vin.  La  cuisine  de  la 
Trappe  guérirait  le  mal  que  lui  fait  peut-être  celle  de 
Saint-Magloire  ;  ses  dents  se  vengent  par  elles-mêmes 
de  l'exercice  qu'il  leur  donne  ;  mais,  quelque  mal 
qu'elles  lui  fassent,  il  ne  saurait  se  résoudre  à  leur 
donner  leur  congé,  ni  à  rompre  avec  elles,  et  cela  est 
fort  chrétien. 

Le  voyage  de  notre  chanoine,  en  Espagne,  est  tout  à 
fait  résolu,  mais  il  le  faut  tenir  secret. 

Dieu  veuille  que  ce  voyage  fasse  du  bien  aux  autres 
et  ne  lui  fasse  point  de  mal  à  lui-même! 

Quesnel  à  M.   Vuillart 

Bruxelles,  lur  mai  1701. 

Courte  lettre  et  longue  maladie  n'accommoderaient 
pas  le  Père  prieur  [Quesnel].  Faites  donc  état,  mon  cher 

1.  Jean-Baptiste  Moralez,  dominicain  espagnol,  né  vers  1597,  fit  par- 
tie d'une  mission  en  Chine  et  obtint  du  pape  Innocent  X  un  décret 
contre  les  cérémonies  chinoises,  autorisées  par  les  jésuites.  11  lutta 
contre  ces  Pérès  durant  de  longues  années  etmourutàFonincheu,  en  1664. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        139 

ami,  de  vous  bien  porter.  Vous  me  faites  trembler  en  me 
parlant  des  deux  saignées.  Il  me  semble  que  c'est  bien 
mal  ménager  les  forces  d'un  malade.  Pourquoi  pas  plutôt 
le  quinquina?  Ici  nos  malades  se  remettent  en  peu  de 
temps  sur  pied,  parce  qu'on  les  nourrit  davantage  et 
qu'on  leur  laisse  le  sang  où  Dieu  l'a  mis.  Cependant 
je  me  console,  parce  que  rien  ne  se  fait  que  par  la 
volonté  souveraine  d'un  Dieu  infiniment  sage,  infini- 
ment bon.  Malgré  les  ménagements  des  médecins  de 
deçà,  on  meurt  quand  l'heure  qu'il  a  marquée  est  venue. 
Et,  malgré  la  prodigalité  que  ceux  de  delà  font  du  sang 
de  leurs  malades,  ils  vivront  tant  que  Dieu  voudra! 

Je  vous  embrasse,  mon  cher  malade,  et  je  prie  Dieu 
qu'il  veuille  bien  que  je  vous  puisse  encore  embrasser 
avant  la  grande  séparation.  Adieu,  mon  cordial  ami,  je 
suis  encore  à  vous. 


Quesnel  à  M.   VuUlart 

Bruxelles,  11  mai  1701. 

Je  suis  fort  aise  d'avoir  vu  de  votre  écriture  dans  la 
lettre  de  trois  mains,  et  que  vous  y  ayez  mis  la  vôtre, 
debout  et  sur  vos  pieds.  C'a  été  pour  moi  un  vrai  régal, 
mon  très  cher  ami;  mais  j'espère  que  le  régal  se  per- 
fectionnera par  votre  parfait  rétablissement.  Jusque- 
là,  ne  faites,  je  vous  prie,  nulle  œuvre,  ni  de  tête,  ni 
de  main,  encore  moins  de  pied,  pour  votre  petit  servi- 
teur. Recueillez,  dans  le  silence  du  cœur  et  la  sainte 
oisiveté  d'une  convalescence  chrétienne,  les  fruits  de  la 
visite  du  Seigneur.  Ce  n'est  pas  peu  faire  que  de  savoir 
ne  rien  faire,  pour  laisser  faire  à  Dieu  ce  qu'il  veut 
dans  notre  cœur  pour  la  mortification  et  l'abatte- 
ment des  forces  de  notre  corps. 

Mais  brisons  là,  pour  ne  pas  agir  moi-môme  contre 
mes  ordonnances  de  santé.  Portez-vous  bien,  mon  cher 


140  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

ami,  ménagez-vous  ;  n'ayez  qu'une  affaire  pour  le 
présent,  qui  est  de  fermer  toutes  les  avenues  à  la 
fièvre  avec  autant  d'habileté  que  le  roi  a  fermé  celles 
d'Italie  aux  Impériaux.  Je  vous  embrasse,  mon  cher 
convalescent,  en  celui  qui  est  la  santé  et  la  vie. 

Dites  au  cher  voisin,  à  la  première  visite,  que  je 
vous  mets  sous  sa  tutelle  et  à  sa  garde  pour  le  soin  de 
votre  santé.  Il  m'en  répondra  cœur  pour  cœur. 

Quesnel  ci  M,    Vuillart l 

Bruxelles,  14  mai  1701. 

L'affaire  de  Msr  de  Sébaste,  vicaire  de  Hollande, 
n'est  retardée  et  embarrassée  que  par  la  méchante  pro- 
cédure d'un  monsignore  Fabroni,  dont  l'entêtement  sur 
le  prétendu  jansénisme  n'est  pas  imaginable,  et  qu'on 
soupçonne  avec  fondement  d'être  Roulier  (jésuite)  du 
tiers  ordre.  Le  Saint  Père  avait  promis  d'y  remédier. 
Nous  espérons  qu'il  le  fera,  sur  les  nouvelles  instances 
que  nous  ferons  à  Sa  Sainteté.  M.  l'abbé  Renaudot  nous 
aide  bien  pour  cela. 

Quesnel  à  M.  Brnnet,  avocat- 

Bruxelles,  15  juin  1701  s. 

Je  vous  remercie  de  la  lettre  sur  l'affaire  de  M.  de  Saint- 
Pons  [Porcin  de  Mont  gaillard].  Comment  vous  étonnez- 
vous  du  succès  qu'elle  a  eu  ?  Ses  parties  ont  été  ses 
juges  ;  car,  outre  que  le  commissaire  du  Saint-Office, 
le  secrétaire,  le  maître  du  sacré  palais,  sont  religieux, 
les  consulteurs  le  sont  aussi,  et,  dans  les  congrégations 

1.  lïibl.  nat,  ms.  10730. 

2.  M.  Brunet,  avocat  de  Paris,  le  même  qui  viendra,  deux  ans  plus  tard, 
défendre  Quesnel  arrêté  à  Bruxelles.  Son  pseudonyme  est  Bellissime. 

3.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  5782. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUE^NEL  141 

où  la  doctrine  s'examine,  tout  roule  sur  les  cardinaux 
théologiens,  et  ils  sont  tous  moines  dans  le  Saint-Office, 
savoir  Noris,  Ferrari  et  {jabrielli.  Quelle  apparence 
donc  qu'ils  eussent  condamné  leurs  frères  et  autorisé 
les  évêques  à  les  humilier  et  à  leur  faire  fermer  leurs 
églises  ? 

Les  affaires  de  la  Chine  n'avancent  point  à  Rome. 
Dans  les  deux  dernières  semaines  d'avant  le  dernier 
courrier,  il  n'y  avait  point  eu  de  congrégation. 

M.  Louail  partit,  le  28  mai,  de  Rome. 

J'ai  reçu  les  lettres  de  l'abbé  de  la  Trappe,  qui  sont 
belles  et  bien  écrites. 

Je  prierai  notre  ami  de  vous  rendre  le  prix  des  lettres; 
car  il  n'est  pas  juste  que  vous  fassiez  toujours  de  la 
dépense  pour  un  homme  qui  vous  est  si  inutile,  mais 
cependant  tout  à  vous  de  la  meilleure  manière  qu'il  lui 
estpossible.  On  amis  au  château  Saint-Ange,  prisonnier, 
un  P.  Dias,  maître  cordelier  espagnol,  pour  avoir 
écrit,  à  ce  qu'on  croit,  en  faveur  de  l'empereur  sur 
l'investiture  au  royaume  de  Naples.  Le  pape  a  appré- 
hendé que  les  Espagnols  ou  les  Français  ne  le  fissent 
enlever. 

On  m'avait  dit  que  le  général  de  l'Oratoire  devait 
venir  jusqu'à  Mons.  Je  ne  sais  si  cela  est  vrai,  ni  quand. 

J'appréhende  qu'on  ne  charge  le  petit  évoque  de 
Sencz l  d'une  oraison  funèbre  et  que  ce  ne  soit  un 
sujet  de  tentation  pour  lui  de  demander  un  nouvel 
évêché. 

Quesnel  à  M.  Vuillart 

19  juin  1701. 

M.  Baillet,  dans  la  Vie  de  saint  Ignace,  et  dans  ce 
qu'il  a  dit  autrefois  de  ses  études  tardives,  dit,  après  le 

1.  Jean  Soanen. 


142  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

P.  Bouhours,  que  le  bon  Ignace,  contraint  par  la  pau- 
vreté, alla  chercher  gîte  à  Saint-Jacques  de  l'Hôpital, 
et  il  me  paraît  évident  qu'il  fallait  dire  à  l'Hôpital  de 
Saint-Jacques.  Le  premier  est  dans  la  rue  Saint-Denis, 
et  le  second  était  alors  où  est  aujourd'hui  Saint-Magloire, 
au  faubourg  Saint-Jacques  ;  car  l'église  était  apparem- 
ment la  salle  de  l'hôpital,  qui  a  été  hôpital  jusqu'en 
1572.  Maphéo1  dit  clairement  que  l'hôpital  où  se  retira 
Ignace  était  dans  un  faubourg  et  un  faubourg  voisin 
de  l'Université,  et  qui  était  l'hôpital  de  Saint-Jacques. 
Les  Pères  de  l'Oratoire  aiment  trop  les  jésuites  pour 
souffrir  qu'on  leur  ravisse  l'honneur  d'habiter  un  lieu 
qui  a  donné  retraite  à  leur  patriarche.  Cependant  ils 
seraient  fâchés  que  les  jésuites  s'avisassent  de  se  faire 
un  titre  de  cette  retraite  sur  la  maison  de  Saint-Magloire, 
en  vertu  de  cette  parole  de  l'Ecriture  :  Ornais  locus 
qaem  calcaverit  pes  vester,  rester  erit. 


Quesnel  à  M.   Bru  net2 

Bruxelles,  26  juin  1701. 

Je  vous  prie,  Monsieur,  de  me  mander,  en  m'en  voyant 
la  lettre  de  M.  Dambez  [Couet],  que  je  n'ai  pas  encore 
reçue,  si  j'aurai  la  liberté  d'en  faire  quelque  usage. 
Car  elle  serait  propre  à  mettre  avec  le  Phantôrne  qu'on 
doit  réimprimer.  Je  suis  bien  aise  de  ne  rien  faire 
contre  l'intention  des  personnes  qui  y  peuvent  avoir 
intérêt,  et  je  suivrai  exactement  ce  qu'on  me  dira. 

On  m'assura,  à  l'archevêché  même,  l'année  dernière, 
qu'il  n'avait  tenu  qu'à  M.  de  Saint-Pons  [M  ont  gaillard] 
d'avoir  le  prélat  pour  arbitre. 

Le  pauvre  petit  prélat3  me  fait  grande  compassion. 

1.  Malîéc,  jésuite,  auteur  d'une  Vie  d'Ignace  de  Loyola,  1685. 

2.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  5782. 

3.  Jean  Soanen,  évèque  de  Senez,  donnera   un  éclatant  démenti  aux 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  143 

Il  faut  plus  d'un  miracle,  dans  Tordre  tout  miraculeux 
de  la  grâce,  pour  réparer  le  vice  de  l'entrée  dans  une 
dignité  si  sainte.  C'est  une  racine  corrompue  dont  les 
fruits  ne  peuvent  être  que  mauvais. 

J'ai  quelquefois   la  pensée  d'écrire   au  petit   prélat; 
mais  j'ai  bien  peur  que  le  cœur  ne  soit  fermé  à  la  vérité. 


Que  sue  l  à  M.  Brunet,  avocat j 

Bruxelles,  20  juillet  1701. 

Vos  nouvelles  font  voir  qu'on  ne  songe  à  Rome  qu'à 
étendre  la  puissance  romaine.  Que  cela  est  scandaleux 
de  voir  régner  l'ambition  où  l'humilité,  selon  le  com- 
mandement de  l'esprit  de  Jésus-Christ,  devrait  éclater 
plus  que  toute  autre  chose!  Heureux  ceux  qui  n'ont 
aucune  charge,  soit  ecclésiastique  ou  séculière  !  Car 
l'enflure  du  cœur  et  l'orgueil  est  un  ver  qui  s'y  attache 
si  imperceptiblement  qu'on  en  est  consumé  avant  que 
de  s'en  apercevoir.  Nous  attendons  ce  que  deviendront 
ces  démarches  hardies,  et  s'il  y  aura  encore  de  la 
vigueur  dans  l'épiscopat. 

Je  ne  sais  si  je  ne  vous  avais  pas  déjà  mandé  qu'on 
réimprime  à  Amsterdam  les  Mémoires  de  Trévoux  et 
qu'on  y  ajoute  ce  qu'on  juge  à  propos  d'y  ajouter. 

J'ai  vu  les  deux  premiers  volumes,  ou  quatre  mois. 
Ainsi,  quand  de  vos  quartiers  on  voudra  y  faireinsérer 
quelque  chose  qui  le  mérite,  on  n'aura  qu'à  me  l'en- 
voyer. Je  vous  remercie  très  humblement,  Monsieur 
mon  très  cher  ami,  de  vos  offres  obligeantes  au  sujet 
des  amis  voyageurs.   Je  m'en  servirai  dans  l'occasion. 

injustes  préventions  du  P.  Quesnel,   en   soutirant  de  longues  persécu- 
tions   pour    celui  qu'il  appellera  «  un   des  plus   fidèles  interprètes   de 
saint  Paul  »  et  «  un  innocent  que  les  jésuites  veulent  lapider  ».  (Cor- 
respondance de  Soanen,  I,  94,  et  III,  468.) 
1.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  5782. 


144  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

On  dit  que  M.  le  duc  de  Bouillon  pense  à  établir  les 
jésuites  à  Evreux,  et  on  craint  qu'ils  n'aient  aussi  en 
vue  le  séminaire.  Ce  duc,  dans  cette  vue,  a  déjà  obtenu 
de  l'évêque  le  carême  et  Lavent  pour  un  jésuite  et  s'est 
rendu  arbitre  du  différend  entre  l'évêque  et  le  chapitre. 


Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  2  septembre  1701. 

Je  vous  envoie  la  copie  de  la  lettre  de  M.  l'abbé  Bussi, 
internonce  de  Bruxelles,  à  l'étroite  faculté,  et  l'ordre 
ou  interdit  du  commandant  général  au  conseil  de  Bra- 
bant.  Faites  en  sorte,  s'il  vous  plaît,  mon  très  cher  ami, 
que  le  P.  Le  Doux  [Doclart]  en  ait  une  copie  au  plus  tôt 
pour  tel  usage  que  de  raison. 

Pendant  qu'on  écrase  les  docteurs  de  Louvain,  parce 
qu'ils  ne  se  déclarent  pas  pour  l'infaillibilité  du  pape 
et  qu'ils  se  contentent  du  silence,  on  souffre  que  les 
jésuites  de  Borne,  à  la  barbe  du  pape,  ne  donnent 
l'infaillibilité  qu'à  l'Eglise  sous  son  chef,  comme  on  le 
voit  par  l'extrait  d'une  thèse. 

11  n'y  a  plus  que  Dieu  qui  puisse  sauver  cette  pauvre 
Université,  puisqu'elle  est  abandonnée  des  hommes. 

J'ai  reçu  la  thèse  de  Thyrsis.  Je  ne  voudrais  pas  faire 
un  grand  crime  de  représenter  en  figure  la  mort  du 
Sauveur,  depuis  qu'il  l'a  soufferte,  puisqu'elle  a  été 
représentée  en  figure  avant  qu'il  l'eût  endurée.  Le 
Cantique  des  Cantiques  est  une  pastorale  qui  représente 
l'amour  de  l'Eglise  pour  Dieu  et  pour  Jésus-Christ,  et 
celui  de  Dieu  et  de  Jésus-Christ  pour  son  Eglise. 

Il  faut  donc  se  résoudre  à  être  privé  de  votre  appari- 
tion, notre  cher  ressuscité,  au  moins  pour  cette  année. 
Dieu  l'ordonne  ainsi;  nous  verrons  ce  qu'il  ordonnera 
pour  l'année  prochaine.  11  ne  se  faut  rien  promettre  de 
si  loin. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  145 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux 

Bruxelles,  24  septembre  1701. 

Vous  êtes  d'un  grand  silence.  Jamais  je  n'ai  vu  de 
petit  Coq  si  silencieux  et  si  paisible.  J'en  ai  ici  qui 
m'étourdissent  dès  le  matin,  et  souvent  la  nuit,  et  je 
n'entends  de  vous,  ni  soir  ni  matin,  pas  le  moindre 
petit  coquerico.  Après  ce  petit  badinage  pour  vous 
mettre  en  bonne  humeur,  je  vous  dirai  fort  sérieuse- 
ment, ma  très  chère  sœur,  que  je  suis  en  peine  de  notre 
chère  amie  de  delà  Orléans  [Mme  de  Fontpertuis],  On 
m  a  écrit  qu'elle  était  retombée,  et  je  n'ai  personne  ici  qui 
m'en  puisse  dire  des  nouvelles,  notre  commensal  étant 
allé  en  course.  Je  vous  prie  donc  de  m'en  dire  et,  si 
vous  pouvez,  de  m'en  dire  de  bonnes.  Car,  quoi  qu'elle 
en  puisse  penser,  je  l'honore,  je  l'estime,  je  la  chéris, 
et  je  demande  à  Dieu  de  tout  mon  cœur  qu'il  nous  la 
conserve1.  Conservez-vous  aussi,  ma  très  chère  sœur, 
et  conservez-moi  en  même  temps  l'amitié  qu'il  me 
semble  que  vous  m'avez  promise  et  qui  m'est  due  par 
la  règle,  que  qui  aime  bien  a  droit  d'être  bien  aimé.  Pour 
preuve,  c'est  que  j'ai  brûlé,  il  y  a  longtemps,  tout  ce 
que  vous  avez  désiré  que  je  brûlasse,  et  qu'il  n'en  est 
rien  resté.  C'était  pourtant  un  petit  morceau  d'histoire 
fort  joli,  et  il  n'y  avait  rien  de  plus  divertissant.  Adieu, 
ma  chère  petite  sœur,  priez  Dieu  pour  moi,  mais  de 
votre  mieux,  je  vous  en  prie,  et  soyez  persuadée  que 
je  suis  tout  à  vous  en  Jésus-Christ. 

1.  MUe  de  Joncoux  lui  répond,  le  2  octobre  :  «  Je  vous  avoue  que  son 
état,  toujours  languissant  et  dénué  presque  de  toute  consolation,  me 
fait  une  extrême  peine,  et  il  me  paraît  qu'elle  mériterait  bien  qu'on 
y  ait  quelque  égard  et  qu'on  passe  par-dessus  les  petits  sujets  de 
mécontentement,  supposé  même  qu'ils  soient  bien  fondés.  »  (Archives 
d'Amersfoort,  boîte  11.) 

il.  10 


146  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 

Voici  la  suscription  de  cette  lettre  : 

Pour  le  petit  Coq,  à  la  ménagerie 

Je  ne  le  féliciterai  de  ce  qu'on  lui  donne  pour  le  faire 
chanter  que  quand  je  l'aurai  vu.  Il  est  franc  comme  la 
natiou  dont  il  est  le  symbole.  Je  suis,  etc. 


Quesnel  à  M.  Despréaux1 

Bruxelles,  28  septembre  1701. 

Je  suis  trop  sensible  à  l'honneur  et  au  plaisir  que 
vous  me  faites,  Monsieur,  pour  manquer  à  vous  en 
témoigner  ma  reconnaissance.  Je  ne  vous  en  ferai  pas 
un  long  compliment2.  Je  vous  dirai  en  un  mot,  mais 
avec  toute  la  sincérité  possible,  que  j'estime  infiniment 
le  présent  dont  vous  m'honorez,  et  que,  le  regardant 
comme  une  marque  de  votre  bonté  pour  moi  (je  n'ose 
dire  amitié),  c'est  un  monument  qui  me  sera  toujours 
très  précieux.  Il  ne  le  sera  pas  néanmoins  par  ce  seul 
endroit.  Car,  le  regardant  comme  un  monument  public 
que  vous  avez  élevé  à  la  mémoire  du  grand  homme 
qui  vous  en  a  lui-même  élevé  un  de  votre  vivant,  il 
m'est  cher  au-delà  de  tout  ce  que  je  vous  en  puis  dire, 
et  je  ne  vous  suis  pas  moins  obligé,  Monsieur,  de  la  justice 
que  vous  lui  rendez  que  de  la  grâce  que  vous  me  faites. 
Je  suis  sûr  de  trouver  le  public  dans  les  mêmes  senti- 
ments de  joie  et  de  reconnaissance  que  j'en  ressens. 
11  vous  regardera,  Monsieur,  comme  le  libérateur  de  la 
mémoire  de  M.  Arnauld.  Elle  était  comme  captive  de 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

2.  Boileau-Despréaux  avait  envoyé  à  Quesnel  la  plus  récente  édition 
de  ses  œuvres,  qui  fut  aussi  la  dernière  qu'il  ait  revue  lui-même,  et 
celle  qu'il  préférait.  Elle  parut  en  1701,  en  un  volume  in-4°,  ou  en 
2  volumes  in-12. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUTER  QUESNEL        147 

la  timidité  des  hommes  et  de  l'injustice  du  siècle.  Vous 
la  mettez  en  liberté.  La  générosité  avec  laquelle  vous 
parlez  d'un  tel  ami  déliera  la  langue  des  amis  les  plus 
craintifs,  et  ils  ont  sans  doute,  maintenant,  de  la  joie 
qu'il  se  soit  trouvé  un  homme  de  votre  mérite  qui  ait 
eu  le  courage  de  publier  sans  respect  humain  ce  que 
tout  le  monde  avait  dans  le  cœur.  Je  voudrais  que  la 
Providence  me  fît  naître  quelque  occasion  de  vous  mar- 
quer par  des  effets  mon  respect  et  ma  reconnaissance, 
pour  moi  et,  pour  notre  illustre  ami.  Gomme  c'est  par 
rapport  à  lui  que  vous  m'avez  bien  voulu  faire  part  de 
vos  ouvrages,  ce  m'est  un  nouvel  engagement  à  révérer 
sa  mémoire,  et  une  obligation  particulière  qu'il  vous  a 
de  ce  que  vous  voulez  bien  même  le  regarder  dans  ceux 
pour  qui  il  a  eu  de  la  bonté  durant  sa  vie.  Je  ne  doute 
pas  qu'il  ne  vous  regarde,  Monsieur,  du  lieu  où  il  est, 
et  qu'il  ne  vous  obtienne  de  Dieu  la  grâce  de  lui  con- 
sacrer d'une  manière  toute  particulière  le  reste  de  vos 
jours  et  de  l'aimer  de  cet  amour  que  vous  avez  rendu 
si  aimable  aux  vrais  chrétiens  dans  vos  vers,  et  que 
vous  avez  défendu  avec  tant  de  force  contre  ses  ennemis. 
Je  joindrai  mes  faibles  prières  aux  siennes,  n'ayant  point 
d'autre  moyen,  et  n'y  en  ayant  point  en  effet  de  meil- 
leur, pour  vous  faire  connaître  que  je  suis,  avec  une 
singulière  estime  et  un  profond  respect,  etc. 


Quesnel  à  MUc  de  Joncoux{ 

Bruxelles,  26  octobre  1701. 

Je  ne  crois  pas  qu'il  faille  attaquer  l'assemblée  :  il  n'y 
a  rien  à  gagner,  beaucoup  à  perdre.  Il  me  semble,  au 
contraire,  qu'il  faut  tâcher  de  la  tourner  toute  de  notre 
côté.  Elle  est  presque  toute  contre  nos  bons  Pères.  Leur 
morale,  les  fondements  du  molinisme,  y  sont  sapés.  Il  y 

1.  Bibl/nat.,  ms.  19736. 


148  CORRESPONDANCE    DE   PASQUIER    QUESNEL 

a  quelques  propositions  qui  déplaisent,  ou  plutôt  dont  la 
censure  déplaît.  11  n'y  a  que  celle  du  Phantôme  à  laquelle 
on  puisse  prendre  quelque  intérêt  ;  les  autres  sont  outrées 
et  méritaient  d'être  censurées.  Pour  cette  autre,  il  faut 
soutenir  que  cela  put  être  l'intention  du  clergé  de  la 
censurer  et  condamner  en  elle-même,  attendu  qu'elle 
a  été  avancée  par  tels  ou  tels  et  qu'on  ne  l'a  point  prise 
du  livre  qui  en  porte  le  nom,  ce  qui  était  bien  plus 
naturel,  mais  d'un  livre  latin  inconnu.  Elle  l'a  donc 
censurée  à  cause  de  la  dureté  de  l'expression,  comme 
quelques  propositions  de  Baius  ont  étécensuréesjwopter 
censurœ  acerbitatem. 

Par  ce  moyen  on  sauve  l'honneur  de  l'assemblée,  et 
je  crois  qu'ils  n'en  seront  pas  fâchés;  on  lui  conserve 
son  autorité  pour  la  condamnation  des  casuistes  et  du 
molinisme;  on  ne  les  aigrit  point;  on  n'irrite  point  les 
puissances,  et  on  ne  donne  pas  sujet  de  dire  qu'on  s'élève 
contre  les  oints  du  Seigneur,  dont  on  peut  avoir  besoin 
en  d'autres  occasions.  Voilà  ma  pensée. 

Je  n'ai  nulle  répugnance  à  écrire  à  la  pauvre  malade1  ; 
mais  je  suis  si  accablé  de  petites  affaires  que  je  ne  sais 
quand  je  le  pourrai  faire. 

Cette  petite  réduplication,  amie,  mais  bonne  amie,  me 
plaît  bien  dans  votre  lettre.  J'en  prends  acte  devant  vous- 
même,  et  je  vous  assure  que  je  suis  très  sincèrement  votre 
ami,  mais  bon  ami.  Que  ce  soit  tout  pour  la  gloire  de  notre 
commun  Maître  et  bien  dans  son  esprit!  Car,  en  vérité, 
ma  pauvre  petite  sœur,  il  faut  tout  faire  pour  lui  et  que 
son  esprit  soit  le  principe  de  tout  ce  que  nous  faisons, 
et  lui  la  lin  de  nos  désirs  et  de  tout  ce  que  notre  cœur  a 
de  mouvement  et  de  vie. 

l.'tM"'c  de  Fontpertuis. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  149 


Quesnel  à  Mll\  de  Joncoux 

Bruxelles,  27  octobre  1701. 

On  a  quelque  pensée  de  faire  imprimer  dans  un  volume 
ce  qu'il  y  a  d'écrits  français  pour  la  défense  des  deux 
propositions  condamnées  en  Sorbonne,  afin  que  les  dames 
qui  ne  sont  pas  latines  puissent  avoir  leur  part  dans 
l'instruction  de  ce  procès.  En  ce  cas-là,  il  serait  fort  à 
propos  que  l'on  mît  à  la  tête  l'histoire  française  du  doc- 
torat, qui  est  en  latin  à  la  tête  de  la  Causa  Arnaldina. 
—  Gela  vous  regarde,  me  direz-vous.  —  Oui,  mais  je 
n'en  ai  pas  le  temps.  S'il  se  trouvait  donc  quelque  part 
une  bonne  âme  qui  eût  la  dévotion  de  faire  la  traduc- 
tion de  cette  pièce,  cela  servirait  beaucoup  à  entreprendre 
le  travail  de  l'édition.  Je  connais  bien  une  bonne  petite 
amie,  qui  ne  manque  pas  de  bonne  volonté  ni  détalent 
pour  cela  ;  mais  que  sais-je  si  elle  a  le  temps,  la  santé, 
enfin  la  disposition  de  s'y  appliquer? 

Vous  m'en  diriez  bien  des  nouvelles,  ma  très  chère  et 
honorée  sœur,  et  j'en  attends  au  plus  tôt,  afin  que  nous 
puissions  prendre  nos  mesures. 


Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  27  novembre  1701. 

Nous  attendrons  à  juger  du  nouveau  Catéchisme   de 
Montpellier^,  qu'il  paraisse  en  public,  ou  plutôt  après  le 

1.  LeCatéchistne  de  Montpellier  parut  à  Paris,  en  1702.  Il  est  du  P.  Fran- 
çois-Aimé Poujet,  de  l'Oratoire.  Il  fut  adopté  par  l'évêque  de  Montpellier, 
Colbert  de  Croisy,  et  approuvé  par  le  cardinal  de  Noailles,  puis  con- 
damné plus  tard  par  un  décret  de  Clément  XT,  le  1er  février  1712,  comme 
renouvelant  certaines  hérésies  de  Quesnel  sur  la  grâce.  Une  des  propo- 
sitions frappées  (t.   Il,  2e  partie,  sect.  2,  eh.  n)  dit  que  la  lecture  de 


150  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

jugement  que  vous  me  mandez  qu'en  font  des  juges  de 
la  grand'chambre.  J'y  souscris  dès  maintenant.  C'est  une 
chose  bien  consolante  de  voir  un  jeune  évoque  s'appli- 
quer si  solidement  à  son  devoir. 

M.  de  Rouen1  fait  fort  bien  de  faire  donner  à  ses  ecclé- 
siastiques de  meilleures  instructions  que  celles  qu'ils 
peuvent  recevoir  des  eudistes  qui  ont  son  séminaire  et 
des  jésuites  qui  le  voudraient  bien  avoir. 


Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  7  décembre  1701. 

Je  ne  doute  point  que  M.  l'archevêque  de  Rouen 
n'emporte  son  affaire.  Le  droit  des  évoques  est  trop  clair. 
Ce  serait  une  plaisante  chose  que  les  jésuites  se  pussent 
faire  faire,  par  lettres  patentes,  théologaux,  c'est-à-dire 
vicaires  des  évoques  pour  la  doctrine,  la  principale  de 
leurs  fonctions.  Naturellement  il  ne  devrait  point  y 
avoir  de  professeurs  en  théologie,  dans  un  diocèse,  qui 
n'eussent  été  examinés  et  approuvés  par  l'éveque;  car, 
pourquoi  plutôt  pour  confesser  et  pour  prêcher  que 
pour  enseigner  la  doctrine  de  la  foi2? 

Y  Ancien  et  du  Nouveau  Testament  «  doit  être  l'occupation  ordinaire  des 
fidèles  ».  Voilà  qui  est  «  faux  et  injurieux  à  l'Eglise  »!  Tout  est  à  l'ave- 
nant dans  cet  absurde  décret,  dont  se  plaindront  amèrement  les  sept 
évêques  appelants,  dans  une  lettre  au  pape  Innocent  XII 1,  du  9  juin  1721. 

1.  Jacques-Nicolas  Golbert,  archevêque  de  Rouen,  de  1691  à  1707. 

2.  Dans  sa  requête  au  roi  pour  répondre  aux  plaintes  des  jésuites, 
Jacques-Nicolas  Golbert  dit  que,  «  s'étant  trouvé  maître,  il  y  a  six  mois, 
de  la  prébende  théologale  de  son  église,  il  pourvut  de  ce  bénéfice  un 
docteur  de  la  maison  et  société  de  Sorbonne,  très  capable  d'enseigner  la 
théologie  aux  ecclésiastiques  de  son  diocèse  ».  Il  se  plaint  plus  loin 
que,  «  pendant  que  les  chanoines  délibéraient,  on  leur  écrivit  une  lettre 
anonyme,  que  l'on  a  de  fortes  raisons  d'attribuer  aux  jésuites,  et  qui 
ne  tendait  qu'à  soulever  le  chapitre  contre  son  archevêque  ». 

«  Quelques  ménagements,  ajoute-t-il,  qu'un  évêque  ait  pour  eux,  ils 
lui  seront  toujours  opposés,  s'il  ne  leur  abandonne  pas  sans  réserve  la 
doctrine.  C'est  à  vous,  Sire,  à  juger  s'il  convient  au  bien  du  royaume 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        151 

On  fait  venir  à  Rome  M.  Casoni,  nonce  à  Naples, 
pour  être  secrétaire  de  la  congrégation  des  évêques  et 
des  réguliers,  et  sans  doute  pour  être  cardinal  à  la  pre- 
mière promotion.  C'est  le  neveu  de  feu  M.  Favoriti  et 
très  bon  sujet. 

Le  pape  vient  de  faire  vicaire  apostolique  de  Bolduc, 
pour  remplir  la  place  du  sieur  Steyaert1,  un  homme 
perdu  de  réputation  pour  ses  impudicités.  C'est  M.  l'ar- 
chevêque et  l'internonce  qui  ont  fait  cela,  avec  le  secours 
du  sieur  Fabroni.  Cela  est  horrible.  C'est  un  M.  Gouvaerts, 
qui  est  vicaire  général  de  cet  archevêque.  Le  pape 
était  fort  instruit  de  sa  méchante  conduite,  et,  dès  le 
mois  de  juillet,  il  avait  donné  parole  à  M.  du  Vaucel, 
qu'on  ne  penserait  point  à  ce  sujet  si  misérable.  Que 
peut-on  attendre  d'un  tel  pape  après  une  telle  démarche? 
Que  M.  l'abbé  Renaudot  le  prône  après  cela! 

Toutes  les  informations  de  ses  désordres  sont  en 
Espagne,  entre  les  mains  du  conseil  de  Flandre.  Si  Sa 
Majesté  s'en  veut  faire  informer,  elle  connaîtra  quel 
personnage  on  met  pour  gouverner  une  Eglise  qui  est 
au  milieu  de  l'hérésie2. 


de  conférer  l'instruction  des  ecclésiastiques  à  un  corps  absolument  dé- 
pendant d'une  puissance  étrangère,  plein  de  principes  ultramontains 
si  souvent  condamnés.  »  (Archives  d'Amersfoort,  pièces  sur  le  jansé- 
nisme, boîte  R.) 

1.  Martin  Steyaert,  docteur  de  Louvain  et  professeur  en  théologie, 
avait  fait,  en  1675,1e  voyage  de  Rome,  député  par  la  faculté.  Les  jansé- 
nistes lui  reprochèrent  amèrement  d'avoir  abandonné  leur  parti  pour 
le  molinisme  et  de  les  avoir  ensuite  persécutés,  dans  les  Pays-Bas  et 
ailleurs.  11  mourut,  en  1701,  à  cinquante-quatre  ans. 

2.  La  ville  de  Bois-le-Duc  ou  Bolduc  avait  été  prise  sur  les  Espagnols 
par  le  prince  d'Orange,  en  1629.  L'évêque  et  le  clergé  se  retirèrent  en 
Espagne  ;  mais  on  permettait  aux  catholiques  de  faire  l'office  divin  dans 
des  maisons  particulières. 


152  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUÈSNEL 

Quesnel  à  M.  Vuillart 

11  décembre  1701. 

Je  vous  remercie  du  Lundi  du  savetier  d'Apollon. 
Ses  vers  ne  sont  guère  bons  qu'à  lui  donner  beaucoup 
de  vanité  et  à  lui  faire  perdre  son  temps.  Un  quart 
d'heure  de  prière  en  prose  vaudrait  mieux  que  tout  cela. 
Cela  me  fait  souvenir  du  bon  P.  Saint- Pé,  qui  faisait 
des  vers  de  piété  qui  n'étaient  pas  excellents;  mais  il  le 
savait  bien.  M.  Esprit1,  qu'on  nommait  de  l'Oratoire  et 
qui  y  demeurait,  sachant  que  ce  bon  Père  était  en 
retraite,  lui  envoya  un  billet  en  vers  qui  finissait  par 
ceux-ci  : 

Mais,  entre  vos  péchés  divers 
Qui  chargent  votre  conscience 
Et  dont  vous  faites  pénitence, 
N'oubliez  pas  vos  méchants  vers. 

J'aurais  bien  de  la  joie  si  Dieu  manifestait  la  sain- 
teté d'un  roi2.  En  ce  temps-ci,  il  n'y  en  a  pas  à  foison 
de  ce  caractère;  mais  je  ne  me  presserai  pas  de  le  croire, 
et  il  se  faut  bien  garder  de  le  publier  qu'il  ne  soit  bien 
avéré. 

Quesnel  à  Mnc  de  Joncoux* 

Bruxelles,  18  décembre  1701. 

Vraiment  vous  êtes  bien  de  votre  pays,  mon  cher  petit 
frère,  de  délibérer  si  on  m'enverra  la  quatrième  Lettre 

1.  Jacques  Esprit  n'appartint  à  l'Oratoire  que  de  1629  à  J635  et  rentra 
dans  le  monde.  Il  mourut  en  1678,  membre  de  l'Académie  française. 
11  était  grand  ami,  au  point  de  vue  intellectuel,  de  M.  de  La  Roche- 
foucauld. 

2.  Le  roi  Jacques  II  était  mort  à  Saint-Germain,  le  16  septembre  1701. 

3.  Bibl.  nat.,  ms.  19735. 


CORRESPONDANCE    DE    PASOU1ER    QUESNEL  153 

apologétique,  et  d'attendre  que  je  dise  oui  pour  l'envoyer. 
J'ai  écrit  par  occasion  au  frère  Germain  [M.  Vuillart] 
qu'on  me  l'envoie  incessamment,  et,  s'il  ne  Ta  pas  fait, 
je  vous  prie  de  vous  en  charger.  On  imprime  déjà 
la  seconde,  et  il  faut  que  la  quatrième  soit  dans  son 
rang.  Car  tout  ce  qui  est  de  la  griffe  du  lion  passera 
devant,  dans  le  premier  volume,  et  le  reste  dans  le 
second,  de  sorte  que,  si  je  ne  l'ai  devant  les  fêtes,  il 
faudra  commencer  le  deuxième  pour  attendre  le  mor- 
ceau précieux.  Pourvu  que  ce  ne  soit  pas  un  quiproquo  ! 
Je  suis  bien  aise  que  ce  recueil  soit  fait1,  afin  qu'on  ait, 
dans  le  monde  non  latin,  de  quoi  répondre  aux  cla- 
meurs de  ceux  qui  allèguent  à  tout  moment  la  perte 
de  ce  procès.  Je  voudrais  que  tout  le  grand  travail  fût 
fait  dans  ce  volume.  Il  se  lirait,  au  lieu  que  l'in-folio 
se  mettra  dans  une  bibliothèque  pour  y  servir  d'orne- 
ment. Je  vois  bien  que  c'est  M.  Paulin  [Ernest  Rnth  d'Ans] 
qui  vous  a  fait  le  bec  pour  dire  que  c'est  recaler  le 
grand  recueil.  11  n'y  a  pas  le  moindre  secours  à  attendre 
de  lui  sur  ce  sujet-là.  Il  y  a  plus  à  travailler  qu'on  ne 
pense,  et  il  faut  du  temps  pour  cela.  Je  ne  crois  pas  que  le 
docteur  dont  vous  m'avez  envoyé  les  cahiers  s'avise  de 
mettre  la  censure  entière.  Ce  n'est  que  celle  des  quatre 
propositions  des  jansénistes.  Il  ferait  bien  de  l'honneur 
à  ses  bons  amis  daller  exposer  leur  honte  aux  yeux 
du  public. 

Oui,  j'avoue  que  rien  n'est  plus  incommode  que 
d'avoir  à  revoir  la  traduction  d'autrui.  J'aimerais 
quasi  mieux  la  faire  de  mon  chef  tout  entière.  Cepen- 
dant je  suis  bien  obligé  à  celui  qui  en  prend  la  peine  et 
à  la  chère  personne  qui  la  revoit. 

1.  Quesnel  s'occupe  de  la  publication  de  la. Justification  de  M.  Avnauld, 
3  volumes  in-12,  dans  lesquels  il  fit  entrer  une  partie  delà  Causa  Arnal- 
dina,  parue  en  Hollande  en  1699. 


154        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 


Quesnel  à   M.    Vuillart 

Bruxelles,  21  décembre  1701. 

On  ne  savait  pas  encore  à  découvert,  à  Rome,  la 
nomination  du  sieur  Gouvaerts  au  vicariat  apostolique. 
Ils  le  couvrent  du  voile  du  secret  qu'ils  ont  mis  à 
cette  affaire,  afin,  sans  doute,  que  si  deçà  on  refusait  de 
l'admettre,  on  n'en  fît  point  de  bruit.  Mais  il  a  été  servi 
à  point  nommé  et  a  eu  la  place  sans  délai,  avant 
môme  que  le  vent  en  fût  venu  à  personne.  Le  rési- 
dent de  Hollande  s'en  est  plaint.  L'internonce  lui  a 
donné  une  défaite. 

Il  ne  faut  pas  que  M.  Despréaux  songe  à  répondre  à 
ma  lettre.  Son  présent  était  une  lettre  magnifique  qu'il 
aurait  fallu  m'envoyer  enveloppée  d'un  brocard  d'or, 
comme  les  lettres  du  sultan  à  des  empereurs  du  Levant. 
Je  le  salue  très  respectueusement  et  lui  souhaite  une 
heureuse  année.  Je  vous  donne  pour  tous  les  amis  une 
ample  procuration  pour  le  même  sujet. 


Quesnel  à  M.  Brnnet{ 

Bruxelles,  29  décembre  1701. 

J'avais  appréhendé  que  le  livre  de  la  Chine  ne  fût  trop 
gros  pour  envoyer  par  notre  voie;  mais  le  voilà  toute- 
fois que  je  mets  en  chemin,  avec  espérance  qu'il  arri- 
vera jusqu'à  vous.  Je  voudrais  avoir  quelque  chose  de 
meilleur  pour  vous  régaler,  et  vous  me  feriez  le  plus 
grand  plaisir  du  monde  si  vous  me  donniez  occasion 
de  vous  servir  en  quelque  manière  en  ce  pays-ci.  Mais 
je  désespère  que  vous  me  fassiez  cette  grâce. 

On  a  mandé  de  Paris  à   Rome  que  le  roi,  par  arrêt 

1.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  5782. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QTJESNEL  155 

deson conseil,  avait  cassé  l'ordonnance  deM.  l'archevêque 
d'Aix1  ;  mais  j'ai  bien  assuré  par  avance  que  cela  n'est 
pas.  Quelque  besoin  qu'on  -ait  de  Rome,  je  ne  crois  pas 
qu'on  leur  voulût  faire  un  sacrifice  des  droits  de  Fépis- 
copat. 

On  attend  à  Rome  la  décision  de  l'affaire  de  la  Chine. 
Le  pape  envoie  là  un  visiteur,  qui  est  un  abbé  de  Tour- 
non,  savoyard2.  Sa  Sainteté  a  néanmoins  assuré  positi- 
vement que  cela  ne  retardera  point  la  décision;  mais 
on  craint  que  ce  ne  soit  quelque  chose  de  faible  et 
même  qu'on  ne  la  publie  pas  en  Europe,  mais  que  le 
visiteur,  ou  légat  a  latere,  l'emportera  dans  des  lettres 
closes  qu'il  n'ouvrira  qu'à  la  Chine.  Je  suis  tout  à  vous, 
Monsieur,  avec  beaucoup  de  reconnaissance  de  votre 
précieuse  amitié. 


Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  29  décembre  1701. 

J'ai  reçu  le  paquet  du  petit  coq  et  celui  du  grand  coq, 
tous  les  deux  du  23,  avec  tout  ce  qu'ils  contiennent, 
excepté  que  les  pièces  adjointes,  que  vous  m'aviez 
annoncées  comme  devant  être  jointes  à  la  quatrième 

1.  André-Hercule  de  Fleury. 

2.  Lorsqu'il  apprit  la  résolution  de  Clément  XI  d'envoyer  un  nouveau 
visiteur  prendre  des  renseignements  en  Chine,  Bossuet  n'approuva  pas 
le  pape  :  «  Sa  conduite  est  une  illusion,  dit-il;  c'est  ne  pas  vouloir  finir 
l'affaire  et  la  renvoyer  aux  calendes  grecques.  Ajourner  le  jugement, 
c'est  donner  gain  de  cause  aux  jésuites.  Il  leur  sera  aisé  de  gagner  un 
seul  homme.  Les  évêques,  créés  par  le  Saint-Siège  pour  la  Chine,  sont 
les  seuls  juges  compétents  dans  cette  affaire.  »  Et  tous  s'étaient  pronon- 
cés contre  le  sentiment  des  jésuites,  lesquels  avaient  eu  l'idée  baroque 
de  faire  intervenir  l'empereur  même  de  la  Chine  pour  témoigner  en 
faveur  de  leur  opinion,  en  matière  de  culte.  Maillard  de  Tournon  ne 
partit  de  Rome,  comme  cardinal,  qu'en  1703.  Il  devait  mourir,  en 
véritable  martyr,  persécuté  par  les  jésuites,  après  une  dure  captivité,  à 
Macao. 


156  CORRESPONDANCE    DE    PASQÙIER    QUESNËL 

Lettre  apologétique  ou  soi-disant  telle,  ne  s'y  sont  pas 
trouvées.  Ce  sont  de  petits  grains  friands  que  notre  petit 
coq  aura  gobés  et  mis  en  réserve  dans  son  jabot;  mais  je 
ne  suis  pas  d'avis  de  lui  couper  la  gorge  pour  lui 
reprendre.  11  rendra  tout  de  bonne  amitié,  sans  en 
venir  là1. 

Tant  que  nous  attendrons  encore  le  nouvel  an,  je  ne 
cesserai  de  vous  le  souhaiter  aussi  fécond  en  grâces  et 
en  bénédictions  que  je  le  souhaite  pour  mon  meilleur 
ami,  qui,  entre  nous,  est  moi-môme. 


Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  4  janvier  1702. 

11  y  a  bien  des  théologiens  qui  ne  goûteront  pas  que 
l'on  fasse  entrer  le  pape  dans  la  définition  de  l'Eglise. 
Bon  pour  les  évoques  ou  pasteurs,  car  l'Eglise  n'a  jamais 
été  sans  pasteurs.  Mais  elle  a  été  plusieurs  années  sans 
pape.  M.  de  Launoy  a  fait  quelques  lettres,  pour  faire 
voir  que  c'est  une  nouveauté  que  de  faire  dépendre 
l'essence  de  l'Eglise  du  pape,  ou  môme  son  intégrité. 
L'épiscopat  subsiste  en  son  entier  dans  la  vacance 
du  siège  de  Rome.  On  a  eu  peur  de  blesser  les  Romains. 
M.  de  Meaux  n'a  pas  eu  peur  dans  son  catéchisme,  ni 
beaucoup  d'autres. 

1.  Quesnel  écrivait,  à  la  même  date,  à  M"°  de  Joncoux  :  «On  m'avait 
fait  espérer  quelque  petit  bijou  qui  était  joint  à  la  quatrième  Lettre, 
mais  je  vois  bien  que  le  petit  coq  a  plumé  la  poule.  » 

2.  11  s'agit  du  savant  docteur  Jean  de  Launoy,  connu  sous  le  nom 
de  «dénicheur  de  saints».  S'occupant  surtout  de  détruire  les  légendes,  il 
supprimait  pas  mal  de  saints  du  calendrier,  ce  qui  faisait  dire  plaisam- 
ment au  curé  de  Saint-Roch:  «  Je  lui  fais  toujours  de  profondes  révé- 
rences, de  peur  qu'il  ne  m'ote  mon  saint  Roch.»  Il  attaquadans  plusieurs 
ouvrages  les  prétentions  ultramontaines  et  fut  exclu  deSorbonne,  ayant 
refusé  de  souscrire  à  la  censure  du  Dr  Arnauld. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  157 

Quesnel  à  M.  Brunet{ 

Bruxelles,  26  janvier  1702. 

Il  me  faut  toujours  venir  à  de  nouveaux  remercie- 
ments avec  un  ami  aussi  obligeant  et  aussi  attentif  aux 
occasions  de  faire  plaisir  que  vous  l'êtes,  mon  très  cher 
monsieur. 

J'ai  reçu  la  requête  des  deux  Arnauld,  Antoine  et 
Isaac.  Je  crois  que  ce  dernier  était  calviniste2  et  que 
c'est  lui  dont  j'ai  vu  l'épitaphe  dans  le  jardin  de  Gor- 
beville,  chez  Mme  de  Sainte-Marthe.  Il  est  enterré  là 
sud  dio,  au  pied  de  la  chapelle  qui  est  en  haut.  Je  ne 
sais  ce  qui  est  de  l'ancienneté  de  leur  noblesse.  Le  fils 
aîné  d'Antoine,  M.  d'Andilly,  en  était  bien  persuadé. 
J'ai  copie  d'un  mémoire  où  il  parle  lui-même  :  «  Mon 
père  était  originaire  d'Auvergne,  par  une  branche  de 
ceux  de  notre  race  dont  l'origine  était  de  Provence, 
ainsi  qu'on  le  peut  voir  dans  Y  Histoire  de  Provence  de 
César  Nostradamus,  où,  en  l'année  1195,  Bertrand 
Arnauld,  etc.  Et  quant  à  ceux  de  notre  nom  qui  s'éta- 
blirent en  Auvergne,  dont  je  suis  venu  de  père  en  fils, 
de  Gracieux  Arnauld  que  les  registres  de  la  Chambre 
des  Comptes  portent  s'être  trouvé,  en  1340,  à  la  bataille 
du  roi.  11  se  voit  par  les  papiers  que  j'en  ai,  dit-il,  que 
quelques-uns  ont  commandé  une  compagnie  d'hommes 
d'armes,  et  que,  lorsque  le  connétable  Charles  de  Bour- 
bon quitta  la  France,  il  passa  chez  mon  bisaïeul,  nommé 
Henri,  gouverneur  d'Herment  dans  la  haute  Auvergne, 
l'un   des  gentilshommes  de  sa  maison,  fils  de  Michel, 

1.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  5782. 

2.  M.  de  la  Mothe  Arnauld,  grand-père  d'Arnauld  d'Andilly,  s'était  fait 
huguenot.  «  11  ne  se  convertit,  dit  Sainte-Beuve,  qu'après  la  Saint-Barthé- 
lémy, et  plusieurs  de  ses  fils  restèrent  de  la  religion  ou  n'abjurèrent 
que  plus  tard.  Ce  coin  d'histoire,  voilé  le  plus  possible  par  ses  petits- 
fils  de  Port-Royal,  fut  relevé  malignement  par  les  jésuites.  » 


158  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

qui  avait  vécu  cent  quatre  ans.  Et  il  n'aida  pas  seule- 
ment à  le  sauver,  mais  il  le  suivit,  ce  qui  causa  presque 
sa  ruine  entière,  parce  que  sa  maison  fut  prise  et  pillée 
par  ceux  qui  cherchaient  le  prince.  » 

Il  n'y  a  pas  d'apparence  que  tout  cela  soit  inventé, 
étant  tiré  de  papiers  de  famille.  Il  est  si  ordinaire 
que  les  anciennes  noblesses  dépérissent  et  passent  de 
l'épée  à  la  plume  ou  à  la  robe  qu'il  est  aisé  de  s'ima- 
giner que  la  disgrâce  arrivée  à  l'occasion  du  connétable 
aura  pu  être  cause  d'une  semblable  translation  de  cette 
famille.  Je  ne  suis  nullement  touché  du  silence  sur 
ces  ancêtres  nobles  et  militaires.  Il  aurait  fallu  parler 
du  connétable,  et  cela  seul  eût  été  peu  favorable  et 
aurait  donné  lieu  à  sa  partie  de  s'égayer.  La  cause  était 
toute  d'avocats  contre  avocats.  Il  a  trouvé  à  propos  de 
se  contenter  de  faire  mention  des  emplois  de  la  robe. 
Le  célèbre  docteur  était  persuadé  de  la  noblesse  de  son 
père  et  de  sa  mère,  puisque,  tout  modeste  qu'il  était, 
il  leur  a  donné  la  qualité  de  nobles  [Causa  Arnaldina, 
p.  13),  et  cela  dans  un  temps  où  il  s'était  donné  à  la 
piété  d'une  manière  toute  nouvelle.  Je  ne  crois  pas 
que  ce  soit  de  fortes  preuves  que  celles  de  gens  de 
même  nom  qu'on  trouve  dans  l'histoire,  à  moins  qu'il 
n'y  ait  quelque  chose  qui  détermine  une  preuve  si 
vague;  mais  aussi  il  ne  suffit  pas  de  s'inscrire  en  faux 
contre,  si  on  n'en  a  aussi  de  bonnes  preuves.  Quoi  qu'il 
en  soit,  je  vous  remercie  de  la  requête.  Elle  n'est  pas 
de  saison  pour  être  imprimée,  d'autant  plus  qu'on  ne 
sait  point  l'effet  qu'elle  eut.  Les  Mercures  historiques 
de  ces  temps-là  en  pourraient  dire  quelque  chose.  La 
pièce  est  assez  bien  écrite.  J'ajoute  que,  pour  y  parler 
de  sa  noblesse,  il  aurait  fallu  avoir  des  preuves  publiques  ; 
et  il  n'en  avait  que  de  domestiques,  qui  demandaient 
des  éclaircissements  qui  n'étaient  pas  du  sujet. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        159 

Quesnel  à  M.  Vuillart1 

Bruxelles,  3  mars  1702. 

M.  du  Risoir,  alias  M.  Voler  [Vooler],  neveu  de 
Mllc  Vooler,  vierge  fort  chrétienne  et  de  la  direction 
de  feu  M.  de  Castorie,  part  demain  pour  Paris.  M.  Paulin 
[Rut h  (F Ans]  qu'il  va  trouver,  avait  en  vue  l'hospice  où 
a  logé  le  Père  prieur  [Quesnel],  rue  des  Carmes,  pour 
l'y  mettre  avec  lui.  Vous  en  a-t-il  parlé?  Dans  la  crainte 
qu'il  ne  trouve  pas  M.  Paulin  à  Paris,  j'en  ai  écrit  à 
notre  cher  frère  de  Sainte-Pulchérie,  afin  que  ce  jeune 
homme  ne  tombe  pas  dans  quelque  piège,  étant  comme 
tombé  des  nues  à  Paris.  Je  vous  ai  épargné  cette  peine, 
car  il  faut  ménager  votre  âge  et  votre  corpuscule  déli- 
cat et  encore  tout  trempé  du  naufrage.  Je  salue  tous 
les  amis  et  les  amies  cordialement,  et  je  suis  tout  à 
vous  et  tout  à  eux. 

Quesnel  à  M.  Vuillart 2 

9  mars  1702. 

J'ai  reçu  une  lettre  de  M.  Paulin  [Rut h  d'Ans].  Je 
crois  que  le  besoin  qu'il  a  eu  d'une  lettre,  pour  faire 
agréer  à  M.  Pralard  qu'on  puisse  retirer  quelques 
exemplaires  des  Réflexions,  m'a  valu  cette  lettre. 

J'aurais  voulu  vous  envoyer  les  lettres  des  deux  rois 
bienimpriméesici  sur  le  voyage  et,  en  plus,  une  fort  belle 
et  fort  exacte  relation  de  la  journée  de  Crémone1.  Mais 
je  n'ai  pas  été  assez  bien  servi  pour  l'avoir,  et  puis 
il  m'a  fallu  aider  notre  Père  prieur,  qui  a  été  conseillé 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

2.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

3.  Le  1er  février  1702,  le  prince  Eugène  s'attaque  à  Crémone  et  en  est 
chassé  sur-le-champ  par  les  Français  et  les  Irlandais.  Le  maréchal  de 
Villeroy  fut  fait  prisonnier. 


160        CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QUESNEL 

de  tous  côtés  de  déménager,  à  cause  du  mauvais  air. 
C'a  été  un  petit  embarras  ;  maison  mériterait  d'en  avoir 
davantage,  si  on  était  plus  à  Dieu.  Il  n'est  pas  allé 
bien  loin,  et  vous  pourrez  toujours  adresser  comme  à 
l'ordinaire. 


Quesnel  à  M.  Vuillart{ 

14  mars  1702. 

Le  Père  prieur  est  en  dépôt,  je  ne  sais  où.  Son  économe 
cherche  un  bel  emplacement  pour  y  faire  son  hospice, 
car  il  faut  quelque  chose  de  beau  pour  l'emplacement 
d'un  si  grand  monastère.  Il  faut  voir  comment  nous 
ferons  venir  de  quoi;  je  crois  qu'il  n'y  a  point  d'autre 
voie  que  celle  d'une  lettre  de  change.  On  y  perd  beau- 
coup ;  mais  il  faut  passer  par  là. 

Si  c'est  de  son  patrimoine  que  le  prélat  défunt  fait 
des  legs  à  messieurs  ses  neveux,  et  qu'ils  en  aient  besoin, 
à  la  bonne  heure  ;  mais  si  c'est  du  bien  de  l'Eglise, 
c'est-à-dire  des  pauvres,  à  la  maie  heure  pour  le  dona- 
teur et  les  donataires.  Un  évoque  riche  garder  deux 
abbayes  !  Il  avait  autrefois  Vezelay  en  Bourgogne.  Vous 
m'aviez  mandé  que  M.  Laigneau  quitterait  son  doyenné. 
Pourquoi  faut-il  donner  de  tels  exemples  de  pluralité? 
Mais  je  n'ai  pas  le  loisir  de  faire  procès  au  tiers  et  au 
quart,  car  j'ai  des  affaires. 

Le  pauvre  Livonien  [M.  Prunslerer]  s'est  avisé  de 
me  faire  un  présent  que  M.  le  chanoine  a  fort  mal  fait 
de  recevoir  :  c'est  une  montre  d'or  que  sa  mère,  dit-il, 
lui  avait  donnée,  et  qu'il  veutqueje  garde  en  mémoire 
de  lui.  Je  n'ai  pas  de  commodité  pour  la  lui  renvoyer; 
cela  même  lui  ferait  de  la  peine.  C'est  aussi,  d'un  autre 
côté,  un  meuble  qui  ne  convient  pas  à  un  prêtre.  J'en 
avais  une  que  la  sœur  de  M.  Michelin  [de  Pontchâteau] 
m'avait  obligé  de  recevoir  quand  je  partis  de  Paris.  Je 

4.  Bibl.  nat.,  m  s.  19730. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  161 

m'en  suis  défait  et  en  ai  fait,  grâce  à  Dieu,  un  bon  usage. 
Je  verrai,  avec  le  temps,  comment  je  pourrai  en  faire 
autant  de  celle-ci,  si  elle  me  demeure.  Cependant  il 
ne  faut  pas  recevoir  le  pain  des  pauvres  gratis. 

Il  est  certain  que  M.  Arnauld  a  passé  à  la  chanoinie. 
Mais  le  doute  est  sur  la  chantrerie,  qui  n'est  venue  que 
depuis.  Mme  de  Feuquières,  qui  la  procure,  est-elle  née 
ou  est-elle  morte  huguenote?  Il  me  semble  que  Bayle, 
dans  son  Dictionnaire,  l'assure.  Elle  était  fille  d'Isaac 
Arnauld,  enterré  dans  le  jardin  de  Gorbeville,  et  que  je 
crois  qui  est  mort  huguenot. 

M.  l'abbé  de  Feuquières1,  qui  est  fait  évêque  d'Agde, 
est  apparemment  celui  qui  était  trésorier  de  l'église 
d'Angers,  et  fils  de  celui  qui  est  mort  ambassadeur  en 
Espagne. 

Le  petit  coq  a  beau  chanter,  il  n'aura  pas  encore  ce 
qu'il  désire  sitôt.  Je  ne  puis  me  résoudre  de  le  donner 
qu'il  n'ait  été  revu  par  quelques  amis,  et,  pour  cela,  il 
faut  l'envoyer.  Vous  en  avez  déjà  un  morceau  dans  les 
cahiers  que  je  vous  prie  de  tenir  toujours  par  un  bon 
bout,  afin  qu'il  ne  s'égare  pas  et  qu'on  ne  le  copie 
pas  pour  l'employer  ailleurs.  Il  ne  faut  pas  s'amuser 
à  divertir  le  monde  par  l'apparence  d'un  impromptu. 
11  faut  traiter  sérieusement  les  affaires  de  la  vérité.  On 
est  si  détourné  par  d'autres  choses  qu'on  ne  trouve  pas 
de  temps. 

Quesnel  à  M.  Vuillart2 

Bruxelles,  21  mars  1702. 

Vous  criez  si  haut  «  merci  »,  que  je  vous  ai  entendu 
de  mon  trou,  et  vous  ai  aussitôt  exaucé.  Car  comment 
s'empêcher  en  carême  de  pardonner? 

J'ai  peur  que  l'ennui  du  jeune    voyageur  [M.  Vooler] 

\.  Philibert-Charles  de  Pas  de  Feuquières,  évêque  de  1702  à  1726. 
2.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

il.  H 


162  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 

ne  vienne  de  ce  qu'il  ne  trouve  pas  de  compagnons 
d'humeur  gaillarde.  Entre  nous,  on  l'a  voulu  un  peu 
dépayser  de  certains  compagnons  avec  qui  il  était  trop 
lié  et,  entre  autres,  celui  qui  a  si  mal  profité  de  son 
voyage  à  Paris. 

Je  ne  doute  point  que  le  P.  Paulin  [Ruth  d'Ans]  n'ait 
fait  de  son  mieux  et  avec  bon  conseil.  Il  ne  manque 
pas  d'adresse  et  d'industrie. 

J'ai  vu  le  Père  prieur  en  son  nouveau  gîte,  où  il  n'est 
que  par  emprunt1.  Il  a  pris  ce  qui  s'est  présenté,  et  il 
n'a  pas  eu  peu  de  peine  à  le  trouver.  Mais  je  le  crois  bien 
résolu  à  ne  pas  retourner  au  premier  hospice.  Ce  serait 
toujours  à  recommencer.  Le  pas  est  fait,  c'était  le  plus 
difiicile.  Il  n'est  plus  question  que  de  trouver  un  hos- 
pice iixe  ;  on  est  après  à  le  chercher,  et  il  n'est  pas 
moins  difficile  de  le  trouver.  J'espère  que  Dieu  s'en 
voudra  bien  mêler,  et  que  ne  trouve-t-on  point  quand 
on  cherche  sous  ses  auspices?  Joignez-vous  au  Père 
prieur  et  priez  avec  lui  le  Seigneur  qu'il  le  place  lui- 
même;  car  il  y  a  plusieurs  demeures  dans  la  maison 
de  notre  père,  je  dis  dans  la  maison  d'en  bas  aussi 
bien  que  dans  celle  d'en  haut. 

Voilà  bien  des  évêques  morts.  Dieu  veuille  remplir 
tout  ce  vide  par  des  personnes  dignes  d'un  si  grand 
ministère  !  Les  abbés  de  Pomponne  et  de  Gaumartin 
n'en  seront-ils  point? 

Quesnel  à  M.    Vuillart2 

Bruxelles,  28  mars  1702. 

Voilà  donc  le  roi  Guillaume3  qui  s'en  est  allé  fort 
tranquillement  en  l'autre   monde,   après  avoir  mis  le 

1.  Le  P.  Quesnel  s'était  enfin  décidé,  pendant  le  voyage  de  M.  Ernest 
Ruth  d'Ans  à  Paris,  à  se  séparer  de  lui  et  à  changer  de  domicile. 

2.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

'A.  Guillaume  d'Orange,  roi  d'Angleterre,  mourut  le  19    mars  1702,  à 
cinquante-deux  ans. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  163 

feu  par  deux  fois  en  celui-ci.  Il  est  mort  le  jour  de 
Saint-Joseph,  patron  de  la  monarchie  d'Espagne,  dont 
on  fit  la  fête  le  dimanche  même  en  ce  pays  par  cette 
raison.  La  nouvelle  arriva,  la  nuit  du  24  au  25.  Dieu 
sait  quelles  suites  cet  événement  aura. 

Je  remercie  X...  de  sa  chère  sollicitude.  Un  bon 
canif  de  son  choix  m'accommoderait  mieux  que  ceux 
de  ce  pays,  qui  sont  de  vrais  couteaux  et  presque  des 
sabres.  Le  chanoine  [Rulh  d'Ans],  en  revenant,  s'en 
pourrait  charger. 

Nous  cherchons  à  nous  placer,  et  il  n'est  pas  facile  de 
trouver.  Je  mande  à  M.  de  Fresne1  de  faire  transporter 
les  caisses. 


Quesnev  à  M.  Brunet2 

Bruxelles,  30  mai  1702. 

M.  Bayle,  dans  son  Dictionnaire  critique,  fait  un 
procès  à  M.  A.  [Arnauld]  sur  l'affaire  de  Mlle  des  Lions. 

«  Elle  plaidait  contre  son  père,  dit-il  ;  il  la  protégea 
dans  ce  procès  autant  qu'il  put.  Cela  n'est  point  d'un 
casuiste  rigide.  »  Gela  est  impertinent  de  prétendre 
généralement  qu'il  ne  soit  pas  de  la  morale  exacte  de 
plaider  contre  un  père  ou  contre  une  mère.  M.  le  baron 
de  Renti  plaida  contre  sa  mère.  Il  ne  serait  pas  mauvais, 
pour  s'en  servir  dans  l'occasion,  d'avoir  en  main  des 
exemples  de  gens  de  bien  qui  aient  plaidé  contre  père 
ou  mère. 

Il  paraît  que  M.  Bayle  n'a  pas  vu  ce  qu'on  a  dit  sur 
cette  affaire,  dans  les  Avis  importants  au  R.  P.  recteur 
des  jésuites  (page  40).  Le  même  auteur  de  ces  Avis  a 


1.  Son  frère  Guillaume  Quesnel. 

2.  Bibl.  de  l'Arsenal.,  ms.  5782. 


164  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

inséré  ailleurs  un  billet  de  M.  des  Lions,  où  il  témoigne 
l'estime  et  l'amitié  qu'il  conservait  toujours  pour 
M.  Arnauld.  Mais  je  ne  me  souviens  point  où  cela  est. 

Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  30  mai  1702. 

Nous  avons  prié  Dieu  pour  le  pauvre  P.  Bouhours1. 
Il  est  jugé.  Je  souhaite  que  ce  soit  un  jugement  de  mi- 
séricorde. 

C'est  partout  (hors  la  France  et  peut-être  Venise)  que 
les  jésuites  héritent.  Ils  le  font  ici  ;  ils  composent  ordi- 
nairement avec  les  parents.  Un  baron  de  Neve,  qui  est 
mort  il  n'y  a  pas  longtemps,  était  novice  chez  eux  ou 
jeune  profès.  On  leur  offrit  100.000  livres  de  sa  succes- 
sion; ils  ne  s'en  voulurent  point  contenter.  On  ht  si  bien 
que  le  jeune  homme  sortit.  Ils  n'eurent  ni  la  vache,  ni 
le  veau,  et  ce  baron  a  été  fort  contraire  depuis  à  la 
société. 

Le  poulet  malade  du  petit  coq  est-il  un  de  ses 
neveux  ?  Est-il  déjà  au  collège  ?  Si  Dieu  le  veut  prendre, 
il  le  faut  laisser  faire  ;  car,  outre  qu'il  est  le  maître, 
il  sait  bien,  quand  il  retire  un  enfant  de  si  grand  esprit, 
qu'un  grand  esprit  est  un  grand  mal  et  un  méchant 
instrument,  à  moins  que,  par  une  grâce  singulière,  le 
Saint-Esprit  ne  s'en  rende  le  maître  pour  en  faire  un 
instrument  pour  le  bien. 

Quesnel  à  M.  Vuillart 

Bruxelles,  13  juin  1702. 

La  méprise  d'un  grand-vicaire  pour  un  autre  est  assez 
gaillarde.  Cependant  l'évêché  demeurera  à  celui  qui  le 

1.  Le  P.  Bouhours  était  mort    le  27  mai  ,1702. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        165 

tient.  Il  n'en  fut  pas  ainsi  d'un  sac  de  1.500  livres,  qui 
fut  porté  au  P.  Le  Comte,  jésuite,  au  lieu  du  P.  Le  Comte, 
de  l'Oratoire,  à  qui  feu  M.  Colbert  l'avait  fait  envoyer 
de  la  part  du  roi.  Il  fallut  le  rendre,  quoique  l'économe 
s'en  fût  déjà  saisi  et  qu'il  en  eut,  dit-on,  déjà  employé 
une  partie. 


Quesnel  à  M.  Vuillart l 

Bruxelles,  16  juin  1702. 

M.  Le  Blond  et  son  compagnon2  sont  dans  le  plus  fort 
de  leur  déménagement  d'une  part  et  emménagement 
de  l'autre 3.  L'ami  de  Valenciennes  leur  a  envoyé  une 
bonne  sœur,  fort  sage  et  fort  modeste,  pour  les  aider  dans 
leur  nouveau  ménage.  Si  elle  sait  faire  de  bonne  soupe 
(ce  que  je  crois  fort  problématique),  on  vous  en  donnera 
avis,  afin  que  vous  en  veniez  manger.  Il  faudra  qu'ils 
en  fassent  l'essai,  afin  que  vous  ne  soyez  pas  empoi- 
sonné. 


Quesnel  à  M.    Vuillart'* 

Bruxelles,  15  juillet  1702. 

Vous  serez- vous  souvenu  qu'il  y  eut  hier  soixante- 
huit  ans  que  je  suis  enfant  d'Adam,  et  aujourd'hui  au- 
tant que  je  suis  enfant  de  Dieu  par  sa  miséricorde. 
Louez  Dieu  et  le  remerciez  d'une  si  grande  grâce,  et 
lui  demandez  que  j'y  réponde  comme  je  le  dois. 

1.  Bibl.  nat.,  ras.  19730. 

2.  Quesnel  et  M.  Du  Bois  Brigode. 

3.  A  son  retour  de  Paris,  M.  Ernest  Ruth  d'Ans  écrit  à  Mlle  de  Jon- 
coux,  de  Bruxelles,  le  13  mai  1702:  «  11  faut  vous  dire  que  la  séparation 
d'avec  M.  de  Fresne  [Quesnel]  est  résolue  et  déclarée,  et  je  vous  avoue 
que  j'y  trouve  bien  de  l'avantage.  »  Le  P.  Quesnel  en  trouvait  aussi. 
Des  deux  côtés  on  était  donc  satisfait   de  ce  changement  de  condition. 

4.  Bibl.  nat.,  ras.  19730. 


166        CORRESPONDANCE  DE  PASQUlER  QUESNEL 

Je  reçus  le  présent  de  notre  très  cher  M.  Drappier 
(Rollin),  dont  je  suis  très  content.  L'endroit  du  fait, 
quoique  un  peu  enveloppé  dans  un  énoncé  générique  et 
conditionnel,  ne  laisse  pas  d'être  bon.  Et,  si  d'autres 
suivaient  cet  exemple,  cela  produirait  un  bon  effet.  La 
planche  est  faite  pour  ceux  qui  voudront  passer. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoax  [ 

Bruxelles,  19  juillet  1702. 

Je  n'ai  qu'un  moment,  ma  chère  amie,  pour  vous 
dire  qu'il  y  a  longtemps  que  je  n'ai  reçu  de  vos  nou- 
velles. D'où  vient  donc?  Si  c'est  que  vous  soyez 
abîmée  dans  la  contemplation,  ah!  bon  cela,  gardez- 
vous  bien  d'en  sortir.  Si  vous  croyez  que  le  silence 
vaut  mieux  que  des  lettres,  je  suis  fort  de  votre  senti- 
ment; mais  je  ne  veux  pas  me  fatiguer  à  deviner.  Je 
vous  dirai  seulement  que  j'ai  prié  un  ami  de  vous  don- 
ner un  factum  en  trois  parties?.  Je  crois  que  cela  aura 
été  exécuté  ;  sinon,  vous  pouvez  le  demander. 

M.  le  chanoine  de  ce  pays  [Rut h  d'Ans]  est  aussi 
chargé  de  vous  en  faire  tenir  un  second,  qui  sera  pour 
votre  ami  que  vous  aviez  engagé  à  la  traduction  d'une 
préface.  Car,  quoiqu'on  ne  se  soit  pas  servi  de  la  tra- 
duction, on  lui  en  a  la  même  obligation.  Vous  direz 
votre  sentiment,   mais  librement,  sur  le  tout. 


1.  Bibl.  nat.,  ms.  19736. 

2.  Justification  de  M.  Arnauld,  3  volumes  in-12,  publiés  par  Quesnel 
en  1702,  et  dans  lesquels  il  fit  entrer  une  partie  de  la  Causa  Arnaldina, 
parue  en  Hollande  en  1699. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUÎER  QUESNEL        161 

Quesnel  à  M.  Vuillart1 

Bruxelles,  lor  août  1702. 

Vous  auriez  pu,  mou  cher  frère,  mettre  en  deux 
mots  l'adresse  pour  l'inconnue.  Je  perdrai  bien  du  temps 
à  la  chercher,  et  peut-être  sans  la  trouver.  Tout  se 
brouille  dans  un  déménagement  non  encore  débrouillé. 

Ah  !  je  ne  saurais  espérer  d'avoir  jamais  dans  la  com- 
munauté un  dom  Albéric  \M.  Louail].  Je  n'ose  même 
le  demander  à  Dieu.  Je  me  trouve  trop  indigne  [d'une 
telle  douceur  ;  car  vraiment,  quoique  je  n'aie  fait,  pour 
ainsi  dire,  que  l'entrevoir,  j'ai  bien  compris  néanmoins 
qu'il  est  du  bois  dont  on  peut  faire  un  ami  du  cœur, 
à  se  tout  dire  l'un  à  l'autre.  Je  demande  à  Dieu  qu'il 
fasse  sa  volonté.  J'aurais  besoin  d'un  rustre  qui  me  fît 
faire  pénitence,  et  non  pas  d'un  aussi  bon  cœur  qui 
comble  le  mien  de  douceur.  Cependant  Dieu  est  le 
maître. 


Quesnel  à  M.  Brunet,  avocat  en  Parlement, 

à  r hôtel  de  Sourdiac, 

rite   Garancière,   derrière  Saint-Sulpice ,  à  Paris- 

1er  août  1702. 

Avez-vous  vu  le  mandement  de  M.  l'évêque  de  Ghalons 
pour  la  publication  des  censures  du  clergé?  Il  y  a  inséré 
un  article  touchant  la  distinction  du  fait  et  du  droit, 
qui  ne  doit  pas  déplaire  à  d'honnêtes  gens.  C'est  quelque 
chose  que  d'avoir  osé  faire  la  planche  aux  autres3.  Peut- 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

2.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  5782. 

3.  Gaston  de  Noailles,  frère  de  l'archevêque  de  Paris,  était  d'un  carac- 
tère beaucoup  plus  ferme  que  le  cardinal.  Ce  dernier  s'en  plaint  douce- 
ment dans  une  lettre  du  4  mai  1703:  «  Vous  avez  toujours  peur  que  je  ne 


168  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

être  trouvera-t-il  des  imitateurs,  et,  si  on  commence  une 
fois  à  parler  ce  langage,  certaines  gens  se  trouveront 
bien  loin  de  leur  compte.  Il  faut  voir  comment  cela  sera 
reçu.  Mal,  sans  doute,  de  ceux  dont  je  viens  de  parler, 
et,  s'ils  trouvent  lieu  à  en  faire  usage  pour  mettre  le 
prélat  sur  le  côté,  ils  n'y  manqueront  pas.  C'est  ce  qui 
doit  faire  avoir  plus  d'estime  à  la  conduite  du  prélat 
que  cette  considération  n'a  pu  empêcher  de  suivre  le 
mouvement  de  sa  conscience.  S'il  y  a  du  bien  à  faire, 
c'est  aux  évêques  de  France  aie  faire.  Car,  pour  Rome, 
il  n'en  faut  rien  attendre  de  bon  de  ce  pontificat,  un  des 
plus  misérables  qu'on  ait  eus  depuis  longtemps,  s'il  con- 
tinue comme  il  commence.  On  vous  aura  dit  le  tour 
qu'ils  ont  joué  à  Msr  de  Sébastc,  dont  ils  renversent  la 
mission,  en  mettant  des  étourdis,  des  ambitieux,  des 
gens  très  méprisables  sur  le  chandelier,  et  en  mettant 
sous  le  boisseau  ceux  qui  étaient  vraiment  la  lumière  et 
le  sel  de  cette  pauvre  mission.  Au  départ  du  dernier 
courrier,  le  prélat  n'avait  encore  rien  appris  de  son  affaire 
du  côté  de  Rome,  et  il  venait  d'apprendre,  parles  lettres 
de  Hollande  et  de  Flandre,  qu'on  ravage  son  troupeau, 
pendant  qu'on  lui  donne  où  il  est  des  baisers  de  Judas. 
Rien  n'est  plus  indigne,  et  je  voudrais  que  les  cris  d'in- 
dignation que  les  gens  de  bien  jettent  sur  cette  affaire 
pussent  aller  jusqu'au  trône  de  saint  Pierre.  Cependant 
voilà  le  patriarche  d'Antioche  parti,  sans  qu'on  sache 
rien  de  la  décision  de  la  Chine.  On  dit  qu'il  y  en  a  une, 
ou  un  projet  qui  serait  de  condamner  absolument  les 
cultes  solennels  de  Confucius  et  des  morts  comme  mau- 
vais, et  de  prohiber  seulement  les  moins  solennels  sous 
peine  d'excommunication. 


vous  conseille  pas  assez  en  évoque,  qu'il  n'y  ait  de  la  mollesse  dans  mes 
avis.  Ce  que  je  crois  prudence  vous  paraît  faiblesse  ;  votre  zèle  vous  l'ait 
croire  que  je  n'en  ai  pas  assez,  et  je  crains  bien  que  vous  n'ayez  raison.  » 
(Bibl.  nat.,  ras.  23215.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  169 

Qiiesnel  à  MUe  de  Joncoux  [ 

Bruxelles,  11  août  1702. 

Vous  avez  vu  la  première  partie  au  moins  de  la 
réplique  du  Père  prieur  au  ministre  du  Masier.  Voici 
ce  qu'il  écrit  :  «  Je  suis  si  las  d'écrire  contre  ces  gens-là 
que  la  plume  me  tombe  des  mains.  Ce  n'est  que  mau- 
vaise foi,  chicaneries,  calomnies  hardies.  A  quoi  bon 
fatiguer  le  public  sans  espérance  d'aucun  fruit?  Je  vous 
le  dis  :  j'aime  mieux  laisser  triompher  le  ministre  que 
d'avoir  à  chamailler  continuellement  contre  lui.  Per- 
sonne ne  veut  rien  faire.  Tout  tombe  sur  un  homme 
qui  doit  se  préparer  à  mourir.  Le  jeu  ne  vaut  pas  la 
chandelle.  » 

De  plus  on  ne  peut  réfuter  ces  gens-là  en  peu  de 
paroles,  et  cependant  on  ne  trouve  point  de  gens  qui 
veulent  lire  ces  livres,  ni  qui  veulent  les  imprimer.  Qu'on 
voie  donc  si  on  ne  peut  faire  quelque  chose  des  matériaux 
envoyés;  si  on  trouve  au  delà  quelqu'un  qui  les  veuille 
imprimer  ;  si  on  peut  les  donner,  les  uns  après  les  autres, 
en  plusieurs  volumes  séparés;  si  on  les  adressera  à  celui 
qu'on  réfute  (je  veux  dire  si  on  lui  adressera  la  parole). 
On  pourrait  donner  d 'abord  ce  qui  concerne  les  anciens  au- 
teurs catholiques;  ensuite  on  fait  un  second  plat,  et  après 
un  troisième.  Le  Père  prieur  pourrait  envoyer  encore 
un  supplément.  Il  faudrait  que  quelqu'un  prît  la  peine 
de  regratter,  limer,  corriger,  abréger  ce  qu'on  a  envoyé. 

Enfin,  dit  le  Père  prieur,  j'ai  d'autres  choses  à  faire, 
et,  si  on  se  met  à  répondre  à  tout  ce  que  ces  ministres 
obstinés  voudront  écrire,  cela  ne  finira  point,  et  la  vie 
finira  bientôt. 

Il  faut  savoir  se  laire,  cela  vaut  mieux  la  plupart  du 
temps  ({ne  de  parler.  Si   on  est   raillé,  c'est    un   petit 

1.  Bibl.  nat.,  ras.  19736. 


170  CORRESPONDANCE    DE    PASQUlËR    QUESNEL 

sacrifice  à  offrir  à  Dieu.  On  serait  tenté  de  rendre  raille- 
rie pour  raillerie,  et  cela  ne  vaut  pas  grand'chose. 
Quand  on  sert  l'Eglise,  il  faut  tâcher  de  s'en  tenir  là  et 
de  ne  pas  prendre  le  change  en  se  laissant  entraîner  à 
des  contestations  personnelles,  à  des  différends,  à  des 
riens  qui  consument  le  temps  aussi  bien  que  lesmeilleures 
choses  et  ne  servent  pas  à  mortifier  les  passions. 

On  a  mandé  à  un  de  mes  amis  qu'on  avait  vu,  entre 
les  mains  du  bibliothécaire  de  Saint-Jacques  de  Provins, 
un  livre  contre  le  P.  Quesnel  sur  le  faux  pas  qu'il  fit, 
dit-on,  il  y  a  quelques  années,  à  l'occasion  de  l'Exposi- 
tion de  la  foi  et  du  désaveu  de  l'écrit  fait  contre  la 
censure.  On  dit  qu'il  y  est  bien  poussé.  Je  ne  sais  si  c'est 
quelque  chose  de  nouveau,  ou  bien  si  c'est  un  livre  dans 
lequel  on  avait  inséré  une  lettre  d'un  quidam  contre  ce 
Père.  Le  temps  nous  en  apprendra  peut-être  davantage. 


Quesnel  à  M.    Vuillart1 

29  août  1702. 

Les  Etats  généraux  prennent  M.  de  Sébaste  sous 
leur  protection2.  Le  sieur  Gock,  prétendu  pro vicaire, 
a  la  ville  pour  prison.  Défense  à  lui  d'exercer  aucune 
fonction  ni  de  sortir  de  la  ville,  jusqu'à  ce  que  M.  de 
Sébaste  soit  revenu  avec  honneur  et  avec  sa  dignité  en 
son  entier.  On  dit  même  que  M.  van  Erckel  est  déjà 
rétabli  dans  son  archipresbytérat. 

Un  sieur  Mollo,  soi-disant  résident  de  Pologne, 
méchant  instrument  et  qui  a  fait  le  plus  de  mal,  est 
regardé  des  Etats  généraux  comme  un  misérable. 

1.  Hibl.  nat.,  ms.  19730. 

2.  M.  Codde,  archevêque  d'Utrecht,  avait  été  suspendu  de  ses  fonc- 
tions le  7  mai,  et  M.  Gock  avait  été  nommé,  par  lacoui'  de  Rome,  pro- 
vieaire  apostolique.  Le  17  août,  parut  un  placard  des  Etats  de  Hollande 
contre  la  nomination  arbitraire  de  M.  Cock. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUËSNEL  171 

Qaesnel  à  M.  Vuillart j 

Bruxelles,  7  septembre  11702. 

Je  ne  sais  ce  qu'on  veut  dire  par  les  Nouvelles  Pro- 
vinciales. Il  y  a  longtemps  que  le  moule  en  est  brisé.  Je 
ne  sais  pas  s'ils  auraient  réimprimé  en  Hollande. les 
Lettres  imprimées  pour  la  défense  des  uniques  Provin- 
ciales. Celui  à  qui  on  les  attribue  n'est  pas  capable  de 
rien  faire  qui  approche  de  ce  caractère. 

En  échange  de  votre  quiétiste  de  Lyon,  je  vous 
apprendrai  que  le  nonce  de  Cologne  a  fait  le  procès  à 
un  quiétiste  infâme  de  Liège,  disciple  d'un  P.  Quen- 
tiens,  jésuite  confesseur,  qui  quiétisait  avec  ses  péni- 
tentes, comme  il  est  dit  dans  la  sentence  contre  Pierre 
Labalaestre,  son  disciple.  Le  jésuite  est  nommé  dans 
le  procès  et  indiqué  dans  la  sentence  que  j'ai.  Le  jésuite 
s'est  évadé.  J'ai  envie  de  vous  envoyer  la  sentence 
par  le  P.  Brûleur  [M.  Le  Noir],  qui  la  verra  et  après 
vous  la  donnera. 

Quesnel  à  M.    Vuillart- 

Bruxelles,  15  septembre  1702. 

A  entendre  dire  les  lettres  de  Rome,  écrites  d'un 
style  germanique,  les  Allemands  ont  battu  l'armée  des 
deux  couronnes,  mise  en  pleine  déroute,  poursuivie  au 
long  et  au  large,  ont  pris  armes,  munitions  et  bagages, 
et  ont  combattu  les  restes  les  deux  jours  suivants.  Le 
roi  s'était  retiré  la  nuit  à  Crémone,  et  autres  semblables 
fadaises.  Je  m'en  tiens  à  la  lettre  du  roi  pour  le 
Te  Deum.  Sa  Majesté  a  bien  mérité  qu'on  le  préfère,  en 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 

2.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 


112        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

§ 

matière  de  créance,  à  des  aventuriers  qu'on  ne  connaît 
point. 

Je  me  réjouis  avec  M.  Le  Doux  [M.  Dodart  le  père] 
de  ce  qu'il  s'est  défait  de  sa  fièvre  avant  l'automne. 

Je  me  doutais  qu'après  que  le  Catéchisme  à  trois, 
parties  serait  achevé  on  me  dirait  qu'on  avait  de  quoi 
le  rendre  meilleur. 

Je  ne  saurais  plus  répéter  qu'on  ne  devrait  pas  tenir 
enfermées  des  choses  qui  ne  sont  que  pour  l'usage,  et 
dans  un  temps  où  l'on  travaille  à  instruire  les  pauvres 
enfants. 

Tout  à  vous  sans  cérémonie,  car  j'ai  tant  écrit  que 
j'en  suis  las. 


Quesnel  à  M.  Brune t{ 

Bruxelles,  17  septembre  1702. 

J'ai  cru  que  vous  seriez  bien  aise  de  voir  cette  ordon- 
nance des  Etats  de  Hollande  et  de  West-Frise,  qui  sera 
apparemment  confirmée  par  les  Etats  généraux2.  On 
fait  croire  au  pape  que  tout  va  bien  en  ce  pays-là;  que 
son  nouveau  provicaire  est  en  possession;  qu'il  n'y  a 
que  quelques  dyscoles  qui  ne  le  reconnaissent  pas. 
Cependant  cette  démarche  des  Etats  peut  avoir  de 
grandes  suites  et  peut  allumer  un  feu  qu'il  ne  sera  pas 
aisé  d'éteindre.  Ils  ont  déjà  fait  venir  vers  eux  deux 
prêtres,  pour  s'informer  de  quelle  manière  le  pape  gou- 
verne cette  Eglise,  et  ils  pourraient  bien  désormais  obli- 
ger les  catholiques  à  élire  dans  le  pays,  entre  eux,  les 

i.  Bibl.  nat,  ras.  19730. 

2.  Ileinsius,  grand-pensionnaire  de  Hollande  depuis  la  mort  de 
Guillaume  d'Orange,  cite  Coek,  le  11  septembre  1702,  et  lui  enjoint  de 
cesser  d'usurper  le  pouvoir  qui  appartientaM.de  Sébaste.  Nous  voyons 
là  l'éclosion  de  l'Eglise  vieille -catholique  (ou  janséniste)  de  Hollande, 
qui  existe  encore  aujourd'hui,  et  dont  nous  tenons,  par  le  séminaire 
d'Amersfoort,  cette  correspondance  du  P.  Quesnel. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        473 

premiers  pasteurs.  Aussi  bien  le  concordat  n'est-il  pas 
pour  ces  pays-là1. 

On  crie  en  Hollande  la  prise  de  Landau2;  elle  est 
dans  leurs  gazettes;  les  lettres  de  Francfort  et  de 
Cologne  l'annoncent.  Cependant  on  ne  croit  pas  cette 
nouvelle,  qui  paraît  débitée  par  artifice. 

Ayez  la  bonté  de  faire  part  de  l'ordonnance  à  notre 
frère  Germain  [M.  Vuillart}.  Il  en  aura  encore  par 
une  voie  un  peu  plus  longue.  Je  suis  tout  à  vous,  mon 
très  cher  monsieur,  etc. 


Quesnel  à  Mne  de  Joncoux^ 

25  novembre  1702. 

Voilà  un  mémoire  brouillon  de  ce  que  j'ai  de  pièces 
touchant  l'affaire  de  Cambrai.  J'ai  aussi  les  procès- 
verbaux,  en  grand  et  en  petit.  Me  manque-t-il  beaucoup 
de  choses? 

M.  de  Cambrai  a  donné  son  séminaire  à  messieurs  de 
Saint-Sulpice  depuis  peu,  sur  ce  qu'un  homme  de  son 
diocèse  lui  a  laissé  4.000  livres  de  rente  pour  le  sémi- 
naire. 

Ce  prélat  n'est  point  dans  de  bons  principes  sur  la 
grâce.  Il  dit  qu'il  ne  demande  pas  mieux  que  de  connaître 
la  vérité;  mais  il  a  de  méchants  principes,  c'est-à-dire 
une  méchante  clef  qui  ne  fait  que  brouiller  la  serrure. 

1.  M.  du  Vaucelécritde  Rome,  le  17  octobre:  «On  ne  comprend  point  où 
est  la  prudence  de  s'engager  à  faire  un  si  grand  vacarme  pour  opprimer 
un  évêque  qui  s'est  si  bien  justifié,  et  qui  est  chéri,  estimé,  honoré  de 
tout  le  monde  en  Hollande,  hors  des  jésuites  et  de  leurs  adhérents.  Il 
estfort  paisible,  et  résolu,  plus  que  jamais,  de  se  défendre  jusqu'aubout.» 
(Archives  d'Amersfoort,  boîte  P.) 

2.  La  ville  de  Landau,  défendue  pendant  quatre  mois  par  M.  de  Mélac, 
se  rendit  à  l'empereur  Joseph,  le  11  septembre.  Les  Français  la  reprirent 

en  1703. 

3.  Bibl.  nat  ,  ms.  19736. 


174  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Son  oncle  et  d'autres  sulpiciens   et    molinistes  l'envi- 
ronnent.  Il  ne  veut  pas  déplaire  aux  bons  Pères. 


Quesnelà  Mme  de  Fontpertuis 

Bruxelles,    23  novembre   1702. 

Je  vous  assure,  ma  très  chère  et  très  honorée  sœur, 
que  ce  n'est  que  faute  de  temps  que  je  ne  me  donne 
point  l'honneur  et  la  consolation  de  vous  écrire  plus 
souvent. 

Il  est  vrai  que  j'ai  changé  d'air.  J'y  ai  été  obligé 
après  beaucoup  d'instances  de  mes  amis.  J'ai  eu  peine 
à  trouver  où  me  gîter  d'abord,  et  je  me  jetai  au  hasard 
dans  un  logis,  où  je  ne  connaissais  ni  le  lieu  ni  les 
habitants.  Cependant  je  m'y  suis  arrèlé,  quoique  je 
crusse  n'y  être  que  quelques  semaines,  en  attendant 
mieux,  et  il  s'est  trouvé  que  je  ne  pouvais  mieux  ren- 
contrer, que  j'y  suis  parfaitement  bien,  en  bel  air,  à 
l'écart,  avec  les  meilleures  gens  du  monde,  à  bon  mar- 
ché, au  large,  avec  toutes  sortes  de  commodités.  Nous 
faisons  notre  ménage,  à  part.  Il  n'est  composé  que  de 
trois  :  mon  compagnon1,  qui  est  fort  à  mon  gré  et  d'une 
humeur  fort  douce  et  très  propre  à  nos  affaires  pour 
le  dehors;  l'ami  de  Valenciennes  nous  a  donné  une 
sœur  qui  fait  notre  ménage  :  c'est  un  vrai  petit  mouton, 
beaucoup  de  piété,  qui  fait  assez  de  cuisine  pour  nous 
et  qui  est  fort  silencieuse.  Mon  compagnon  l'est  aussi; 
je  le  suis  assez  de  mon  côté,  de  sorte  qu'il  n'y  a  point 
de  bruit  dans  la  maison. 

L'abbé  du    Nord  m'écrivait2,  il  y  a  deux  mois,  que, 
si  le  duc  n'était  point  mort,  il  était  presque  assuré  de 

1.  M.  Du  Bois  Brigode. 

2.  A  propos  des  affaires  de  Nordstrand,  voir  les  lettres  du  15  août  1699 
et  du  13  mars  1700. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        175 

nous  faire  toucher  une  moitié  du  principal.  Il  ne  se 
rebute  pas  néanmoins.  Il  m'assure  que  nous  n'avons 
pas  besoin  d'autre  solliciteur  que  lui  et  qu'il  veillera  à 
nos  intérêts  de  tout  son  cœur,  tant  qu'il  sera  là. 

Puisque  je  suis  sur  cette  affaire,  je  vous  supplie 
de  me  dire  s'il  n'y  a  point  des  papiers  dont  j'aie  besoin 
pour  montrer  ce  qui  m'est  dû.  Vous  m'avez  fourni  de 
quoi  faire  voir  que  je  suis  maître  du  droit  du  défunt 
R.  P.  abbé  ;  mais  il  faut  que  j'aie  de  quoi  montrer  à  quoi 
il  avait  droit  lui-même.  Pensez-y,  s'il  vousplaît,  un  peu, 
et  j'espère  que  vous  ferez  pour  cela  tout  ce  que  vous 
jugerez  nécessaire.  Cependant  je  vous  prie  de  croire  que 
je  suis,  avez  plus  de  respect  et  plus  de  vraie  amitié  que 
personne,  votre  très  humble  et  très  dévoué  serviteur. 

Je  ne  doute  point  qu'on  ne  vous  ait  mandé  que  l'Uni- 
versité de  Louvain  est  perdue,  que  M.  Huygens  est 
mort  le  27  octobre  dernier,  et  que  l'Eglise  est  aussi 
désolée  que  le  pays. 


De  décembre  1702  à  juillet  1703,  nous  n'avons  retrouvé  aucune 
lettre  du  P.  Quesnel;  mais  nous  donnons  quelques  extraits  de 
différentes  correspondances  relatant  son  arrestation  à  Bruxelles, 
à  la  suite  d'un  ordre  venu  d'Espagne  et  arraché  à  Philippe  V  par  les 
jésuites.  L'archevêque  de  Malines,  Humbert  de  Précipiano,  avait, 
dès  le  mois  d'août  1701,  cité  devant  lui  M.  Du  Rois  Brigode,  le 
jeune  compagnon  du  P.  Quesnel,  et  l'avait  réprimandé  pour 
avoir  distribué  des  livres  pernicieux.  (Extrait  de  Causa  Quesnel- 
liana). 

L'affaire  du  Cas  de  Conscience,  signé  à  Paris  par  quarante  doc- 
teurs, en  1701 ,  et  imprimé  dans  un  journal  de  Louvain,  enjuin  1702, 
porta  à  son  comble  l'exaspération  de  l'archevêque  contre  les 
PP.  Gerberon  et  Quesnel,  qui  furent  arrêtés  le  30  mai  1703. 
M.  Ernest  Ruth  d'Ans  écrivit  à  Mlle  de  Joncoux,  le  jour  même  : 

C'est  avec  bien  de  la  douleur,  ma  chère  sœur,  que  je 
vous  donne  avis  que  ce  matin  on  a  été  saisir,  de  la  part 
du  roi  et  de  M.  l'archevêque  de  Malines,  le  P.  Quesnel 
et  M.  de  Brigode  qui  demeurait  avec  lui.  On  a  en  même 


176        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

temps  saisi  tous  leurs  livres  et  tous  leurs  papiers.  Il 
faut  faire  agir  tous  les  ressorts  en  leur  faveur.  Le  pauvre 
P.  Gerberon  avait  été  arrêté  une  heure  ou  deux  aupa- 
ravant. Il  faut  qu'on  agisse  chez  vous  ;  je  n'oserais 
me  remuer  ici,  comme  mon  cœur  le  désirerait. 


Ernest  Rut  h  d'Ans  à  A/lle  de  Joncoux 

3  juin  1703. 

Il  y  a  tous  les  jours  dix  ou  douze  jésuites  à  l'arche- 
vêché, occupés  à  visiter  les  papiers1.  Le  mal  est  infini. 
Il  faut  remuer  ciel  et  terre  pour  obtenir  un  ordre  de  le 
retirer,  lui  et  ses  papiers,  des  mains  de  ses  ennemis  et 
de  ses  parties,  pour  les  mettre  en  séquestre  ailleurs. 


Ernest  Rut  h  d'Ans  à  MUe  de  Joncoux 

7  juin  1703. 

Il  faut  remuer  tous  ses  amis,  petits  et  grands,  pour 
faire  tirer  le  P.  Quesnel  de  l'oppression,  pour  lui  obtenir 
la  liberté  de  se  défendre  en  justice,  conformément  aux 
brefs  du  pape  Innocent  XII.  Il  faut  que  M.  le  cardinal 
de  Noailles  le  redemande  comme  son  diocésain,  avec 
tout  ce  qu'on  lui  a  pris2.  C'est  une  chose  criante  de  voir 

1.  Les  jésuites  les  firent  copier  en  triple  exemplaire,  pour  la  France, 
pour  le  pape,  et  pour  le  roi  d'Espagne.  (Arch.  nat.,  Jansénisme  L  14.) 

2.  Le  pauvre  cardinal  n'aurait  eu  garde  de  bouger.  N'était-ce  point 
contre  lui  que  le  coup  était  d'abord  dirigé?  Aussi  Fénelon,  craignant 
qu'on  ne  sût  pas  à  Bruxelles  tirer  parti  des  papiers  saisis,  écrit-il,  le 
4  juin,  à  l'abbé  de  Langeron:  «  Il  faudrait,  pour  bien  faire,  y  poser  un  scellé 
et  faire  transporter  le  tout  à  Paris.  Si  on  peut  trouver  des  gens,  comme 
M.  Boileau,M.  Duguetet  le  P.  de  La  Tour  dans  les  papiers  saisis,  il  faut 
les  écarter  et  ôter  toute  ressource  de  conseil  à  M.  le  cardinal  de 
Noailles.  »  (Fénelon,    Correspondance.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  177 

tout  cela  entre  les  mains  de  ses  ennemis.  Les  régents 
des  jésuites  donnent  les  papiers  à  leurs  écoliers 
pour  en  faire  faire  des  copies.  J'ai  vu  moi-même 
une  lettre  entre  les  mains  d'un  de  ces  écoliers  dont  le 
père  est  de  mes  amis.  Le  Père  est  toujours  enfermé 
chez  l'archevêque;  on  ne  lui  parle  point  encore,  et  il 
n'a  nulle  liberté,  que  je  sache.  On  lui  envoie  à  manger 
de  la  table  de  l'archevêque. 

Il  sera  bon  de  consulter  et  de  me  mander  ce  qu'il 
y  aurait  à  lui  suggérer,  sur  deux  points  où  je  prévois 
qu'on  lui  fera  de  grandes  difficultés.  C'est  :  1°  qu'on 
lui  trouvera  des  livres  défendus,  et,  comme  il  n'a  pas 
la  permission  de  Rome  de  les  lire,  on  voudra  faire 
valoir  à  son  égard  les  peines  canoniques,  comme 
l'excommunication; 2°  on  lui  a  trouvé  une  chapelle,  un 
calice  et  les  ornements.  Et  cependant  il  n'a  pas  la  per- 
mission de  dire  la  messe  chez  lui.  J'ai  su  qu'ils  font 
sonner  cela  fort  haut  à  l'archevêché.  Mon  sentiment 
estque,  lorsque  les  papiers  seront  examinés,  ils  en  feront 
un  résultat  à  leur  mode,  en  envenimant  toutes  choses, 
et  qu'ils  l'enverront  au  pape  et  aux  deux  rois,  à  qui  ils 
feront  donner  des  ordres  conformes  à  leur  volonté. 
Ainsi  rien  ne  se  fera  dans  les  formes  de  la  justice,  mais 
seulement  par  autorité. 


Lettre  de  Bruxelles 

Samedi  23  juin  1703. 

On  a  trouvé  chez  M.  X...  la  servante  qui  servait  le 
P.  Quesnel  à  Bruxelles,  dont  on  a  appris  des  circons- 
tances qu'on  ne  savait  pas.  Les  voici  :  Quand  on  voulut 
arrêter  M.  Brigode,  il  se  défendit,  il  fit  du  bruit  et  cria; 
en  un  mot,  il  donna  le  temps  au  P.  Quesnel  de  s'échap- 
per et  de  se  retirer;  mais  on  ne  sait  comment  ni  pour- 
il.  12 


178  CORRESPONDANCE    DE   PASQUIER    QUESNEL 

quoi,  une  heure  ou  une  heure  et  demie  après,  il  revint 
chez  Jui;  il  alla  à  sa  cuisine,  où  le  grand-vicaire  et 
quelques  autres  personnes  étaient  encore.  Il  se  mit 
dans  un  coin  où,  ayant  été  découvert,  on  vint  lui  de- 
mander ce  qu'il  faisait;  il  répondit  qu'il  priait  Dieu. 
On  se  saisit  des  papiers  que  l'on  trouva,  mais  on  ne 
prit,  cette  première  fois,  que  les  lettres  qu'il  avait 
reçues  depuis  quatre  mois.  On  ne  mit  le  scellé  nulle 
part,  et  l'on  demeura  trois  jours  sans  enlever  autre 
chose  dans  sa  maison. 


Ernest  Rnth  d'Ans  à  Aille  de  Joncoux 

30  juin  1703. 

Le  P.  Quesnel  a  été  pris  dans  ses  habits  ordinaires, 
qui  étaient  ecclésiastiques.  Il  n'avait  mis  aucun  ordre 
à  ses  papiers,  et  généralement  on  lui  a  tout  pris.  Il  a 
demandé  de  pouvoir  entendre  la  messe,  et  on  le  lui  a 
refusé.  On  le  traite  d'excommunié  par  provision,  quoi- 
qu'il n'y  ait  encore  eu  ni  interrogatoire,  ni  sentence. 


Lettre  de  Bruxelles 

Jeudi  5  juillet  1703. 

M.  Quesnel1  et  M.  Brunet2  arrivèrent,  dimanche  au 
soir,  fort  las  et  fort  fatigués.  Ils  couchèrent  à  l'hôtellerie. 
Le  lundi,  ils  virent  quelques  amis  et,  après  le  dîner, 
ils  firent  transporter  leurs   hardes  dans   la  maison  du 

1.  Guillaume  Quesnel,  frère  du  P.  Quesnel,  etsupérieur  de  l'Oratoire 
à  Orléans. 

2.  M.  Brunet,  avocat  de  Paris,  venu  pour  défendre  la  cause  du 
prisonnier,  et  dont  nous  donnerons  plus  loin  une  Relation  de  la  déli- 
vrance du  P.  Quesnel,  à  laquelle  il  prit  grande  part. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  179 

P.  Quesnel.  Ils  passèrent  le  reste  de  la  journée  à 
examiner  les  débris  de  la  bibliothèque,  où  ils  trou- 
vèrent environ  quatre  ou  cinq  cents  volumes,  tant  gros 
que  petits. 


Lettre  de  Quesnel,  écrite  de  sa  prison 

15  juillet  1703. 

Mille  et  mille  remerciements  à  tous  ceux  qui  me 
témoignent  tant  de  charité  et  tant  d'amitié.  Dieu  sera 
leur  récompense  :  c'est  tout  dire.  Jusqu'à  présent,  je 
n'ai  rien  su  des  poursuites  faites  pour  moi  que  ce  que 
j'en  apprends  par  la  lettre.  On  ne  m'a  point  fait  d'in- 
terrogatoire dans  les  formes.  Le  vicaire1  vint,  il  y  a 
environ  deux  mois,  dans  ma  prison  avec  quelques 
papiers  à  la  main.  Il  me  demanda  si  je  connaissais 
l'écriture  d'un  billet,  si  je  connaissais  M.  Kerkré 
[P.  Gerberon],  qui  est  en  Hollande.  Je  dis  que  j'étais 
transporté  comme  dans  un  nouveau  monde,  que  je  ne 
connaissais  plus  personne  et  ne  savais  plus  rien.  Il 
demeura  comme  muet  et  interdit  et  parla  d'autre  chose. 
Depuis  ce  temps-là  il  n'était  plus  venu  personne; 
mais,  le  vicaire  étant  revenu,  il  y  a  quelque  temps, 
dans  ma  chambre,  je  lui  déclarai  nettement  et  forte- 
ment «  que  je  ne  reconnaîtrais  jamais  pour  juge  ni  le 
prélat,  ni  lui,  ni  l'official,  ni  aucun  de  sa  part,  comme 
étant  de  mes  parties  ».  Sur  ce  qu'il  me  dit  «  que  j'avais 
troublé  le  diocèse  »,  je  lui  répondis  «  que  c'était  lui  qui 
l'avait  troublé,  que  je  croyais  au  contraire  l'avoir,  par 
la  grâce  de  Dieu,  édifié  et  servi  plus  qu'il  ne  le  ferait 
de  sa  vie  ».  Il  me  demanda  comment.  Je  dis  «  que 
c'était  par  plusieurs   ouvrages   de  piété  que  j'y  avais 

1.  Van  Susteren,  grand-vicaire  de  l'archevêque  de  Malines. 


180  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

faits  et  publiés,  et  que  les  Réflexions  sur  le  Nouveau 
Testament  y  avaient  été  mises  en  l'état  où  elles  sont, 
que  la  bénédiction  qu'il  avait  plu  à  Dieu  d'y  donner 
était  une  marque  qu'il  ne  désapprouvait  pas  tout  à  fait 
ma  conduite  ».  Il  m'engagea  à  donner  une  liste  des 
ouvrages  de  piété  et  des  autres,  imprimés  en  France  et 
ici  publiquement.  Je  le  fis,  peut-être  mal  à  propos  ; 
mais  il  me  faisait  entendre  qu'il  était  bon  que  M.  l'ar- 
chevêque les  connût  et  que  cela  le  rendrait  favorable.  Je 
n'en  ai  reconnu  aucun  autre  et  n'en  reconnaîtrai  aucun. 
C'est  à  eux  à  prouver. 

Je  ne  sais  ce  que  c'est  que  la  lettre  où  il  est  dit  que 
les  ennemis  étaient  dans  Rome.  Un  certain  person- 
nage peut  avoir  écrit  quelque  chose  de  cela,  je  n'ai  eu 
garde  d'y  applaudir.  Il  peut  avoir  parlé  de  M.  de 
Sébaste,  par  rapport  aux  affaires  du  clergé  de  Hollande 
et  de  ses  adversaires.  Je  ne  crois  pas  qu'il  n'y  ait  rien 
de  ma  main,  et  certainement  il  n'y  aura  rien  qui  donne 
prise  sur  moi.  Je  ne  crois  pas  assurément  qu'il  y  ait 
dans  la  lettre  :  «  Nos  amis  ».  C'est  un  homme  qui 
écrivait  malgré  moi,  et  à  qui  j'avais  déclaré  que  je  ne 
voulais  point  avoir  de  commerce  avec  lui,  ne  lui 
répondant  point  depuis  ce  temps-là.  On  me  traite  en 
excommunié  :  point  de  messe  du  tout,  quoiqu'on  la  fasse 
entendre  aux  scélérats  qui  sont  quelquefois  à  la  tour 
de  l'archevêché. 

Je  ne  sais  comment  je  pourrai  faire  tenir  cette  lettre, 
à  moins  qu'on  ne  jette  une  corde  sur  le  toit,  en  sorte 
qu'on  la  puisse  retirer. 

Le  vicaire  m'a  fort  pressé  de  faire  des  excuses  et  de 
demander  pardon  au  prélat.  Je  l'ai  refusé,  et  je  crois  le 
devoir  faire.  Le  jour  me  manque. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        181 


Lettre  de  Quesnel,  de  sa  prison 

16  juillet  1703. 

Je  n'ai  point  eu  de  lumière  jusqu'à  présent,  le  soir. 
A  neuf  heures  et  demie,  tous  les  gens  sont  à  souper; 
à  dix  heures,  il  y  en  a  qui  sont  revenus  aux  écuries  ; 
à  onze  heures,  tout  le  monde,  ordinairement,  est  retiré. 

Le  vicaire  m'a  fait  entendre  que,  «  pourvu  que  je  fisse 
des   excuses  au  prélat  et  que  je  promisse  de  sortir  de 
son  diocèse  et  de  retourner  en  France  dans  une  maison 
de  l'Oratoire,  il  se  contenterait  de  cela  ».  Mais  il  ajouta, 
en  sortant,   «  qu'il  ne  répondait  pas  de  ce  que  le  roi 
ferait.  Peut-être  que  Son  Excellence  ou  le  conseil  royal 
ordonnerait,    par  un  décret,   que  je  sortirais  du  pays  ; 
peut-être  me  ferait-on  conduire  (comme  on  fait  ordi- 
nairement)   jusqu'à  la  frontière,  et  que  là  il  se   trou- 
verait quelqu'un  pour  s'assurer  de  ma  personne,  de  la 
part  de  la  France  ».  Dieu  en  sera  toujours  le  maître, 
et  sa  volonté  doit  être  la  règle  de  la  nôtre.  On  ne  trou- 
vera rien,  ni  contre  l'Eglise,  ni  contre  l'Etat,  dans  mes 
papiers.  J'ai  toujours  pris  fort  chaudement  les  intérêts 
de  l'un  et  de  l'autre.  M.  van  Susteren  fait  tout.  Il  est 
bien  étrange  que,  pendant  que  les  Hollandais  sont  aux 
portes,  un  Hollandais  soit  à  la  tête  d'un  grand  diocèse 
et  y  dispose  de  tout,  lui  qui  a  sa  mère,  ses  frères,  toute 
sa   famille   en  Hollande.    Son  père  était  un  fort   gros 
marchand  d'Amsterdam,  et  son  frère  fait  encore  le  com- 
merce,  a  des   vaisseaux   sur  mer  et  est  fort  puissant. 
Le  greffier  des  Etats  de  Brabant  est  son  parent,   aussi 
bien  que  M.  Zespers,  conseiller  du  conseil  de  Brabant. 
On  sait  que  la  famille  du  prélat  est  touteautrichienne. 
Il   a   dit  lui-même  à  un  ministre  étranger  qu'il  était 
bon   Autrichien,     et  cela  depuis    la  guerre.    Il   a    fait 


182        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

réformer  une  formule  de  prière  qui  se  dit  pour  lout  le 
pays,  où  il  y  avait  Rrgem  nostriim  Philippum,  et  on  a  fait 
ôter  nostrum.  II  dira  peut-être  qu'il  n'était  pas  autre- 
fois dans  cette  prière  ;  mais  c'est  assurément  lorsqu'il 
y  avait  un  prince  souverain  du  pays,  comme  sous  les 
archiducs  Albert  et  Isabelle,  on  y  priait  toujours  pour 
le  roi  d'Espagne. 

J'embrasse,  de  tout  mon  cœur,  mon  cher  frère  Guil- 
laume et  mon  cher  frère  Brunet,  etjeressens  très  vive- 
ment toutes  les  marques  de  leur  amitié  si  effective.  Le 
vicaire  fait  sonner  bien  haut  des  lettres  du  P.  Le  Brûleur 
[Le  Noir]  et  du  frère  Germain  [  Vuillart] .  Ce  sont  des  nou- 
velles écrites  d'un  style  un  peu  libre,  nouvelles  ecclé- 
siastiques et  qui  marquent  qu'on  n'approuve  pas  la 
conduite  de  quelques  ecclésiastiques  qui  ont  grand  crédit 
auprès  des  puissances.  C'est  ce  qui  me  fait  plus  de  peine 
h  cause  d'eux,  et  mon  imprudence  d'avoir  gardé  leurs 
lettres  me  rend  indigne  de  leur  souvenir1. 

Je  me  suis  bien  porté  jusqu'à  présent,  grâce  à  Dieu. 
Je  ne  crois  pas  qu'il  y  ait  aucune  apostille  de  ma  main 
clans  la  lettre  de  Hollande,  et  je  ne  vois  pas  quelle  en 
aurait  pu  être  la  matière;  mais,  assurément,  il  y 
aurait  bien  de  la  malignité,  si  on  voulait  tourner  cela 
du  côté  des  affaires  d'Etat,  au  lieu  qu'il  n'y  est  question 
que  des  adversaires  de  M.  de  Sébaste,  que  ce  laïque 
embrassait  fort  chaudement  et  qu'il  espérait  devoir 
être  soutenu  de  l'autorité  des  Etats  du  pays.  Je  ne 
voulais  pas  qu'on  m'écrivît  d'affaires,  ni  de  guerre, 
ni   d'Etat,  jusqu'à  parler   sur  cela  d'un  ton  fort  dur. 

1.  Le  malheureux  M.  Vuillart,  «un  lettré  des  plus  lettrés  et  un  saint 
homme  »,  dit  Saint-Beuve,  correspondant  assidu  de  Quesnel,  fut  affu- 
blé par  les  jésuites  du  titre  de  «procureur  général  de  Tordre  des 
jansénistes»,  et  arrêté,  à  Paris,  le  2  octobre  1703.  Il  demeura  douze 
années  à  la  Bastille,  sans  interrogatoire,  sans  confrontation,  et  ne  revit 
la  lumière  qu'à  la  mort  de  Louis  XIV,  lorsque  M110  de  Joncoux  obtint 
du  régent  sa  liberté.  11  était  trop  tard,  car  il  s'éteignit  six  semaines 
après,  âgé  de  soixante-seize  ans. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        183 

Tous  ceux  qui  me  connaissent  me  savent  fort  chaud  et 
fort  vif  pour  les  intérêts  de  mon  roi  et  de  ma  patrie, 
et  jamais  je  n'ai  varié,  ni  plié  sur  cela1. 

J'avais  demandé  à  l'official,  qui  est  chanoine  d'Anvers, 
de  pouvoir  entendre  la  messe  le  jour  de  la  Très-Sainte- 
Trinité.  Il  me  l'avait  promis  et  s'était  offert  même  de 
mêla  dire;  mais  je  connus,  le  jour  de  cette  fête,  que  le 
vicaire  ne  l'avait  pas  jugé  à  propos,  et  oncques  depuis 
je  n'ai  point  eu  la  consolation  d'assister  à  la  sainte 
messe,  quoiqu'il  y  ait  cinq  messes  ordinairement  dans 
la  maison. 

Le  vicaire,  lorsque  je  me  plaignis  qu'il  me  traitait 
en  excommunié,  m'assura  «  que  je  l'étais  et  même  irré- 
gulier, pour  avoir  célébré  pendant  l'excommunication  ». 
Il  prétendait  «  qu'il  y  avait  des  mandements  sur  cela  », 
et  tout  se  réduisait  à  des  ordres  envoyés  aux  sacristies. 
Je  lui  soutins,  ce  qui  est  vrai,  «  qu'en  nulle  des  sacristies 
où  j'avais  été  on  ne  trouvait  point  ces  ordres  affichés, 
et  qu'on  ne  m'avait  jamais  rien  demandé,  ni  fait  diffi- 
culté aucune,  et  puis  voilà  une  loi  de  cette  importance 
plaisamment  publiée  ». 

Il  se  jeta  sur  la  chapelle  domestique,  et  je  lui  soutins 
qu'il  n'y  a  point  là  peine  d'excommunication,  outre  que 
je  prétendais  avoir  eu  permission  et  attachée  à  la  per- 
sonne. 


1.  Toute  la  correspondance  du  P.  Quesnel  fait  foi  de  son  loyalisme.  Or 
ses  sentiments  envers  Louis  XIV  sont  d'autant  plus  méritoires  qu'il 
était  proscrit  et  persécuté.  Mais  les  jésuites  appuyaient  fortement  sur 
ce  jansénisme  politique  qui,  réellement,  n'exista  que  pour  les  besoins  de 
la  cause.  On  trouve  dans  une  lettre  d'un  ecclésiastique  de  Paris,  du 
14  février  1703,  ce  passage  assez  curieux  :  «  Le  roi  a  grande  raison  de 
n'aimer  pas  ce  parti  ;  car,  à  considérer  seulement  les  choses  par  des  vues 
humaines,  il  est  aussi  dangereux  contre  l'Etat  que  contre  l'Eglise.  S'ils 
étaient  les  plus  forts,  toute  la  France  deviendrait  jansénienne;  elle 
deviendrait  aussi  bientôt  aristocratique  ou  république.  Mais,  Dieu 
conservant  et  maintenant  toujours  la  famille  royale  dessus  le  trône,  il 
la  préservera  de  ce  malheur.  »  (Archives  d'Amersfoort,  pièces  sur  le 
jansénisme,  boîte  R.) 


184        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

Il  m'avait  aussi  allégué  les  décrets  des  livres  prohibés 
par  rinquisition.  Je  dis  «  que  j'étais  enfant  de  l'Eglise 
de  France  et  qu'elle  ne  reconnaît  point  ce  tribunal; 
de  plus,  que,  pour  faire  loi,  il  fallait  que  ces  décrets 
fussent  publiés  par  l'autorité  épiscopale  dans  les  formes, 
et  pour  cela  qu'ils  fussent  placetés  par  le  roi  ou  ses 
conseils  ».  Il  me  soutint  «  que  cette  dernière  condition 
n'était  point  nécessaire  »,  et  je  le  défiai  de  le  mettre  par 
écrit.  Je  ne  crois  pas  que  jamais  décret  de  l'Inquisition 
ait  été  ici  publié  dans  les  formes,  et  les  internonces  ne 
trouvent  pas  bon  qu'on  demande  pour  cela  le  placet  du 
roi. 

Vous  jugez  bien  qu'il  ne  faut  pas  que  ces  entretiens 
particuliers  reviennent  ici.  Quoique  le  nom  de  M.  Ragot 
soit  odieux  et  que  sa  chute  rende  peut-être  son  témoi- 
gnage reprochable,  peut-être  pourtant  qu'il  ne  serait 
pas  mauvais  de  lui  demander  une  attestation  devant 
notaire  et  légalisée,  par  laquelle  il  dépose  que  feu  M.  de 
Berghes, archevêque  de  Malines, avait  donné  à  M.  Arnauld, 
pour  lui  et  pour  sa  compagnie,  permission  pour  la 
chapelle  domestique  et  pour  les  sacrements,  à  la  vie  et 
à  la  mort1.  Il  doit  y  avoir  une  lettre  où  il  témoigne 
que  cet  archevêque  offrait  à  M.  Arnauld  l'usage  de  sa 
bibliothèque  (en  effet,  il  lui  prêtait  ses  livres  quand  il 
en  avait  affaire)  et  de  l'avertir  de  ce  qu'il  saurait  que 
ses  ennemis  brasseraient  contre  lui.  Gefutfeu  M.  Vaës, 
conseiller  de  Brabant,  qui  ménagea  tout  cela,  et  ce  fut 
par  M.  Ragot  que  M.  Arnauld   eut  la  connaissance  de 

1.  Le  P.  Quesnel,  dans  sa  défense,  donne  quelques  détails  sur  sa  cha- 
pelle domestique  :  «  J'avais  choisi  la  plus  belle  chambre.  J'y  avais  fait 
faire  une  cloison  de  bois  fort  propre.  Il  n'y  avait  personne  qui  logeât 
ni  sur  la  chapelle,  ni  dessous,  ni  devant,  ni  derrière,  ni  dans  le  reste 
de  la  chambre,  et  elle  était  éloignée  de  la  rue  et  adossée  sur  un  grand 
jardin.  Avant  que  de  penser  à  y  célébrer  la  sainte  messe,  pour  préparer 
ce  lieu  par  la  prière  à  être  une  maison  de  prière,  nous  y  récitâmes, 
mon  compagnon  et  moi,  tous  les  jours,  durant  deux  ou  trois  mois, 
l'office  de  l'Eglise,  et  cela,  non  assis,  ni  les  jambes  croisées  l'une  sur 
l'autre,  mais  toujours  debout  et  fêle  nue.  »  (Moli/'de  droit.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        185 

M.  Vaes,  que  M.  Ragot  avait  connu  aux  conférences  de 
Gourtrai.  M.  Ernest  [Rut h  d'Ans]  et  le  P.  de  Hondt 
peuvent  donner  une  semblable  attestation  et  la  tenir 
prête  à  tout  événement. 

Je  suis  persuadé  que  toutes  les  procédures  ou  tenta- 
tives que  Ion  fera  auprès  des  conseillers  ou  des  Etats 
n'auront  aucun  effet.  On  a  fermé  toutes  les  avenues  à 
la  justice  ;  de  ce  côté-ci,  ils  voient  bien  qu'ils  ne  peuvent 
pas  faire  grand'chose  dans  les  formes.  Je  crois  qu'ils 
voudraient  bien  (cela  supposé)  se  défaire  de  moi  avec 
honneur,  au  moins  à  la  faveur  d'un  pardon  demandé 
qu'ils  feraient  passer  pour  un  aveu  général  de  mes 
prétendus  excès,  bien  assurés  d'ailleurs  de  se  dédom- 
mager du  surplus  par  ce  que  le  roi  très  chrétien  fera 
de  son  côté.  Car,  mes  chers  amis,  il  ne  faut  pas  que  je 
me  flatte  de  recouvrer  ma  liberté  ;  il  n'y  a  nulle  appa- 
rence que  mes  parties  secrètes,  ou  plutôt  publiques,  me 
tenant  une  fois,  me  laissent  échapper. 

Les  adversités  et  les  disgrâces  du  monde  ne  sont  pas 
le  plus  long  chemin  pour  aller  au  ciel.  J'ai  ouï  dire, 
au  contraire,  que  c'est  le  plus  court,  et  l'Ecriture  nous 
dit  partout  que  c'est  le  chemin  unique  et  nécessaire. 

C'est  un  événement  assez  plaisant  que,  dans  la  con- 
joncture présente,  un  Hollandais  ait  emprisonné  trois 
Français  au  milieu  de  Bruxelles,  au  lieu  qu'un  Fran- 
çais aurait  dû  plutôt  emprisonner  trois  Hollandais. 
C'est  une  espèce  d'Inquisition  et  pire  que  celle  de  Rome. 
Dieu  le  permet  ;  il  faut  adorer  ses  ordres  et  ses  desseins. 

Je  vois  bien  qu'ils  ne  feront  ici  que  tâcher  de  nous 
lasser  par  la  longueur  de  la  prison  et  nous  obliger  à 
demander  miséricorde;  mais  je  crois  que  ce  n'est  pas 
une  mauvaise  chose  que  de  gagner  du  temps  par  la 
prolongation  de  cette  captivité,  qui  n'est  pas  des  plus 
rudes,  quoique  l'exactitude  à  ne  donner  aucune  conso- 
lation, aucune  liberté  de  prendre  conseil,  soit  fort 
grande.  Ma  chambre  est  assez  spacieuse  et  n'a  que  trop 


186  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

de  jour,  quoique  le  soleil  n'y  ait  pas  encore  fait  son 
entrée,  sinon  incognito  et  par  réverbération  des  murs 
voisins.  J'y  ai  un  jardin,  en  dépit  du  soleil;  car  le  mur 
de  derrière  est  appuyé  sur  une  vieille  muraille  ou  ter- 
rasse de  l'ancienne  enceinte  de  la  ville,  et  les  champi- 
gnons, vingt  ou  trente  à  la  fois,  percent  le  mur  et  croissent 
dans  ma  prison,  en  forme  de  chandeliers  qui  ont  la 
ligure  de  bras,  et  cela  à  la  hauteur  de  ma  main.  Il  ne 
faut  pas  parler  de  cela.  Vous  jugez  pas  là  que  ma 
chambre  est  humide.  11  n'y  a  point  de  cheminée,  et 
l'hiver  y  serait  assez  froid.  Dieu  sait  s'il  a  résolu  de 
m'y  laisser. 

L'on  m'a  envoyé  ici  le  matelas  de  mon  grand  lit.  Je 
voudrais  qu'il  fût  au  logis,  afin  que  l'on  pût  profiter 
de  l'occasion  qui  se  pourrait  présenter  de  vendre  le  lit 
que  l'on  m'a  comme  forcé  d'acheter  et  dont  je  ne  me 
suis  pas  encore  servi. 

Il  faudra  tout  vendre,  mais  je  voudrais  bien  que  mon 
cher  frère  et  mon  cher  avocat  [Brune t]  prissent  de  mes 
livres  tout  ce  qui  les  accommodera  et  leur  agréera.  Il 
y  aune  grande  casaque  fourrée  que  le  Liv  onien  (M .  Pruns- 
terer)  m'a  laissée.  Je  voudrais  qu'il  l'eût;  elle  lui  serait 
plus  utile  qu'à  moi.  Elle  vaut  bien  la  peine  d'être  trans- 
portée. Je  salue  tous  mes  chers  amis,  dont  le  souvenir 
est  une  de  mes  plus  sensibles  consolations.  Je  me  suis 
fait  tous  les  reproches  qu'ils  m'auraient  sans  doute 
épargnés,  sur  la  perte  des  papiers.  La  vérité  est  que, 
la  veille,  j'avais  voulu  transporter  les  coffres.  Je  trou- 
vai la  porte  de  mon  voisin  barricadée,  ce  qui  me  fit 
remettre  à  un  autre  jour,  et  j'eus  beaucoup  de  peine  à 
l'ouvrir  le  jour  de  mon  arrêt,  en  sorte  que  je  m'écor- 
chai  le  bras  des  deux  côtés  pour  le  passer  et  couper  la 
corde  qui  fermait  la  porte.  Cela  me  fit  perdre  beaucoup 
de  temps.  Je  sortis  cependant;  mais  Dieu  me  ramena, 
je  ne  sais  comment. 

Le  prieur  de  Saint-Louis  [du  Vaucel]  doit  être  averti 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  187 

que  toutes  ses  lettres  de  vingt  années  sont  prises1.  Je 
ne  sais  pourquoi  il  demeure  à  ce  prieuré.  Il  aurait  dû 
accompagner  M.  de  Sébaste. 

Le  vicaire,  faisant  instance  pour  que  je  demande  par- 
don à  son  prélat,  prétend  par  là  qu'il  se  tient  offensé 
et,  par  conséquent,  se  déclare  partie,  et,  nonobstant 
cela,  prétend  être  juge  et  qu'on  réponde  à  son  tribunal, 
à  faute  de  quoi  il  dit  que  je  demeurerai  donc  toujours 
où  je  suis.  C'est  une  voie  de  fait  tout  à  fait  criante.  De 
plus,  il  s'est  assez  bien  payé  de  ses  mains  par  une  pri- 
son de  près  de  trois  mois,  et  il  veut  encore  être  payé, 
par  les  miennes,  par  un  pardon  que  je  ne  puis  lui 
demander,  ne  me  sentant  point  coupable.  Il  ne  tient 
qu'à  lui  de  faire  juger  la  suspectation,  et  il  l'empêche 
en  fermant  la  voie  de  la  justice  par  son  crédit.  Outre 
cela,  on  n'est  assuré  de  rien,  quand  on  l'aurait  demandé. 
Il  demanderait  alors  autre  chose. 

Voilà  un  billet  écrit  sur  de  la  toile  que  j'avais  mise 
dans  le  collet  de  pourpoint.  On  peut  se  servir  ou  de 
toile  ou  de  membrane  fine  qui  ne  fasse  point  de  bruit, 
et  la  mettre  dans  le  collet  de  la  chemise  qu'on  m'en- 
voie tous  les  samedis,  ou  en  d'autres  jours,  les  deux 
toiles  bien  cousues.  Envoyez-moi  une  aiguille  et  du  fil 
blanc  et  de  la  soie  noire  pour  recoudre.  C'est  en  cas 
qu'on  ait  besoin  d'écrire  que  je  propose  cela. 

Il  n'y  a  proprement  que  ma  chambre  dans  cette  cour, 
hors  une  petite  dans  l'écurie.  Ce  qui  est  au-dessus  de 
ma  chambre  est   une  espèce  de  garde-meuble,  où  l'on 


1.  Elles  sont  rentrées  en  possession  des  jansénistes,  car  toute  la  cor- 
respondance de  du  Vaucel  avec  Arnauld  et  Quesnel  se  trouve  dans  les 
archives  de  l'Église  vieille-catholique  d'Utrecht,  où  nous  en  avons  pris 
connaissance.  Mais  l'inquiétude  fut  grande  au  sujet  de  cette  corres- 
pondance, et  M.  Maille  écrit  de  Rome  à  M.  de  Sébaste,  le  27  octobre  1703: 
«  Je  suppose  que  la  fondrière  [cour  de  Rome]  sera  fort  en  colère  contre 
M.  Dupré  [du  Vaucel],  à  cause  de  ce  qu'ils  ont  trouvé  dans  les  papiers 
qu'il  avait  envoyés  à  Flore  [Quesnel]  où  il  parlait  peut-être  un  peu 
trop  librement.  »  (Archives  d'Utrecht,  lettres  de   Maille.) 


188        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

ne  va  pas  souvent,  et  les  greniers  au  dessus.  Sur  l'ar- 
cade par  où  l'on  va  à  la  grande  cour  du  palais,  ce  sont 
deux  petites  galeries  de  passage.  A  neuf  heures  et 
demie  ou  environ,  les  gens  soupent,  et  il  est  rare  qu'il 
y  ait  alors  quelqu'un  dans  la  cour  de  l'écurie.  Il  faut 
faire  la  guerre  à  l'œil  et  user  néanmoins  sobrement  de 
cette  voie,  de  peur  qu'elle  ne  se  découvre  ;  car  quelque- 
fois on  va  et  vient,  les  lieux  communs  étant  au  bout 
des  deux  galeries  ou  corridors. 


Ernest  Rutli  d'Ans  à  Mnp  de  Jonconx 

Bruxelles,  18  juillet  1703. 

L'opinion  commune  est  que  l'on  a  écrit  d'ici  au 
P.  de  La  Chaise  et  que  celui-ci  a  ménagé  ce  qui  était 
nécessaire  pour  obtenir  l'ordre  du  roi  d'Espagne  par  le 
moyen  de  son  confesseur.  Je  voudrais  leur  donner 
quelque  rabat-joie  sur  les  papiers  qu'ils  ont  saisis  et 
les  défier  d'y  rien  trouver,  ni  contre  la  loi,  ni  contre  le 
temple,  ni  contre  César,  comme  on  l'a  marqué  dans 
une  gazette  de  Hollande1. 


Lettre  de  Quesnel,  de  sa  pinson 

Juillet  1703. 

J'avais  fait,  avec  un  crayon  de  plomb,  un  mémoire 
des  raisons  de  suspectation  à  l'égard  de  M.  l'archevêque 

1.  En  effet,  le  dépouillement  des  papiers,  d'abord  à  Bruxelles,  puis 
à  Paris  où  ils  furent  transportés,  n'aboutit  qu'à  un  misérable  échec. 
«  Un  coup  de  massue  avait  été  annoncé.  11  ne  s'agissait,  en  fin  de 
compte,  que  de  quelques  vivacités  de  style  dans  une  correspondance 
toute  privée.  »  (Lu  France  et  Home,  par  Albert  Le  Koy,  p.  132.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        189 

et  de  ses   officiers.  Je    ne  trouvai   pas  de    voie  pour 
l'envoyer. 

A  l'égard  du  prétendu  jansénisme,  ce  prélat  en  a 
des  idées  si  affreuses  qu'on  ne  peut  éviter  d'être  con- 
damné, dès  qu'il  jugera  quelqu'un  sur  cette  matière. 

A  l'égard  de  M.  Arnauld,  c'est  assez  d'avoir  demeuré 
avec  lui  pour  être  criminel.  C'est  sur  cela  qu'il  a  fait 
chasser  du  pays  M.  Ernest  [Rut h  d'Ans]  et  qu'il  a 
entrepris  le  P.  de  Hondt.  On  a  les  mémoriaux  par  lui 
présentés  contre  eux  à  Rome,  à  Madrid  et  à  la  cour  de 
Bruxelles. 

Sa  passion  et  sa  mauvaise  volonté  contre  l'Oratoire 
est  publique.  Il  a  entrepris  de  ruiner  cette  congréga- 
tion et,  depuis  peu,  il  a  fait  présenter  un  mémorial  à 
Rome,  où  il  proposait  d'en  changer  l'institut  et  te  gou- 
vernement, et  d'en  former  un  autre  sur  celui  de  l'Ora- 
toire  de  Saint-Philippe   ou  de  quelque  autre  d'Italie. 

Il  est  notoire  qu'il  est  tout  dévoué  aux  jésuites.  Il  ne 
voit,  n'entend  et  n'agit  que  par  eux.  Ils  lui  ont  donné 
des  jeunes  gens  de  leurs  écoliers,  pour  faire  tout  par 
eux,  sous  l'autorité  de  ce  prélat.  Ainsi  le  P.  Quesnel, 
comme  accusé  de  jansénisme,  comme  ami  et  com- 
mensal de  feu  M.  Arnauld,  comme  prêtre  de  l'Oratoire 
et  comme  ennemi  déclaré  des  jésuites  par  les  jésuites 
mêmes,  dans  un  grand  nombre  de  leurs  libelles  où 
ils  lui  ont  déclaré  la  guerre,  ne  peut  reconnaître  ce 
prélat  pour  juge. 


Lettre  de  Quesnel  à... 

De  sa  prison,  29  août  17u3. 

Un  billet  que  j'avais  écrit  le  22,  avec  addition  du 
26,  mais  qui  n'a  pas  été  envoyé,  vous  aurait  fait  connaître 
que  j'étais  en  peine  de  ne  pas  recevoir  d'avis  qui 
m'assurât  que  ce  que  j'avais  envoyé  par  deux  fois  avait 


190  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

été  reçu.  Je  voyais  que  le  paquet  de  M.  Brunet  avait 
été  ouvert,  et  qu'on  avait  replaqué  de  la  cire  d'Es- 
pagne sur  le  cachet  dont  on  voyait  une  partie  du  cercle. 
11  y  avait  un  billet  de  deux  lignes  d'une  autre  main, 
qui  demandait  réponse  pour  dix  heures  du  soir.  Gela 
m'inquiétait  un  peu,  et  il  est  bon  de  ne  pas  laisser  des 
sujets  de  soupçon  à  un  prisonnier  qui  doit  être  en 
défiance  et  qui  ne  peut  s'éclaircir  ;  mais  je  fus  hier  tiré 
d'inquiétude,  et  je  reçus  la  consolation  que  Dieu  m'en- 
voyait, dont  je  le  remercie  très  humblement  et  celui 
dont  il  a  employé  le  ministère.  Les  belles  choses  dont 
les  adversaires  sont  surpris,  dit-on,  sont  sans  doute 
celles  qui  étaient  dans  la  malle,  et  où  était  tout  ce  qui 
regardait  notre  cher  défunt  et  ses  écrits;  car  je  n'ose 
me  flatter  qu'on  ait  rien  sauvé,  quoique  je  l'eusse  dit 
en  sortant.  H  n'y  a  que  cela  à  regretter. 

Il  ne  faut  pas  s'étonner  qu'on  m'accuse  d'avoir  voulu 
introduire  une  nouvelle  religion.  C'est  une  conclusion 
particulière  qu'ils  tirent  du  principe  général  qu'ils  ont 
établi  en  beaucoup  de  libelles,  comme  dès  le  commen- 
cement de  celui  qu'ils  publièrent  sur  la  fourberie  de 
Douai,  et  dans  l'un  des  trois  grands  placards  qui  a 
pour  titre  :  Jansenismus  destmens  omnem  religionem. 
Les  jansénistes,  disent-ils  donc,  voulaient  introduire 
une  nouvelle  religion.  Or  le  P.  Quesnel  est  janséniste, 
donc  il  est  de  ceux  qui  ont  voulu  introduire  une 
nouvelle  religion.  Gela  ne  mérite  pas  de  réponse,  et  je 
suis  assuré  qu'on  ne  trouvera  rien  qui  approche  d'un 
si  funeste  dessein. 

L'autre  accusation  est  encore  une  conclusion  aussi 
bien  tirée.  M.  Ragot  avait  été  accusé  de  ce  dogme 
horrible  qu'il  était  permis  aux  prêtres  de  se  marier.  Il 
s'en  est  défendu,  et  la  manière  dont  on  a  procédé 
contre  lui  fait  bien  voir  qu'on  n'a  pas  ajouté  foi  à  une 
telle  accusation.  Mais  il  n'importe  :  dès  que  les  jésuites 
ont  formé  une  accusation,  elle   doit   passer  pour  bien 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        191 

prouvée.  Ils  raisonnent  donc  ainsi  :  M.  Ragot  a  dogma- 
tisé qu'il  était  permis  aux  prêtres  de  se  marier.  Or 
M.  Ragot  est  janséniste.  Donc  les  jansénistes  tiennent 
qu'il  est  permis  aux  prêtres  de  se  marier.  Or  le  P.  Ques- 
nel  est  janséniste,  donc  il  enseigne  ce  dogme. 

Je  reçus,  dimanche  26,  visite  assez  longue  de  M.  van 
Sustercn.  Je  ne  sais  s'il  me  voulait  tâter  sur  les  billets 
interceptés.  Il  ne  me  parla  point  de  mon  affaire,  etjene 
lui  en  parlai  point  non  plus.  Sur  ce  que  je  lui  parlai  de 
mon  frère,  il  me  répondit  qu'il  n'était  plus  ici,  qu'il 
s'en  était  retourné,  qu'on  le  lui  avait  dit.  Peut-être  y 
aura-t-il  quelque  chose  de  cela  dans  un  billet. 

Quand  on  m'arrêta,  je  demandai  à  voir  l'ordre.  On 
me  répondit  qu'on  n'y  était  pas  obligé,  et,  en  etfet,  on 
ne  le  montra  point.  M.  van  Susteren  ne  m'a  parlé  que 
de  permission,  et  non  d'ordre  du  roi  pour  m'arrêter, 
et  m'a  dit  qu'il  ne  l'avait  reçue  que  le  jour  même  que 
je  fus  arrêté.  Il  me  parla  dimanche  de  M.  de  Sébaste,  et 
me  dit  que  le  sieur  Gock,  qu'on  lui  a  substitué,  avait 
pensé  être  arrêté  par  ordre  des  Etats,  mais  qu'il  s'était 
sauvé.  Il  prétend  que  j'ai  écrit  en  Hollande,  avant  ma 
détention,  et  que  j'ai  conseillé  à  ces  messieurs-là  de 
ne  pas  déférer  à  la  lettre  de  M.  l'internonce,  qui  établis- 
sait ledit  Cock  en  la  place  de  M.  de  Sébaste. 

Il  y  a,  tout  proche  la  maison,  une  pauvre  femme  qui 
a  plusieurs  enfants  et  qui  est  fort  pauvre.  On  lui  don- 
nait quelque  chose  toutes  les  semaines.  Il  faut  faire 
des  aumônes  extraordinaires  en  cette  conjoncture,  loin  de 
manquer  à  celles  auxquelles  on  était  engagé.  Je  donne 
plein  pouvoir  pour  cela. 

Si  le  petit  messager  qui  m'a  rendu  vos  deux  lettres 
est  bien  fidèle,  je  crois  qu'on  n'a  pas  besoin  d'en 
chercher  un  autre,  et  on  aurait  peine  à  en  trouver,  car 
il  ne  faut  pas  risquer. 

Je  ne  sais  si  un  petit  billet,  fourre  dans  le  linge  sale 
et  écrit  avec  du  plomb,  fut  rendu.  J'y  marquais  simple- 


192  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

ment  la  situation  de  ma  demeure  ;  mais,  quelques  jours 
après,  on  vint,  par  ordre  de  M.  le  vicaire,  condamner 
une  fenêtre  qui  donne  sur  la  Monnaie.  Mon  garde  me 
dit  que,  la  veille,  il  était  venu  un  homme  de  la  Monnaie 
parler  à  ce  vicaire,  et  que  ce  fut  ensuite  de  cette  visite 
que  l'ordre  fut  donné  au  serrurier,  soit  qu'il  ait  inter- 
cepté le  billet  adressé  au  chanoine  de  Sainte-Gudule,  ou 
que  cet  homme  soit  venu  dire  qu'on  l'avait  voulu  engager 
à  passer  quelque  chose  par  sa  maison.  Il  est  aisé  de  faire 
passer  dans  la  chambre  des  lettres,  tant  par-dessous  la 
porte  que  par  le  haut;  mais  il  n'est  pas  aisé  d'arriver  à 
la  chambre,  le  portier  prenant  garde  qu'on  aille  en  ce 
quartier-là. 

Je  ne  saurais  exprimer  ma  reconnaissance,  ma  ten- 
dresse, ni  tous  les  autres  mouvements  de  mon  cœur 
pour  mon  cher  et  noble  avocat  [M.  Brunet].  Je  prie  Dieu 
de  lui  faire  sentir  par  mille  et  mille  bénédictions  que 
je  lui  souhaite  de  la  part  de  celui  qui  est  la  source  de 
tout  bien.  Je  salue  tous  mes  chers  amis  et  mes  chères 
amies,  mes  chers  frères  et  particulièrement  frère  Anselme 
et  les  amis  de  Bruxelles,  les  deux  bonnes  sœurs  et 
monsieur  leur  frère. 

Je  trouve  très  bien  la  requête  et  l'acte  de  suspectation. 
Ce  qui  marque  la  passion  du  prélat  contre  feu  M.  Arnauld 
est  qu'il  a  fait  chasser  du  pays  M.  Ernest  [Rut h  cPAns], 
par  cette  seule  raison  qu'il  avait  demeuré  avec  ce  doc- 
teur, et  il  Fa  marqué  dans  les  suppliques  présentées 
contre  lui  à  S.  A.  E,  de  Bavière  et  par  d'autres  mémo- 
riaux envoyés  en  Espagne  et  à  Rome.  Je  crois  que 
M.  Ernest  en  a  des  copies.  On  a  peut-être  trouvé  aussi 
de  ma  mainplusieurs  minutes  de  requêtes,  de  mémoires, 
etc.,  dressées  contre  ce  prélat  pour  MM.  de  Louvain  et 
les  autres  ecclésiastiques.  Tout  cela  était  chez  le  frère 
Joseph;  ce  qui  n'aura  pu  ne  point  irriter  le  prélat,  qui 
d'ailleurs  a  toujours  cru  que  c'était  moi  qui  les  faisais. 

Les  idées  alfreuses  qu'il  a  du  jansénisme  paraissent 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL       193 

dans  les  trois  fameux  placards  dont  l'un  a  pour  titre  : 
Jansenismus  destruens  omnem  religionem.  M.Steyaert  dit 
en  pleine  école,  à  Louvain,  que  le  prélat  les  appuyait 
de  son  autorité,  et  on  sait  qu'il  donna  dispense  à  l'impri- 
meur pour  y  travailler  les  dimanches. 

Vous  avez  raison  de  n'être  pas  en  peine  de  notre 
nourriture  :  on  est  fort  bien.  Nous  fîmes  assez  mauvaise 
chère  le  jour  de  saint  Ignace,  mais  c'est  que  toute  la 
maison  était  en  festin  chez  les  jésuites.  Le  prélat  alla, 
hier,  entendre  la  grand'messe  aux  Augustins  ;  mais  il 
n'y  mangea  pas,  ni  le  comte  de  Soye,  son  frère. 

Il  me  faudra  quelques  pièces  de  trois  sols  pour  payer 
le  barbier  qui  vient  me  faire  le  poil  tous  les  quinze  jours. 
Je  n'en  ai  plus  que  trois,  et  j'en  donne  une  à  chaque  fois. 

On  m'a  promis  de  faire  un  mémoire  de  quelque  chose 
dont  j'ai  besoin.  On  pourra  marquer  aussi  sur  un  petit 
papier  ce  qu'on  m'enverra,  et  rien  plus. 

Il  ne  me  vient  rien  qui  mérite  d'être  ajouté.  Je  sui- 
vrai exactement  les  avis  que  mon  cher  avocat  [M.Brunet) 
a  la  bonté  de  me  donner.  Dieu  les  bénira,  comme  je 
l'espère.  Je  l'embrasse  en  esprit,  et  je  le  porterai  doré- 
navant dans  mon  cœur  d'une  manière  toute  nouvelle. 
Mais,  hélas  !  quand  le  pourrai-je  remercier  de  vive  voix? 
Quand  il  plaira  à  Dieu,  sa  volonté  réglera  tout.  Notre 
soumission  à  cette  volonté  adorable  est  notre  sancti- 
fication. 

M.  le  vicaire  m'a  parlé  d'un  assez  gros  écrit  que  j'avais 
fait  sur  la  censure  de  Rome  contre  mon  Saint  Léon.  Il 
supposait  qu'elle  avait  été  imprimée,  ce  qui  n'est  pas. 
Je  lui  ai  fait  connaître  que  je  ne  l'avais  fait  que  pour 
rendre  compte  au  cardinal  François  Barberin1,  doyen  du 


1.  A  propos  du  cardinal  Barberini,  le  P.  Quesnel  écrivait,  en  1677,  à 
Magliabechi  :  «  L'honneur  que  l'on  m'a  fait  de  me  mettre  dans  l'Indice 
de  Rome  m'a  attiré  la  connaissance  de  cette  Eminence  qui  me  témoigne 
beaucoup  de  bonté.  »  {Correspondance  inédite  de  Mabillon  et  de  Mont- 
faucon,    t.  III,  p.  244.) 

il.  13 


194  COKKESPONDAISCE    DE    PASOEIER    QUESNEL 

Sacré  Collège  et  préfetde  la  congrégation  du  Saint  Office, 
de  quatre  mémoires  de  remarques  qu'il  avait  eu  la  bonté 
de  nTenvoyer.  Il  avait  entrepris  de  faire  retirer  de  l'Index 
le  Saint  Léon,  pourvu  que  j'y  fisse  à  peu  près  les  cor- 
rections qu'il  désirait.  J'eus  fort  longtemps  commerce 
de  lettres  avec  cette  Eminence,  qui  semblait  prendre 
l'affaire  fort  à  cœur  etm'affectionner. 

Si  les  conseils  qu'on  m'avait  donnés  autrefois  étaient 
aussi  clairs  et  aussi  expliqués  que  les  vôtres,  je  n'au- 
rais pas  fait  dans  ma  chambre  la  déclaration;  mais, 
ne  sachant  quand  il  la  fallait  faire  et  craignant  d'avoir 
trop  attendu  (car  il  y  avait  deux  mois),  je  ne  voulais 
pas  manquer  l'occasion   qui  se  présentait  de   la  visite. 

J'admire  l'empressement  qu'a  eu  M.  le  vicaire  de  me 
venir  apprendre  le  départ  de  mon  frère,  sans  doute  pour 
me  décourager,  au  lieu  que,  de  peur  de  me  donner  de 
la  confiance,  il  ne  me  dit  point  son  arrivée  en  cette 
ville.  Je  ne  l'appris  que  plus  d'un  mois  après,  par  le 
salut  que  la  bonne  sœur  me  fit  de  sa  part  en  un  petit  billet; 
mais,  s'il  plaît  à  Dieu,  rien  ne  me  découragera.  C'est 
en  lui  que  je  mets  ma  confiance,  et  la  charité  qu'il  inspire 
pour  moi  à  mon  frère  et  à  mon  cher  avocat  m'est  un 
garant  de  sa  protection.  S'il  est  vrai  que  mon  pauvre 
frère  soit  retourné  en  France,  je  ne  doute  point  que 
ce  ne  soit  pour  de  bonnes  raisons  et  qui  regardent  mon 
affaire.  Il  y  avait  peut-être  quelque  chose  de  cela  dans  les 
billets  interceptés.  Je  m'assure  qu'on  n'y  aura  rien  mis 
de  conséquence  dans  un  premier  essai. 


Quesnel  à  M.  Brunet [ 

4  septembre  1703. 

Je  ne  saurais  entrer  dans  un  dessein  d'enlèvement, 
de  brisement  de  barreaux,  de  murs,  etc.,  par  d'autres. 

1.  Bibl.  nat.,  ois.  19735. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        195 

Il  en  naitrait  de  grandes  affaires,  des  procès  criminels 
contre  les  gens.  Dieu  a  d'autres  moyens  pour  me  tirer 
des  mains  de  mes  adversaires,  s'il  le  veut.  Le  procès 
étant  commencé,  il  ne  peut  plus  durer  longtemps.  Ces 
voies  déshonoreraient  la  vérité.  Il  n'arrivera  que  ce  qu'il 
plaira  à  Dieu.  Je  me  doutais  bien  que,  pendant  que  je 
serais  devant  le  prélat,  on  visiterait  ma  chambre.  On 
n'y  a  rien  trouvé,  sinon  la  fenêtre  que  j'avais  ouverte. 
On  la  condamne  de  nouveau  avec  des  clous  ;  mais  je 
n'aurai  pas  de  peine  à  les  ôter.  Les  premiers  étaient 
plus  difficiles.  Pourvu  qu'on  n'y  fasse  rien  davantage! 
Adieu,  je  vous  embrasse. 

Si  on  n'a  point  envoyé  le  pavillon,  il  faut  attendre. 


Ernest  Rulk  d'Ans  à  Mi[e  de  Joncoux 

19  septembre  1703. 

J'espère  que  vous  aurez  reçu  la  lettre  que  je  vous 
écrivis,  le  13,  pour  vous  marquer  que  le  P.  Quesnel 
s'était  évadé  la  nuit  d'auparavant.  On  n'a  su  cette  éva- 
sion, à  l'archevêché,  que  ce  jour-là  même,  à  deux 
heures  après  midi,  lorsqu'on  pensait  lui  porter  à 
manger,  ce  qui  ne  marque  pas  que  l'on  eût  un  grand 
soin  de  lui,  puisqu'on  le  laissait  jeûner  si  longtemps. 
Personne  n'osait  annoncer  au  prélat  cette  évasion.  Il 
fallut  le  lui  faire  dire  par  le  P.  Maes,  jésuite,  son  con- 
fesseur. Le  prélat  fut  tout  transporté  de  colère.  Il  fut 
saisi  d'un  tremblement  et  grinça  des  dents,  d'une 
manière  que  l'on  appréhenda  qu'il  ne  tombât  en  apo- 
plexie. Quand  il  fut  un  peu  revenu  à  lui,  il  s'écria  : 
«  Que  dira  le  roi  de  France?  » 

On  dit  que  c'est  une  espèce  d'officier  espagnol,  nommé 
don  Antonio  ou  don  Livio  de  Salazar,  qui  a  conduit 
cette  hardie  entreprise.  Il    a  commencé  par  louer  une 


196  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

chambre  dans  un  cabaret  voisin  du  quartier  où  était 
la  prison  du  P.  Quesnel.  Après  avoir  examiné  toutes 
choses,  il  a  reconnu  que  l'on  pouvait  faire  un  trou  dans 
la  muraille  d'une  écurie  qui  aboutissait  à  la  prison.  Le 
seul  espace  où  ce  trou  était  à  faire  était  si  petit  que  le 
prisonnier  disait,  pendant  qu'on  y  travaillait  :  «Ne  vous 
exposez  pas,  mes  amis,  pour  l'amour  de  moi,  je  vois 
bien  que  Dieu  ne  veut  pas  que  je  sorte  !  »  Il  fut  obligé, 
en  effet,  de  passer  ses  culottes  et  le  reste  de  ses  habits, 
et  de  passer  lui-même  ensuite  en  chemise  et  en  caleçon, 
et  ceux  qui  ont  eu  la  dévotion  au  sacré  trou  et  qui  l'ont 
vu  disent  que  c'est  un  miracle  qu'il  ait  pu  sortir  par  un 
trou  si  petit.  Le  cabaret  par  où  l'évasion  s'est  faite  s'ap- 
pelle la  Terre  de  promission,  parce  que  l'enseigne  est 
une  grosse  grappe  de  raisin  portée  par  les  espions  de 
Josué. 

Gomme  il  pourrait  se  faire  que,  dans  la  suite  du  temps, 
on  aurait  la  liberté  de  mettre  un  marbre  à  l'embou- 
chure du  trou,  l'on  vous  prie  de  faire  faire  par  un  habile 
poète  des  vers  sur  cette  heureuse  évasion,  que  l'on  y 
puisse  graver. 

Voici  deux  petites  pièces  de  vers,  bien  médiocres,  qui  se  trouvent  à 
la  suite  d'une  des  copies  de  la  Relation  de  la  fuite  du  P.  Quesnel,  aux 
archives  d'Amersfoort: 

DIZAIN    SUR    L'ÉVASION    DU    P.    QUESNEL 

Libre  dans  sa  prison  et  content  de  son  sort, 
Quesnel,  loin  de  pleurer  sa  liberté  ravie, 
Envisage  avec  joie  et  les  fers  et  la  mort, 
Chante,  bénit  ses  fers,  tranquille,  attend  la  mort, 
Et  sur  la  foi  des  loups,  paisible  agneau,  s'endort. 
Une  voix  inconnue  à  sortir  le  convie. 
Le  mur  s'ouvre.  A  regret  le  saint  prisonnier  sort. 
«  Hâte-toi,  fuis,  Quesnel,  laisse  frémir  l'envie  ; 
Rends  aux  dogmes  sacrés  leur  plus  ferme  support. 
Venge  la  vérité.  Ne  crains  point  pour  ta  vie  ; 
Au  travers  des  écueils,  Dieu  te  conduit  au  port!  » 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  197 

Quesnel,  sûr  de  son  innocence, 

Croyait  pouvoir  en  sûreté 

Faire  la  guerre  à  l'ignorance, 

A  Terreur,  à  l'impiété  : 

Telle  était  sa  simplicité. 

Mais,  aux  Pays-Bas  comme  en  France, 

On  met  aux  fers  la  vérité. 

On  l'y  mit,  et  sans  apparence 

Qu'il  sortît  de  captivité. 

Les  fiers  partisans  de  Pelage 

Triomphaient  de  cet  avantage, 

Lorsqu'on  vit,  par  le  prompt  secours 

D'une  grâce  victorieuse, 

Hors  des  fers  le  Paul  de  nos  jours. 

Chantons  sa  délivrance  heureuse! 

Ici  se  place  naturellement  la  Relation  de  la  délivrance  du 
P.  Quesnel,  par  M.  Bellissime  [V  avocat  Brunet].  Nous  en  avons  trouvé 
plusieurs  copies,  de  différentes  écritures,  dans  les  archives 
d'Amersfoort,  et  nous  en  détachons  quelques  passages,  des  plus 
intéressants,  qui  combleront  la  lacune  de  la  correspondance  : 

L'évasion  d'un  prisonnier,  par  une  ouverture  faite  à 
un  mur  de  la  prison  où  il  est  enfermé,  n'a  rien  de  fort 
extraordinaire  et  qui  ne  paraisse  être  l'effet  d'une  cause 
très  naturelle.  Mais,  si  l'on  fait  réflexion  aux  circons- 
tances particulières  qui  ont  précédé,  accompagné  et 
suivi  la  délivrance  du  P.  Quesnel  et  aux  personnes  qui 
en  ont  été  les  instruments,  on  sera  convaincu  que  ce  n'est 
que  par  une  protection  singulière  de  Dieu  que  ce  des- 
sein a  réussi  et  que  c'est  une  espèce  de  miracle. 

Il  est  nécessaire  de  donner  une  idée  grossière  de  la 
situation  de  la  chambre  qui  lui  servait  de  prison.  Elle 
fait  partie  d'un  bâtiment  de  l'archevêché  qui  donne, 
d'un  côté,  sur  la  cour  des  écuries,  et  touche,  de  l'autre 
côté,  à  un  cabaret  voisin,  mais  de  manière  cependant 
que  la  chambre  où  était  le  P.  Quesnel  ne  touche  que  par 
un  petit  coin  au  mur  de  l'écurie  de  ce  cabaret,  qui  est 
mitoyen  avec  cette  écurie  et  le  bâtiment  de  l'archevêché, 


198  CORRESPONDANCE    DE    PASQUTER    QUESNEL 

La  cour  des  écuries  de  l'archevêché,  à  cause  d'une 
espèce  de  boyau  qui  en  fait  partie,  n'est  séparée  de 
celle  du  cabaret  que  par  un  mur  qui  n'est  pas  fort  haut, 
et  elle  a  une  porte  de  derrière  qui  donne  sur  la  rue  des 
Augustins.  Le  cabaret,  qui  fait  le  coin  de  cette  rue,  a 
deux  portes  :  l'une,  qui  est  la  petite,  donne  sur  cette 
môme  rue,  et  l'autre,  qui  est  celle  par  laquelle  on  entre 
ordinairement,  donne  sur  la  place  ou  sur  la  rue  de  la 
Monnaie.  Enfin  la  chambre  du  prisonnier  a  trois 
fenêtres.  La  première  regarde  sur  l'hôtel  de  la  Mon- 
naie, et  elle  fut  condamnée  dans  la  crainte  qu'on  eut 
qu'il  ne  reçût  par  là  des  lettres  ;  la  deuxième  regarde 
sur  la  cour  des  écuries,  et  la  troisième,  qui  est  immé- 
diatement au-dessus  d'un  bâtiment  plus  bas,  regarde  la 
rue  des  Augustins. 

On  crut,  d'abord,  que  le  moyen  le  plus  facile  pour 
délivrer  le  prisonnier  était  de  le  faire  sortir  par  la  fenêtre 
qui  donne  sur  la  petite  cour  des  écuries  de  l'archevêché, 
dont  les  barreaux,  n'étant  point  croisés,  étaient  plus 
faciles  à  ôter,  au  lieu  qu'il  y  en  avait  de  croisés  à  celle 
du  toit  à  laquelle,  sans  cet  obstacle,  il  eût  été  plus  aisé 
d'aborder.  Mais  il  fallut  tourner  ses  vues  d'un  autre 
côté,  et  M.  R***,  fort  zélé  pour  nos  prisonniers,  s'étant 
fait  instruire  par  le  messager  et  par  une  autre  personne 
de  la  situation  de  la  prison,  se  déguisa  et  alla  dans  le 
cabaret  comme  pour  boire  de  la  bière.  On  voyait,  de  la 
cour  du  cabaret,  le  haut  de  la  fenêtre,  qui  est  au-dessus 
du  toit,  et  par  laquelle  le  P.  Quesnel  recevait  nos  lettres. 

M.  R***  la  remarqua  et,  étant  entré  dans  l'écurie  du 
cabaret,  il  jugea,  ce  qui  était  vrai  en  partie,  que  le 
mur  en  était  mitoyen  avec  la  prison  et  qu'en  y  faisant 
un  trou  on  pourrait  sauver  le  prisonnier.  11  me  fit  part 
de  sa  découverte  et  m'engagea  à  aller  avec  lui  dans  ce 
cabaret  boire  une  bouteille  de  vin  et  voir  la  disposition 
des  choses.  J'y  allai  donc  avec  lui  sur  les  sept  heures 
et  demie  du  soir,  et,  après  avoir  considéré  ensemble. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNÉL        199 

pendant  près  d'une  heure,  la  situation  de  la  prison  et 
des  bâtiments  voisins,  nous  conclûmes  que  si  Ton  pou- 
vait engager  le  cabaretier  à  entrer  dans  notre  dessein, 
ou  du  moins  à  faire  l'aveugle  et  à  nous  le  laisser  exécuter, 
il  ne  serait  pas  difficile  de  délivrer  notre  prisonnier,  soit 
en  perçant  le  mur  mitoyen  de  l'écurie,  soit  en  entrant 
par  le  cabaret,  avec  une  échelle,  dans  la  cour  des  écuries 
de  l'archevêché  et  appliquant  une  antre  échelle  à  une 
des  fenêtres  de  la  prison,  au  cas  que  l'on  en  pût  ôter  ou 
forcer  un  barreau. 

Cependant  le  cabaretier  s'était  aperçu  que  nous  con- 
sidérions avec  attention  l'endroit  où  le  P.  Quesnel  était 
détenu,  car  il  savait  qu'il  y  avait  là  un  prêtre  en  prison. 
Il  observa  nos  démarches  et  ne  put  même  s'empêcher 
de  dire  en  flamand  :  «  Ce  prêtre,  que  vient-il  faire  ici?  » 
Ce  qui  fut  entendu  de  ce  bon  ecclésiastique,  qui  sait 
parfaitement  le  flamand.  Nous  nous  retirâmes;  mais 
nous  ne  laissâmes  pas  de  communiquer  notre  dessein 
à  des  gens  sages  et  affectionnés  qui  l'approuvèrent.  Je 
le  communiquai  au  frère  du  P.  Quesnel,  qui  souhaitait 
avec  ardeur  et  avec  beaucoup  d'impatience  la  délivrance 
de  son  frère. 

M.  F***  promit  d'engager  une  personne  qui  devait 
avoir  beaucoup  de  crédit  sur  le  cabaretier  à  agir  auprès 
de  lui.  Cette  personne  fit  venir  chez  elle  la  femme  du 
cabaretier,  qui  parut  assez  disposée  à  faire  ce  que  nous 
demandions.  On  nous  en  avertit,  et  je  ne  manquai  pas 
de  me  trouver  à  un  rendez-vous  qu'on  me  donna  chez 
cette  personne.  On  y  appela  le  cabaretier,  à  qui  j'offris 
quinze  louis  d'or,  car  on  m'avait  dit  que  cela  suffisait. 
Il  demanda  du  temps  pour  y  penser  et  promit  de  re- 
venir à  neuf  heures  du  soir;  mais  il  nous  manqua  de 
parole,  ce  qui  nous  donna  de  l'inquiétude.  Mais,  cinq 
ou  six  jours  après,  on  m'assura  qu'il  nous  garderait  le 
secret,  quoiqu'il  fût  déterminé  à  ne  pas  écouter  nos 
propositions. 


200  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Le  frère  du  P.  Quesnel  envoya  un  comte  de  Salazar 
arrêter  une  chambre  et  se  placer  dans  le  cabaret,  où  il 
fournissait  à  sa  dépense  aussi  bien  qu'à  celle  d'un  mar- 
quis d'Aremberg.  Il  est  nécessaire  de  dire  ici  quels  étaient 
ce  marquis  d'Aremberg  et  ce  comte  de  Salazar.  Le  frère 
du  P.  Quesnel  avait  secouru,  il  y  a  plusieurs  années,  le 
marquis  qu'il  avait  trouvé  à  Paris  dans  la  dernière 
misère.  Il  le  trouva  dans  un  galetas,  n'ayant  qu'une 
paillasse,  avec  une  femme  bien  faite  et  dans  la  dernière 
désolation,  et  deux  enfants,  un  garçon  et  une  fille, 
presque  nus.  Ce  marquis  ayant  pris  la  résolution  d'aller 
à  Bruxelles,  il  lui  donna  une  lettre  pour  le  P.  Quesnel, 
qui  ne  jugea  pas  à  propos  de  le  voir,  mais  ne  laissa  pas 
de  le  faire  assister.  Ce  marquis  se  parait  extrêmement  de 
sa  noblesse  et  se  disait  de  l'illustre  maison  d'Aremberg. 
Le  P.  Quesnel  m'a  lui-même  avoué  qu'il  doutait  fort 
qu'il  fût  de  cette  famille.  Ce  marquis,  vrai  ou  faux,  vint 
nous  rendre  visite  deux  ou  trois  jours  après  notre  arrivée, 
à  neuf  heures  du  soir,  dans  le  temps  que  nous  faisions 
transporter  les  livres  du  P.  Quesnel.  Gomme  il  était 
borgne  et  qu'il  ne  voyait  pas  trop  clair  du  seul  œil  qui 
lui  restait,  il  se  faisait  accompagner  par  M.  de  Salazar, 
son  intime  ami.  Ce  comte  était  un  jeune  homme  de  vingt- 
deux  ans,  grand,  bien  fait,  d'une  taille  fine,  et  qui  avait 
l'air  de  qualité.  Il  prétendait  sortir,  en  effet,  d'une 
maison  qui  n'était  pas  moins  illustre  que  celle  du 
marquis  d'Aremberg.  Quoi  qu'il  en  soit,  c'est  à  lui  que 
le  P.  Quesnel,  après  Dieu,  est  redevable  de  sa  liberté. 

Le  marquis  avait  parlé  à  un  maçon  habile  et  l'avait 
engagé  à  lui  enseigner  la  manière  dont  on  pourrait  percer 
un  mur  et  y  faire  un  trou  capable  de  passer  un  homme. 
Cet  ouvrier  lui  avait  dit,  avec  beaucoup  de  peine,  qu'il 
fallait  faire  un  vilebrequin,  d'une  certaine  forme  et  d'une 
certaine  grandeur,  et  qu'avec  cet  instrument  il  fallait  faire 
cinq  trous  en  rond,  et,  avec  un  autre  instrument  qu'il  lui 
indiqua,  rompre  ce    qui  se  trouvait  entre  les   trous, 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL       201 

et  que,  par  ce  moyen,  le  trou  se  trouverait  tout  d'un 
coup  fait. 

Le  dimanche  9  septembre,  le  lendemain  du  départ 
du  frère  du  P.  Quesnel,  ils  nous  amenèrent  un  officier 
irlandais  dont  ils  avaient  parlé,  et  qu'on  nous  a  dit 
être  un  artisan  de  Bruxelles  qui  est  présentement  arrêté. 
C'était  un  homme  fort  et  d'une  bonne  taille,  et,  par  cet 
endroit,  très  propre  à  servir  de  second  à  M.  de  Salazar. 
Le  marquis  vint  parlera  M.  de  Brigode  et  lui  demanda 
si  l'argent  était  prêt,  et  il  l'assura  qu'ils  travailleraient 
sans  faute  la  nuit  du  lundi  au  mardi,  le  cabaretier  étant 
heureusement  tombé  malade,  ce  qui  faciliterait  extrê- 
mement l'exécution  du  dessein. 

M.  de  Brigode  lui  dit  que  pour  l'argent  il  ne  devait 
point  en  être  en  peine  et  qu'il  lui  répondrait  que,  dès 
que  la  chose  serait  faite,  je  lui  compterais  les  400  florins 
ou  les  500  qui  leur  avaient  été  promis.  Cependant  nous 
appréhendions  que  ces  gens-là  ne  lissent  quelque  impru- 
dence qui  nous  jetterait  dans  l'embarras  etferaitresserrer 
plus  étroitement  notre  prisonnier.  On  lui  oflritdeux  louis 
d'or,  s'il  voulait  nous  rendre  notre  parole  et  abandonner 
l'entreprise.  Il  répondit  que  l'affaire  était  trop  avancée. 
J'avoue  que  le  refus  qu'un  homme  si  avide  d'argent,  et 
qui  en  avait  tant  de  besoin,  fît  de  deux  louis  d'or,  me  fit 
croire,  aussi  bien  qu'à  M.  de  Brigode,  que  le  dessein 
pourrait  réussir. 

En  effet,  la  nuit  du  mardi  au  mercredi,  M.  de  Salazar 
et  le  prétendu  officier  irlandais,  éclairés  par  une  lan- 
terne sourde,  commencèrent,  après  minuit,  à  percer  le 
mur  mitoyen  avec  le  vilebrequin  qu'ils  avaient  fait 
faire.  Le  P.  Quesnel  s'était  éveillé,  peu  de  temps  avant 
qu'ils  commençassent  à  travailler,  et  il  commençait 
alors  des  prières  qu'il  fait  pendant  la  nuit.  Il  comprit 
aussitôt  d'où  venait  ie  bruit  qu'il  entendait,  parce  qu'on 
lui  en  avait  écrit  quelque  chose.  Et  comme  le  bruit 
causé  par   le  vilebrequin  était   assez   grand,    surtout 


202  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

pour  le  premier  trou,  parce  que  les  travailleurs,  ayant 
pris  un  peu  trop  à  droite,  percèrent  dans  l'épaisseur 
de  l'autre  muraille  qui  faisait  le  coin  de  la  chambre, 
il  se  leva  et  alla  couvrir  dune  bonne  couverture  de 
laine  la  porte  de  la  chambre  où  il  y  avait  plusieurs 
ouvertures,  et  il  appuya  un  matelas  contre  la  muraille, 
dans  l'endroit  même  où  Ton  faisait  le  trou,  afin  d'amor- 
tir le  bruit  aigre  du  vilebrequin,  qui  sans  cela  aurait 
éveillé  les  valets  de  M.  le  comte  de  Soye  et  de  M. 
l'archevêque,  qui  couchaient  dans  une  chambre  qui 
n'était  séparée  de  la  sienne  que  par  un  petit  corridor, 
et  dont  la  porte  était  vis-à-vis  de  celle  de  sa  prison. 

Nos  travailleurs  eurent  beaucoup  de  peine  à  faire  le 
premier  trou,  et  ils  n'en  vinrent  à  bout  qu'en  biaisant 
un  peu;  mais,  aussitôt  qu'il  fut  fait,  le  P.  Quesnel  leur 
parla  et  leur  dit  de  tourner  un  peu  sur  la  gauche.  Ils 
continuèrent  donc  à  faire  les  quatre  autres  trous;  mais, 
au  milieu  de  la  besogne,  un  des  valets  qui  étaient  dans 
la  chambre  voisine  se  leva,  et  le  P.  Quesnel,  qui  était 
fort  attentif  auprès  de  la  porte,  vint,  au  premier  bruit 
qu'il  entendit,  avertir  nos  ouvriers  de  cesser,  de  sorte 
qu'ils  restèrent  environ  trois  quarts  d'heure  sans  rien 
faire,  pour  laisser  au  valet  le  temps  de  se  rendormir. 
Gela  recula  l'ouvrage,  et  il  était  plus  de  quatre  heures 
lorsque  les  cinq  trous  furent  achevés,  et  il  y  avait  encore 
à  travailler  pour  une  grosse  heure  et  demie  ou  environ, 
en  sorte  qu'ils  demandèrent  au  P.  Quesnel  s'il  pourrait 
cacher  les  trous  et  s'il  n'était  pas  à  propos  de  remettre 
à  la  nuitsuivante  ce  qu'il  y  avait  à  faire.  Le  P.  Quesnel 
leur  répondit  que  les  cinq  trous  se  trouvaient  justement 
derrière  son  lit  et  qu'ils  étaient  cachés  naturelle- 
ment par  les  rideaux  qu'il  s'était  faits  avec  son  man- 
teau, que  d'ailleurs  on  a'avait  jamais  visité  sa  chambre, 
qu'ainsi  il  était  assuré  qu'on  ne  découvrirait  rien. 

Je  n'avais  presque  pas  dormi  cette  nuit-là,  attendant 
avec  impatience  le  moment  qu'on  viendrait  m 'appeler. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  203 

Quand  le  jour  fut  venu,  nous  fûmes  fort  inquiets, 
M.  de  Brigode  et  moi,  de  ne  point  recevoir  de  nouvelles 
de  nos  gens.  Le  marquis  vint  sur  les  sept  heures  nous 
voir,  et,  comme  M.  de  Brigode  lui  témoignait  qu'il  était 
surpris  de  ce  que  ses  gens  n'avaient  pas  exécuté  leur 
projet  comme  ils  l'avaient  promis,  il  témoigna  lui- 
même  n'en  être  pas  moins  surpris  que  nous,  et  il  ajouta 
qu'il  allait  dans  le  moment  chercher  M.  de  Salazar,  et 
il  demanda  une  pièce  de  trente  sols,  qu'on  voulut  bien 
lui  donner. 

Il  revint  une  heure  après,  avec  M.  de  Salazar,  qui 
raconta  à  M.  de  Brigode  ce  qui  s'était  passé  pendant  la 
nuit.  11  finit  par  lui  demander  trois  pièces  de  trente 
sols.  M.  de  Brigode  vint  me  raconter  toute  cette  histoire, 
qu'il   regardait  comme  fabuleuse  aussi  bien  que   moi. 

Il  n'y  avait  que  deux  jours  que  le  P.  Quesnel  avait 
reçu  une  de  mes  lettres,  et  je  ne  doutais  point  qu'il  ne 
tînt  la  réponse  toute  prête,  qu'il  aurait  sans  doute 
remise  à  M.  de  Salazar,  disions-nous,  s'il  avait  fait 
cinq  trous,  comme  il  le  prétendait.  En  effet  la  réponse 
du  P.  Quesnel  était  toute  prête,  et  il  me  l'a  remise 
après  sa  sortie;  mais  il  n'eut  pas  la  présence  d'esprit 
de  la  donnera  M.  de  Salazar,  ce  qui  nous  aurait  assu- 
rés de  la  vérité  de  ce  qu'il  nous  disait  et  nous  aurait 
fait  prendre  par  avance  des  mesures  et  préparer  des 
voitures,  pour  sortir  de  Bruxelles,  le  lendemain  matin, 
aux  portes  ouvertes.  Mais  cet  oubli  du  P.  Quesnel  fut 
un  effet  de  la  Providence;  car  il  n'aurait  pu,  selon 
toutes  les  apparences,  échapper  aux  diligences  qu'on 
fit  pour  le  reprendre,  en  envoyant  des  gens  de  toutes 
parts  pour  le  chercher. 

En  un  mot,  M.  de  Brigode,  las  aussi  bien  que  moi  de 
ces  messieurs,  au  lieu  des  trois  pièces  de  trente  sols 
qu'ils  demandaient,  alla  leur  en  offrir  une,  en  disant 
que  c'était  la  dernière  qu'ils  devaient  attendre. 

Nous  étions  si  persuadés,  M.  de  Brigode  et  moi,  qu'on 


204  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

venait  de  nous  faire  une  histoire  fabuleuse,  et  nous  nous 
flattions  si  peu  du  succès  que,  le  soir,  je  me  couchai  à 
mon  ordinaire,  au  lieu  que,  les  deux  nuits  précédentes, 
je  m'étais  couché  tout  habillé. 

C'était  la  nuit  du  mercredi  au  jeudi,  du  12  au  13  sep- 
tembre, que  nos  ouvriers  allèrent  achever  leur  ouvrage. 
Ils  commencèrent  à  travailler  de  fort  bonne  heure,  car 
il  n'était  pas  encore  onze  heures  qu'ils  étaient  déjà  au 
travail.  Ils  eurent  achevé,  à  une  heure  après  minuit. 
Le  P.  Quesnel  passait  sa  tête  par  le  trou;  mais  il  n'y 
pouvait  pas  passer  les  épaules,  de  sorte  qu'ils  l'élar- 
girent encore  un  peu  avec  leurs  instruments,  et  ils 
obligèrent  le  P.  Quesnel  à  se  mettre  en  chemise  et  en 
caleçon.  Il  fit  d'abord  passer  par  le  trou  ses  habits,  son 
bréviaire  et  quelques  autres  hardes,  et  enfin  il  y  passa 
lui-même  la  tête  et  les  épaules,  et  il  fut  tiré  par  M.  de 
Salazar  et  son  compagnon,  qui  l'habillèrent,  et  celui- 
là  le  porta  sur  ses  épaules  jusqu'à  la  porte  de  l'écurie, 
parce  que  la  descente  était  très  difficile.  Et,  ayant  enlevé 
avec  des  instruments  la  serrure  de  la  petite  porte  du 
cabaret,  ils  conduisirent  le  P.  Quesnel  au  cabaret  voi- 
sin, où  le  marquis  et  un  notaire  qui  était  de  la  par- 
tie étaient  couchés.  On  les  lit  lever  et  on  paya  le  caba- 
retier,  qui  regardait  fort  attentivement  le  P.  Quesnel, 
qui  était  habillé  comme  un  Hollandais,  ayant  été  arrêté 
avec  un  habit  qu'il  s'était  fait  faire  en  Hollande. 

De  ce  cabaret  ils  le  conduisirent  chez  M.  le  curé  de 
Sainte-Catherine,  qui  était  à  la  campagne.  On  leur 
ouvrit  les  portes,  et  aussitôt  on  envoya  le  valet  de 
M.  le  curé  pour  m'appeler.  J'étais  éveillé  lorsqu'il  arriva, 
et  je  songeais  au  P.  Quesnel.  D'abord  que  j'entendis 
sonner  la  clochette,  je  courus  à  la  porte,  et  j'y 
appris  l'heureuse  nouvelle  qu'on  venait  m'annoncer. 
Je  m'habillai  à  la  hâte,  et  je  suivis  le  valet,  sans 
attendre  M.  de  Brigode  qui  voulait  venir  mal  à  propos 
avec  moi;  mais  on  ne   sait  pas  trop  bien  ce  que  l'on 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  205 

fait  dans  les  premiers  transports  d'une  si  grande  joie. 

H  était  environ  trois  heures  du  matin  lorsque  j'ar- 
rivai chez  le  pasteur.  J'y  trouvai  cinq  personnes  qui 
buvaient  de  la  bière  :  le  marquis,  le  comte,  l'Irlandais, 
le  notaire  et  un  autre  qui,  apparemment,  avait  fourni 
l'instrument  pour  enlever  la  serrure  de  la  porte.  Je 
comptai  les  quatre  cents  florins  en  or  au  marquis 
d'Aremberg,  qui  me  parut  fort  content,  aussi  bien  que 
le  comte,  et  je  leur  fis  bien  des  excuses  de  ce  qui  pou- 
vait leur  avoir  fait  de  la  peine  dans  le  procédé  que  j'avais 
tenu  avec  eux. 

Quand  ils  furent  sortis,  nous  nous  retirâmes  aussi, 
un  moment  après,  chez  un  bourgeois  fort  honnête 
homme,  qui  nous  reçut  avec  beaucoup  de  joie. 

Pendant  dix-neuf  jours  que  nous  restâmes  encore  à 
Bruxelles,  nous  fûmes  obligés  de  changer  jusqu'à  cinq 
fois  de  maison.  Notre  première  retraite  fut  chez  le 
bourgeois  chez  qui  on  nous  conduisit,  au  sortir  de  la 
maison  du  pasteur.  Après  nous  avoir  salués,  il  se  retira 
par  honnêteté,  pour  laisser  reposer  le  P.  Qucsnel, 
qui  en  avait  un  extrême  besoin.  Il  me  pria  auparavant 
de  réciter  avec  lui  le  psaume  117.  Après  quoi  il  de- 
meura couché  deux  heures  dans  le  lit  qui  était  dans  la 
chambre.  Il  ne  put  pas  cependant  dormir;  mais  il 
m'avoua  que  cela  lui  avait  fait  beaucoup  de  bien, 
parce  que,  depuis  le  moment  qu'il  avait  entendu,  pour 
la  première  fois,  travailler  nos  ouvriers  jusqu'à  sa  sor- 
tie, il  avait  ressenti  un  mouvement  extraordinaire  dans 


son  sang. 


Le  bon  ecclésiastique,  nous  étant  venu  rendre  visite, 
jugea  à  propos  que  nous  délogeassions,  pour  aller  chez 
une  bonne  veuve  qui  avait  des  filles  dévotes  qu'il  avait 
prévenues,  et  qui  avaient  témoigné  que  nous  leur 
ferions  plaisir.  Ce  fut  là  notre  seconde  retraite.  Nous 
sortîmes  de  la  première  sur  les  dix  heures  du  soir.  On 
fit  prendre  au  P.  Quesnel  un  habit  de  prêtre,  et  je  res- 


200  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

tai  avec  mes  habits  ordinaires.  Notre  marche  était  favo- 
risée par  un  temps  pluvieux  et  sombre,  qui  empêchait 
de  discerner  les  gens.  Le  bon  ecclésiastique  marchait 
devant,  le  P.  Quesnel  le  suivait,  et  je  marchais  le  dernier. 
Nous  passâmes  sur  le  quai,  ou,  comme  l'on  dit  à 
Bruxelles,  sur  le  rivage  de  Sainte-Catherine,  et  il  y  a 
apparence  que  l'on  avait  posté  sur  le  coin  un  homme 
qui  tapait  des  pieds  en  terre,  lorsqu'il  entendait  passer 
quelqu'un,  comme  s'il  eût  voulu  courir  après,  dans  le 
dessein  apparemment  de  courir  effectivement  après 
ceux  qu'il  aurait  vu  prendre  la  fuite.  Mais,  sans  nous 
effrayer,  nous  marchâmes  toujours  assez  lentement,  et 
heureusement  nous  ne  rencontrâmes  personne  sur  notre 
route.  Enfin  nous  arrivâmes  chez  ces  bonnes  filles,  qui 
prirent  beaucoup  de  soin  de  nous  et  qui  nous  témoi- 
gnèrent, jusqu'à  la  fin,  beaucoup  d'affection  et  de  bonté. 
Nous  y  restâmes  jusqu'au  20  de  septembre,  qu'il  fallut 
déloger  pour  la  seconde  fois. 

Les  circonstances  de  cette  troisième  retraite  sont 
assez  singulières.  On  nous  écrivit  le  20,  après  dîner, 
un  billet  dont  le  caractère  ne  nous  était  pas  inconnu, 
où  l'on  nous  marquait  de  nous  tenir  prêts  à  faire  ce 
qu'on  nous  manderait  par  un  autre  billet  que  nous 
recevrions  et  auquel  nous  pourrions  ajouter  foi.  Nous 
reçûmes  ce  second  billet  sur  les  huit  heures  du  soir. 
On  nous  y  marquait  de  nous  déguiser  en  femmes.  Un 
tel  déguisement  lit  un  peu  de  peine  au  P.  Quesnel; 
mais  il  fallut  obéir.  Ces  bonnes  filles  nous  aidèrent  à 
attacher  une  jupe  sur  nos  habits  et  nous  accommodèrent 
la  faille,  qui  est  une  espèce  de  voile  qui  est  en  usage 
en  ce  pays-là  et  qui  est  fort  commode  pour  se  déguiser, 
car  il  couvre  toute  la  tête  et  descend  jusqu'à  la  ceinture, 
et  on  peut,  avec  la  faille,  se  couvrir  presque  tout  le 
visage.  Nous  avions  besoin  d'un  semblable  habillement, 
car  il  y  avait  quinze  j  jours  qu'on  n  avait  fait  la  barbe 
au  P.  Quesnel,  et  il  y  en  avait  plus  de  huit  qu'on  ne 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIËR    QUESNEL  207 

me  l'avait  faite.  Nous  sortîmes  en  cet  équipage,  le 
P.  Qucsnel  portant  sous  son  bras  et  sous  sa  faille  un 
petit  paquet  de  linge,  et  nous  allâmes  au  cimetière  de 
la  paroisse  de  Sainte-Catherine.  Nous  nous  y  mîmes  à 
genoux  devant  une  petite  chapelle  qui  est  à  gauche  en 
entrant.  Il  vint,  un  moment  après,  une  femme,  habillée 
de  la  même  manière  que  nous,  se  mettre  à  genoux 
auprès  de  nous,  qui  nous  dit,  suivant  le  mot  du  guet 
qu'on  nous  avait  donné  :  «  Etcs-vous  Catherine?  »  Nous 
répondîmes  que  oui,  et,  sans  plus  parler,  nous  la  sui- 
vîmes. 

Nous  arrivâmes  chez  un  bon  bourgeois  dont  la  femme 
nous  prenait,  au  commencement,  pour  des  duellistes 
qui  se  cachaient  pour  éviter  de  tomber  entre  les  mains 
de  la  justice. 

Le  27  septembre  au  soir,  M.  l'archevêque  lit  investir 
par  des  soldats  la  maison  du  pasteur  de  Sainte-Cathe- 
rine, quoiqu'il  n'eût  aucune  part  à  la  délivrance  du 
P.  Quesnel.  Le  curé  était  averti,  et  il  s'était  mis  en  lieu 
de  sûreté,  aussi  bien  que  son  valet  et  sa  servante,  qui 
avaient  reçu  le  P.  Quesnel.  Il  n'y  avait  que  M.  Vers- 
churen  dans  la  maison  curiale,  qui  fut  emmené  prison- 
nier à  l'archevêché. 

La  prise  de  ce  vicaire  et  la  fuite  du  curé  et  de  ses 
domestiques  ayant  fait  beaucoup  de  bruit  dans  la  ville, 
notre  hôte  eut  peur  et  pria  celui  qui  nous  avait  mis 
chez  lui  de  nous  chercher  un  autre  asile.  Nous  délo- 
geâmes donc  une  troisième  fois,  pour  aller  chez  une 
fille  dévote,  pénitente  de  M.  le  pasteur.  On  mit  encore 
la  jupe  et  la  faille  au  P.  Quesnel  qui  marchait  à  côté  de 
la  servante,  et  on  me  prêta  un  long  manteau  qui  me 
déguisait  extrêmement  la  personne.  La  personne  chez 
qui  nous  allions  vit  bien  que  j'étais  un  des  deux  qui  se 
cachaient;  mais  elle  me  demanda  où  était  mon  com- 
pagnon, qui  était  présent  avec  sa  faille  et  qui,  ayant 
cette  fois-ci  la  barbe  faite,   était  pris   pour  une   vieille 


208  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 

servante,  tant  il  était  déguisé  dans  cet  équipage.  Cela 
nous  fit  un  peu  rire.  Cependant  les  recherches  conti- 
nuaient, et,  comme  tout  le  monde  était  intimidé,  nous 
fûmes  obligés  de  déloger  pour  la  quatrième  fois  et  de 
chercher  un  cinquième  asile,  dès  le  lundi  suivant,  pre- 
mier jour  d'octobre. 

Nous  sortîmes  de  chez  cette  fille  à  huit  heures  du 
soir;  nous  avions  chacun  un  long  manteau  dont  nous 
nous  couvrions  le  visage.  Nous  arrivâmes  à  bon  port, 
dans  la  maison  qu'on  nous  avait  désignée,  et  nous 
envoyâmes  prendre,  ce  même  soir,  deux  passeports 
des  Etats  généraux,  afin  de  partir  le  lendemain  et  de 
n'être  pas  davantage  à  charge  aux  amis  du  P.  Quesnel. 

Toutes  choses  étant  préparées  pour  notre  départ,  le 
mardi  2  octobre,  on  nous  prêta  des  habits  pour  nous 
déguiser.  On  donna  au  P.  Quesnel  un  habit  gris  de  fer, 
doublé  de  rouge  avec  des  boutons  de  vermeil,  et  je  lui 
prêtai  une  de  mes  perruques  nouées.  En  cet  état,  nous 
sortîmes  de  Bruxelles,  sur  les  cinq  heures  et  demie  du 
matin. 

Je  pris  le  devant,  à  pied,  avec  le  fils  de  M***  qui  nous 
prêtait  sa  calèche.  Etant  sortis  par  la  porte  de  Louvain, 
nous  côtoyâmes  les  fossés  pour  aller  prendre  le  chemin 
de  Namur.  Le  P.  Quesnel  nous  suivit  en  calèche,  avec 
M.  V***.  Nous  passâmes  tous  devant  la  guérite  de  bois 
qui  est  au-delà  de  la  porte,  sans  y  trouver  de  sentinelles 
et  sans  rencontrer  personne  dans  le  reste  du  chemin, 
Nous  étions  en  suspens  si  nous  continuerions  notre 
route  de  ce  côté-là  ou  si  nous  prendrions  le  chemin 
de  France.  Enfin  le  Père  se  souvint  qu'il  avait  un  ami 
à  Namur  et  pourrait  avoir  par  son  moyen  un  passeport 
de  son  Altesse  électorale  de  Cologne.  Nous  nous  déter- 
minâmes à  prendre  ce  parti,  et  le  lendemain,  3  octobre, 
nous  partîmes  de  grand  matin,  et  nous  arrivâmes  à 
Namur  sur  les  neuf  heures.  Quand  nous  fûmes  à  la 
j:orte,  on  vint  pour  nous  demander  d'où  nous  venions 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  209 

et  pour  écrire  nos  noms.  Notre  conducteur  répondit  que 
nous  venions  de  Vavres,  où  il  avait  une  maison  de 
campagne,  et  que  nous  ne  ferions  que  dîner  dans  la  ville, 
etnousl'avions  effectivement  résolu  ainsi.  Sur  cela  on 
nous  laissa  passer,  sans  écrire  nos  noms  et  sans  nous 
mener  à  M.  le  gouverneur,  comme  cela  s'observe  dans 
les  villes  frontières  de  cette  importance.  Quand  nous 
eûmes  mis  pied  à  terre,  je  laissai  le  P.  Quesnel  dans  le 
cabaret,  où  il  se  fit  raser,  et  j'allai  rendre  ma  lettre  à 
M***,  qui  fut  fort  surpris  d'apprendre  que  le  P.  Quesnel, 
qu'il  croyait  à  Liège  depuis  plusieurs  jours,  fût  encore  à 
Namur.  Il  me  parla  avec  beaucoup  de  bonté  et  d'ou- 
verture ;  il  me  fit  espérer  un  passeport  de  M.  le  gouver- 
neur, qui  était  fort  son  ami  et  qu'il  devait  voir  ce  jour-là. 

En  effet,  après  de  nombreuses  allées  et  venues,  les  passeports 
sont  délivrés;  les  fugitifs  gagnent  Huy,  où  ils  craignent  un 
moment  d'être  retenus,  et  de  là  : 

Nous  partîmes  le  samedi  13  octobre,  à  dix  heures 
du  matin,  sur  un  petit  bateau,  et  nous  arrivâmes  heu- 
reusement, à  trois  heures  après  midi,  à  Liège,  où  l'on 
attendait  le  P.  Quesnel  avec  impatience,  et  où  les  amis 
nous  reçurent  avec  beaucoup  de  bonté  et  d'affection. 


Quesnel  à  M.  le  chancelier  de  Pontchartrain 

Octobre  1703. 
Monseigneur, 

J'ai  l'honneur  d'adresser  à  Votre  Grandeur  la  lettre 
que  je  prends  la  liberté  d'écrire  au  roi,  pour  supplier 
très  humblement  Sa  Majesté  de  donner  un  moment 
d'audience  à  un  des  moindres,  mais  des  plus  fidèles  de 
ses  sujets,  calomnié  auprès  d'Elle  de  la  manière  du 
monde  la  plus  cruelle  et  la  plus  injuste.  Je  suis  assuré, 
il.  14 


210  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QL'ESNEL 

Monseigneur,  que  ce  grand  prince,  qui  a  tant  d'amour 
pour  ia  justice,  la  rendrait  tout  entière  à  mon  inno- 
cence, si  je  pouvais  espérer  de  la  faire  connaître  à  Sa 
Majesté.  Mais,  Monseigneur,  comment  l'espérer?  Mes 
ennemis  sont  si  puissants  et  répandent  tellement  ia 
terreur  partout  que  personne  n'ose  ouvrir  la  bouche  en 
faveur  de  ceux  qu'ils  ont  entrepris  de  perdre.  Ils  sont 
seuls  écoutés,  et  il  leur  est  permis  de  tout  dire  sans 
rien  prouver.  Quelle  innocence  peut  échapper  à  la 
calomnie,  dans  une  condition  si  inégale?  Il  n'y  a  donc 
qu'à  souffrir  et  à  gémir.  Cependant,  blessé  dans  la 
partie  de  mon  cœur  la  plus  sensible,  je  n'ai  pu  lui  refu- 
ser la  consolation  de  protester,  aux:  pieds  de  mon  roi, 
qu'il  n'y  a  rien  qui  ne  soit  faux  à  tout  ce  que  mes 
ennemis  publient  que  j'ai  écrit  de  contraire  au  profond 
respect  dû  à  sa  personne  sacrée  et  à  celle  du  roi  catho- 
lique, son  petit-fils.  Pour  être  pleinement  justifié  sur  ce 
sujet,  je  n'aurais  qu'une  chose  à  désirer,  qui  est  que  Sa 
Majesté  eût  la  bonté  d'obliger  mes  accusateurs  à  expo- 
ser leurs  preuves  à  la  lumière  de  celui  qu'elle  a  fait  le 
premier  ministre  de  sa  justice  et  le  chef  de  tous  ses 
conseils.  Vous  l'êtes,  Monseigneur,  par  un  choix  qui 
fait  autant  l'éloge  du  roi  que  le  vôtre  et  qui  est  un 
témoignage  éclatant  de  votre  zèle  pour  sa  gloire, 
éprouvé  dans  les  temps  les  plus  difficiles,  comme  il  est 
une  preuve  glorieuse  de  la  confiance  de  Sa  Majesté  en 
votre  sagesse. 

Quesnel  ait  roi 

(L'original   a    été  envoyé  au    ministre  pour  être  présenté  au 
roi.) 

Octobre  1103. 
SlRE, 

La  respectueuse  crainte  dont  les  personnes  du  pre- 
mier rang  sont  frappées  à  la  vue  du  trône  que   Votre 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  211 

Majesté  a  rendu  si  glorieux  et  si  redoutable  m'aurait 
empêché,  étant  si  peu  de  chose,  de  prendre  la  liberté 
d'en  approcher  ;  mais  les  accusations  énormes  que 
mes  ennemis  ont  eu  la  confiance  d'y  porter  contre 
moi  m'ont  persuadé  qu'une  autre  sorte  de  respect 
m'imposaitl'heureuse  nécessité  d'y  venir  rendre  compte 
de  ma  conduite  à  Votre  Majesté.  Car,  puisque  mes 
accusateurs,  non  contents  de  me  noircir  partout  ailleurs 
comme  un  sujet  injurieux  à  son  prince,  osent  même 
porter  leurs  calomnies  jusqu'à  ses  oreilles  et  me  faire 
passer  dans  son  esprit  pour  un  Français  dénaturé, 
opposé  à  vos  intérêts,  Sire,  et  (ce  que  je  ne  puis  écrire 
sans  horreur)  ennemi  de  votre  personne  sacrée,  c'est 
un  devoir  indispensable  de  me  jeter  à  vos  pieds,  avec 
le  plus  profond  respect  et,  en  même  temps,  avec  une 
affliction  de  cœur  que  je  ne  puis  exprimer,  pour  sup- 
plier, Sire,  votre  extrême  bonté  de  m'accorder  quelques- 
uns  de  ces  moments  dont  l'emploi  a  toujours  fait  le 
bonheur  de  vos  peuples,  la  terreur  de  vos  ennemis  et 
l'admiration  de  toute  l'Europe. 

Pour  ne  pas  abuser  d'un  temps  si  précieux,  je  réduis 
en  trois  mots  la  justification  de  mon  innocence. 

Premièrement,  je  proteste  à  Votre  Majesté,  avec 
toute  la  sincérité  que  je  dois  à  mon  souverain,  que  je 
n'ai  jamais  rien  dit,  rien  écrit,  ni  rien  fait  de  contraire 
au  respect  que  je  dois  avoir  et  que  j'aurai  toute  ma 
vie  pour  Votre  Majesté. 

Secondement,  je  suis  si  assuré  de  mon  innocence 
sur  ce  sujet  que  j'ai  défié  mes  accusateurs,  qui  ont 
entre  leurs  mains  tous  mes  papiers,  d'y  rien  trouver 
de  contraire  à  ces  devoirs  que  j'ai  toujours  crus  d'une 
obligation  indispensable,  comme  faisant  partie  de  la 
religion  et  de  la  piété  chrétienne.  Et,  s'ils  osent  pro- 
duire quelque  chose  qui  y  soit  opposé,  je  n'hésite 
point,  Sire,  d'assurer  Votre  Majesté  ou  qu'il  n'est 
point  de  moi,  ou  qu'ils  l'ont  falsifié  par  des  interpré- 


212  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

tations  malignes  et  calomnieuses,  et  entièrement  con- 
traires à  mon  intention  et  à  mes  pensées.  Enfin,  si 
Votre  Majesté,  Sire,  daigne  vouloir  bien  être  informée 
de  mes  sentiments  et  de  mes  véritables  dispositions 
pour  votre  personne  sacrée,  je  la  supplie  très  humble- 
ment de  se  faire  rendre  compte  de  ce  que  j'ai  écrit  des 
devoirs  essentiels  des  sujets  envers  leurs  souverains 
dans  les  Réflexions  chrétiennes  sur  le  Nouveau  Testa- 
ment, publiées  avec  l'approbation  de  M.  le  cardinal  de 
NoailLes,  mon  archevêque.  J'y  ai  exprimé,  Sire,  mes 
plus  sincères  sentiments  et  les  dispositions  les  plus 
naturelles  de  mon  cœur  envers  Votre  Majesté,  en 
expliquantce  qu'ont  enseigné  sur  ces  devoirs  les  princes 
des  apôtres  dans  leurs  épîtres. 

Et  lorsque,  dans  cet  ouvrage,  je  me  suis  efforcé  d'ins- 
pirer aux  sujets  de  Votre  Majesté  les  sentiments  les 
plus  vifs  d'une  vénération  et  d'une  fidélité  inviolables, 
et  de  les  y  faire  entrer  par  les  motifs  de  la  religion, 
qui  sont  les  liens  les  plus  forts  de  la  fidélité  des  peuples 
envers  leurs  souverains,  je  n'ai  fait  que  peindre  sur  le 
papier  ce  qui  a  toujours  été  écrit  dans  le  fond  de  mon 
âme,  de  manière  à  n'en  pouvoir  jamais  être  effacé. 

Si  j'en  étais,  Sire,  demeuré  là,  peut-être  que  mes 
ennemis  me  l'auraient  pardonné  ;  mais,  parce  que  j'ai 
défendu  contre  eux  et  contre  leurs  émissaires  la  sou- 
veraineté des  rois  ..et  ses  droits  inaliénables,  parce  que 
j'ai  exposé  à  la  lumière  du  soleil  les  maximes  de  leur 
école,  contraires  à  l'indépendance  de  votre  couronne, 
Sire,  de  toute  autre  puissance  mortelle,  à  la  fidélité 
inviolable  de  vos  sujets  et  à  la  sûreté  même  de  votre 
personne  sacrée,  ils  ont  voulu  se  venger  par  cette 
froide  récrimination,  qu'ils  ne  sauraient  appuyer  de 
la  moindre  preuve  tirée  de  mes  écrits,  qui  soient  vrai- 
ment de  moi  ou  écrits  de  ma  main. 

J'ai  la  confiance  d'assurer,  Sire,  Votre  Majesté  que 
ceux  de  mes  amis  avec  qui  j'ai  plus  de  commerce,  et 


Correspondance  de  pasquIer  qUesnel  213 

particulièrement  le  sieur  Vuillart,  arrêté  par  vos  ordres, 
sont  aussi  innocents  que  moi,  quelques  bruits  vagues 
que  nos  accusateurs  affectent  de  répandre  dans  le 
monde  contre  lui.  Je  connais,  Sire,  son  cœur  et  la 
vénération  qu'il  a  toujours  eue  pour  Votre  Majesté,  et 
je  suis  certain  qu'on  en  trouverait  des  marques  écla- 
tantes dans  les  lettres  qu'il  m'a  écrites,  si  ceux  qui 
s'en  sont  rendus  les  maîtres  à  Bruxelles,  aussi  bien  que 
de  mes  papiers,  sans  aucune  formalité  de  justice, 
n'avaient  eu  grand  soin  de  supprimer  sans  conscience 
tout  ce  qu'ils  y  ont  trouvé  qui  nous  était  avantageux 
et  propre  à  faire  connaître  la  passion  que  nous  avons 
toujours  eue,  lui  et  moi,  pour  ce  qui  est,  Sire,  de  votre 
service  et  de  votre  gloire.  Conduite  de  prêtres  chrétiens 
bien  contraire  à  celle  d'un  illustre  païen,  le  grand 
Pompée,  qui,  étant  maître  des  lettres  de  son  ennemi, 
les  fit  jeter  au  feu  sans  en  lire  aucune,  ne  pouvant  se 
résoudre  à  se  donner  une  satisfaction  qui  aurait  pu 
exciter  de  nouvelles  passions  dans  son  âme  et  de  nou- 
veaux troubles  dans  la  république. 

11  ne  me  reste  plus,  Sire,  que  de  me  jeter  encore  une 
fois  aux  pieds  de  Votre  Majesté,  pour  la  supplier  très 
humblement  de  me  pardonner  la  liberté  que  j'ai  prise 
d'exposer  mon  innocence  calomniée  à  la  lumière  de 
votre  sagesse  et  de  votre  justice.  Je  serais  indigne  de 
vivre  si  j'avais  le  cœur  assez  mal  fait  pour  souffrir 
avec  indifférence  qu'on  m'accuse  d'avoir  péché  contre 
les  devoirs  et  les  sentiments  que  ma  naissance,  mon 
christianisme  et  mon  sacerdoce  me  doivent  inspirer 
et  m'inspirent  effectivement  pour  mon  roi.  Ils  ne  fini- 
ront, Sire,  qu'avec  ma  vie.  Profondément  gravés  dans 
mon  cœur,  ils  m'accompagneront  partout;  ils  me  font 
en  quelque  façon  retrouver  ma  patrie  dans  les  pays 
étrangers  ;  ils  sont  entrés  avec  moi  dans  ma  prison  de 
Bruxelles,  d'où  il  a  plu  h  Dieu  de  me  faire  sortir  par 
une   disposition    toute    particulière    de  sa  providence. 


214  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Mais  surtout,  Sire,  ils  montent  toujours  avec  moi  au 
saint  autel  et  m'y  font  offrir  à  Dieu,  avec  le  sacrifice  de 
son  Fils,  celui  de  mes  prières  et  de  mes  vœux  les  plus 
ardents  pour  la  conservation  et  la  prospérité  de  votre 
sacrée  personne,  de  celle  de  Monseigneur  et  de  toute 
votre  royale  et  glorieuse  famille.  Je  supplie  très  humble- 
ment Votre  Majesté,  Sire,  de  me  permettre  de  l'assurer 
que,  quelque  part  que  la  violence  de  mes  ennemis  me 
force  de  me  retirer,  j'y  porterai  avec  moi  ces  sentiments  ; 
je  ferai  sans  cesse  les  mêmes  vœux  partout,  et  je  me 
ferai  gloire  partout  d'être,  Sire,  de  Votre  Majesté,  le 
très  obéissant,  très  fidèle  et  très  zélé  sujet  et  serviteur. 

Pasquier  Qdesnel, 

Prêtre  de  TOraloire  de  Jésus. 


Quesnelà  la  marquise  de  Dampierre[ 

Décembre  1703. 

Je  ne  sais,  Madame,  duquel  des  deux  je  dois  vous 
faire  excuse,  ou  de  ce  que  je  me  donne  l'honneur  de 
vous  écrire,  ou  de  ce  que  j'ai  été  sans  le  faire  depuis  la 
guérison  de  ma  grande  maladie L>;  car  celle-ci  a  été 
de  telle  nature  que,  n'ayant  plus  aucun  ressentiment 
de  ce  mal  contagieux,  mes  lettres  en  conservent  encore 
le  mauvais  air  et  peuvent  en  infecter  ceux  qui  les 
reçoivent. 

Quel    moyen,    cependant,  de  ne  vous  pas  faire  voir 
quelques  lignes   de  mon   écriture,  pour   vous  assurer 
que  je  vis  encore,  et   que,  quelque   violent  qu'ait   été* 
mon  mal,  je    m'y  suis   toujours  souvenu    de  vous,  et 
aussi  que,  quelque  joie  que  je  puisse  avoir  de  me  re- 

1.  Copie  de  la  main  de  Mll,!  de  Joncoux  (Bibl.  nat.,  ms.  19739). 

2.  Son  emprisonnement. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  215 

trouver  encore  parmi  les  vivants,  après  avoir  été  comme 
enseveli  avec  les  morts,  elle  ne  me  fait  pas  oublier  ce 
que  je  dois  à  l'honneur  que  vous  me  faites,  Madame, 
d'avoir  pour  moi  une  bonté  singulière?  Je  me  suis  bien 
représenté  quelle  aura  été  votre  affliction,  quand  vous 
apprîtes  le  mal  dont  je  fus  attaqué,  et  je  me  figure  aussi 
le  plaisir  que  vous  a  fait  la  nouvelle  de  ma  guérison. 
L'un  et  l'autre  vous  aura  fait  faire  pour  moi  des  prières 
extraordinaires,  et  je  ne  puis  attendre,    n'en    doutant 
pas,  que  vous  m'en  assuriez  vous-même  pour  vous  en 
remercier,  comme  je  fais  de  tout  mon  cœur  présente- 
ment. Je  ne  doute  point,  Madame,  que  Mmc  la  baronne 
de  Mouchy  n'ait  aussi  senti  pour  moi  une  grande  solli- 
citude, ayant  toujours  eu   la  bonté  de    prendre   part  à 
tout  ce    qui  me   regarde.   Je   vous  supplie  de   vouloir 
bien  vous  charger  de  lui  en  témoigner   ma  reconnais- 
sance, en  l'assurant  du  nouveau  respect  que  je  me  sens 
pour  elle,  depuis  que  je  me  trouve,  comme  un  nouvel 
homme,  transporté  dans    un  nouveau  monde.    Je    me 
sens  aussi  une  obligation  très  grande  de  mener  une  vie 
toute  nouvelle,  pour   me    préparer  à  celle  du  siècle  à 
venir,  qui  sera  tout  autrement  nouvelle   que  celle  que 
la  grâce  opère    dans   nos  cœurs,    durant  les  jours  de 
notre  mortalité.  Mon  Dieu!  à  quoi  les  employons-nous, 
ces  jours  qui  passent  avec  tant  de  rapidité,  si  nous  n'y 
travaillons  de  toutes  nos  forces  à  nous  rendre  dignes 
de  ce  jour  éternel  qui  n'a  jamais  commencé  et  ne  finira 
jamais?  Tout  ce  qu'il  y  a  dans  le  monde  de  plus  grand, 
et  qui    flatte  davantage  l'ambition  des  hommes,  est   si 
petit   et  si  méprisable  que,    quand  on   y  parviendrait 
sans  peine,  il  ne  mériterait  pas  que  l'on  pensât  à  l'ac- 
quérir et  qu'on  y  employât  un  seul   des   moments  qui 
nous  sont  donnés  pour  gagner  l'éternité.  L'état  d'où  je 
suis  sorti  par  ma  guérison  était  bien  plus  propre  à  m'y 
préparer  que  celui  d'une  pleine  santé,  et  je  crains  bien 
que  je  ne  regrette  un  jour  l'avantage  que  j'y  trouvais 


216  CORRESPONDANCE    DE    PASyUIER    QUESNEL 

pour  mon  salut,  et  que  les  faux  avantages  de  mon  état 
présent  ne  me  paraissent  une  véritable  perte. 

La  maladie,  pareille  à  la  mienne,  dont  plusieurs  de 
mes  amis  se  trouvent  atteints1,  ne  me  permet  pas  de 
goûter  le  plaisir  de  la  santé,  et  je  ne  me  croirai  point 
guéri  que  quand  j'apprendrai  qu'ils  le  sont  eux-mêmes 
aussi  bien  que  moi.  Je  voudrais  pouvoir  écrire  à  tous 
mes  amis,  qui  ont  pris  tant  de  part  à  mes  maux;  mais 
je  ne  puis  leur  témoigner  ma  reconnaissance  qu'en 
général. 

Je  vous  souhaite,  Madame,  toutes  sortes  de  bénédic- 
tions et  à  votre  chère  famille,  pour  laquelle  je  tremble 
au  milieu  de  tant  de  tueries. 


Quesnel  à 


•**o 


12  janvier  1704. 


Pour  ce  qui  est  de  la  censure  du  provençal3,  voici  ma 
pensée  :  C'est,  premièrement,  de  faire  imprimer,  par 
forme  de  mémoire  instructif  ou  de  réflexions,  les  rai- 
sons et  preuves  de  nullité  et  de  surprise.  Deuxième- 
ment, de  mettre  à  la  tête  une  lettre  adressée  à  son 
métropolitain,  qui  est  l'archevêque  d'Aix,  pour  lui 
dénoncer  cette  ordonnance,  lui  demander  justice  de  son 
sulfragant  pour  les  vérités  de  l'Evangile  qu'il  a  décriées 
comme  erronées,  et  pour  l'autorité  de  M.  le  cardinal 
qu'il  a  foulée  aux  pieds;  pour  l'auteur,  afin  qu'il  l'oblige 
de  déclarer  ce  qu'il  a  trouvé  de  mauvais  dans  les  Ré- 
flexions ou,  s'il  désavoue  l'ordonnance  comme  tirée  de  lui 

1.  Le  P.  Gerberonet  M.  Vuillart,  emprisonnés. 

2.  Bibl.  nat,  ms.  19736. 

3.  Foresta  de  Colongue,  évoque  d'Apt,  avait  publié,  le  15  octo- 
bre 1703,  une  ordonnance  censurant  le  livre  des  Réflexions  morales  du 
P.  Quesnel.  C'était,  après  le  Problètne  ecclésiastique,  la  seconde  attaque 
des  jésuites  contre  cet  ouvrage. 


CORRESPONDANCE   DE    PASQÎJIER    QtESNEL  -lil 

par  surprise,  de  le  déclarer  publiquement1.  Troisième- 
ment, ma  pensée  serait  d'en  envoyer  un  exemplaire  au 
métropolitain,  avec  une  lettre  de  ma  main  et  avec  mon 
nom,  pour  qu'il  ne  dise  pas  qu'un  évoque  ne  procède 
point  à  la  réquisition  d'un  anonyme.  La  lettre  serait, 
ou  la  même  qui  serait  à  la  tête  de  la  dénonciation  ou 
du  mémoire,  ou  une  autre  lettre  courte  qui  marque 
seulement  que  celui  qui  dénonce  est  une  personne 
réelle  et  qui  a  titre  pour  demander  justice. 

Peut-être  que  le  métropolitain  ne  fera  rien  ;  mais  le 
public  sera  toujours  saisi  de  la  cause  et  en  jugera  en 
sa  manière.  Et  peut-être  que,  voyant  le  public  informé 
de  l'affaire  et  que  M.  le  cardinal  y  a  le  principal  intérêt, 
il  écrira  au  moins  à  son  suffragant  pour  lui  conseiller, 
pour  prévenir  tout,  de  désavouer  et  rétracter  son  ordon- 
nance. Peut-être  qu'en  même  temps  on  donnerait  à  l'au- 
teur quelque  coup  d'estramaçon;  mais  il  faut  s'attendre 
à  tout. 

Or  il  faudrait  cependant  s'informer,  là  où  vous  savez  : 
1°  si  on  juge  ce  dessein  à  propos  ;  2°  s'il  y  a  lieu  d'at- 
tendre quelque  chose  du  juge  ;  3°  s'il  est  en  la  ville  de 
sa  résidence  ou  à  Paris  ;  4°  si  on  approuve  que  l'auteur 
se  nomme.  Enfin  s'informer  de  tout  ce  qui  peut  être 
utile  à  cette  démarche. 

On  ne  croit  pas  que  l'éminent  approbateur2  le  trouve 
mauvais,  et,  puisqu'il  a  dessein  de  soutenir  le  livre,  il 
faut  qu'il  fasse  quelque  chose  ou  qu'il  soit  bien  aise 
qu'un  autre  commence  à  remuer  cette  affaire.  Mais  il 


1.  Dans  un  Mémoire  touchant  l'ordonnance  de  M.  Vévêque  d'Api, 
Quesnel  fait  remarquer  que  la  dénonciation  ne  mentionne  pas  le  nom 
des  approbateurs  du  livre.  «  Peut-être  lui  a-t-on  fait  croire,  ajoute-t-il, 
qu'il  s'agissait  du  Nouveau  Testainent  de  Trévoux.  »  Et,  dans  la  conclu- 
sion :  «  Il  ne  me  reste  qu'à  souhaiter  que  M.  d'Apt  considère  sérieu- 
sement, devant  Dieu,  quel  parti  il  a  à  prendre  à  l'égard  de  M.  l'arche- 
vêque de  Paris,  contre  qui  il  a  osé  former  une  entreprise  si  publique  et 
si  scandaleuse.  » 

2.  Le  cardinal  de  Noailles. 


218  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

semble  que,  s'il  ne  veut  pas  faire  quelque  éclat  contre 
l'ordonnance,  il  ne  pourrait  au  moins  se  dispenser  de 
prendre  occasion  des  deux  libelles1  pour,  en  les  censu- 
rant et  condamnant  comme  calomnieux,  donner  quelque 
coup  indirectement  contre  L'ordonnance,  en  disant 
qu'il  est  étonnant  qu'il  se  soit  trouvé  un  évêque  qui,  etc., 
et  même  donner  une  nouvelle  approbation  du  livre. 
S'il  se  plaignait  qu'on  ne  l'aide  point,  on  pourrait  lui 
répondre  qu'on  ne  l'a  osé,  de  peur  qu'il  ne  le  trouvât 
mauvais  par  rapport  à  la  personne  odieuse  ;  mais  qu'il 
peut  s'assurer  qu'avec  le  temps  on  justifiera  le  livre  en 
détail  et  que  l'on  répondra  en  particulier  à  toutes  les 
accusations. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux2 

Amsterdam,  1er  mars  1704. 

Votre  lettre  du  9  février  vient  de  m'être  rendue  à 
midi.  Aussitôt  après  le  dîner,  j'ai  pris  la  plume  pour 
vous  répondre  et  pour  faire  une  lettre  plus  courte,  que 
voilà. 

Je  vous  remercie  des  nouvelles  de  littérature.  Elles 
ne  touchent  guère  au  cœur  pendant  qu'il  est  rempli  de 
l'amertume  que  lui  font  sentir  les  maux  de  l'Eglise  et 
l'état  affligeant  de  nos  amis.  Le  Dieu  de  toute  consola- 

1.  Le  P.  Ques7iel  séditieux  et  le  P.  Quesnel  hérétique,  deux  libelles 
parus  en  1704  à  Bruxelles  et  attribués,  par  les  catalogues  et  par  le 
P.  Quesnel  lui-même,  au  P.  Lallemand,  jésuite.  Ils  furent  réimprimés 
en  un  seul  volume,  en  1707.  Les  Réflexions  morales  y  sont  regardées 
comme  «  l'ouvrage  le  plus  séditieux  qui  fut  jamais  »,  et  l'auteur, 
comme  «  un  hérétique,  également  opiniâtre  et  insolent,  renouvelant  les 
erreurs  de  Luther  ».  Un  des  approbateurs  du  second  de  ces  libelles, 
Martin,  docteur  de  Louvain,  dit  que  l'auteur  de  ce  petit  ouvrage  «  ne 
doit  pas  être  compté  parmi  les  chiens  muets  d'Isaïe;  car  il  a  senti  le 
loup,  savoir  l'hérésie  jansénienne  qui  se  cache  dans  le  bois  des  Réflexions 
morales  du  P.  Quesnel  ». 

2.  Bibl.  nat.,  ms.  19735. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  219 

tion  nous  donnera,  s'il  lui  plaît,  la  consolation  de  son 
esprit,  et  soutiendra  par  sa  force  ceux  qui  sont  sous  le 
pressoir  et  qui  ne  sauraient  dire  comme  leur  chef  ado- 
rable :  Torcular  calcavi  soins,  puisque  ce  Sauveur  y 
est  et  travaille  avec  eux.  C'est  une  chose  édifiante  de 
voir  le  P.  Daniel  défendre  saint  Augustin.  Après  cela, 
la  médisance  n'oserait  plus  l'accuser  de  lui  en  vouloir. 
On  me  mandait,  le  25  février,  du  diocèse  de  Cambrai, 
que  ce  prélat  faisait  imprimer  actuellement  quelque 
chose  contre  les  augustins  ou  augustiniens.  C'est 
peut-être  un  mandement  dont  on  ne  me  disait  rien.  On 
ne  m'a  point  encore  fait  tenir  les  journaux,  etc.,  quoi- 
qu'ils ne  soient  qu'à  quatre  ou  cinq  lieues  d'ici.  On  vous 
aura  peut-être  régalé  de  la  citation  du  P.  Quesnel,  faite 
par  l'archevêque  de  Malines  par  un  grand  placard 
imprimé1.  Je  n'ai  pas  le  loisir  de  vous  en  faire  le 
détail.  Je  n'aurai  nulle  peine  à  envoyer  une  procura- 
tion sous  seing  privé  pour  la  vente  des  rentes.  Mais, 
comme  je  n'ai  que  la  moitié,  ne  sera-ce  point  un  trop 
grand  embarras  ?  Il  y  faut  penser.  Je  n'en  vois  pas  trop 
la  nécessité;  car,  quand  mes  affaires  m'appelleraient  en 
pays  ennemi,  où  je  serai  peut-être  obligé  d'aller  me 
faire  payer  de  quelques  dettes,  il  n'y  a  point  de  défenses 
à  ceux  de  mon  pays  de  demeurer  en  pays  avec  lequel 
est  la  rupture.  J'ai  observé  cela  dans  la  déclaration  de 
guerre  d'autrefois. 

1.  Quesnel  fut  cité  à  comparaître  personnellement,  le  17  mars,  par 
un  décret  affiché  sur  les  murs  et  signifié  à  son  dernier  domicile.  Le 
fugitif  fit  alors  présenter  un  nouvel  acte  de  récusation  à  l'archevêque 
de  Malines,  le  23  mars,  par  le  notaire  van  der  EIst,  ce  qui  n'empêcha 
pas  Humbert  de  Précipiano  de  le  citer  à  nouveau,  le  14  avril  et  le  9  juin. 


220  CORKESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 


Quesnel  à  J/lle  de  Joncoux1 

Amsterdam,  15  mars  1704. 

Je  ne  suis  pas  étonné  que,  dans  votre  lettre  du  4  de 
ce  mois,  vous  n'ayez  pas  accusé  la  réception  d'une 
seconde  lettre courte,demandéc  par  Votre  Révérence.  J'es- 
père que  depuis  vous  l'aurez  reçue.  Je  ne  suis  jamais  sans 
inquiétude  sur  ces  sortes  de  lettres.  Car  il  faut  que  tout 
cela  passe  par  plusieurs  mains,  et  il  est  difficile  qu'en  ce 
temps  où  nous  sommes  il  ne  se  trouve  des  gens  curieux, 
qui  n'ont  que  faire  de  savoir  les  affaires  des  familles  et 
qui  toutefois  sont  fort  empressés  de  les  savoir. 

Rien  ne  me  déplairait  plus  que,  s'il  arrivait  qu'au  lieu 
d'aller  où  on  les  envoie,  elles  vinssent  à  courir  les  rues. 
C'est  ce  qui  ma  empêché  d'envoyer  par  une  autre  voie 
un  second  exemplaire  original  de  cette  lettre  deuxième, 
de  peur  qu'il  ne  lui  arrivât  ce  qui  fit  tant  crier  saint 
Jérôme  contre  saint  Augustin,  que  la  lettre  qu'il  lui 
avait  écrite  se  voyait  partout  avant  que  lui-même  l'eût 
vue. 

Nous  avons  su,  en  ces  quartiers,  la  citation  du 
P.  Quesnel  par  l'archevêque  de  Malines2.  Vous  en  pou- 

1.  Bibl.  nat,  ras.  19735. 

2.  Le  P.  Quesnel  était  cité  pour  répondre  sur  les  chefs  suivants  : 
1°  Sur  sa  sortie  de  l'Oratoire  en  1678; 

2°  De  ce  qu'il  a  changé  l'habit  ecclésiastique  en  celui  de  laïque  ; 

3°  Sur  les  troubles  qu'il  a  excités  parmi  les  prêtres  de  Hollande  ; 

4°  Sur  ce  qu'il  a  renouvelé  la  doctrine  de  Baïus  et  de  Jansénius; 

5°  Que  les  jansénistes  avaient  dessein  de  faire  un  nouvel  ordre,  qu'ils 
avaient  des  chiffres  ; 

6°  Que  son  Saint  Léon  a  été  condamné  à  Rome  ; 

7°  Sur  les  lettres  injurieuses  que  ses  amis  lui  ont  écrites  sur  les  rois 
de  France  et  d'Espagne  ; 

8"  Qu'il  a  loué  et  approuvé  plusieurs  ouvrages  du  P.  Gerberon; 

9"  Qu'il  a  revu  plusieurs  ouvrages  de  M.  Arnauld  ; 

10"  Qu'il  ;i  furieusement  invectivé  contre  ceux  qui  condamnaient  les 
docteurs  <!u  fameux  Cas  de  Conscience,  etc.,  etc. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  221 

vez  être  mieux  informés  que  moi,  y  ayant  plus  de 
commerce  entre  Paris  et  Bruxelles  que  je  n'en  ai  avec 
l'un  ni  avec  l'autre.  Si  je  puis  recouvrer  une  protesta- 
tion qu'il  a  faite,  à  ce  qu'on  dit,  je  vous  l'enverrai.  On 
m'a  envoyé,  il  y  a  peu  de  jours,  sa  lettre  à  M.  le  vicaire 
général  de  Malines.  On  dit  qu'elle  est  un  peu  âpre  ;  mais 
on  dit  aussi  que  ce  personnage  ne  mérite  guère  d'être 
ménagé.  J'ai  parcouru  une  certaine  histoire  où  je  trouve 
sans  comparaison  plus  d'aigreur  que  dans  cette  lettre1, 
et  néanmoins  c'est  entre  des  personnes  d'un  caractère 
bien  plus  relevé.  Je  n'aime  point,  non  plus  que  vous, 
ces  styles  durs,  quoique  saint  Paul  ait  dit  :  Quos  increpa 
dure. 

J'aime  une  manière  d'écrire  noble,  modérée  et  sans 
rien  outrer;  mais  tout  le  monde  n'est  pas  capable  de 
donner  cet  air  de  noblesse  et  de  dignité  à  ses  écrits.  Je 
ne  doute  pas  que  celui  qu'on  a  cité  ne  réponde  et  ne 
soutienne  par  un  écrit  la  protestation  qu'il  a  faite  contre 
le  juge  qui  veut  se  mêler  de  ses  affaires2;  mais,  pour 
vous  dire  le  vrai,  je  n'attends  rien  de  grand  de  ce  petit 
homme.  Notre  bon  archevêque  a  été  si  applaudi  de  son 
décret,  où  il  a  inséré  en  latin  l'ordonnance  française  de 
M.  de  Chartres, qu'on  dit  que  son  voisin  l'évêque de  Liège 
en  veut  faire  autant. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncouœ3 

Amsterdam,  27  avril  1704. 

Le  pauvre  P.  Quesnel  est  tympanisé  à  double  caril- 
lon, dans  des  placards  publiés  et  à  Bruxelles  et  à  Liège  ; 


1.  Quesnel  fait  allusion  à  la   querelle  théologique   entre   Bossuct  et 
Fénelon. 

2.  Il  fit,  en  effet,  paraître  le  Motif  de  droit  (in-12,  de  292  pages,  1704). 

3.  Bibl.  nat,  ms.  19735. 


222  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

mais  on  dit  qu'il  n'en  est  pas  fort  alarmé.  Ces  diffama- 
tions, dit-il,  me  sont  plus  utiles  et  plus  avantageuses 
que  les  louanges. 

On  recevra  volontiers  le  cahier  du  bréviaire,  qui  a  été 
oublié.  Après  cela,  on  le  fera  relier,  comme  vous  le 
désirez,  à  la  mode  de  ce  pays,  puisque  vous  avez  cette 
fantaisie.  On  ne  l'a  pas  pu  jusqu'à  présent;  mais  rien 
présentement  ne  l'empêche.  Il  faut  excuser.  Mais,  s'il  y 
a  quelques  offices  nouveaux,  il  faut  les  envoyer  avec  le 
cahier. 

Je  salue  et  embrasse  mes  chers  amis  et  mes  chères 
amies.  Je  les  ai  tous  très  présents,  et,  si  ma  plume  ne 
met  pas  leurs  noms  sur  le  papier,  il  y  a  une  plume  invi- 
sible qui  les  écrit  sans  cesse  dans  le  cœur.  Qu'ils  prient 
bien  Dieu  pour  moi,  et  qu'en  le  priant  pour  l'avenir, 
ils  le  remercient  pour  le  passé  et  le  présent!  Car  la 
divine  bonté  m'a  fait  beaucoup  de  grâces  et  m'a  procuré 
partout  des  amis  qui  me  confirment,  de  plus  en  plus, 
dans  la  croyance  que  notre  cause  est  la  cause  de  Dieu. 

Adieu,  mon  très  cher  Monsieur,  j'ai  ouï  dire  que  le 
P.  Quesnel  avait  revu  encore  une  fois  ses  Réflexions  et 
qu'on  lui  a  enlevé  les  quatre  volumes,  reliés  en  carton 
blanc,  où  il  y  avait  des  corrections  et  améliorations. 
Le  prélat  les  devrait  revendiquer;  car  ils  lui  étaient 
destinés. 


Quesnel  à  *** l 

Amsterdam,   lundi  de  la  Pentecôte,  12  mai  1704. 

Le  curé  de  Sainte-Catherine2  a  appelé  au  Saint-Siège 
d'un   mandement  de  l'éveque  de   Liège,  où  il  est  pro- 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  1973.ri. 

2.  Guillaume   de   Vandenesse,    curé    de    Sainte-Catherine,    écrit    au 
pape,  le  15  mars.  Ses  paroissiens   en  font  autant,  le  4  avril,  pour  récla- 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  223 

clamé,  avec  le  P.  Quesnel  et  M.  Ruth  d'Ans,  comme 
suspect  d'hérésie.  11  a  joint  à  l'acte  d'appel  les  deux 
suppliques  présentées  au  pape,  l'une  en  son  nom  et 
l'autre  au  nom  de  son  clergé  et  de  sa  paroisse.  On 
n'espère  pas  beaucoup  de  tout  cela.  Sa  partie  est  trop 
puissante.  On  a  traduit  l'acte  d'appel  et  les  deux  sup- 
pliques en  français;  mais  je  ne  sache  point  qu'elles 
soient  imprimées. 

Le  chevalier  Del  Pozzo  [le  P.  Quesnel  ]  a  une  biblio- 
thèque que  ses  amis  lui  conseillent  de  vendre.  C'est  un 
meuble  assez  inutile  à  un  cavalier  qui  est  sur  l'âge 
et  qui  n'est  plus  si  ardent  à  l'étude  que  dans  sa  jeunesse. 
Il  y  a  dans  cette  bibliothèque  un  beau  recueil  de  livres 
de  mathématique1;  car  vous  savez  qu'il  est  ingénieur. 
Il  ne  veut  point  que  l'on  vende  ce  recueil  ni  qu'on  le 
sépare.  Mais,  outre  ce  recueil  complet,  il  a  un  grand 
nombre  de  livres  sur  cette  matière,  qui  peuvent  être  re- 
cherchés par  d'autres  pour  rendre  complets  leurs  recueils. 
C'est  pourquoi  il  désire  qu'on  ait  grand  soin  d'empêcher 
qu'ils  ne  se  dissipent.  Ils  pourront  beaucoup  servir  à 
un  de  mes  amis  qui  est  allé  voyager,  pour  un  dessein 
qu'il  serait  trop  long  de  vous  expliquer  ici.  Il  faudrait 
en  faire  faire  un  catalogue  bien  circonstancié.  On  trou- 
verait ailleurs,  de  côté  et  d'autre,  de  quoi  en  faire  un 
recueil  complet.  Quant  au  reste  des  livres,  il  souhaite- 
rait qu'on  en  fît  aussi  un  catalogue,  afin  de  marquer 
certains  livres  singuliers  et  qu'on  ne  recouvre  pas  aisé- 
ment et  de  les  garder  pour  de  bons  usages.  Le  temps 
ne  paraît  pas  fort  propre  à  vendre  des  livres  avec  avan- 
tage. Un  temps  de  paix  serait  plus  propre. 

Je  suis  à  ma  campagne,  fort  éloigné,  comme    vous 

mer  du  Saint-Siège  leur  pasteur,  dont  ils  sont  privés.  Il  ne  rentra  dans 
sa  paroisse  qu'en  1706;  mais,  à  peine  de  retour,  il  fut  suspendu  de 
toutes  les  fonctions  pastorales. 

1.  Il  veut  parler  des  ouvrages  sur  les  questions  religieuses  du  temps 
qui  concernent  son  parti. 


224  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

savez,  de  tout  commerce.  Je  n'apprends  rien  que  par 
votre  moyen.  Vous  m'avez  appris  la  mort  de  l'évoque  de 
Meaux.  C'était  l'oracle  du  clergé  de  France,  une  bouche 
d'or.  Et  qui  sera  donc,  dorénavant,  l'écrivain  épisco- 
pal  ?  Car  je  n'en  vois  guère  qui  en  fasse  le  métier  parmi 
Nosseigneurs,  sinon  en  forme  de  mandements  contre 
le  respectueux  silence. 

Mgr  de  Cambrai  est  bien  capable  de  recueillir  cette 
succession.  Il  y  trouvera  moins  de  concurrents  que  pour 
la  charge  de  premier  aumônier  de  Mme  la  duchesse  de 
Bourgogne.  J'ai  parcouru  son  ordonnance.  Il  me  paraît 
là  tout  autre  que  je  ne  l'avais  cru.  Il  y  parle  fort  clai- 
rement, et  on  aurait  grand  tort  de  le  croire  janséniste; 
il  est  aussi  peu  théologien  et  aussi  peu  philosophe  que 
possible.  Il  me  semble  que  son  écrit  est  un  sophisme, 
depuis  le  commencement  jusqu'à  la  lin,  et  il  est  aussi 
outré  sur  l'autorité  de  l'Eglise  que  sur  l'amour  de  Dieu1. 
Cependant  cela  ne  laissera  pas  d'éblouir  beaucoup  de 
gens,  qui  seront  bien  aises  qu'on  leur  fasse  accroire 
qu'ils  peuvent  signer  en  bonne  conscience. 

Vous  ne  m'avez  rien  mandé  de  notre  cher  affligé2, 
marque  que  vous  n'en  avez  point  de  nouvelles.  C'est 
une  chose  bien  douloureuse  que  de  voir  souffrir  ses 
amis;  mais  c'est  une  chose  bien  avantageuse  et  bien 
consolante  de  souffrir  pour  la  cause  de  la  vérité.  Je  dis 
de  bon  cœur  pour  lui  ces  paroles  que  l'Eglise  nous  met 
présentement  dans  la  bouche  :  Consolator  optime,  in 
labore  requies,  in  œstu  temperies,  in  fie  tu  solatium. 

1.  L'opinion  fut  unanime  dans  le  parti  sur  cette  ordonnance  de 
Fénelon,  soutenant  l'infaillibilité.  M.  Ernest  Ruth  d'Ans  écrit  à  Mlle  de 
Joncoux,le3  avril  1704  :«  Bien  m'en  a  pris  qu'on  ne  me  l'a  point  pnvoyée 
en  carême.  Cette  lecture,  avec  le  jeûne,  m'aurait  trop  échauffé  le  sang. 
Malignité,  ignorance,  sophismes,  médisances,  jugements  téméraires, 
hardiesse,  nulle  connaissance  de  la  matière  qu'il  traite,  c'est  tout  ce  que 
j'ai  rencontré  dans  cette  instruction.  »  (Archives  d'Amersfoort,  Lettres 
de  M.Ernest  Ruth  d'Ans,  boite  11.) 

2.  Probablement  M.  Vuillart,  interné  à  la  Bastille  depuis  le  3  oc- 
tobre 1703,  et  qui  devait  y  rester  douze  ans. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  225 

Je  vous   souhaite   le  bon  jour,  le  bon  cœur,  le  bon 
esprit,  et  je  supplie  l'auteur  de  toute  bonté  de  vous  en 
remplir  de  plus   en  plus.  Je  salue  mes   amis   et  mes 
amies,  et  je  les  supplie  de  prier  Dieu  pour  moi. 

Je  suis  étonné  de  ce  que  je  n'apprends  point  que  mes 
frères  soient  dans  une  parfaite  santé.  Si  vous  les  voyez 
quelquefois,  assurez-les  de  mon  amitié  et  de  la  sollici- 
tude où  je  suis  à  leur  égard. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux1 


9  juin  1704. 


A-t-on  vu  à  Paris  le  décret  contre  l'archevêque  de 
Sébaste?  Ce  pauvre  prélat  sera  accablé.  Il  a  affaire  à 
forte  partie.  On  voit  en  ce  pays  un  Motif  de  droit  du 
P.  Quesnel.  Je  ne  sais  pourquoi  il  a  pris  ce  titre,  qui 
est  en  usage  en  ce  pays,  mais  qui  ne  sera  pas  peut-être 
entendu  ailleurs.  Les  curieux  de  Paris  n'en  ont-ils 
point  encore  pu  attraper?  Il  y  a  aussi  une  lettre  au  R.  P. 
de  La  Chaise,  qui  est  bien  âpre.  Chacun  en  fera  son  juge- 
ment, selon  son  goût  et  sa  portée. 

Jusqu'à  présent  j'ai  eu,  Dieu  merci,  assez  de  santé, 
quoique  j'aie  éprouvé  bien  de  différentes  sortes  d'air. 
Les  maladies  de  mes  amis  me  font  plus  de  peine  que 
les  miennes  ne  m'en  feraient.  Je  salue  avec  bien  du 
respect  et  de  la  tendresse  ceux  qui  sont  à  portée  de 
recevoir  les  marques  de  mon  souvenir.  Quand  on  aura 
de  l'argent  à  m'envoyer,  il  sera  le  très  bien  venu.  Je 
crois  que  mes  dettes  sont  toutes  payées.  Je  déménage, 
et  je  ne   sais  encore  où  je  me  placerai. 

Je  me  recommande  à  vos  prières  et  je  suis  tout  à 
vous,  mon  très  cher  ami,  très  cordialement;  car  com- 
ment pourrait-on  être  autrement  à  un  si  bon  petit  cœur? 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19735. 

n.  15 


226  CORRESPONDANCE    DE    PASQLIER    QUESNEL 


Qnesnel  à  Mi]e  de  Joncoi(xx 

Amsterdam,  1er  septembre  1704. 

Eh  !  ma  pauvre  nièce,  que  je  vous  ai  d'obligation  du 
soin  que  vous  prenez  de  ma  famille  et  de  mes  affaires, 
pendant  mon  absence  !  Ne  vous  lassez  pas,  je  vous  en 
prie  ;  car  celles  qui  m'ont  fait  venir  ici  ne  seront  pas 
encore  sitôt  terminées.  Je  ne  vous  écris  point  autant 
que  je  le  souhaiterais,  parce  que,  nonobstant  le  réta- 
blissement du  commerce  des  lettres,  je  vois  qu'il  ne 
laisse  pas  de  s'en  perdre. 

Ce  P.  Qucsncl,  dont  vous  dites  que  vous  avez  vu  le 
Motif,  fait  courir  en  ce  pays  plusieurs  lettres  qui  ne 
serviront  pas  à  le  raccommoder  avec  les  Pères  jésuites. 
Il  devrait  ne  pas  tant  écrire  et  prier  Dieu  davantage, 
pour  se  préparer  à  partir  pour  l'autre  monde.  Aussi 
bien  il  n'y  a  guère  d'apparence  qu'il  fasse  jamais  for- 
tune en  celui-ci,  et  il  fera  bien  de  ne  songer  à  se 
dédommager  que  dans  l'autre  des  pertes  qu'il  dit  qu'il 
a  faites. 

J'ai  ouï  dire  qu'Auxerre  est  donné  à  un  M.  de  Quélus 
ou  Kailus2,  et  un  autre  évêché  à  un  autre.  Je  crois  que 
celui  à  qui  on  a  adressé  des  lettres  les  a  reçues,  mais 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19735. 

2.  M.  de  Gaylus  (1669-1754)  était  disciple  de  Bossuet  et  grand-vicaire 
du  cardinal  de  Noailles,  depuis  1700.  11  fut,  par  la  suite,  appelant  et 
réappelant  de  la  bulle  Unigenitus.  Nous  avons  eu,  entre  les  mains,  un 
assez  grand  nombre  de  lettres  inédites  de  cet  évêque,  qui  se  trouvent  à 
Amersfoort  (carton  13).  M.  de  Caylus  resta  en  correspondance  assidue 
avec  tous  les  hommes  influents  du  parti  et  montra  une  inaltérable 
patience,  durant  ces  longues  luttes  religieuses.  «  Ce  qui  augmente  ma 
confiance,  écrit-il  à  Colbert,  évêque  de  Montpellier,  est  l'abandon 
presque  universel  où  nous  nous  trouvons  de  la  part  des  hommes.  Dieu  a 
ses  moments.  Je  les  attends  en  paix.  »  Nous  le  retrouverons  plus  tard, 
lorsque,  dans  un  prochain  ouvrage,  nous  aborderons  les  convulsions 
dont  il  sera  un  des  ardents  défenseurs. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  227 

qu'il  fait  la  sourde  oreille  pour  ne  pas  payer  ses  dettes; 
car,  dans  ce  temps-ci,  on  est  dur  à  la  desserre.  Pour  la 
nouvelle  assignation  à  donner  à  un  autre  codébiteur, 
on  y  pensera  ;  mais  il  faut  bien  penser  avant  que  de 
donner  un  exploit  qui  doit  être  suivi  d'un  procès.  Je 
ne  saurais  dire  des  injures  à  M.  Gueston1.  Peut-il  mieux 
faire  que  d'écouter  son  évéque  et  ses  supérieurs?  Une 
fermeté  persévérante  n'est  pas  de  saison.  Pour  M.  Du  Pin , 
n'était-ce  pas  assez  que  M.  de  Paris  défunt  l'eût  fait 
rétracter  et  condamner'2? 


Quesnel  à  MUo  de  Joncoux?j 

Amsterdam,  3  octobre  1704. 

C'est  une  chose  bien  fâcheuse  d'avoir  des  procès. 
Celui-là  me  coûte  déjà  beaucoup,  et  je  ne  sais  quand 
j'en  verrai  la  fin.  Ma  partie  dit  bien  du  mal  de  moi.  Je 
prie  Dieu  qu'il  lui  pardonne  et  qu'ilme  donne  la  patience. 
Par  sa  grâce,  je  me  trouve  fort  tranquille  surtout  cela. 
11  faut  faire  pénitence  d'une  manière  ou  d'une  autre. 
Apparemment  je  ne  trouverai  jamais  de  bourreaux  qui 
m'écorchent  ou  me  déchirent  le  corps.  Je  n'ai  pas  le 
courage  de  uie  le  déchirer  moi-même,  comme  fait  notre 
cousin  le  capucin.  11  faut  au  moins  que  ma  réputation 
soit  déchirée.  C'est  ordinairement  une  idole  à  laquelle 

1.  Gueston,  chanoine  régulier  de  Saint- Victor,  fut  exilé  à,  Valence, 
pour  sa  signature  du  Cas  de  Conscience,  et  se  rétracta. 

2.  11  se  rétracta  de  môme,  fut  condamné  encore  et  exilé  à  Chàtelle- 
rault  pour  la  signature  du  Cas  de  Conscience.  L'abbé  Legendre  (Mémoires, 
livre  IV)  le  peint  comme  «  l'homme  le  plus  odieux  au  pape  et  à  la  cour 
de  Rome  »,  quoique  «  ne  faisant  que  piailler  dans  les  assemblées  ». 
Dangeau  le  cite  en  exemple  de  l'ingratitude  de  la  cour,  qui,  «  dans  des 
temps  de  brouilleries  avec  Rome,  se  servit  très  avantageusement  de  sa 
plume,  puis  le  laissa  manger  aux  poux.  11  fut  réduit  à  imprimer  pour 
vivre,  se  blasa  de  travail  et  d'eau-de-vie,  qu'il  prenait  pour  se  ranimer 
et  épargner  d'autant  sa  nourriture  ».  (Dangeau,  t.  XVIII.) 

3.  Bibl.nat.,  ms.  19735. 


228  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

nous  sommes  bien  aises  qu'on  offre  de  l'encens  à  pleines 
mains.  Nous  en  sommes  nous-mêmes  idolâtres,  et  nous 
ne  songeons  souvent  qu'à  embellir  et  à  parer  cette 
idole. 

Vous  savez  peut-être  qu'on  travaille  en  France  à 
une  concordance  des  confessions  de  foi  des  diverses 
églises  protestantes  réformées.  Il  sera  difficile  de  les 
accorder,  et  le  concert  n'en  sera  pas  fort  agréable;  ce 
sera  plutôt  un  charivari.  Ce  titre  serait  trop  scandaleux  : 
Le  charivari  des  confessions  de  foi  protestantes,  et  nos 
frères  en  Christ  diraient  qu'on  se  moque  de  la  religion. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux1 

Amsterdam,  31  octobre  1704. 

J'ai  reçu,  ma  très  chère  cousine,  vos  lettres  du  21  et 
23,  et  tout  ce  qu'il  y  avait  d'échantillons  pour  les  petites 
étoffes.  On  y  travaille.  M.  Le  Fort  [Nicolas  Petitpied]'2 
fera  bien  d'exécuter  avant  l'hiver  le  voyage  qu'il  a 
résolu  de  faire  pour  régler  ses  comptes  avec  son  cor- 
respondant. Celui-ci  est  vieux,  et,  s'il  venait  à  mourir, 
quel  embarras  ne  lui  laisserait-il  point  !  On   trouvera 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19735. 

2.  Nicolas  Petitpied,  ayant  signé  le  fameux  Cas  de  Conscience,  fut  le 
seul  des  quarante  qui,  malgré  les  prières  du  cardinal  de  Noailles,  ne 
consentit  pas  à  se  rétracter.  Exclu  de  Sorbonne,  exilé  à  Beauneen  1703 
et  menacé  de  plus  grands  périls  pour  sa  liberté,  il  résolut  de  rejoindre 
le  P.  Quesnel  en  Hollande,  non  toutefois  sans  de  pénibles  luttes  inté- 
rieures. 11  écrit  de  Beaune,  le  22  octobre  :  «  Je  suis  dans  un  accable- 
ment extrême.  Le  bruit  s'est  répandu  ici  des  extrémités  où  Ton  veut 
me  pousser.  Toutes  les  personnes  qui  me  veulent  du  bien  se  succèdent 
pour  me  parler,  pour  me  presser  et  pour  m'aecabler  de  raisons  très 
concluantes,  si  je  consulte  les  sentiments  naturels,  mais  très  faibles, 
quand  je  les  rappelle  à  ma  conscience.  Ma  conscience  même  est  pour 
moi  un  sujet  de  peines  par  les  combats  intérieurs  que  je  ressens.  Je 
suis  alarmé  de  la  crainte  de  me  tromper;  je  me  défie  de  moi-même,  de 
de  mes  vues,  de  mes  lumières;  je  m'effraie  de  me  trouver  seul.» 
(Archives  d'Amersfoort,  Lettres  de  M.  Petitpied,  boîte  l\.) 


CORRESPONDANCE    vE   PASQUIER    QUESNEL  229 

moyen  de  le  loger  commodément,  et  je  voudrais  qu'il 
fût  déjà  ici.  Pour  le  passage,  on  ne  croit  pas  qu'il  y  ait 
difficulté.  Tous  les  jours  les  marchands  vont  et  viennent 
avec  de  bons  passeports.  Son  plus  court  estpar  Namur. 
On  l'adressera  à  un  marchand,  et,  quand  on  le  mènera 
au  gouverneur,  il  n'aura  qu'a  dire  qu'il  est  des  amis  de 
ce  marchand  et  qu'il  va  loger  chez  lui.  Il  faut  qu'il  ait, 
pour  aller  là,  un  passeport  des  Hollandais,  dont  les 
partis  peuvent  se  trouver  sur  sa  route  ;  il  ne  le  doit 
prendre  que  pour  jusque-là.  Il  prendra  en  cette  ville- 
là  les  mesures  pour  le  reste.  La  voie  de  l'eau  pour  une 
personne  de  son  âge  sera  plus  commode.  Les  marchands 
sont  ici  habillés  comme  en  France.  Ainsi  il  ne  lui 
faut  point  d'autre  costume  que  celui  que  les  marchands 
de  France  et  lui-même  ont  coutume  de  porter. 


Quesnel  à  Mïle  de  Joncou.c  [ 

Amsterdam,  19  novembre  1704. 

Je  vous  ai  déjà  mandé  que  M"e  Le  Fort  [Petitpied] 
sera  la  très  bien  venue.  Je  vous  ai  même  marqué 
quelle  route  elle  pouvait  prendre  et  envoyé  un  billet 
pour  MUe  Raimond2,  chez  qui  elle  pourra  se  reposer  et 
prendre  des  mesures  pour  aller  plus  avant.  Si  on 
savait  son  départ  et  sa  route,  on  pourrait  prier 
quelqu'un  d'aller  au-devant  d'elle  pour  l'accompagner; 
car  on  comprend  bien  qu'une  fille  qui  n'est  pas  accou- 
tumée au  voyage   sera  un  peu  embarrassée. 

M"c  Del  Pozzo  [Quesnel]  a  de  quoi  la  loger  commodé- 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19735. 

2.  Mmo  Vaës,  clame  de  Liège,  chez  laquelle  Petitpied  passa  quelques 
jours  avant  de  rejoindre  le  P.  Quesnel.  Elle  était  la  veuve  d'un  con- 
seiller du  conseil  souverain  de  Brabant  et  habitait,  place  Saint-Jean, 
chez  un  chanoine  nommé  Houssart.  Etant  infirme,  elle  passait  la  plus 
grande  partie  de  l'année  sans  sortir. 


230  COKRESPOiNDANCE    DÉ    PASQUIEft    QUESNEL 

ment  d'abord,  quoiqu'elle  ne  soit  pas  encore  tout 
à  fait  dans  un  lieu  permanent.  Cette  nouvelle  du 
voyage  de  la  cousine  la  fait  résoudre  à  ne  se  pas 
établir  tout  à  fait  avant  son  arrivée,  afin  de  pouvoir 
eboisir  avec  elle  ce  qui  lui  conviendra  davantage.  Cette 
cousine,  qu'elle  n'a  jamais  vue,  témoigne  tant  de  joie, 
dans  l'espérance  de  la  pouvoir  bientôt  embrasser,  qu'elle 
est  dans  l'impatience  d'apprendre  son  départ  et  n'ose  se 
flatter  que  ce  soit  tout  de  bon  qu'elle  veuille  se  résoudre, 
dans  une  saison  si  avancée,  à  se  mettre  en  chemin.  Ne 
manquez  donc  pas  de  lui  faire  savoir  ponctuellement 
sa  résolution  et  les  mesures  qu'elle  prendra. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux 

23  janvier  1705. 

La  personne,  qui  est  dans  une  province  éloignée  de 
Paris,  écrit  qu'il  y  a  longtemps  qu'elle  a  répondu, 
qu'elle  fera  toujours  avec  un  extrême  plaisir  tout  ce  qui 
sera  du  service  de  Mlle  Le  Fort  [Pelitpied].  Elle  peut 
s'assurer  qu'elle  sera  reçue  chez  Mme  Dupuis  [Quesnel] 
avec  une  joie  incroyable,  en  quelque  temps  qu'elle 
veuille  lui  faire  l'honneur  de  passer  par  chez  elle. 
C'est  une  des  plus  grandes  satisfactions,  dit-elle,  qu'elle 
puisse  recevoir  en  sa  vie,  et  la  demoiselle  peut  comp- 
ter qu'elle  sera  chez  elle  avec  une  parfaite  liberté. 
Tout  est  prêt  pour  la  recevoir,  et  on  ira  au-devant 
d'elle  le  plus  loin  qu'on  pourra.  Je  n'ai  point  encore 
reçu  les  papiers  envoyés,  parce  que  rien  ne  me  pressait 
de  les  recevoir.  Ils  viendront  bientôt  et  sont  peut-être 
en  chemin.  J'ai  su,  il  y  a  longtemps,  la  trop  grande 
estime  que  cet  homme,  trois  fois  vicaire  général,  fai- 
sait de  ce  méchant  livre.  Vous  voyez  comme  tout  le 
monde  n'a  pas   le  môme   goût  pour  une  môme  chose. 


Correspondance  de  pasquier  quesnel  231 

J'enverrai  une  autre  fois  le  billet  que  vous  demandez  ; 
je  salue  bien  cordialement  celui  qui  en  fera  usage.  Je 
crois  que,  sans  faire  reproche  à  la  personne  si  patiente1 
à  l'égard  des  injures  reçues  sous  le  nom  d'autrui,  il 
suffira  de  lui  adresser  des  exemplaires  d'un  écrit2  qu'on 
va  imprimer  au  premier  jour  et  qui  réfute  pied  à  pied 
ce  libelle  ineptissime3.  On  pourra,  si  on  le  juge  à  pro- 
pos, y  joindre  un  mot,  pour  demander  la  condamnation 
des  deux  libelles4.  En  s'adressant  au  juge  supérieur  à 
celui  qui  flétrit  le  livre,  on  l'engage,  ce  me  semble, 
inévitablement  à  rendre  justice  à  celui  qui  est  flétri 
par  son  inférieur.  Ou  bien  on  attendra  que  la  réfuta- 
tion des  deux  libelles  paraisse,  pour  demander  la  cen- 
sure de  ceux-ci. 


Quesnel  à  Ernest   Rut  h  a"Ansh 

16  février  1705. 

J'étais  tout  préparé,  Dieu  merci,  à  la  sentence6;  elle 
ne  me  fera  pas  beaucoup  de  mal.  Elle  ne  contient  rien 

1.  Il  fait  allusion  au  cardinal  de  Noailles  et  au  mandement  de  Févêque 
d'Apt  contre  les  Réflexions  morales.  Comme  ce  livre  avait  été  approuvé 
par  M.  de  Noailles,  les  injures  adressées  à  Quesnel  allaient  droit  à  l'ar- 
chevêque de  Paris. 

2.  Vidée  générale  du  libelle  (par  Quesnel,  1705). 

3.  Causa  Quesnelliana,  libelle  moliniste  où  Quesnel  était  traité  de 
«  chien  enragé  et  plus  qu'enragé  ». 

4.  Le  P.  Quesnel  hérétique  et  le  P.  Quesnel  séditieux. 

5.  Ce  passage  est  extrait  d'une  lettre  de  Quesnel  insérée  dans  la  cor- 
respondance de  M.  Ruth  d'Ans  avec  MUe  de  Joncoux  (Lettre  du  20  fé- 
vrier 1705.  Arch.  d'Amersfoort,  boîte  11). 

6.  Sentence  prononcée  à  Bruxelles  le  10  novembre  1704,  contre  le 
P.  Quesnel,  par  Humbert  de  Précipiano,  archevêque  de  Malines,  qui 
«  l'excommuniait,  le  condamnait  à  se  retirer  dans  un  monastère,  en 
pays  catholique,  pour  y  demeurer  séquestré  en  esprit  de  pénitence, 
récitant  tous  les  jours  les  sept  psaumes  de  la  pénitence,  et  jeûnant, 
les  vendredis,  au  pain  et  à  l'eau,  dans  la  tristesse  et  la  douleur,  jusqu'à 
ce  qu'il  eût  satisfait  au  Souverain  Pontife  sur  la  doctrine,  et  qu'il  eût 
été  absous  de  l'excommunication  ». 


232  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

que  je  ne  fisse  avec  joie,  si  elle  était  aussi  juste  qu'elle 
est  injuste.  On  donnera  incessamment  une  Idée  géné- 
raJe  de  la  satire  fiscale.  J'espère  qu'avec  le  temps  on 
satisfera  à  tout.  Je  crois  que,  par  avance,  les  gens 
d'esprit  mépriseront  ce  fatras,  qui  ne  prouve  que  la 
malignité  des  faiseurs. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux 

27  février  1705. 

Eh  bien!  ma  pauvre  sœur,  il  se  faut  consoler.  Par 
la  grâce  de  Dieu,  je  n'ai  pas  grand'peine  à  cet  égard. 
Je  ne  suis  pas  digne  de  mourir  de  faim  pour  la  cause  de 
Dieu,  et  j'ai  assez  de  confiance  en  sa  providence  pour 
ne  le  pas  craindre,  s'il  le  fallait  craindre.  Je  reçus  l'ar- 
rêt1, le  mardi  gras  au  soir,  et,  dans  la  première  messe 
que  j'ai  dite  depuis,  j'y  trouvai  (ce  fut  hier)  :  Jacta 
cogitation  tuwn  in  Domino,  et  ipse  te  enutriet.  Je  suis 
assuré  qu'il  ne  m'a  pas  voulu  tromper  par  cette  pro- 
messe, et  je  tâcherai  de  ne  me  pas  tromper  moi-même 
en  me  défiant  de  sa  parole  ou  en  mettant  ma  confiance 
dans  les  hommes,  sinon  comme  dans  ses  instruments 
pour  m'assister,  quand  et  en  la  manière  qu'il  lui  plaira. 
Nous  n'en  sommes  pas  encore  là  ;  j'ai  de  quoi  rouler 
encore  quelque  temps,  et  je  prie  mes  chers  amis  et 
mes  chères  amies  de  ne  se  pas  inquiéter  à  mon  sujet. 
Qu'ils  demandent  seulement  à  Dieu  qu'il  me   daigne 

1.  Arrêt  du  Conseil,  du  16  janvier  1705,  remettant  en  vigueur  un  édit 
de  1669,  qui  confisquait  les  biens  des  fugitifs.  Le  P.  Quesnel  n'avait 
pas  de  patrimoine  ;  mais  on  lui  avait  donné  mille  livres  de  rente  via- 
gère sur  l'hôpital  général  de  Paris,  et  M.  Arnauld  lui  avait  laissé  ses 
livres.  On  les  saisit,  dans  une  chambre  du  collège  de  Laon,  par  ordre 
de  Louis  XIV,  et  on  lui  confisqua  son  revenu,  le  mettant  dans  le  même 
cas  que  les  protestants  qui  avaient  quitté  la  France.  Il  rentra  dans 
la  jouissance  de  son  bien  à  la  mort  du  roi  et  l'abandonna,  pour  la 
plus  grande  partie,  aux  pauvres. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        233 

rendre  fidèle  à  marcher  dans  ses  voies!  Avec  cela,  tout 
le  reste  ira  bien,  et  d'autant  mieux  qu'il  ira  plus  mal. 
Car  il  y  a  longtemps  que  j'ai  appris  que  notre  pis  est 
notre  mieux,  selon  la  fortune  de  l'Evangile. 

Si  la  raison  et  le  bon  droit  étaient  plus  à  la  mode 
qu'ils  ne  sont,  je  ne  serais  pas  sujet  à  la  loi;  car  un 
homme  qui,  depuis  vingt  ans,  s'est  volontairement 
établi  dans  un  pays,  sans  violer  aucune  loi  ni  aucune 
défense,  ne  doit  point  être  traité  en  fugitif.  On  ne  m'a 
jamais  ordonné  de  retourner,  quand  je  le  pouvais,  et  il 
serait  bien  dur  qu'on  me  le  commandât,  lorsqu'il  m'est 
impossible  d'obéir.  Il  y  aurait  encore  une  chose  à  insi- 
nuer aux  directeurs  et  aux  supérieurs  de  l'hôpital  : 
c'est  que  ces  sortes  de  pensions  viagères  bont  tellement 
privilégiées  qu'on  les  a  toujours  garanties  exemptes  de 
toute  saisie,  même  à  l'égard  des  étrangers,  et,  si  une 
fois  on  en  donne  un  exemple  contraire,  il  n'y  a  plus 
cette  persuasion  de  bonne  foi  et  de  sûreté  entière  qui 
porte  les  Français  et  les  étrangers  à  donner  leurs  biens 
à  cet  hôpital.  C'est  ce  qu'il  faudrait  faire  insinuer  à 
M.  le  cardinal  de  Noailles  et  à  M.  le  premier  président 
par  quelque  directeur  subalterne,  en  y  joignant  ce  que 
j'ai  dit,  que  je  ne  puis  être  regardé  comme  compris 
dans  l'arrêt,  qui  paraît  ne  regarder  que  les  fugitifs 
modernes.  Après  tout  cela,  je  me  tiens  en  repos,  et  je 
m'abandonne  à  celui  qui  me  nourrit  depuis  soixante- 
dix  ans,  et  qui  m'assure  que  l'homme  ne  vit  pas  seu- 
lement de  pain. 

On  peut  encore  faire  considérer  que  les  trois  frères 
ont  relâché  en  faveur  des  pauvres,  depuis  huit  ou  dix 
ans,  six  cents  livres  pour  chaque  année,  à  condition 
d'en  être  payés  ponctuellement  et  sans  délai.  Ainsi 
c'est  doublement  l'intérêt  de  l'hôpital  qu'on  ne  change 
rien. 

Je  crois  que  je  ne  vous  ai  point  encore  répondu  à 
la  lettre  du  30  de  janvier.   Vous  êtes  une  fort  bonne 


234  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 

fille,  et  qui  recevez  bien  humblement  les  petits  avis  de 
vos  frères.  Dieu  en  soit  loué!  Si  je  ne  l'avais  su,  je 
n'aurais  pas  été  si  libre;  mais  je  connais  mon  monde. 
Encore  un  coup,  vous  êtes  ma  bonne  sœur,  et  je  ne 
saurais  vous  dire  combien  vous  êtes  avant  dans  mon 
cœur. 

On  n'a  pu  s'empêcher  de  faire  un  mémoire  sur  la 
lettre  inepte  *  que  vous  avez  vue  dans  un  livre  latin.  On 
ne  l'a  encore  adressé  à  personne.  J'ai  exposé  une  vue 
au  frère  Ruth  [d'Ans]  ;  mais  je  crois  qu'on  la  rejettera 
bien  loin.  Je  crois  que  la  peine  que  peut  sentir  la  per- 
sonne blessée2,  quand  on  parle  du  sujet  qui  a  donné 
lieu  à  la  blessure,  doit  faire  qu'on  la  ménage  quand  on 
le  pourra.  Mais  enfin  il  ne  faut  pas  perdre  l'avantage 
que  Dieu  a  procuré,  sans  qu'on  l'ait  recherché. 

Adieu,  tout  à  vous  et  au  reste  de  mes  amis,  si  j'en  ai 
encore.  Je  crois  que  oui,  mais  en  petit  nombre. 


Quesnel  à  Codde,  archevêque  de  Sébaste 

10  mars  1705. 

Monsieur,  j'ai  un  peu  différé  à  répondre  à  votre 
obligeante  lettre  et  à  vous  remercier  de  votre  présent. 
J'estime  beaucoup  l'un  et  l'autre,  comme  étant  un  effet 
de  votre  bonté  et  de  votre  bienveillance  pour  moi.  Vos 
lettres  sont  écrites  avec  tant  d'élégance  et  de  politesse 
que  je  n'ose  pas  vous  répondre  en  latin.  Le  mien  est 
trop  grossier,  et  il  le  paraîtrait  encore  davantage,  auprès 
du  vôtre.  Ce  qui  m'a  fait  différer  est  que  j'étais  occupé 
à  une  espèce  de  réponse  générale  à  un  volume  de  six 
cents  pages,  qu'on  appelle  Causa  Quesnelliana,  du  fiscal 

1.  Lettre  pastorale  de  révoque  <TApt,  du  i  février  1703,    insérée  dans 
la  Causa  Quesnelliana. 
1.  Le  eardinal  de  Noailles. 


CORRESPONDANCE;    DE    PASQUIER    QtJESNEL  23H 

de  Malines,  ou  plutôt  d'un  jésuite,  avec  la  sentence 
prononcée  contre  moi  par  le  prélat.  Gomme  je  compo- 
sais pendant  l'impression,  je  n'ai  pu  me  détourner. 
Vous  serez  surpris,  Monsieur,  d'apprendre  qu'il  y  est 
parlé  de  vous  et  que  M.  van  Susteren,  dans  le  voyage 
qu'il  a  fait  à  Rome,  m'y  a  dénoncé  comme  coupable 
de  deux  grands  crimes  :  l'un,  d'être  auteur  de  plusieurs 
livres  qui  sentent  l'hérésie  jansénienne  ;  l'autre,  d'avoir 
du  commerce  avec  vous. 

Il  est  fait  mention  de  vous,  Monsieur,  en  plusieurs 
endroits  du  procès,  à  l'occasion  de  quelques  lettres 
qu'ils  disent  que  vous  m'avez  fait  l'honneur  de  m'écrire 
et  de  faire  imprimer  dans  votre  reueil.  J'avais  ignoré, 
jusque-là,  que  vous  y  eussiez  inséré  ces  lettres.  Je  ne 
doute  point  qu'on  ne  remplisse  ces  provinces  de  ce 
procès  et  que  les  adversaires  n'en  triomphent.  Je  ne 
crois  pas,  néanmoins,  que  cette  misérable  pièce,  où  ils 
font  tout  entrer,  mérite  l'approbation  des  gens  bien 
sensés.  Vous  en  jugerez,  quand  il  sera  connu.  Je  n'ai 
que  mon  exemplaire.  Vous  verrez  si  vous  trouverez  à 
propos,  Monsieur,  de  relever  vous-même  l'imperti- 
nence de  ces  gens-là. 

Les  livrets  que  l'on  vous  a  envoyés  de  notre  part  ne 
méritaient  pas,  Monsieur,  un  accueil  aussi  favorable, 
ni  autant  de  reconnaissance  que  vous  en  témoignez. 
Je  vous  en  remercie  encore  un  coup,  et  vous  supplie 
de  me  continuer  l'honneur  de  votre  amitié. 

J'apprends  de  Liège  que  M.  Naveus  est  à  l'extrémité, 
s'il  n'est  déjà  allé  recevoir  la  récompense  de  sa  fidélité 
à  aimer  la  vérité  et  à  la  servir  de  tout  son  cœur, 
comme  il  a  fait. 


23o  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Quesnel  à  M.  Naveus  l,  chanoine  de  Saint-Paul  de  Liège 

10  mars  1705. 

Mon  cher  Frère, 

Si  cette  maison  de  terre,  cette  muraille  de  boue,  qui 
est  entre  Dieu  et  vous,  n'est  pas  encore  rompue,  je 
vous  y  rends  encore  une  petite  visite,  pour  me  réjouir 
avec  vous  de  ce  qu'enfin  elle  va  être  renversée,  et  que 
vous  allez  vous  réunir  à  celui  qui  doit  faire  votre 
bonheur  éternel  en  vous  recevant  dans  son  unité,  en 
vous  montrant  toute  vérité,  en  vous  remplissant  de 
toute  charité,  en  vous  communiquant  son  éternité,  en 
vous  faisant  goûter  tous  les  biens  ineffables  de  la  sainte 
Cité  dont  il  vous  a  fait,  par  sa  très  grande  miséricorde, 
une  pierre  vivante,  qu'il  va  placer  dans  ce  céleste  édi- 
fice et  dans  le  lieu  auquel  il  l'a  rendue  propre  en  la 
taillant  par  les  traverses,  les  peines  et  les  douleurs  de 
cette  vie. 

S'il  vous  reste  encore  quelque  coup  de  ciseaux  à 
souffrir,  souffrez-le  avec  joie,  et  abandonnez-vous  à  la 
main  et  à  l'opération  de  ce  divin  architecte,  en  tressail- 
lant de  cette  joie  que  saint  Pierre  appelle  ineffable,  et 
qui  tient  déjà  beaucoup  de  celle  de  la  gloire.  Si  Dieu 
vous  a  déjà  fait  sa  grande  miséricorde,  mon  très  cher 
frère,  ou  quand  il  l'aura  fait,  mémento  mei  cum  veneris 
in  regnum  sinon,  afin  que  je  combatte  de  la  bonne 
manière  dans  la  guerre  que  l'on  fait  à  la  foi  de  la  grâce 
du   Sauveur  et   de   la  vérité    évangélique.    C'est  mon 

1.  Joseph  Naveus,  docteur  de  la  Faculté  de  Louvain.  Arnauld  disait 
n'avoir  point  connu,  aux  Pays-Has,  de  plus  habile  théologien  que  M.  Na- 
veus et  M.  Opstra»';t.  Naveus  était  fort  malade  au  moment  où  il  reçut 
cette  lettre  de  Quesnel,  et,  à  son  lit  de  mort,  le  10  avril  suivant,  il 
ordonna  de  la  mettre  dans  son  cercueil,  avec  un  exemplaire  du  livre 
des  Réflexions  morales. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  237 

bonheur  d'être  traité  ici-bas  comme  un  anathème,  et 
j'espère  que  cela  servira,  par  le  secours  de  la  même 
grâce,  à  éviter  de  l'être  au  jugement  de  Dieu. 

Adieu  donc,  mon  frère,  je  vous  embrasse  en  esprit, 
et  vous  souhaite  les  célestes  embrassements  et  le  doux 
baiser  de  notre  commun  Père.  Osculetur  te  oscido  oris 
sai. 

Quesnel  à  MUc  de  Joncoux 

15  mai  1705. 

Mon  cher  petit  frère,  vous  m'alarmez  avec  votre 
grosse  fièvre,  votre  rhumatisme  et  vos  autres  maux.  Je 
suis  pourtant  bien  aise  que  vous  ne  m'épargniez  pas 
l'alarme,  afin  que  je  prie  plus  ardemment.  En  priant 
pour  vous,  je  prie  pour  moi.  Comme  j'écris  par  avance, 
je  ne  sais  encore  rien,  aujourd'hui  13,  et  ne  saurai  des 
nouvelles  deM.  G...  [Petitpied]  qu'immédiatement  avant 
d'envoyer  cette  lettre.  J'ai  discontinué  à  vous  envoyer 
des  extraits,  parce  que  le  dernier  paquet  où  il  y  en  avait 
a  été  retenu  ou  égaré,  je  ne  sais  comment,  durant  envi- 
ron un  mois,  avant  que  d'être  rendu.  J'en  ai  été  un  peu 
en  peine. 

J'avais  indiqué  à  Mme  Vaës  le  garde  qu'elle  a  envoyé. 
C'est  un  très  bon  homme  ;  mais  je  doute  fort  que  sa  mai- 
son lui  convienne.  Elle  est  hors  des  murs  de  la  ville 
(s'il  n'a  changé),  fort  écartée,  et  ce  serait  une  grande 
solitude.  Le  chevalier  Del  Pozzo  [Quesnel]  était  dans 
la  ville,  et  dans  une  maison  comme  sacrée.  On  n'a  pas 
cru  néanmoins  qu'il  y  fût  hors  d'atteinte;  sans  cela 
il  y  serait  demeuré.  Cependant  je  puis  être  un  peu 
intéressé  dans  cette  affaire,  ou  plutôt  beaucoup.  Mais 
ce  qui  accommodera  M.  G...  [Petitpied]  ne  pourra 
m'incommoder.  Je  ferai  pour  lui  tout  ce  qui  sera  en 
mon  pouvoir,  sans  considérer  ma  satisfaction. 

Je  n'avais  pas  achevé  cette  période  que  les  lettres, 


238  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

qui  devaient  être  apportées  ce  matin,  ne  sont  venues 
qu'à  quatre  heures  après  midi,  et  m'ont  appris  l'heureuse 
arrivée  de  ma  chère  nièce  [Petitpied]  chez  ma  cousine 
Hélène  [A/me  Vaës],  qui  l'a  reçue  avec  sa  tendresse  ordi- 
naire pour  sa  famille  et  tous  ceux  qui  la  touchent  de 
près.  Ma  nièce  m'écrit  que  ma  cousine  la  presse  fort 
de  s'arrêter  chez  elle.  Elle  ne  pourrait  être  mieux; 
cependant,  avant  de  prendre  un  parti,  elle  a  une  visite  à 
rendre  à  sa  tante  Dupuis  [Quesnel],  qui  lui  a  envoyé  tout 
ce  qui  lui  était  nécessaire  pour  faire  le  voyage  commodé- 
ment. Elle  se  reposera  un  peu  avant  que  de  se  mettre  en 
chemin.  Je  la  verrai  avec  joie,  et  nous  concerterons  ce 
qui  sera  le  meilleur,  pour  elle,  des  deux  couvents  qui  se 
présentent.  J'ai  déjà  vu  la  maison  de  cette  tante.  Elle 
est  admirablement  bien  située;  elle  est  sur  le  bord 
d'un  beau  canal,  et  elle  a  en  vue  un  joli  bois  qui  est 
sur  l'autre  bord  du  canal,  de  sorte  que  l'air  est  fort 
bon  et  la  vue  agréable.  Elle  a  chez  elle  une  chapelle 
domestique  où  repose  le  trésor  des  trésors.  Et,  quoique 
dans  l'enceinte  dune  ville,  elle  est  pourtant  comme 
à  la  campagne. 

On  assure  positivement  que  les  deux  propositions  ne 
seront  point  censurées.  C'est  quelque  chose  ;  mais  il 
faudra  voir  la  suite.  On  assure  que  Sa  Sainteté  a  dit 
qu'elle  contenterait  les  deux  partis.  C'est  un  grand  coup. 
Les  jésuites,  pour  le  rompre,  ont  engagé  la  Faculté  de 
théologie  de  Louvain  à  les  censurer,  afin  de  faire 
entendre  au  pape  que  les  Universités,  etc.  Celle  de 
Douai  en  fera  sans  doute  de  même. 

Vous  me  parlez  de  ma  seconde  mère  [Fouiltou],  et 
de  la  disposition  de  la  tante  Dupuis  [Quesnel]  à  son  égard. 
Je  connais  cette  tante;  ne  doutez  pas  qu'elle  ne  soit 
ravie  d'avoir  auprès  d'elle  ses  deux  nièces,  et  qu'elle 
ne  s'en  sentira  point  du  tout  incommodée.  Elle  a 
assez  de  logement;  car  elle  est  seule,  dans  sa  maison, 
avec   sa  famille,  et    sa  maison  est  assez   grande;   ne 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  239 

soyez  pas  en  peine  sur  cela.  Je  suis  sûr  que  ce  sera 
un  redoublement  de  joie  pour  cette  bonne  vieille 
tante  ;  car  vous  savez  que  les  vieilles  gens  aiment  la 
jeunesse,  comme  si  elles  rajeunissaient  en   la  voyant. 

Celui  pour  qui  on  a  donné  400  livres  n'est  point 
encore  pressé  de  la  faim.  J'ai  peur  qu'à  force  d'être 
pauvre  il  ne  devienne  trop  riche.  Il  est  bon,  si  vous 
ne  l'avez  pas  encore  envoyé,  que  vous  le  gardiez  :  il 
sera  bien  entre  vos  mains. 

Cette  personne  a  encore  quelques  provisions  devant 
elle.  Au  moins  gardez  les  286  livres,  si  vous  ne  les 
avez  pas  encore  envoyées. 

Il  me  semble  qu'il  n'y  a  guère  de  fondement  de 
faire  valoir  la  déclaration  de  1682,  qui  n'est  que  pour 
les  hérétiques  déclarés  et  fugitifs  dans  le  temps.  Croi- 
rait-on qu'il  fût  à  propos  qu'on  écrive  ou  à  M.  le 
chancelier  ou  à  M.  d'Argcnson1,  pour  lui  représenter 
qu'on  n'est  pas  dans  le  cas,  ou  bien  à  l'Eminentissime? 

On  a  frappé  en  Hollande  une  médaille  de  M.  de  Sé- 
baste2.  C'est  un  ouvrier  protestant  qui  l'a  fait  de  sa 
tête;  mais  le  portrait  ne  ressemble  pas. 

On  dit  que  M.  de  Cambrai  va  faire  sortir  de  sous 
la  presse  quatre  volumes  in-12^.  Il   a  tué  un  de   mes 


i.  Marc-René  de  Voyer  d'Argenson,  lieutenant  de  police,  de  1697  à  1709. 

2.  «  On  a  frappé  ici  une  médaille  de  M.  l'archevêque  de  Sébaste,  qui 
ne  sera  pas  agréable  à  Rome.  Son  portrait  est  d'un  côté  et,  de  l'autre, 
on  voit  un  agneau  menacé  de  la  foudre,  et  le  lion  de  Hollande  qui  tient 
sept  flèches  dans  une  de  ses  pattes,  dont  il  écarte  l'orage,  avec  ces 
mots  :  Insontem  frustra  ferire  parât.  La  médaille  ne  lui  ressemble 
point  du  tout.  C'est  un  homme  modeste,  qui  n'a  point  voulu  souffrir 
qu'on  tirât  son  portrait.  »  (Lettres  de  Petitpied,  Archives  d'Amersfoort.) 

3.  Dans  une  lettre  inédite  de  M.  Ernest  Ruth  d'Ans  à  M"e  de  Joncoux, 
il  est  question  de  «  l'ouvrage  que  M.  de  Cambrai  devait  donner  dès 
Pâques,  et  qui,  par  avance,  a  eu  un  si  pitoyable  effet  en  donnant  la  mort 
au  pauvre  M.  Hodert,  qu'il  avait  fait  venir  auprès  de  lui  et  qui  s'est  cassé 
la  tête  en  calfeutrant  le  nouveau  système.  »  (Amersfoort,  boîte  11.) 
De  Rome  aussi,  du  Vaucel  fulmine  contre  M.  de  Cambrai  :  «  Ces 
quatre  volumes  ne  serviront  qu'à  découvrir  de  plus  en  plus  son  entête- 
ment et  ses  illusions.»  (Utrecht,  Lettres  de  (h/ Vaucel,  t.  IX,  11  juin  1705.) 


240  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

bons  amis,  en  l'appliquant  trop  à  ses  nouvelles  idées, 
dans  lesquelles  il  était  entré  sur  le  fait  décidé.  Il 
l'avait  fait  venir  chez  lui,  et  il  y  est  mort,  le  6,  après 
quatorze  jours  de  fièvre  continue.  Adieu,  mes  respects 
et  mes  amitiés  à  tout  ce  qui  me  reste  d'amis  et 
d'amies. 


Quesnel  à  Ernest  Ruth  d'Ans 


Mai,  1705. 


Puisqu'on  a  à  Paris  le  procès,  comment  ne  se  trouve- 
t-il  point  quelque  ami  qui  fasse  quelque  chose  en  sa 
manière?  N'est-ce  pas  une  chose  peu  édifiante  que 
le  P.  Quesnel  soit  seul  à  parler  pour  lui  ?  Ils  au- 
raient dû  répondre  aux  deux  libelles  [le  séditieux  et 
X hérétique].  Mais  ni  l'amitié,  ni  la  charité,  ni  le  zèle 
de  la  vérité  ne  sont  plus  de  saison.  Chacun  ne  songe 
qu'à  se  mettre  à  couvert,  comme  si  la  cause  de  la 
vérité  n'était  pas  commune  à  tous.  J'ai  principalement 
en  vue  un  ancien  ami  ;  mais  il  ne  faut  plus  guère 
compter  sur  l'amitié  dans  les  temps  de  nuage  et  de 
tonnerre.  Je  crois  que  Dieu  a  permis  toute  cette  décou- 
verte de  petits  commerces,  en  partie  pour  rendre  inu- 
tiles ces  ménagements  que  l'on  prend  aux  dépens  de 
la  vérité  et  de  la  charité,  et  la  conduite  où  la  prudence 
consiste  à  se  taire  et  à  ne  rien  faire. 


Quesnel  à  M.  Petitpied,  à  Liège 

Amsterdam,  19  mai  1705. 

Je  n'avais  pas  encore  reçu  votre  lettre  du  12,  en  vous 
envoyant  le  passeport  que  je  venais  de  recevoir,  après 
beaucoup  de  façons,  causées  par  certains  ordres  donnés 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  241 

depuis  peu  pour  obtenir  les  passeports.  Il  a  fallu  trouver 
deux  cautions  dans  la  ville  du  demandeur  et,  sur  leur 
témoignage  et  obligation  de  répondre,  obtenir  une  attes- 
tation des  bourgmestres,  sur  laquelle  on  présente  requête 
aux  Etats,  qui  accordent  que  l'expédition  soit  faite. 

Je  ne  doute  point,  Monsieur,  que  vous  ne  l'ayez  reçue, 
et  vous  pouvez  vous  assurer  que  cela  vous  suffit.  Dès 
que  vous  serez  rendu  à  Bois-le-Duc,  qui  est  un  voyage 
d'un  jour  et  demi  depuis  Liège,  vous  pouvez  aller  par- 
tout sans  qu'on  vous  demande  rien.  Tout  le  pays  est 
plein  de  personnes  de  votre  nation,  qui  ont  la  même 
liberté  que  ceux  du  pays,  et,  à  moins  qu'un  homme  ne 
se  rendît  suspect  par  quelque  commerce  qu'on  aurait 
découvert,  on  ne  s'avise  point  de  lui  demander  qui  il  est. 

Votre  lettre,  Monsieur,  m'a  mis  dans  un  grand  repos. 
Je  commençais  à  être  en  peine,  voyant  le  terme  qu'on 
m'avait  marqué,  expiré  depuis  quelques  jours.  Dieu 
soit  béni  de  votre  heureuse  arrivée!  Il  n'est  plus  ques- 
tion que  de  savoir  où  vous  planterez  votre  bourdon.  Je 
me  suis  toujours  attendu  que  ce  serait  chez  M.  le 
chevalier  Del  Pozzo  [Quesnel],  et  je  sais  qu'il  a  compté 
sur  ce  dessein,  comme  sur  une  des  plus  sensibles  con- 
solations qu'il  pouvait  recevoir  sur  la  fin  de  ses  jours, 
et  qu'il  l'a  regardé  comme  un  puissant  secours  que  Dieu 
lui  présentait  pour  se  préparer  à  passer  de  cette  vie  à  une 
meilleure.  Vous  jugez  bien  par  là  qu'il  n'y  a  rien  qu'il 
désire  davantage  que  le  bien  de  se  trouver  auprès  de 
vous,  Monsieur,  et  de  mourir  entre  vos  bras1.  Cepen- 


1.  Petitpied  écrit,  ce  môme  jour,  àson  frère,  M.  Petitpied  de  Vaubreuil, 
qui  craignait  sa  réunion  au  P.  Quesnel  et  l'en  dissuadait  :  «  Jl  n'y  a 
qu'un  seul  lieu  dans  le  monde  qui  me  présente  avec  sûreté  ce  que  la 
piété  et  la  science  peuvent  désirer.  J'y  trouve  un  vénérable  objet,  digne 
de  la  compassion  la  plus  tendre,  à  qui  ma  présence  peut  apporter  beau- 
coup de  joie  et  de  consolation.  Mais,  si  vous  persistez  à  craindre  le  dan- 
ger d'une  telle  liaison,  je  suis  persuadé  qu'il  entrera  dans  vos  vues  et 
qu'il  me  trouvera  quelque  chose  de  convenable.  »  (Lettres  de  M.  Petit* 
pied,  Archives  d'Amersfoort.) 

n  16 


2i2  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER.    QUESNEL 

dant  vous  m'insinuez  qu'il  y  a  des  raisons  qui  com- 
battent ce  dessein,  et  on  m'en  a  déjà  touché  quelque 
chose  d'un  autre  côté.  Si  c'est  un  bien  que  Dieu  ait 
voulu  seulement  me  montrer,  il  faut  bien  lui  en  faire  le 
sacrifice,  et  je  vous  assure,  Monsieur,  qu'outre  l'amour 
que  je  dois  à  sa  volonté  et  la  soumission  à  ses  ordres, 
je  me  sens  à  cet  égard  disposé  à  sacrifier  ma  satisfac- 
tion à  la  vôtre. 

Le  chevalier  [Quesnel]  est  logé  proprement  et  assez 
commodément,  en  bel  air,  à  la  ville  et  à  la  campagne  en 
même  temps.  Que  si  les  raisons  qui  s'opposentau  dessein 
le  font  rompre,  assurez-vous  qu'il  fera  tout  ce  qu'il 
pourra  pour  vous  procurer  autre  chose.  Mais  il  ne  faut 
pas  vous  dissimuler  que  ce  n'est  pas  une  chose  si  facile 
à  trouver  qu'une  personne  qui  vous  prît  en  pension  et 
qui  vous  accommodât.  Chez  un  marchand,  c'est  un  tracas 
de  ménage,  de  négoce,  de  visites,  de  commerce,  de 
parenté,  etc.  Chez  un  pasteur,  autre  sorte  de  commerce, 
de  visites,  de  concours  de  gens,  d'autres  pasteurs,  etc. 
Outre  que,  chez  les  uns  et  les  autres,  leur  manière  de 
se  nourrir  ne  vous  accommoderait  pas.  C'est  ce  qui 
faitquenous  avons  tous  conseillé  à  M.  Del  Pozzo  [Quesnel] 
de  louer  un  logis.  Il  n'a  voulu  s'y  engager  d'abord  que 
pour  un  an,  pour  se  conserver  la  liberté  de  suivre  par- 
tout ailleurs  un  ami  qui  devait  le  venir  joindre,  eu 
cas  que  la  ville,  l'air  ou  autre  chose  ne  l'accommode 
pas.  Mais  je  vois  bien  que  cet  ami  est  devenu  si  lépreux 
qu'il  le  faut  fuir  du  plus  loin  qu'on  le  voit. 

Je  vous  expose,  Monsieur,  tout  cela,  afin  que,  si  vous 
veniez  ici  et  que,  ne  trouvant  pas  où  vous  placer  commo- 
dément et  conformément  à  votre  besoin  présent,  vous 
étiez  obligé  de  retourner  où  vous  êtes,  vous  n'eussiez 
pas  regret  de  vous  être  exposé  aux  difficultés  d'une  nou- 
velle transmigration.  Car  il  y  a  des  façons  pour 
sortir  aussi  bien  que  pour  entrer.  Vous  pouvez  cepen- 
dant  en  essayer.  Ce  serait  toujours    une   grande  joie 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  243 

pour  moi  d'avoir  la  consolation  de  vous  embrasser 
une  fois  en  ma  vie,  et  en  vous  d'autres  amis.  Je  me 
fais  violence  en  vous  exposant  les  difficultés,  et  il 
faut  pourtant  vous  dire,  Monsieur,  pour  en  rabattre 
un  peu,  que  je  ne  désespérerais  pas  de  vous  trouver  à  la 
campagne  un  lieu  sûr  et  où  vous  seriez  bien.  J'en  ai  un 
en  vue,  et  plus  d'un,  quoique  je  n'aie  garde  de  vous 
flatter  d'y  avoir  tous  les  agréments  ettous  les  avantages 
que  vous  goûtez  présentement  chez  la  dame  Mélanie 
d'Holenople1,  et  que  je  sais  qu'elle  sait  assaisonner 
avec  tout  ce  que  l'honnêteté  et  la  charité  ont  de  dou- 
ceurs. 

De  peur  de  vous  en  sevrer,  je  n'ose  presque  vous 
dire,  Monsieur,  veni  et  vide.  Je  le  dis  pourtant,  car  je 
ne  puis  m'en  empêcher  ;  mais  c'est  à  condition  que  vous 
ne  consulterez  pour  l'exécuter  que  la  volonté  de  Dieu 
et  votre  propre  convenance.  Je  voulais  écrire  àMonsieur 
votre  cher  guide  pour  le  remercier  de  la  peine  qu'il  a 
bien  voulu  prendre  pour  vous  conduire  au  port  ;  mais  je 
n'en  ai  pas  le  temps;  vous  y  suppléerez. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux 

5  juin  1705. 

Je  viens  de  recevoir  la  vôtre  du  30  mai  ;  vous  aurez, 
bientôt  après  sa  date,  appris  l'heureuse  arrivée  de  mon 
cousin  G...  [Petitpied],  qui  est  en  bonne  santé.  Nous 
nous  accommodons  fort  bien  ensemble,  et  ce  ne  sera 
pas  sans  violence,  de  son  côté  et  du  mien,  que  nous 
nous  séparerons,  s'il  le  faut. 

J'espère  que  nous  enverrons  aujourd'hui  à  M.  Piazza2 

1.  Mmo  Vaës. 

2.  Ernest  Rulh  d'Ans  écrit  deux  jours  après,  le  7  juin,  à  Mlle  de 
Joncoux  :  «M.  de  La  Place  \Fouillou]  partira  incessamment.  Il  a  reçu 
son  passeport.  »  (Archives  d'Amersfoort,  boite  11.) 


244  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

[Fonillou]  ce  qui  lui  est  nécessaire  pour  s'aller  pro- 
mener et  faire  un  petit  voyage  jusque  chez  M.  le  baron 
Dupuis  [Quesnel],  qui  l'aimera  sans  doute  tendrement. 

Je  n'ai  point  vu  les  dernières  nouvelles  de  Rome. 
Je  les  attends.  Les  précédentes  faisaient  espérer  qu'il 
n'y  aurait  point  de  constitution1;  mais  on  disait  que 
les  évêques  de  l'assemblée  pourraient  écrire  à  Sa  Sain- 
teté et  s'attirer  de  sa  part  quelque  chose.  Il  faut  tout 
abandonner  à  Dieu. 

Ayez  un  peu  de  soin  de  votre  santé,  ma  chère  sœur, 
et  ménagez  un  peu  ce  petit  corps,  en  sorte  qu'il  ne  suc- 
combe pas  au  travail.  Je  suis  tout  à  vous  très  cordiale- 
ment, et  je  vous  prie  de  le  croire.  Est-il  à  propos  de 
relever  ces  deux  libelles,  le  séditieux  et  Y  hérétique?  Ils 
sont  bien  malins.  Peut-être  n'en  parle-t-on  plus.  Qu'en 
pensent  les  amis  ? 


Quesnel  à  Mnc  de  Joncoux 

25  juin  1705. 

J'ai  reçu  la  lettre  du  15  de  la  mère  Gêniez  [Af lle  de  Jon- 
coux], et  j'avais  reçu  celle  du  6  et  le  Plutarque  dont  elle 
m'a  fait  présent.  Je  la  remercie  de  tout  et  je  l'assure, 
avec  votre  permission,  que  je  ferai  tout  ce  qu'elle  me 
recommande  pour  ses  deux  nièces,  qui  sont  toutes  deux 

J.  Louis  XIV  demandait  à  Rome,  depuis  plusieurs  mois,  une  bulle  sur 
le  jansénisme,  destinée,  croyait-on,  à  finir  toutes  les  querelles.  Nous 
suivons,  jour  après  jour,  dans  les  archives  du  quai  d'Orsay,  l'élabora- 
tion diplomatique  de  cette  constitution  Vineam  Domini,  qui  sera  publiée 
le  15  juillet  1705.  Le  cardinal  de  Janson  écrit  au  roi,  le  3  mars  :  «  Sa 
Sainteté  m'a  assuré  qu'on  couperait  la  racine  à  tous  les  subterfuges 
des  jansénistes.  »  «  Le  temps  presse,  répond  Louis  XIV;  je  vous  réitère 
encore  les  mêmes  ordres  que  je  vous  ai  donnés,  afin  que  vous  puissiez 
dire  au  pape  que  vous  ne  recevez  aucune  lettre  de  moi  où  je  ne  vous 
marque  de  renouveler  les  instances  que  vous  lui  avez  déjà  faites  de 
ma  part.  »  (Atf.  étr.,  Rome,  451.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  24S 

fort  bien  nées  et  sont  de  fort  jolies  personnes,  aussi 
sages  que  des  personnes  de  trente  à  quarante  ans1.  Vous 
devez  avoir  reçu  les  quittances  que  l'on  désirait. 

Le  petit  monastère,  où  ces  demoiselles  sont  en  pen- 
sion, est  maintenant  bien  rempli,  et  il  y  a  de  quoi  rem- 
plir les  charges  et  soutenir  le  chœur. 

On  mande  de  Hollande  que  notre  internonce  de 
Bruxelles  est  arrivé  là  et  qu'il  se  nomme  le  comte  de 
Bussi.  Il  a  va  les  ministres  de  la  Haye,  où  il  arriva, 
il  y  a  aujourd'hui  quinze  jours.  Le  19,  leurs  Hautes 
Puissances  résolurent  de  faire  exécuter  le  résultat  qui 
ordonne  aux  jésuites  de  sortir,  si,  dans  le  15  de  ce  mois, 
ils  n'avaient  pas  fait  en  sorte  que  l'affaire  de  M.  de  Sé- 
baste  et  du  clergé  fût  réglée  et  terminée  à  la  satisfac- 
tion du  clergé.  Et  le  20  on  fit  signifier  à  quatre  jésuites 
de  se  retirer,  et  leur  église  fut  fermée.  Au  moins 
l'ordre  en  fut  donné  ce  jour-là,  et  le  jésuite  d'Amster- 
dam n'a  point  dit  la  messe  publiquement.  On  ne  sait 
point  encore  à  quoi  tout  cela  aboutira.  Il  faut  beaucoup 
prier  Dieu  pour  cette  pauvre  Eglise  catholique  de  ces 
pays-là. 

Vous  me  réjouissez  bien,  ma  très  chère  sœur,  de 
m'apprendre  que  votre  santé  est  meilleure.  Travaillez, 
je  vous  prie,  à  la  rendre  tout  à  fait  bonne  ;  ménagez 
vos  forces,  qui  sont  nécessaires  à  votre  famille  et  à  vos 
amis.  Pour  moi,  je  perdrais  plus  que  personne,  si  ma 

1.  Petitpied  avait  alors  quarante  et  un  ans,etFoui]]ou  seulementtrente- 
cinq.  Ils  ramenaient  la  jeunesse  et  la  vie  au  vieil  exilé.  Aussi  l'excel- 
lent Petitpied  mande-t-il  à  son  frère,  à  maintes  reprises,  son  désir  de 
demeurer  à  Amsterdam  :  «  Il  a  préparé  pour  moi  une  belle  chambre, 
dit-il,  que  j'ai  trouvée  toute  meublée  en  arrivant,  avecbeaucoup  de  livres. 
11  a  une  chapelle  fort  propre  où  le  Saint-Sacrement  repose  toujours. 
C'est  une  douleur  si  sensible  pour  lui  de  se  voir  frustré  de  cette  attente 
et  de  sentir  l'éloignement  que  je  lui  ai  témoigné  de  m'établir  avec  lui, 
qu'il  regarde  cet  événement  comme  une  nouvelle  croix.  Je  sens  très 
vivement  que  ce  serait  me  donner  un  ridicule,  si,  par  des  vues 
humaines,  je  me  séparais  d'un  homme  de  ce  mérite.  »  [Lettres  de 
Petitpied,  Archives  d'Amersfoort.) 


246  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

chère  sœur  venait  à  me  manquer.  Ce  n'est  pas  pourtant 
pour  mon  intérêt  que  je  vous  souhaite  de  la  santé,  mais 
afin  que  vous  puissiez  avoir  des  ailes  pour  voler  où  votre 
charité  vous  porte.  Je  crois  que  vous  n'avez  pas  fait 
tenir  à  M.  du  Noyer  ou  à  M.  Delpeche  les  400  livres  men- 
tionnées dans  une  de  vos  lettres,  ni  les  300  livres.  Il  vaut 
mieux  que  vous  les  gardiez,  pour  voir  si  le  change  ne 
sera  point  plus  bas  qu'il  n'est  présentement. 

Dans  la  somme  précédente  provenant  de  mes  revenus, 
vous  marquiez  286  livres  2  sols.  On  ne  m'en  a  compté 
que  270.  Peut-être  que,  depuis  ine  l'avoir  écrit,  vous 
avez  déboursé  quelque  chose  ;  car  vous  m'avez  fait  tenir 
quelques  livres.  Si  vous  ne  vous  en  souvenez  point,  il 
n'y  a  qu'à  n'en  plus  parler.  Adieu,  ma  chère  sœur  et  ma 
très  bonne  amie.  Nos  deux  chapelains  me  sont  dune 
grande  consolation  et  d'un  grand  secours,  et  je  les 
aime  bien. 


Quesnel  à  illllc  de  Jonconx 

26  juillet  1705. 

Il  y  a  deux  ou  trois  jours  que  je  reçus  votre  lettre  du 
10  à  la  campagne,  où  j'étais  avec  mes  deux  neveux1; 
nous  y  avons  passé  douze  ou  treize  jours  fort  doucement. 
Je  ne  doule  pas  que  vous  n'ayez  aussi  trouvé  dans  votre 
retraite  toute  la  douceur  que  cherche  la  piété,  et  que  la 
présence  des  saints  vivants  et  la  mémoire  des  saints 
morts  font  trouver  d'une  manière  toute  particulière 
dans  le  lieu  où  l'esprit  de  Dieu  les  a  formés.  Eh!  à  qui 
tient-il,  ma  chère  nièce,  que  vous  n'alliez  souvent res- 

1.  MM.  Peiitpied  et  Fouillou  avaient  quitté  Amsterdam  avec  le  P.  Ques- 
nel, le  12  juillet,  pour  un  petit  voyage  à  Harlem,  Leyde,  puis  a  une 
maison  de  campagne  où  alla  souvent  le  grand  Arnauld.  «J'occupe  la 
chambre  et  je  couche  dans  un  lit  fait  exprès  pour  lui  »,  écrit  Petitpied 
à  son  frère,  le  1G  juillet  1705. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  247 

pirer  là  un  si  bon  air?  Car  je  suis  persuadé,  aussi  bien 
que  vous,  que  les  grandes  occupations  extérieures, 
quelque  saintes  qu'elles  soient,  ne  laissent  pas  de  dis- 
siper. A  force  de  converser  avec  les  hommes,  on  perd 
cette  facilité  à  converser  avec  Dieu,  qui  se  trouve  dans 
la  retraite.  Je  vous  félicite  donc,  ma  très  chère  nièce, 
du  fruit  que  vous  avez  recueilli  de  votre  séjour  dans  le 
saint  désert1,  et  je  vous  remercie  du  soin  que  vous  avez 
eu  de  nous  y  offrir  au  Seigneur  avec  ces  saintes  colombes 
qui  passent  leur  vie  dans  le  gémissement  et  offrent  à 
Dieu  un  continuel  sacrifice  de  douleur  et  d'amertume. 
Je  leur  suis  bien  obligé  de  leur  souvenir  et  de  leur  cha- 
rité. J'y  ai  toujours  fait  un  grand  fond.  Rien  sur  la 
terre  ne  me  console  davantage  que  de  savoir  que  je 
leur  suis  toujours  intimement  uni  en  Jésus-Christ  et 
que  leur  amitié  n'est  pas  capable  de  m'être  ravie  par 
aucun  événement  humain.  En  leur  considération, 
j'aurais  toujours  été  disposé  à  recevoir  M.  du  Soleil2, 
quoique  la  communauté  soit  présentement  suffisam- 
ment remplie. 

Je  vous  dirai  que  l'on  a  eu  communication  de  l'ins- 
truction envoyée  à  l'internonce  par  le  cardinal  Paulucci3. 
ïl  n'y  a  rien  de  plus  cruel  ni  déplus  calomnieux  contre 
la  réputation  du  prélat.  On  ne  veut  point  entendre  parler 
de  son  rétablissement,  à  quelques  conditions  que  ce 
soit.  On  a  fait  toutes  les  instances  possibles  pour  le 
rétablissement  du  sieur  Gock  ou,  à  tout  rompre,  pour 
un    tiers   qui    soit,  au  jugement  du  seul   internonce, 


1.  Port-Royal-des-Champs,  où  Mlle  de  Joncoux  allait  de  temps  en 
temps  faire  une  retraite. 

2.  M.  Eustace,  le  confesseur  de  Port-Royal-des-Champs,  l'auteur  du 
fameux  Cas  de  Conscience,  était  alors  sous  le  coup  d'une  arrestation 
probable.  Après  être  resté  caché  quelques  mois  à  Paris  même,  il  se 
retira  à  l'abbaye  d'Orval,  où  il  vécut  près  de  douze  ans  encore.  Il  avait 
été  question  de  l'envoyer,  lui  aussi,  rejoindre  le  P.  Quesnel. 

3.  Voilà  pourtant  un  cardinal  que  le  jésuite  Lafitau  nous  présente 
pomme  «  la  douceur  même  »  !  {Réfutation  des  Anecdotes,  p.  112.) 


248       CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

d'une  saine  doctrine  et  d'une  bonne  conduite.  Enfin 
on  y  déclare  qu'à  moins  de  cela  on  laissera  cette  Eglise 
dans  la  confusion  où  elle  est.  Tout  ce  qu'on  fait  espérer 
au  prélat  est  de  le  laisser  comme  il  est  et  de  ne  le  plus 
déchirer,  pourvu  :  1°  qu'il  se  déchire  et  se  noircisse 
lui-même,  en  se  soumettant  positivement  à  la  sentence 
du  pape,  aux  condamnations  et  aux  calomnies  répandues 
contre  lui  dans  les  brefs,  les  lettres  et  les  décrets  publiés 
contre  lui;  2°  qu'il  emploiera  tout  son  crédit  pour  faire 
rétablir  le  sieur  Cock;  3°  qu'il  ne  public  plus  rien 
pour  sa  justification,  etc. 

On  écrit  de  Rome  qu'il  n'y  aura  point  de  constitution. 


Quesnel  à  Mne  de  Joncoax 

6  octobre  1705. 

J'ai  su  d'un  chevalier  Del  Pozzo  [Quesnel]  que  vous 
pouvez  connaître,  qu'il  a  reçu  de  la  révérende  Mère  de 
Gêniez  [MUR  de  Joncoux]  une  lettre  du  25  du  mois 
dernier  (cette  diligence  est  grande)  où  il  n'était  ques- 
tion que  d'affaires  de  famille. 

On  dit  qu'on  transféra,  le  26  du  passé,  au  bois  de  Vin- 
cennes,  un  janséniste1  qu'on  avait  mis  dans  la  citadelle 
d'Amiens.  Voilà  ce  que  c'est  que  de  se  mêler  de  trop 
d'affaires  !  Les  avis  que  l'on  a  donnés  à  M.  Hardi 
[Ernest  Rnlh  d'Ans]  et  au  neveu  de  M.  Jeannot  sont 
bons  pour  l'un  et  pour  l'autre  ;  car  ils  ne  sont  pas  tous 
deux  d'un  caractère  à  bien  conduire  une  affaire  de 
chicane. 

Cette  grande  fille  que  vous  aimez  tant  répond-elle 
bien  à  vos  soins?  En  etes-vous  bien  contente?  Sera- 
t-elle  bien  fidèle  à  Dieu  et  à  ce  qu'elle  lui  a  promis 
dans  le  baptême?  Dieu  veuille  qu'elle  se  souvienne  bien 

1.  Gabriel  Gerberon,  transféré  de  Malines  à  Amiens,  puis  au  donjon 
de  Vincennes,  où  il  demeura  jusqu'en  1710. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        249 

que  le  monde  est  le  plus  grand  ennemi  de  Dieu,  que  ses 
pompes,  ses  vanités,  ses  plaisirs,  sont  des  pièges  que 
le  diable  lui  tend,  et  dont  elle  ne  saurait  se  défendre 
qu'en  les  fuyant  de  tout  son  cœur,  et  en  se  jetant  sou- 
vent dans  le  sein  de  Dieu  et  sous  les  ailes  de  Jésus- 
Christpar  laprière,  par  lalecture  delà  parole  de  Dieu,  par 
de  fréquentes  réflexions  sur  la  vanité  du  siècle,  sur  le 
néant  delà  vie,  qui  n'est  qu'une  vapeur  qui  passe  ;  enfin, 
sur  l'avantage  inestimable  qu'il  y  a  à  être  toute  à  Dieu 
et  à  ne  point  partager  son  cœur  entre  lui  et  les  créatures  ! 
Outinam!  Vous  m'entendez  bien;  mais  ce  n'est  pas  à 
nous  de  former  des  desseins  sur  les  âmes  ;  c'est  à  nous 
de  prier  qu'il  les  fasse  entrer  dans  la  voie  qu'il  leur  a 
marquée  pour  aller  à  lui  et  espérer  qu'il  les  tiendra  et  les 
conduira  toujours  par  la  main  souverainementpuissante 
de  sa  grâce.  Cependant  j'ai  bien  de  la  peine  à  croire  que 
vous  ne  lui  fassiez  chanter  souvent  ces  vers  à'Esther  : 

Que  le  Seigneur  est  bon  !  que  son  joug  est  aimable  î 
Heureux  qui  dès  l'enfance  en  connaît  la  douceur! 
Jeune  peuple,  courez  à  ce  maître  adorable  : 
Les  biens  les  plus  charmants  n'ont  rien  de  comparable 
Aux  torrents  de  plaisirs  qu'il  répand  dans  un  cœur. 


Quesnel  à  MUo  de  Joncoux 

4  décembre  1705. 

Je  voudrais  bien,  mon  cher  cousin,  que  vous  me 
fissiez  un  plaisir.  J'avais  les  Réflexions  du  P.  Ques- 
nel en  quatre  volumes  in-8°,  où  je  faisais  mes  petites 
remarques.  Je  ne  les  ai  plus,  et  je  voudrais  bien  les 
avoir,  pliées,  cousues,  non  rognées,  reliées  en  carton, 
de  la  dernière  édition,  et  avoir  à  part  les  cartons  que 
l'on  a  faits  en  divers  endroits;  car  je  les  avais  aussi. 
Mais  tout  cela  m'a  été  volé.  Je  dois  avoir  dans  une 
armoire,  qui  est  au  logis  de  ma  cousine,  ces  Réflexions 
reliées  en  veau,  dorées,  bien  conditionnées.  Il  faudrait 


250  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

s'en   accommoder,   afin   que  j'aie  ce  que   je  demande 
sans  bourse  délier. 

Je  serais  assez  aise  de  voir  comment  Nosseigneurs 
les  évoques  ont  fait  leurs  mandements1,  pour  la  publi- 
cation de  la  bulle  si  nécessaire  pour  faire  connaître 
combien  est  ardent  le  zèle  de  notre  Saint  Père  le  pape2. 

Le  R.  P.  Le  Fort  [Petitpied]  se  porte  fort  bien  ;  c'est 
un  fort  honnête  homme  qui  sait  vivre,  qui  a  beaucoup 
de  douceur,  de  politesse,  d'agrément,  d'esprit,  de  savoir, 
de  jugement,  et  qui  n'est  point  enflé  de  ses  talents,  ni 
de  sa  science,  quoique  tout  cela,  comme  vous  savez,  se 
trouvant  dans  un  froc,  en  reçoive  ordinairement  quelque 
mauvaise  teinture.  C'est  une  grande  douceur  pour  moi 
de  savoir  seulement  que  je  ne  suis  pas  fort  éloigné  de 
lui  ;  mais,  comme  des  gens  de  communauté  ne  sont 
pas  stables  et  qu'au  premier  ordre  des  supérieurs  il 
faut  qu'ils  décampent,  je  vois  bien  qu'il  ne  faut  pas  que  je 
compte  sur  son  voisinage.  Il  a  des  amis  qui  sont  quel- 
quefois inquiets  à  son   sujet,  et  cette  inquiétude  lui 


1.  La  bulle  fut  reçue  et  publiée  uniformément  dans  tous  les  dio- 
cèses, sauf  à  Saint-Pons,  où  Percin  de  Montgaillard  enregistrait  le  fait 
accompli,  non  sans  restriction. 

2.  La  bulle  Vineam  Domini  arrive  à  Paris,  le  27  juillet.  Le  pape  la 
présente  au  cardinal  de  Janson  comme  «une  porte  honnête  aux  jansé- 
nistes pour  sortir  de  leurs  mauvais  engagements».  Louis  XIV  signale 
seulement,  et  c'est  la  première  note  discordante,  «l'attention  de  la  Cour 
de  Rome  à  profiter  de  toutes  les  occasions  pour  étendre  son  autorité», 
et  le  fait  légèrement  sentir  dans  ses  lettres  patentes  pour  l'enregistre- 
ment, aussi  bien  que  les  évêques  dans  leur  lettre-  de  l'assemblée  du 
clergé  au  pape.  De  là  fureur  et  protestations  de  la  Cour  de  Rome. 
Clément  XI  regarde  la  manière  dont  sa  bulle  a  été  reçue  «  comme 
une  injure  au  Saint-Siège  ».  Une  phrase  des  évêques  :  «  Nous  n'agis- 
sons pas  en  simples  exécuteurs  des  décrets  apostoliques,  mais  nous 
jugeons  et  nous  prononçons  véritablement  avec  le  pape  »,  a  le  don 
de  l'exaspérer.  Et  les  doléances,  les  protestations,  les  brefs  vengeurs, 
enfin  les  attaques  directes  contre  le  livre  des  Réflexions  morales, 
visant  beaucoup  plus  le  cardinal  de  Noailles,  qui  présidait  l'assemblée 
de  170.'i,  que  le  P.  Quesnel  lui-même,  vont  nous  conduire,  de  négocia- 
tions en  négociations,  durant  six  longues  années,  jusqu'à  l'acceptation, 
absolue  de  la  bulle  Vineani,  en  1710, 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUTER    QUESNEL  251 

en  donne  beaucoup  à  lui-même.  Je  suis  sûr  au  moins 
qu'il  n'ira  pas  prêcher  le  carême  Tannée  prochaine. 
Notre  P.  Blancaërt  [Ruffin]{  ne  se  porte  pas  trop  bien. 
Ma  lettre  était  faite,  lorsque  le  P.  Le  Fort  [Petitpied] 
m'est  venu  percer  le  cœur  en  nf  annonçant  qu'il  a  reçu 
une  obédience  qui  l'oblige  à  passer  du  couvent  de  cette 
ville  à  un  autre2.  J'avais  toujours  espéré  que  les  des- 
seins qu'avaient  sur  lui  ses  supérieurs  s'évanouiraient 
et  qu'il  nous  demeurerait.  Mais  je  vois  bien  que  les 
douceurs  de  cette  vie  ne  sont  pas  éternelles,  et  qu'il  ne 
s'y  faut  point  attacher.  La  volonté  de  Dieu  soit  faite! 


Quesnel  à  M.   Petit  pied  de  Vaubreuil* 

28  décembre  1705. 

Monsieur,  vous  connaissez  une  personne  de  grand 
mérite  à  qui  j'ai  une  singulière  obligation.  Elle  m'a 
accordé  de  nouveau  un  bien  que  je  possédais  déjà  par 

1.  Le  P.  Ruffin,  de  l'Oratoire,  chassé  de  ville  en  ville  comme  suspect 
de  jansénisme,  vint  se  réfugier  quelque  temps  près  du  P.  Quesnel,  mais 
fut  obligé  de  quitter  bientôt  Amsterdam,  dont  le  climat  ne  lui  conve- 
nait point. 

2.  Lettre  de  Petitpied  à  M.  de  Vaubreuil,  son  frère,  du  7  décembre  1705  : 
«  Sur  ce  que  vous  me  mandez  et  sur  le  peu  d'assurance  que  je  puis 
me  promettre  ici  du  secret,  j'ai  déclaré  à  ces  messieurs  que  je  les 
priais  de  trouver  bon  que  je  me  retirasse  ailleurs  et  que  je  louasse  une 
maison  daus  quelque  ville  écartée,  pour  y  vivre  dans  la  solitude.  Le 
discours  n'a  pas  été  long,  car  nous  sommes  demeurés  tous  interdits, 
moi  tout  le  premier.  Il  me  parait  qu'il  est  indécent  de  quitter  un  homme 
âgé,  d'une  piété  et  d'un  mérite  singuliers,  qui,  lui-même,  a  tout  quitté 
pour  l'amour  et  le  service  de  la  vérité,  et  de  témoigner  par  là  qu'on  a 
de  la  honte  ou  de  la  peine  de  demeurer  avec  lui,  et  cela  par  égard  pour 
des  gens  qui  ne  le  méritent  pas  et  qui,  assurément,  n'en  sauront  au- 
cun gré.  Je  ne  puis  digérer  cette  circonstance  de  ma  séparation.  » 
(Archives  d'Amersfoort,  boîte  R.) 

3.  Petitpied  de  Vaubreuil,  frère  du  Dr  Petitpied,  était  auditeur 
des  comptes.  Un  grand  nombre  de  lettres  de  lui,  qui  se  trouvent  aux 
Archives  d'Amersfoort,  le  montrent  comme  un  homme  plein  d'esprit 
et  très  attaché  au  parti. 


252  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

sa  bonté  avec  beaucoup  de  plaisir1.  Je  brûle  d'envie  de 
lui  en  témoigner  ma  reconnaissance,  et  ma  reconnais- 
sance même  ne  me  permet  pas  de  nommer  le  bienfait  ni 
le  bienfaiteur.  Vous  n'aurez  pas  de  peine,  Monsieur,  à 
m'entendre  ;  mais  il  ne  vous  serait  pas  si  aisé  de  com- 
prendre combien  je  sens  vivement  ce  bienfait  et  tous  les 
témoignages  de  votre  bonté  pour  moi. 

La  lettre  dont  vous  m'honorâtes,  il  y  a  quelques 
mois,  en  était  toute  remplie,  et  j'en  eus  d'autant  plus 
de  confusion  qu'elle  répondait  à  un  billet  qui  vous  fut 
envoyé  contre  mon  intention  et  qui  était  dans  une 
forme  contraire  au  respect  que  je  dois,  Monsieur,  à 
votre  personne.  Les  sentiments  au  moins  en  étaient 
très  sincères,  et  je  vous  supplie  de  trouver  bon  que  je 
me  prévale  de  la  liberté  que  donne  l'entrée  dans  un 
nouvel  an  pour  vous  les  renouveler,  non  par  coutume  et 
par  cérémonie,  mais  par  l'estime  et  le  respect  que  je  dois 
à  tant  d'exellentes  qualités  que  Dieu  a  mises  en  vous, 
Monsieur,  et  par  le  fidèle  souvenir  des  sentiments  de 
bonté  qu'il  vous  a  inspirés  pour  moi. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux- 

11  février  1706. 

Notre   malade3  est  entré  dans  les  remèdes,  confor- 
mément aux  avis  envoyés.  On  a  commencé  par  trois  sai- 

1.  Petitpied  s'était  enfin  décidé  à  demeurer  avec  le  P.  Quesnel.  Il  se 
plaisait  en  sa  compagnie  beaucoup  plus  que  Jacques  Fouillou,  qui 
écrivait  à  MUl'  de  Joncoux,  le  4  décembre  1705,  croyant  à  la  sépara- 
tion de  Quesnel  et  de  Petitpied  :  «  Je  ne  puis  vous  dissimuler  que 
j'aurais  beaucoup  plus  de  satisfaction  à  demeurer  avec  lui  qu'avec  le 
sieur  Del  Pozzo  [Quesnel].  Celui-ci  est  un  bonhomme,  fort  pieux,  mais 
peu  réjouissant  et  assez  incommode  par  le  caractère  de  son  esprit, 
qui  est  antipode  du  mien.  »  (Amcrsfoort,  boîte  K,  2.) 

2.  Bibl.  nat.,  ms.  19736. 

3.  M.  lîuffi n  avait  reçu,  vingt  mois  auparavant,  un  coup  de  pied  de 
cheval  dans  la  poitrine. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQLIER    QUESNEL  253 

gnées,  et  le  malade  en  pourrait,  en  cas  de  nécessité, 
porter  encore  quelqu'une.  Son  sang  est  vermeil  et  épais  ; 
peu  de  sérosités. 

Il  prit  hier,  10  février,  une  médecine  suivant  l'ordon- 
nance de  M.  Enghart1,  excepté  qu'on  n'y  a  pas  mis 
de  casse,  parce  qu'elle  n'est  pas  à  la  mode  du  pays.  On 
le  purgera  encore  demain,  et  on  tâchera  d'y  mettre  de 
la  casse. 

11  prit  aussi  de  l'opiat  de  M.  Enghart,  et  il  observe 
le  régime  prescrit  par  M.  Hecquet2,  hors  les  lavements, 
dont  il  ne  croit  pas  avoir  besoin,  ayant  le  ventre  libre. 
Nous  espérons  que  tout  cela  le  soulagera  avec  le  temps; 
cependant  il  n'en  a  pas  reçu  jusqu'à  présent  de  soula- 
gement; au  contraire,  il  a  craché  du  sang  comme  aupa- 
ravant, et  il  se  sent  actuellement  autant  et  plus  de 
douleur. 

Il  n'est  guère  possible  de  lui  faire  prendre  au  prin- 
temps du  lait  d'ânesse,  parce  qu'il  n'y  en  a  point  dans 
le  pays;  il  faut  savoir  si  on  pourrait  en  suppléer  le 
défaut  par  quelque  autre  chose,  comme  par  le  lait  de 
vache  ou  de  chèvre.  Ayez  la  bonté  de  voir  s'il  y  a 
quelque  chose  à  faire.  Je  ne  sais  si  l'air  humide  de  ce 
pays  lui  est  bon;  mais  il  est  pourtant  dans  le  meilleur 
air  de  la  ville,  et  je  ne  crois  pas  qu'il  lui  soit  nuisible. 
Ce  malade  vous  présente  ses  respects,  aussi  bien  que 
M.  Gallois  [Petilpied],  qui  a  reçu  votre  dernière  lettre. 

1.  «  Médecin  français  »,  dit  Petitpied  à  MUo  de  Joncoux.  (Lettre  du  19 
février  1706,  Archives  d'Amersfoort,  boîte  11.) 

2.  Philippe  Hecquet,  docteur  de  la  faculté  de  médecine  de  Paris,  suc- 
céda à  M.  Hamon,  comme  médecin  de  Port-Royal,  et  en  conserva  l'esprit 
toute  sa  vie.  Il  fut  appelant  de  la  bulle  Unir/enitus  et  un  fervent  des 
miracles  du  diacre  Paris. 


254  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 


Petitpied  à  Mlle  de  Joncoux1 

22  mars  1706-'. 

Il  n'est  plus  question  de  délibérer  sur  le  parti  que 
doit  prendre  notre  ami  malade3.  Il  Fa  pris,  tout  de  lui- 
même,  paraissant  fort  ennuyé  d'être  ici  et  fort  attristé 
de  son  mal.  Je  vous  avoue  que  je  n'ai  point  approuvé 
son  voyage;  je  crains  pour  lui  la  fatigue  du  chemin 
et  l'inquiétude  du  séjour.  J'aurais  bien  plutôt  été  d'avis 
qu'aux  premiers  beaux  jours  du  printemps  il  eût  été 
prendre  l'air  et  le  lait  dans  une  autre  province  que 
celle-ci.  Je  l'aurais  accompagné  volontiers  à  Utrecht 
ou  en  Gueldre.  Je  n'ai  pas  osé  pourtant  contredire  le 
voyage  qu'il  souhaitait  et  où  d'autres  personnes  ne 
voient  pas  si  grand  risque. 

Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  parti,  il  y  a  eu  samedi 
huit  jours,  ayant  toujours  son  crachement  de  sang. 
Nous  ne  savons  point  ce  qu'il  est  devenu  depuis  ce 
temps-là. 

Il  n'a  point  voulu  souffrir  qu'on  l'accompagnât,  et  il 
n'a  point  donné  de  ses  nouvelles.  Je  ne  m'en  étonne  pas, 
car  il  est  fort  paresseux  à  écrire.  Un  de  nos  amis  seule- 
ment nous  a  dit  qu'il  Tavait  rencontré  à  la  Haye,  mardi 
dernier. 

Au  sujet  de  ce  que  vous  me  mandez  de  M.  Dupuis 
[Quesnel]  et  de  M.  de  La  Place  [Fouillou],  il  y  a  quelque 


i.  Bibl.  nat,  ms.  10736. 

2.  Nous  joindrons  dorénavant  à  la  correspondance  du  P.  Quesnel 
quelques  lettres  de  M.  Petitpied,  qui,  plus  jeune  et  avec  un  tour  d'esprit 
plus  laïque,  donne,  presque  au  jour  le  jour,  à  M11"  de  Joncoux  des 
détails  intimes  et  précis  sur  l'existence  des  trois  exilés,  complétant 
ainsi  le  tableau  d'un  milieu  janséniste  au  xvm°  siècle. 

3.  M.  Itul'fin. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL       255 

chose  de  ce  que  vous  craignez1  ;  mais  c'est  assurément 
peu  de  chose,  par  le  bon  esprit  et  la  pieté  de  l'un  et  de 
l'autre.  Ce  sont  comme  de  légères  pailles  que  le  feu  de 
la  charité  a  bientôt  consumées  et  détruites.  Ils  m'édi- 
fient beaucoup  l'un  et  l'autre,  par  leur  vie  pénitente, 
laborieuse  et  mortifiée,  et  je  n'ai  pas  sujet  de  craindre 
que  la  charité  s'altère  en  eux. 


uc  s  net  a 

19  avril  1706. 

La  calomnie  est  plus  déchaînée,  plus  accréditée, 
plus  puissante  et  plus  insolente  que  jamais;  les  puis- 
sances plus  prévenues  et  plus  animées,  la  vérité  et  la 
justice  plus  abandonnées  de  ceux  qui  sont  plus  obligés 
de  les  défendre.  Les  ennemis  ont  tout  pouvoir,  et  les 
affaires  sont  en  France  dans  un  plus  pitoyable  état  que 
jamais.  Depuis  que  j'ai  publié  Vidée  générale  et  YAna- 
tomie  de  la  sentence,  que  je  ne  donnais  que  comme  un 
préambule,  je  n'ai  pu  rien  faire  davantage  sur  ce  sujet. 
Le  dégoût  de  cette  sorte  de  travail  est  grand;  je  l'aurais 
cependant  surmonté  pour  parcourir  ce  qu'il  y  a  dans 
le  procès  latin  qui  mérite  éclaircissement;  mais  j'ai  eu 
divers  empêchements  qui  ne  m'ont  pas  permis,  jus- 
qu'à présent,  de  me  remettre  à  cette  désagréable 
besogne.  Je  crois,  d'ailleurs,  qu'il   y  en  a  à  peu  près 

1.  Au  sujet  de  ces  nuages  entre  le  P.  Quesnel  et  Fouillou,  ce  dernier 
écrivait,  le  8  janvierl706,  àMlle  de  Joncoux  :  «  Quelque  chose  que  je 
vous  ai  mandée  de  l'humeur  d'un  ami  et  d'une  certaine  tournure  d'esprit 
qui  n'est  pas  de  mon  goût,  tout  va  bien.  L'estime  est  grande  dans  le 
cœur,  et  la  charité  fait  qu'on  ne  manque  à  rien  au  dehors  et  que,  s'il 
échappe  quelque  petite  chose,  tout  cela  est  raccommodé  presque  aussi- 
tôt par  une  mécanique  que  je  vous  laisse  à  deviner.  Au  reste,  cela  est 
rare,  et  Ton  a  soin  d'envoyer  promener  bienloinles  occasions  bilieuses.» 
(Amersfoort,  boîte  K,  2.)  Cette  mécanique  ne  serait-elle  pas  l'excellent 
Petitpied,  fort  aimable  homme,  affectueux,  et  dont  l'abbé  d'Etemare 
disait  :  «  Il  avait  le  talent  de  se  faire  aimer  de  tout  le  monde.  » 


256  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

assez  dans  ces  deux  écrits  pour  décréditer  le  procès.  Je 
crois  que  vous  les  avez  reçus  dans  le  temps  et  qu'on 
vous  aura  aussi  fait  tenir,  depuis  peu,  la  nouvelle 
édition  de  la  Défense  des  théologiens^,  accompagnée  de 
quelques  autres  écrits  dans  le  même  volume. 

Il  ne  contient  rien  qui  soit  de  moi,  et  je  n'y  ai  de 
part  que  le  plaisir  de  vous  le  présenter.  Je  crois  que 
vous  en  serez  content  et  que  vous  y  trouverez  la  vérité 
bien  et  solidement  défendue.  Dieu  veuille  ouvrir  les 
cœurs  et  les  esprits  à  cette  vérité  sainte,  si  cruelle- 
ment persécutée  par  les  hommes! 

Les  pauvres  religieuses  de  Port-Royal  sont  dans  un 
grand  péril  d  être  tout  à  fait  dissipées,  à  l'occasion  de 
la  nouvelle  bulle  qu'on  leur  a  envoyée  et  de  laquelle 
on  veut  tirer  d'elles  une  espèce  d'approbation2.  Priez 
Dieu  pour  elles,  Monsieur,  et  n'oubliez  pas  aussi  mes 
besoins  devant  le  Seigneur,  afin  qu'il  daigne;  me  faire 
profiter  du  peu  de  temps  qui  me  reste  pour  me  rendre 
moins  indigne  de  paraître  devant  lui  et  de  recevoir  sa 
grande  miséricorde. 

Quesnel  à  Mlle  de  Jonconx 

Amsterdam,  28  avril  1706. 

Nous  prierons  Dieu  pour  les  deux  défuntes3.  Il 
semble    que    Dieu    ne  veuille  pas  que  l'on  fasse  une 

1.  Défense  des  théologiens  et  en  particulier  des  disciples  de  saint 
Augustin,  etc.,  par  Jacques  Fouillou.  Ce  livre  fut  condamné  par  un 
décret  du  Saint-Office,  le  17  juillet  1709. 

2.  Elles  ne  reçurent  la  bulle,  le  21   mars,    qu'avec    cette    addition  : 
«  Sans  déroger  à  ce  qui  s'est  fait,  à  leur   égard,  à  la  paix  de  l'Eglise, 

sous  le  pape  Clément  IX.  »  «  La  ruine  de  Port-Royal,  dit  Sainte-Beuve, 
était  renfermée  dans  cette  clause  additionnelle  :  sans  déroger.  »  En  effet, 
nous  voyons  le  roi  lui-même  écrivant  au  cardinal  de  la  Trémoille,  le 
12  juillet  1706,  pour  obtenir  du  pape  «d'éteindre  le  monastère  de  Port- 
Royal-des-Champs  »  (Aff.  étr.,  Rome,  465.) 

3.  Le  prieure  de  Port-Royal,  Françoise-Madeleine  de  Sainte-Julie 
Raudrand,  et  l'abbcsse,  la  mère  Elisabeth  de  Sainte-Anne  Boulard. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  257 

destruction  totale  et  violente  de  la  Viémur  [Port- 
Royal]  ;  mais,  s'il  en  reste  une  étincelle  à  la  mort  du 
destructeur,  elle  pourra  se  rallumer. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoux. 

Lundi,  31  mai  1706. 

Nous  sommes  depuis  quinze  jours  à  une  très  belle 
maison  de  campagne,  à  quatre  lieues  de  notre  demeure 
ordinaire  ;  on  fait  toutes  sortes  d'efforts  pour  nous 
retenir  encore  quelque  temps  ;  nous  y  avons  toute 
liberté  et  le  temps  d'étudier,  comme  chez  nous.  L'air  est 
très  bon  en  ce  lieu-là,  et  nous  nous  y  portons  fort  bien. 

On  fait  grand  fracas,  dans  tout  ce  pays-ci,  d'un  avan- 
tage que  l'armée  des  alliés  a  remporté  près  Judoigne1, 
et  leurs  Hautes  Puissances  ont  ordonné  un  jour  de  fête 
et  d'actions  de  grâces  dans  tout  le  pays.  Ce  sera,  je  crois, 
le  9  du  mois.  Les  catholiques  se  conforment  à  ces  ordres 
et  font  aussi  des  prières  extraordinaires.  Ce  serait  avec 
bien  plus  de  joie,  sites  brouilleries,  qui  continuent  tou- 
jours avec  scandale,  étaient  finies. 

On  dit  que  monsieur  l'ancien  internonce  de  Bruxelles 
y  demeurera  incognito,  pour  tâcher  de  trouver  quelque 
fin  et  pour  convenir  d'une  personne  qui  soit  en  état  de 
remplir  la  place  de  vicaire  apostolique.  On  donne  l'ex- 
clusion à  tous  les  plus  honnêtes  gens  du  pays,  sous 
divers  prétextes  ;  d'un  autre  côté,  le  clergé  donne  l'ex- 
clusion à  un  grand  nombre  d'autres.  Il  est  presque 
impossible  de  trouver  un  homme  agréé  des  deux  côtés. 

Le  secret  échappe  ici  tous  les  jours.  A  l'égard  de 
M.  Gallois  [Petitpied],  il  a  été  reconnu  dans  les  rues 
par  un  libraire  de  Bruxelles,  qui  a  demeuré  deux  ans  à 

1.  Petite  ville  des  Pays-Bas,  à  cinq  lieues  de  Louvain. 

II.  I  7 


â58  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Paris  et  qui  a  un  peu  parlé.  11  y  a  plus  de  vingt  per- 
sonnes qui  le  savent.  M.  Gallois  se  flatterait  en  vain 
du  secret  pour  la  suite.  Je  vois  que  cela  lui  fait  de  la 
peine.  Il  serait  même  fâcheux  pour  lui  que  cela  éclatât 
en  ce  temps-ci. 


Petitpiecl  à  Mlle  de  Joticoux 


28  juin  1706. 


j'ai  reçu  votre  lettre  du  13  juin.  Vous  me  marquez 
d'abord  que  vous  n'avez  aucunes  nouvelles  de  M.  Blan- 
caërt  [Bu/fin].  Je  vous  dirai  que  nous  en  reçûmes,  ven- 
dredi dernier,  avec  des  présents  très  considérables  qu'il 
fait  à  M.  Dupuis  [Quesneï]  d'huile,  d'olives,  de  fleurs 
d'oranges  confites,  de  prunes  de  Brignoles,  etc.  Il  a  vu 
un  médecin  sur  la  route,  qui,  ayant  examiné  son  mal, 
lui  a  cl  i  L  que  c'était  un  abcès  formé  entre  les  côtes  et  lui 
a  prescrit  quelques  remèdes  dont  il  nous  assure  qu'il 
se  trouve  fort  bien.  Les  présents  qu'il  nous  envoie 
viennent  par  un  vaisseau  de  Livourne. 

M.  Pozzo  [Quesnei]  a  fort  bien  pris  la  mauvaise  nou- 
velle que  vous  lui  avez  apprise  et  à  laquelle  il  s'atten- 
dait depuis  longtemps2.  Je  lui  ai  offert,  comme  j'avais 
déjà  fait  à  l'autre  ami,  tout  ce  qui  dépendrait  de  moi; 
je  m'estime  trop  heureux  de  partager  avec  eux  ce  qui 
me  ivstcra,  supposé  que,  comme  vous  me  le  mandez, 
on  n'inquiète  pas  M.  de  La  Roche  [Petilpied]  sur  le  point 
essentiel. 

Je  tâche  de  ne  faire  aucune  dépense  tant  soit  peu  inu- 
tile. Notre  ménage  est  bien  réglé  ;  nous  ne  faisons  qu'un 
petit  ordinaire,  mais  suffisant  et  convenable  à  notre  état 
et  bon  pour  la  santé.  Cependant  nous  dépensons  beau- 

1.  Bibl.  nat.,  ms,  1073(5. 

2.  La  saisie  de  ses  revenus. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIEK    QUESNEL  259 

coup  ;  car  tout  est  ici  extrêmement  cher,  et  Ton  est  fort 
chargé  d'impôts.  Sans  doute  on  vivrait  ailleurs  à  meil- 
leur compte;  mais  on  a  ici  des  agréments  et  des  com- 
modités qu'on  ne  trouverait  point  ailleurs.  De  plus  le 
change  est  énorme,  et  nous  perdons  beaucoup  sur  l'ar- 
gent qu'on  reçoit  de  France.  Je  compte  qu'il  nous 
faut  à  chacun  par  an,  en  ménageant  bien,  sept  ou  huit 
cents  florins.  Il  faut  pour  cela  douze  cents  livres  de 
France.  Pour  notre  dépense  de  Tannée  dernière,  pour  le 
loyer  de  maison,  la  nourriture  et  autres  frais  que  nous 
faisons  en  commun,  nous  devons  chacun  à  M.Lefèvre 
[Brigode],  qui  a  tout  avancé,  cinq  cent  trente  florins. 
Il  faut,  outre  cela,  du  linge,  des  perruques,  des  habits; 
il  survient  des  maladies  :  il  faut  pour  cela  deux  ou 
trois  cents  florins.  Je  vous  fais  ce  détail,  parce  que 
vous  me  l'avez  demandé  et  que  vous  souhaitez  savoir  à 
quoi  montent  nos  dépenses.  Au  reste,  ne  vous  inquié- 
tez point;  je  crois  pouvoir  vous  assurer  que  M.  Pozzo 
[Quesnel]  et  l'autre  ami1  ne  manqueront  de  rien. 


Que  me  l  à  Mne  de  Joncoux 

20  août  1706. 

On  chante  ici  aujourd'hui  un  Te  Deum  pour  la  prise 
de  Menin2;  on  vient  de  recevoir  la  nouvelle  que  Ter- 
monde  a  capitulé  ce  matin,  à  onze  heures,  après  deux 
ou  trois  jours  d'attaque3.  C'était  une  place  forte  et  inon- 
dée ;  mais  il  n'y  a  plus  de  ville  qui  résiste  à  la  manière 
dont  on  les  attaque  aujourd'hui.  On  croit  que  l'on  va 
assiéger  Ath. 

1.  Jacques  Fouillou. 

2.  Par  les  alliés,  après  trois  semaines  de  siège. 

3.  La  ville  fut  prise  par  le  duc  de  Marlborough,  qui  formait  avec  le 
prince  Eugène,  à  la  solde  de  l'Autriche,  et  le  grand-pensionnaire  de 
Hollande,  Heinsius,  un  redoutable  triumvirat  contre  Louis  XIV. 


260  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QTJESNEL 

L'affaire  du  curé  de  Sainte-Catherine  est  entamée  au 
conseil  de  Brabant. 

Vous  désirez  que  j'écrive  au  premier  président1  ;  mais 
je  suis  persuadé  que  cela  ne  fera  rien,  et  puis  ces  sortes 
de  lettres,  où  il  faut  s'expliquer,  font  souvent  plus  de 
mal  que  de  bien.  Je  ne  puis  ramper,  il  faut  que  je  parle 
dans  mon  naturel.  Cependant,  par  déférence  à  votre 
sentiment,  en  voilà  une,  mais  que  je  condamne  au  feu, 
si  elle  ne  vous  plaît  pas,  ou  à  quelque  bon  ami  en  secret. 
Vous  l'examinerez,  s'il  vous  plaît,  et  vous  aurez  la  bonté 
de  m'en  dire  votre  sentiment. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncoiix1 

16  septembre  1706. 

Le  chevalier  [Quesnel],  qui  reçoit  quelquefois  des 
lettres  de  son  pays,  et  même  de  Rome,  m'a  dit  qu'on 
lui  mandait,  du  14  d'août,  qu'on  avait  vu  h  Rome  la 
censure  de  M.  le  cardinal  de  Noailles  contre  la  Théolo- 
gie du  P.  Juénin3  ;  que  M.  le  cardinal  Fabroni  l'a  trou- 
vée trop  douce,  et  il  a  dit  à  un  ami  qu'il  fallait  bien 
autre  chose  à  M.  le  cardinal  de  Noailles  pour  se  purger 
du  soupçon  de  jansénisme.  Il  dit  que,  dans  cette  Théo- 
logie, il  y  a  une  proposition  erronée  sur  la  mort  de 
Jésus-Christ,  contre  laquelle  il  se  récrie  terriblement. 

On  écrit  du  même  lieu,  le  26  d'août,  que,  depuis 
que  ce  cardinal  Fabroni  est   revêtu   de   la  pourpre,  il 

1.  Jl  s'agissait  de  réclamer,  par  l'entremise  du  premier  président 
Achille  de  Harlay,  les  revenus  saisis  du  P.  Quesnel  et  de  son  frère  Guil- 
laume. 

2.  Bibl.  nat.,  ms.   19736. 

3.  Institutions  t/iéotogiques,  par  le  P.  Gaspard  Juénin,  de  l'Oratoire. 
«  On  n'avait  pas  encore  vu  de  meilleure  théologie  scholastique  ;  mais 
l'auteur  y  ayant  glissé  avec  beaucoup  d'art  quelques  erreurs  nouvelle- 
ment condamnées,  son  ouvrage  fut  proscrit  à  Rome,  le  25  septembre  1708.» 
[Nouveau  Dictionnaire  historique.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQTJIER    QUESNEL  261 

déclame  hautement  et  d'une  manière  surprenante  contre 
le  clergé  de  France,  à  cause  de  ce  qu'on  a  fait  dans  la 
dernière  assemblée  pour   la  réception    de   la   bulle  à 
laquelle  il  a  eu  bonne  part1.  Il  fit    dernièrement    un 
grand    discours    à   M.    l'abbé    Chevalier,    député    des 
évoques  pour  l'affaire  de  Lorraine,  qui  allait  prendre 
congé  de  lui.  Ce  cardinal  lui  dit  que  c'était  une  chose 
scandaleuse,  que  les  évêques  de  France  se  fussent  décla- 
rés juges  d'une  affaire  que  Sa  Sainteté  avait  déjà  jugée 
par  sa  bulle,  qu'on  ne  pouvait  pas  ïaire  peggio  à  Genève, 
et  que  tous  les  malheurs  dont  la  France   était  affligée 
étaient  en  punition  de  ce    qu'on  avait   fait    dans  cette 
assemblée  contre  les  droits  et  l'autorité  du  Saint-Siège. 
11  avait  parlé  à  peu  près  dans  les  mêmes   termes  à  un 
domestique  du  cardinal  de  la  ïrémoille2.  Gela  semble 
marquer  qu'on  travaille  auprès  de    Sa  Sainteté  pour 
l'obliger  à  faire  quelque  démarche  éclatante  contre  les 
évêques  de  France.  On  mande  aussi  qu'on  a  été  averti, 
de  bonne  part,  qu'on  travaille  à  Paris  à  obliger  M.  le 

1.  Le  cardinal  Fabroni  était  Fauteur  delà  bulle  Yineam  Domini,  qu'il 
avait  «  dressée  de  concert  avec  les  jésuites  ses  bons  amis>>.  (Du  Vaucel, 
Archives  d  Utrecht,  t.  IX.)  Aussi  sa  fureur  fut-elle  grande  contre  le  cardi- 
nal de  Noailles,  auquel  on  imputa  à  Rome  les  restrictions  de  l'assemblée 
du  clergé  de  1705.  «  Le  cardinal  Fabroni  dit  publiquement  qu'on  trou- 
vera dans  les  Réflexions  morales  de  quoi  punir  le  cardinal  de  Noailles.» 
{Abrégé  chronologique,  de  Nicolas  Legros,  p.  29.)  Nous  revoyons  cette 
même  phrase  dans  les  Annales  pour  servir  (Tétrennes  aux  amis  de  la 
vérité,  par  Adrien  Le  Paige  (p.  171),  et,  deux  ans  plus  tard,  lorsqu'en 
réponse  à  une  lettre  du  cardinal  au  pape  un  bref  condamne  au  feu  le 
livre  du  P.  Quesnel,  Noailles  reconnaît  la  main  qui  dirige  les  coups  : 
«  C'est  un  homme  dangereux,  écrit-il  à  Torcy  à  propos  de  Fabroni  ; 
j'éprouve  déjà  le  ressentiment  dont  il  avait  menacé  par  la  censure  du 
livre  auquel  je  prenais  quelque  intérêt.  »  (AIL  étr.,  Rome,  484.) 

2.  Le  cardinal  de  Janson,  fatigué  et  malade,  ayant  demandé  son  rap- 
pel, laTrémoille,  élevé  au  cardinalat  depuis  quelques  semaines,  le  rem- 
place comme  ambassadeur  à  Rome.  Ce  petit  bossu,  plein  d'esprit,  «  qui 
n'eut  que  la  considération  de  son  emploi  (dit  Saint-Simon),  et  qui 
personnellement  n'en  eut  jamais  aucune  »,  panier  percé,  perdu  d'hon- 
neur et  de  réputation,  mais  bon  homme  au  demeurant,  entre  en  scène 
et  va  s'occuper,  durant  de  longues  années,  de  toutes  les  querelles  reli- 
gieuses et  de  la  fameuse  bulle  Unigenitus, 


262  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

cardinal  de  Noailles  à  condamner  aussi  les  Réflexions; 
du  P.  Quesnel  sur  le  Nouveau  Testament.  Plus  cette 
Eminence  en  accordera  aux  ennemis  de  sa  dignité,  plus 
ils  se  rendront  hardis  à  lui  en  demander  davantage,  au 
préjudice  de  sa  conscience,  de  son  honneur  et  de  la 
vérité.  Voilà  ce  qu'on  croit  et  ce  qu'on  dit  à  Rome. 


Quesnel  à  MUe  de  Joncotix1 

20  septembre  1706. 

Une  personne  bien  informée  écrit  de  Rome  que 
M.  le  cardinal  de  la  Trémoille  reçut,  il  y  a  quelque 
temps,  ordre  de  demander  au  pape,  de  la  part  du  roi, 
la  suppression  du  monastère  de  Port-Royal-des-Champs 
qu'on  veut  unir  à  celui  de  Paris,  à  cause  du  refus  que 
ces  religieuses  ont  fait  de  se  soumettre  purement  et 
simplement  à  la  dernière  constitution  de  Sa  Sainteté 
et  à  l'ordonnance  de  M.  le  cardinal  de  Noailles2.  On 
dit  que  Je  pape  recule  et  qu'il  a  répondu  que  cela 
regarde  M.  l'archevêque  de  Paris,  qui  est  l'ordinaire 
de  ces  filles.  On  assure  que  M.  le  cardinal  a  beaucoup 
de  peine  a  faire  cette  "démarche;  qu'il  a  représenté  au 
roi  et  au  pape  qu'on  ne  doit  pas  pousser  les  choses  si 
loin;  que  ces  filles  sont  toutes  fort  âgées,  ou  malades 
et  infirmes,  et  qu'elles  ne  peuvent  pas  vivre  longtemps; 
que  cependant  il  continuera  de  travailler  à  les  réduire 
à  l'obéissance  par  l'instruction  et  par  d'autres  moyens 
de  douceur;  qu'il  a  surtout  représenté  que,  si  on  les 
excommuniait  et  qu'on  les  privât  des  sacrements, 
comme  certaines  gens  voudraient  qu'il  fît,  ce  serait 
les  réduire   au  désespoir   et  être  cause   de   la  perte  de 

1.  BibUnat.,  ms.  19736. 

2.  Voir  la  note  de  la  lettre  du  19  avril  1706.  Louis  XIV,  en  elfet,  écrit 
en  ce  sens  au  cardinal  de  la  Trémoille,  le  12  juillet  de  la  même  année. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  263 

leur  âme,  et  qu'il  ne  voulait  pas  prendre  cela  sur 
son  compte.  On  craint  tout  du  pape,  qui  est  absolument 
gouverné  par  les  jésuites.  Et  moi,  j'espère  beaucoup  et 
de  la  bonté  de  M.  le  cardinal-archevêque  et  de  la  piété 
et  clémence  duroi.Si  Sa  Majesté  connaissait  la  sainteté 
de  ce  monastère  et  le  zèle  avec  lequel  on  y  prie  pour 
attirer  sur  elle  les  bénédictions  du  ciel,  je  suis  assuré 
quelle  les  comblerait  de  biens  et  les  honorerait  de  sa 
royale  protection.  Malgré  leurs  ennemis,  la  postérité 
les  regardera  comme  des  saintes,  et  ce  ne  sera,  ni  pour 
le  pontificat  d'aujourd'hui  ni  pour  le  règne  présent,  un 
événement  louable  d'avoir  ruiné  le  monastère  peut- 
être  le  plus  saint  qui  soit  dans  l'Eglise.  Il  est  déjà  plus 
qu'à  demi  ruiné,  et  Dieu  veuille  qu'en  fermant  des 
bouches  dont  les  prières  sont  si  agréables  à  Dieu  et  en 
empêchant,  comme  on  a  fait,  la  multiplication  de  ces 
saintes  filles,  on  n'ait  pas  ôté  à  la  France  et  à  son 
grand  monarque  une  protection  auprès  de  Dieu,  qui 
aurait  peut-être  épargné  au  royaume  de  grandes  dis- 
grâces ! 


Quesnel  à  Ml]e  de  Joncoux1 

22  octobre  1706. 

Je  vous  trouve  admirable,  mon  cher  enfant,  de  traiter 
de  piété  trop  subtile,  dont  vous  ne  vous  sauriez  accom- 
moder, la  morale  de  l'Evangile  toute  pure.  J'ai  peur 
que  vous  ne  lisiez  pas  assez  l'Evangile  et  que  vos  occu- 
pations ne  vous  accablent  ;  mais  remettons  la  prédi- 
cation à  un  autre  temps,  et  parlons  d'autre  chose. 

Une  petite  histoire  pour  vous  divertir:  M.  le  cardinal 
de  la  Trémoille  pria  dernièrement  à  dîner  deux  jésuites 
français.  Il  leur  fit  bonne  chère  et  bonne  mine,  à  son 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19136, 


264  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

ordinaire  ;  mais,  avant  qu'ils  prissent  congé  de  Son 
Eminence,  elle  leur  dit  qu'il  était  surpris  que  le  P.  de 
La  Chaise  lui  eût  toujours  été  si  contraire,  qu'il  n'avait 
obligation  de  ses  deux  abbayes  et  du  chapeau  qu'au 
roi  et  à  M.  de  Torcy.  Les  jésuites,  fort  surpris  d'un 
pareil  compliment,  répondirent  qu'il  fallait  que  Son 
Eminence  eût  été  mal  informée  ;  mais  le  cardinal 
répliqua  qu'il  savait  bien  ce  qu'il  disait,  et  que  sa 
nouvelle  dignité  l'avait  mis  en  état  de  leur  parler 
librement1. 

Je  remarque  qu'au  frontispice  des  Réflexions,  de  l'édi- 
tion de  1705  (je  crois  qu'il  n'y  en  a  pas  de  plus  récente), 
il  y  a  :  Et  approuvé  par  S.  E.  Mgc  le  cardinal  deNoailles, 
archevêque  de  Paris.  Il  me  semble  que  cela  n'était 
pas  aux  précédentes  et  est  remarquable  dans  les 
conjonctures  présentes;  car  je  ne  crois  pas  que  le 
libraire  eût  osé  le  faire  sans  ordre.  Il  serait  même  de 
quelque  utilité  de  le  savoir.  Vous  avez  toujours  craint 
que  cet  éminentissime  approbateur  n'abandonnât  le 
livre.  J'espère  qu'il  ne  le  fera  pas,  et  cette  démarche, 
ou  soufferte  ou  ordonnée,  en  est  un  témoignage. 


Quesnel  à  Guillaume  Quesnel 

24  octobre  4706. 

Je  ne  vous  écris,  mon  très  cher  frère,  que  pour  vous 
prier  de  ne  pas  interpréter  à  indifférence  le  silence  que 
je  garde  à  votre  égard.  Je  suis  très  sensible  à  la  peine 

1.  Nous  relevons,  dans  les  Anecdotes  secrètes  (I,  2,  139),  une  aventure 
assez  plaisante  arrivée  au  cardinal  de  la  Trémoille.  La  réputation  de 
janséniste  lui  fut  faite  à  Rome,  du  jour  au  lendemain,  à  la  suite 
d'une  collation  donnée  en  carême  :  «  Le  cardinal  de  la  Trémoille  crut 
que  le  chocolat  était  un  liquide  un  peu  trop  épais  pour  en  servir  en 
carême  Taprès-dîner,  et  se  contenta  de  faire  présenter  des  eaux  pré- 
parées en  diverses  façons.  Il  en  fut  fort  loué  des  honnêtes  g-ens  ;  mais 
quelques  personnes  persuadèrent  au  pape  que  c'était  une  idée  jansé- 
nienne  de  prétendre  que  le  chocolat  rompait  le  jeûne.  » 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        265 

que  vous  peut  faire  l'état  où  vous  êtes,  et  je  n'ai  garde 
d'oublier  que  c'est  pour  moi  que  vous  souffrez,  ni  de 
laisser   éteindre    dans    mon  .  cœur  les    sentiments    de 
reconnaissance  que  je  vous  en  dois  toute  ma  vie1.  Je 
vous  plaindrais  davantage,  si  vous  n'aviez  point  d'autre 
récompense  qu'une  reconnaissance  aussi  stérile  que  la 
mienne,    et    qui    n'est   stérile   que  parce    qu'elle    est 
impuissante;  mais,  comme  vous  ne  m'avez  pas  seule- 
ment   considéré   dans   ce    que  vous   avez  fait,  et  que 
vous  avez  joint  et   rapporté  à  la  vérité  souveraine  et 
à  la  gloire  de  Dieu  les  raisons  du  sang    et  de  l'amitié 
qui    vous     ont    fait    agir,    ce    qui    est    promis    dans 
l'Evangile   à    ceux    qui    souffrent    pour  la  justice    et 
pour    l'Evangile   môme   vous  est  acquis  par  ce   titre. 
Ce    doit    être    là    votre    consolation   dans    votre    exil 
et  votre   prison  volontaire.  Tout  cela  passera  avec   le 
siècle,    et  le  retour  dans  notre  véritable  patrie,  où  la 
liberté  nous  sera  rendue  au  centuple,  nous  dédomma- 
gera abondamment  de  tout.    Cependant  il  ne  faut  pas 
négliger  des  soulagements  temporels,  et  je  désire  fort  de 
savoir  s'il  ne  vous  manque  rien  et  si  vous  êtes  pourvu 
à  votre  subsistance  ;  et,  si  on  ne  l'avait  pas  fait,  je  trou- 
verais bien  moyen  d'y  pourvoir;  car,  si  je  ne  suis  pas 
assez  fort  ni  assez  vigoureux  pour  bêcher  la  terre,  au 
moins  je  n'aurai  jamais   honte  de  mendier  pour  vous, 
et  il  y  aura  bien  du  malheur  si  je  ne  réussis  pas.  Quand 
donc    vous  aurez  besoin  d'argent,   vous  n'aurez    qu'à 
prier  la  personne  qui  vous  a  mis  où  vous  êtes  de  vous 
le    faire   tenir,  et  j'aurai  soin  de  la  faire  rembourser 
sans  délai.  C'est  parler  bien  hardiment  pour  un  gueux; 
mais  la  Providence  n'est  pas  pauvre,  et  ses  trésors  sont 
pour  ceux  qui  ont  confiance  en  elle. 

1.  A  son  retour  de  Bruxelles,  où  il  était  allé  au  moment  de  l'empri- 
sonnement de  son  frère,  on  refusa  de  reprendre  Guillaume  Quesnel 
comme  supérieur  de  l'Oratoire  d'Orléans,  et  il  vécut  caché  pendant 
plusieurs  années. 


2G6  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

J'ai  écrit  à  une  personne  de  grande  distinction,  pour 
lui  représenter  votre  innocence  et  pour  tâcher  de  vous 
faire  avoir  mainlevée  de  votre  revenu  et  la  liberté  du 
pavé  du  roi.  Je  ne  sais  encore  ce  qu'on  fera  de  cette 
lettre,  ni  si  elle  opérera  quelque  chose.  J'en  ai  même 
écrit  aussi  à  une  autre  personne  ;  mais,  comme  les 
temps  sont  fâcheux  et  les  puissances  prévenues,  on  ne 
se  peut  rien  promettre.  Quand  on  aura  fait  tout  ce 
qu'on  peut  humainement,  il  faudra  croire,  encore  plus 
qu'auparavant,  que  c'est  la  volonté  de  Dieu  que  rien 
ne  réussisse,  et  qu'il  aime  mieux  que  nous  l'honorions 
par  la  privation  de  la  liberté  dont  les  autres  jouissent 
et  par  le  dénûment  de  nos  propres  biens  que  par  la  jouis- 
sance de  la  liberté. 

Le  changement  qui  est  arrivé  en  Brabant  pour  les 
affaires  d'Etat  en  a  aussi  apporté  dans  celles  de  l'Eglise. 
Les  exilés  sont  rentrés  dans  leurs  droits  :  M.  Ernest 
Ruth  d'Ans  dans  sa  résidence,  le  curé  de  Sainte-Cathe- 
rine dans  la  sienne,  mais  non  paisiblement  ;  l'arche- 
vêque l'a  interdit. 

On  prétend  que  le  P.  Quesnel  doit  aussi  poursuivre 
la  cassation  de  la  sentence  de  cet  archevêque.  Il  a  été 
bien  aise  de  laisser  faire  la  planche  à  d'autres;  il 
pourra  ensuite  suivre  la  même  route,  si  la  conjoncture 
demeure  toujours  aussi  favorable.  Elle  le  sera,  tant 
que  les  Etats  généraux  y  auront  autorité.  Je  ne  sais  si 
le  comte  de  Zinzendorf,  qui  va  à  Bruxelles  pour  y 
agir  au  nom  du  roi  Charles  XIII,  n'y  brouillera  rien. 
L'Eglise  de  Hollande  est  loujours  dans  le  trouble,  tou- 
jours sans  gouvernemcmt. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  267 


Quesnel à  M"e  de  JoncouxA 

On  est  fort  en  colère  à  Rome  (on  bien  on  fait  sem- 
blant de  l'être)  contre  le  cardinal  Gualtieri2,  parce  qu'il  a 
donné  la  main  et  le  pas  aux  enfants  légitimés  de  France. 
On  croit  qu'il  la  fait  avec  permission  du  pape,  à  con- 
dition que  Sa  Sainteté  pourrait  le  désavouer,  comme 
elle  fait.  Voilà  la  comédie;  le  monde  en  est  plein. 


Quesnel  à  Mile  de  Joncoux 

4  novembre  1706. 

Je  vous  prie,  mon  très  cher  ami,  de  me  faire  un  plai- 
sir :  c'est  de  faire  relier,  le  plus  proprement  qu'il  se 
peut,  en  veau  doré  sur  tranche,  avec  tout  ce  qu'on  a 
coutume  d'y  mettre  d'ornements,  les  Réflexions  sur  le 
Nouveau  Testament,  en  autant  de  volumes  qu'on  les  peut 
partager  (c'est  Fin-S0  de  la  dernière  édition).  C'est  pour 
un  médecin  anglais  qui  demeure  à  Londres3,  et  dont 
j'ai  acquis  la  connaissance  et  l'amitié.  Il  n'a  pas  qua- 
rante ans  et  n'est  point  encore  marié  ;  il  écrit  fort  bien 
en  français,  à  quelques  mots  près.  Il  paraît  avoir  delà 
politesse  et  un  bon  cœur.  Ayant  lu  les  Provinciales,  il 
comprit  qu'il  y  avait  une  bonne  et  une  mauvaise  morale, 
et  se  mit  à  étudier  sa  religion  [catholique)  et  à  vouloir 
vivre  dans  la  pratique  de  ses  devoirs,  par  cette  pensée 

1.  Bibl.  nat.,  ms,  19736. 

2.  Le  cardinal  Gualtieri  était  le  plus  zélé  partisan  de  la  France  dans 
le  Sacré  Collège.  Lin  mémoire  sur  les  cardinaux,  envoyé  par  notre  amba- 
sadeur  en  1708,  le  présente  comme  «  un  galant  homme,  capable  d'affaires, 
mais  que  le  pape  et  les  Allemands  ne  peuvent  souffrir,  parce  qu'il  a 
paru  attaché  à  la  cour  de  France.  »  (Aff.  étr,,  Rome,  494.) 

3.  M.  Schort, 


'268  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

que,  d'être  rebuté  en  ce  monde  comme  catholique  et 
damné  dans  l'autre  comme  mauvais  catholique,  c'était 
un  peu  trop  perdre.  Il  lut  les  livres  des  défenseurs  de 
la  grâce  et  en  est  devenu  un  grand  amateur.  Il  fit  tra- 
duire la  prière  de  M.  de  Haute-Fontaine  (en  anglais) 
pour  obtenir  une  véritable  conversion,  et  quantité  de 
personnes  commencèrent,  dit-il,  à  ouvrir  les  yeux  et 
sur  la  grâce  et  sur  l'état  présent  de  l'Eglise,  parmi  les 
grands  et  parmi  ceux  de  sa  profession,  auprès  desquels 
il  a  trouvé  plus  de  facilité  qu'il  ne  croyait  pour  y  avoir 
accès  et  les  fréquenter.  11  m'a  marqué  aussi  que  Dieu 
le  bénissait  d'une  pratique  extraordinaire.  Il  a  lu  une  par- 
tie de  ce  que  le  P.  Quesnel  a  publié,  et  il  en  a  été  touché. 
Enfin  il  lui  a  écrit  et  il  lui  a  ouvert  son  cœur,  comme 
il  aurait  pu  faire  à  un  ancien  ami.  Il  lui  a  offert  un 
petit  présent,  craignant  qu'il  ne  fût  dans  le  besoin, 
quoiqu'il  ne  sût  encore  rien  de  la  saisie  et  qu'elle  ne 
fût  pas  faite.  Enfin  il  l'a  forcé  de  recevoir  une  lettre 
de  change  de  trente  pistoles  qu'il  lui  a  envoyée.  Il  a 
père  et  frères,  et  vit  seul,  ayant  perdu  une  sœur  qui 
tenait  son  ménage.  Or  il  me  mande  qu'il  a  vu  autre- 
fois, entre  les  mains  de  M.  de  Lionne,  évoque  de  Rosa- 
lie, une  belle  édition  des  Réflexions  du  P.  Quesnel  sur 
le  Nouveau  Testament,  reliée  en  huit  volumes,  et  il  me 
la  demande  fort  honnêtement,  et  je  suis  bien  aise  de 
lui  en  faire  présent. 

Il  y  a  plusieurs  années  qu'un  Père  de  la  mission  polo- 
naise, passant  à  Mons  en  revenant  de  l'assemblée  géné- 
rale de  leur  congrégation,  dit  qu'on  avait  traduit  en 
polonais  ces  Réflexions  ;  je  ne  sais  si  on  dit  aussi  qu'elles 
fussent  imprimées.  Un  ministre  luthérien  allemand  en 
a  aussi  entrepris  la  traduction  en  allemand;  je  ne  sais 
si  elle  est  achevée  et  imprimée.  Vous  voyozqu'à  mesure 
que  le  monde  les  veut  supprimer  en  France,  Dieu 
semble  vouloir  les  faire  imprimer  partout  et  en  toute 
langue.  On  avait  commencé  de  les  imprimer  en  flamand  ; 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        269 

mais  l'imprimeur,  n'étant  pas  content  de  la  traduction, 
n'a  pas  continué.  Elles  sont  imprimées  en  latin,  à  Lou- 
vain.  Dieu  soit  loué  de  tout,  et  qu'il  daigne  nous  faire 
la  grâce  de  ne  regarder  et  de  ne  chercher  en  tout  cela 
que  sa  gloire  ! 

M.  Humblot  sera  bien  aise  de  savoir  qu'il  y  a  à  Londres 
un  homme  de  son  métier  qui  aime  la  vérité. 

A-t-on  donné  un  autre  confesseur  à  nos  bonnes  reli- 
gieuses1? 


Quesnel  à  M.  delà  Querre2,  à  l'Oratoire  de  Toulouse 

4  novembre  1706. 

Permettez-moi,  Monsieur,  de  vous  écrire  au  moins 
encore  cette  fois  avant  que  de  mourir.  Depuis  trois  ans 
que  j'ai  recouvré  la  liberté  par  une  protection  toute  par- 
ticulière de  Dieu,  j'ai  toujours  eu  dans  le  cœur  le  désir 
de  me  donner  cet  honneur,  et  je  ne  sais  comment  j'ai 
pu  être  si  longtemps  sans  le  faire  ;  car  je  ne  vous  ai 
point  perdu  de  vue,  et  j'ai  aussi  cette  confiance  que  les 
portraits  hideux  que  l'on  a  faits  de  moi  ne  vous  ont 
point  fait  de  peur,  parce  que  vous  ne  m'y  aurez  pas 
reconnu.  Grâces  à  Dieu,  sa  miséricorde  ne  m'a  point 
abandonné  jusqu'au  point  que  de  manquer  à  la  soumis- 
sion que  je  dois  aux  vérités  qu'il  a  révélées  à  son  Eglise, 
ni  au  respect  dû  aux  puissances  qui  gouvernent  l'Eglise 
et  l'Etat.  C'est  à  quoi  se  réduisent  les  calomnies  répan- 
dues contre  moi,  et  je  crois  que  si  vous  avez  vu,  Mon- 

1.  Depuis  la  mort  de  leur  confesseur,  M.  Marignier,  qui  avait  suc- 
cédé à  M.  Eustace,  les  religieuses  n'avaient  qu'un  jeune  et  modeste 
prêtre,  M.  Havart,  tout  dévoué  à  Port-Royal.  11  leur  fut  enlevé,  en  1707, 
par  le  cardinal  de  Noailles,  et  remplacé  par  un  vicaire  de  Paris,  M.  Polie!, 
qui  débuta  en  leur  refusant  les  sacrements. 

'1.  Cette  lettre  n'a  été  envoyée  qu'au  commencement  de  janvier  1707. 
(Note  du  ms.  19736  de  la  Bibliothèque  nationale.) 


270  CORRESPONDANCE    DE    PASQIÎIER    QUESNEL 

sieur,  le  Motif,  Vidée  et  Y Anatomie,  vous  m'aurez  estimé 
suffisamment  justifié  de  ces  accusations  ;  car,  pour  celle 
de  cabale,  elle  est  si  puérile  qu'un  homme  raisonnable 
n'y  fera  pas  seulement  attention.  Mais  oublions  tout 
cela,  et  permettez-moi  d'espérer  que  j'aurai  toujours 
quelque  part  à  l'honneur  de  votre  amitié,  comme  je 
me  suis  flatté  d'y  en  avoir  eu  avant  cette  tempête.  Sur 
ce  pied-là,  vous  me  croirez  obligé  de  vous  dire  com- 
ment je  me  trouve.  Grâces  au  Seigneur,  je  me  trouve 
très  bien,  en  fort  bonne  santé  pour  le  corps,  très  con- 
tent et  dans  une  grande  paix  pour  l'esprit,  persuadé 
que  ce  que  Dieu  a  permis  qui  me  soit  arrivé  est  pour 
sa  gloire  et  pour  mon  salut.  Il  ne  dérange  rien  mal  à 
propos,  et  ce  qui  paraît  aux  yeux  des  hommes  un  ren- 
versement d'ordre  en  est  souvent  le  rétablissement  véri- 
table, parce  que  souvent  nous  nous  écartons  de  l'ordre 
de  Dieu,  en  prenant  pour  nous-mêmes  une  situation 
éloignée  de  ses  desseins  et  en  réglant  nos  affaires  autre- 
ment qu'il  l'a  ordonné  dans  les  conseils  de  sa  souveraine 
sagesse. 

11  m'a  fait  connaître  à  moi-môme  en  me  laissant 
faire  beaucoup  de  fautes  contre  la  prudence,  qui  ont 
causé  des  disgrâces  à  mes  meilleurs  amis.  J'avais  atta- 
chement à  mes  papiers,  et  il  m'en  a  détaché  en  permet- 
tant qu'on  me  les  ait  enlevés.  J'ai  mal  usé  de  ma  liberté, 
et  c'est  peu  de  chose  d'en  avoir  été  privé  pour  si  peu 
de  temps.  Le  petit  commerce  que  j'avais  avec  peu 
d'amis  m'était  une  grande  douceur,  et  il  m'est  mainte- 
nant interdit;  et  j'avoue  que  je  compte  peu  tout  le 
reste  en  comparaison  de  cetle  privation.  On  m'avait 
donné  dans  le  monde  une  réputation  que  j'étais  bien 
éloigné  de  mériter;  il  était  juste  qu'elle  fût  déchirée 
en  pièces,  et  je  n'ai  rien  à  dire.  Dieu  me  traite  avec 
trop  de  bonté;  car  ce  qu'il  semble  m'ôter  d'une  main, 
il  me  le  rend  de  l'autre,  au  moins  en  partie,  puisqu'il 
me  donne  la  liberté,  le  repos,  des  amis  et  beaucoup  plus 


Correspondance  de  p-asquîer  qùesnel  271 

de  douceurs  que  je  n'en  mérite.  De  sorte  que  ma  joie 
pourrait  être  entière,  si  les  maux  de  F  Eglise  et  de 
l'Etat  n'étaient  trop  grands  pour  ne  pas  causer  à  mon 
cœur  toute  l'amertume  que  doit  sentir  un  fidèle  enfant 
de  l'Eglise  et  un  bon  Français.  Pour  ceux  de  l'Eglise, 
il  y  en  a  de  bien  des  sortes  :  cette  désertion  si  géné- 
rale des  docteurs  et  des  pasteurs,  qui  abandonnent  ou 
combattent  la  vérité  et  l'innocence,  et  les  laissent  en 
proie  à  ceux  qui  en  sont  les  ennemis,  et  les  faux  témoi- 
gnages que  l'on  force  de  rendre  contre  elle  ceux  que 
l'on  sait  qui  rendraient  hautement  témoignage  en  leur 
faveur,  s'il  n'y  avait  rien  à  craindre  de  la  part  du  monde. 
La  crainte  ne  glace  pas  seulement  le  cœur,  elle  répand 
aussi  des  nuages  dans  l'esprit  et  lui  fait  souvent  voir 
les  choses  autrement  qu'elles  ne  sont,  et  lui  fait  for- 
mer des  jugements  tout  différents  de  ceux  qu'on  a  faits 
dans  un  temps  plus  tranquille  ou  lorsqu'on  était  au- 
dessus  des  craintes  humaines. 

Il  semble  qu'il  en  soit  de  la  cour,  des  grands  du 
monde,  comme  des  maisons  où  il  revient  des  esprits. 
On  se  hasardera  de  coucher  dans  une  telle  maison  avec 
une  nombreuse  compagnie.  On  aurait  peine  à  le  faire 
avec  deux  ou  trois  personnes.  Mais,  d'y  demeurer  seul, 
c'est  ce  que  personne  ne  fera,  sinon  peut-être  un  athée 
qui  ne  craint  rien,  parce  qu'il  ne  croit  rien,  ou  un 
homme  qui  ne  craint  que  Dieu,  parce  qu'il  n'aime  que 
lui,  et  que  sa  foi  et  son  amour  lui  donnent  parfaite  con- 
fiance en  sa  protection.  Ainsi  tel  évêque  sera  assez  cou- 
rageux pour  parler  avec  vingt  autres  en  faveur  de  la 
vérité  et  de  Finnocence,  qui  ne  le  fera  qu'en  tremblant, 
si  toutefois  il  le  fait,  avec  un  petit  nombre.  Mais,  pour 
parler  seul,  quelque  persuadé  qu'on  soit  de  la  vérité 
ou  de  la  justice,  il  faut  être  un  Athanase,  un  Hilaire, 
un  Basile,  un  Grégoire  de  Tours,  un  évoque  dAleth,  de 
Pamiers,  de  Beauvais,  d'Angers;  car,  quoique  ces  der- 
niers n'aient  pas  parlé  seuls,  chacun  d'eux  Faurait  fait, 


272  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

s'il  s'était  trouvé  abandonné  de  tous  ses  confrères. 
J'eus  une  grande  consolation,  quand  je  vis  la  lettre 
d'un  digne  prélat  de  vos  quartiers1,  où  il  ne  rougissait 
point  de  rendre  témoignage  à  la  vérité.  Et,  quoiqu'il 
fut  seul  qui  parlât,  sa  voix  néanmoins  faisait  entendre 
de  nouveau  celle  de  ces  grands  évoques,  dont  le  témoi- 
gnage éclatant  fit  tant  de  bruit  dans  l'Eglise  qu'il  fit  ces- 
ser celui  des  ennemis  de  la  vérité  et  étouffa  la  voix  de 
la  calomnie.  J'espère  que  ce  généreux  prélat  soutiendra 
jusqu'à  la  fin  un  si  beau  témoignage  et  qu'il  ne  cessera 
point  de  prêter  sa  voix  à  ses  illustres  confrères,  qui  ne 
peuvent  plus  parler  qu'à  Dieu  pour  la  vérité  et  l'in- 
nocence. 


Qiœsnel  à  M.  Schort,  à  Londres 

6  novembre  1706. 

J'ai  différé,  Monsieur,  de  répondre  à  votre  lettre  si 
obligeante  et  si  libérale,  pour  pouvoir  vous  dire  que  la 
lettre  de  change  que  vous  avez  eu  la  bonté  de  m'en- 
voyer  a  été  payée  exactement  ces  jours  passés,  quoiqu'elle 
fût  à  deux  jours  de  vue.  On  donne  toujours  quelque 
temps  de  plus,  selon  la  coutume.  J'ai  appréhendé  de 
vous  faire  de  la  peine,  si  je  n'acceptais  pas  ce  que 
vous  m'offriez  de  si  bon  cœur;  mais  je  vous  prie,  encore 
un  coup,  que  ce  soit  pour  la  dernière  fois,  et  soyez,  s'il 
vous  plaît,  persuadé  que,  connaissant  comme  je  fais  la 

1.  M.  Percin  de  Montgaillard,  évêque  de  Saint-Pons,  écrivit  à  Fénelon 
une  lettre  fort  vive,  défendant  le  silence  respectueux  et  son  mandement 
sur  l'acceptation  de  la  bulle  Vineam,  qui  l'avait  fait  traiter  par  l'ar- 
chevêque de  Cambrai  de  «  revancheur  banal  de  la  morale  sévère  ».  Son 
mandement  et  ses  écrits  furent  condamnés  à  Rome,  en  1709:  mais, 
selon  le  mot  de  son  amie,  la  marquise  d'Huxelles,  «  la  flétrissure  ne 
l'amollira  pas  »,  et  il  pourra  s'écrier,  avec  juste  raison  :  «  J'ai  parlé  en 
bon  catholique  et  en  évêque  français.  »  (Ail*,  étr.,  Home,  512.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        273 

bonté  de  votre  cœur,  j'ai  dès  maintenant  toute  la 
reconnaissance  possible  que  j'aurais  pour  un  présent 
royal.  Je  me  plains  cependant  de  ce  que  vous  avez 
passé  la  mesure  que  vous  m'aviez  marquée  :  c'était  bien 
assez. 

Je  bénis  Dieu,  Monsieur,  de  tout  ce  que  je  vois  qu'il 
a  mis  de  bien  en  vous,  et  de  ce  qu'il  vous  a  conduit  à 
la  connaissance  de  sa  vérité  et  vous  en  a  donné  l'amour. 
Les  Provinciales,  dont  il  s'est  servi  pour  cela,  est  un 
excellent  livre.  Vous  savez  que  feu  M.  Nicole  lésa  tra- 
duites en  un  très  beau  latin  et  y  a  fait  des  notes  fort 
savantes  et  très  utiles,  sous  le  nom  de  M.  Wendrock. 
Une  demoiselle  de  mes  amies  de  Paris  les  a  traduites 
en  français  très  bien,  et  il  serait  à  souhaiter  que 
quelqu'un  les  traduisît  en  anglais. 

Vous  avez  entendu  parler  du  monastère  de  Port- 
Royal-des-Champs.  Ces  bonnes  religieuses  (dont  les 
jésuites,  à  moins  d'un  miracle,  vont  faire  ruiner  le 
monastère)  avaient  un  excellent  médecin  qui  y  demeu- 
rait. C'était  un  vrai  saint  et  d'une  pénitence  étonnante. 
Il  est  mort  en  odeur  de  sainteté.  Il  était  docteur  de 
Paris  et  très  habile.  J'en  ai  connu  un  autre,  maisjeune, 
et  aussi  docteur  en  médecine  de  Paris,  que  j'avais  con- 
fessé dans  sa  jeunesse,  qui  quitta  tout  pour  aller  ser- 
vir dans  une  abbaye  du  pays  de  Luxembourg,  nommée 
Orval,  où  Ton  vit  comme  à  l'abbaye  célèbre  de  la  Trappe. 
Il  est  mort  à  Orval  depuis  quelques  années;  il  y  vivait 
comme  un  religieux  en  habit  séculier  et  servait  les 
pauvres  malades  des  environs.  Enfin  j'ai  encore  un 
ami,  médecin  de  la  princesse  douairière  de  Conti,  qui 
est  un  excellent  chrétien,  quoiqu'il  vive  à  la  cour.  Il 
est  de  l'Académie  des  sciences.  Le  premier  s'appelait 
Hamon,  le  second  Save,  le  troisième  Dodart,  et  tous 
trois  étaient  de  grands  amateurs  de  la  vérité  et  amis 
de  Port-Royal. 

Les    livres   catholiques    entrent-ils    sans    peine    en 
11.  \è 


274  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

Angleterre  ?  N'y  a-t-il    point  de   risque?  A- t-on  aussi 
liberté  de  les  imprimer? 

Quesnel  à  MUo  de  Joncoux 

26  novembre  1706. 

J'apprends  que  vous  êtes  incommodée  depuis  quelques 
mois  et  que  vous  avez  été  saignée  depuis  peu.  Je  n'en 
suis  pas  peu  en  peine,  et  l'impuissance  où  je  suis  de 
vous  soulager  n'est  pas  un  sujet  de  consolation  pour 
moi. 

Faites,  je  vous  prie,  en  sorte,  par  le  moyen  de  quelque 
ami  qui  fréquente  chez  M.  le  nonce,  de  savoir  ce  que 
c'est  qu'un  M.  Passionei  qui  est  auprès  de  lui. 
Cette  personne,  qui  est  neveu  d'un  secrétaire  des 
chiffres  de  môme  nom,  a  eu  connaissance  de  l'état  de 
l'Eglise  de  Hollande  par  la  lecture  des  écrits,  et  il  a 
fait  offrir  son  entremise  pour  voir  si  on  ne  pourrait 
point  s'accommoder. 

Il  me  paraît  certain,  ou  au  moins  bien  probable,  que 
ce  n'est  pas  de  son  chef  qu'il  fait  cette  proposition, 
mais  apparemment  de  la  part  de  M.  le  nonce,  et  tout 
cela  pour  gagner  du  temps,  pour  amuser  par  de  vaines 
propositions  et  pour  pouvoir  détourner  des  coups  qu'ils 
craignent,  en  disant  qu'on  est  en  conférence,  qu'on  est 
en  terme  d'accommodement,  qu'on  aura  au  plus  tôt  un 
vicaire  apostolique. 

C'est  l'artifice  dont  on  s'est  déjà  servi;  mais  cet 
artifice  est  usé.  Toutes  ces  entremises  n'aboutissent 
qu'à  dire  :  «  Proposez-nous  quelqu'un  qui  ne  soit  point 
noté  »,  et  tous  ceux  qu'on  leur  propose  sont  gens 
notés,  si  on  les  en  croit.  Mais  j'ai  ouï  dire  qu'on  ne 
leur  en  proposera  plus.  C'est  à  eux  à  songer  tout  de  bon 
à  en  proposer  de  raisonnables,  s'ils  sont  aheurtés  à  ne 
pas  rétablir  M.  de  Sébaste.  Ils  se  feraient  honneur,  s'ils 


CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL  2*,"S 

entraient  dans  ces  pensées  de  justice  et  de  sagesse  ;  ils 
effaceraient  une  partie  de  la  honte  qu'ils  se  sont  attirée 
en  traitant  si  injustement  et  si  méchamment  un  homme 
du  mérite  de  ce  prélat.  Car  il  est  vrai  qu'on  ne  pouvait 
pas  avoir  un  homme  plus  sage,  plus  doux,  plus  pru- 
dent, plus  circonspect,  plus  propre  à  ménager  tout  le 
monde  ;  j'ajouterais  :  et  d'une  meilleure  doctrine,  et 
d'une  morale  plus  pure;  mais  c'est  cela  même  qui  le 
rend  digne  de  souffrir  persécution. 

Je  vous  prie,  mon  très  cher  ami,  de  tâcher  de  charger 
quelqu'un  de  s'informer  du  caractère  du  sieur  Passionei, 
si  c'est  un  homme  intelligent,  de  bonne  foi  autant  que 
le  pays  le  comporte,  et  de  pressentir  s'il  y  a  quelque 
sujet  de  prendre  quelque  confiance  en  lui. 

Je  suis  un  peu  en  colère  de  ce  que,  jusqu'à  présent, 
je  n'ai  pu  parvenir  à  voir  le  résultat  de  l'assemblée 
dernière  sur  la  constitution  du  pape,  il  me  semble 
qu'on  a  dû  croire  qu'il  nous  serait  utile  de  l'avoir,  et 
qu'il  se  peut  présenter  des  occasions  où  Ion  en  aurait 
besoin;  et  il  s'en  est  présenté  plus  d'une,  où  l'on  a  été 
obligé  de  marcher  à  tâtons. 

On  nous  a  écrit  de  bien  loin  (car  de  Paris  nous 
n'apprenons  presque  rien)  que  Sa  Majesté  a  témoigné 
être  fort  mal  contente  du  choix  qu'on  a  fait  de  quelques 
évêques  x.  Je  suis  persuadé  que  la  piété  et  la  religion  de 


1.  On  relève,  dans  les  nominations  faites  en  1706,  les  noms  de 
Berger  de  Malissoles,  à  Gap,  évêque  purement  moliniste,  qui  condamna 
les  Réflexions  morales  à  la  suite  de  MM.  de  Lescure  et  de  Ghampflour  ; 
François  de  Matha,  à  Aire  ;  Joseph  de  Revol,  à  Oléron,  si  dévoué  aux 
jésuites  qu'il  croyait  nécessaire  de  réunir  tous  les  opposants  et  appe- 
lants de  la  bulle,  dans  une  même  ville  qu'on  nommerait  Jansénie; 
François  Madot,  à  Belley,  prêtre  de  Saint-Sulpice,  «  petit  cerveau 
brûlé,  répandant  de  toutes  parts  son  fanatisme»  (Anecdotes  secrètes,  t.  Il); 
Pierre  Sabatier,  à  Amiens,  ultramontain  enragé  et  persécuteur  des 
appelants,  qui  prétendait  que  toute  confession,  faite  à  eux,  est  nulle  et 
sacrilège.  Voilà  cependant  des  sujets  peu  susceptibles  de  déplaire  à  la 
cour  et  qui  ne  justifient  en  rien  le  mécontentement  du  roi,  si  parfai- 
tement inféodé  alors  à  la  compagnie  de  Jésus. 


276  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

Sa  Majesté  ne  veut  point  être  trompée  sur  ce  chapitre, 
connaissant  bien  qu'elle  en  doit  répondre  devant  Dieu. 
Je  salue  la  bonne  mère  et  sa  chère  fille,  qui  est  sur  le 
point  d'augmenter  sa  famille  de  deux  pieds.  Je  prie 
Dieu  de  tout  mon  cœur  que  ce  soit  un  fruit  de  béné- 
diction, et  je  l'espère  fortement. 

Je  suis  tout  à  vous,  mon  cher  petit  père,  mon  très 
honoré  frère,  mon  très  cher  fils,  et  quidnon? 


Petitpied  à  Mllc  de  Joncoux] 

27  décembre  1706. 

J'ai  reçu  voire  lettre  du  19  décembre.  Il  y  a  long- 
temps que  je  ne  vous  ai  écrit.  J'ai  été  obligé  d'être 
environ  douze  jours  à  la  Haye,  pour  solliciter  la  déli- 
vrance d'un  bon  curé2,  ami  de  M.  Dupuis  [Quesnel], 
qui  est  prisonnier  de  guerre  à  Menin.  Je  n'ai  pu  refuser 
ce  voyage  aux  désirs  de  M.  Dupuis;  mais  je  n'ai  pas 
encore  obtenu  grand'chose.  Il  y  faudra  peut-être  encore 
retourner.  Je  vous  écris  fort  à  la  hâte.  J'ai  été  obligé 
de  passer  la  matinée  auprès  de  M.  Dupuis,  qui  est 
enrhumé  et  a  la  fièvre.  Je  lui  ai  fait  prendre  un  remède 
et  le  reste.  Nous  aurons  bien  soin  de  lui.  Il  ne  paraît 
aucun  danger  à  sa  maladie.  Je  dois  courir  toute  l'après- 
dincr  avec  M.  Lefèvre  [Brigode]  pour  chercher  une 
maison  pour  nous.  La  nôtre  est  vendue  à  un  juif,  et 
on  nous  a  signifié  qu'il  en  fallait  sortir,  au  premier  de 
mai  prochain.  L'usage  est  ici  de  donner  cet  avertisse- 
ment un  peu  avant  Noël,  et,  clans  la  semaine  de  Noël, 
il  faut,  et  avec  diligence,  chercher  une  maison;  car, 
après  ce  temps,  on  n'en  trouve  guère  de  commode.  Je 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19736. 

2.  Le  curé  de  Garvin  fut  relâché  sans  rançon,   le  7  janvier  1707,   par 
les  Etats  généraux,  à  la  sollicitation  de  M.  Petitpied. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QUESNEL        277 

suis  fâché  que  nous  soyons  obligés  de  quitter  une  si 
jolie  maison,  dans  lequartierde  la  ville  le  plus  agréable, 
éloignée  du  commerce  et  dû  bruit,  à  fort  bon  marché, 
et  au  milieu  des  juifs  qui  ne  sont  point  au  fait  de  nos 
affaires.  Nous  n'en  aurons  peut-être  point  une  aussi 
agréable,  et  il  faudra  certainement  en  donner  sept  ou 
huit  cents  florins,  ce  qui  va  à  onze  ou  douze  cents 
livres  de  France.  Il  faut  passer  par  là  ou  se  loger  dans 
une  autre  ville,  ce  qui  serait  impossible  à  M.  Lefèvre 
à  cause  de  son  commerce. 

La  somme  d'argent  destinée  à  une  oeuvre  de  piété 
peut  se  placer  ici,  ou  en  rente  ou  à  fonds  perdu.  En 
rente,  à  quatre  pour  cent,  c'est-à-dire  au  denier  vingt- 
cinq  ;  à  fonds  perdu,  à  neuf  pour  cent,  c'est  environ  au 
denier  onze.  A  l'égard  de  la  perte  du  change,  vous  ne 
la  pouvez  totalement  éviter.  Il  faut  compter  que,  pour 
mille  francs  de  France,  vous  n'aurez  ici  que  six  cent 
cinquante,  soixante  ou  quatre-vingts  livres,  un  peu 
plus  un  peu  moins.  Ce  sera  beaucoup  si  on  peut  aller 
jusqu'à  sept  cents  livres.  Encore  faut-il  que  l'argent 
de  France  soit  comptant,  et  non  en  billets  de  monnaie 
qui  sont  ici  fort  décriés. 

P. -S.  —  Le  médecin  sort  d'ici,  qui  trouve  à  M.  Dupuis 
plus  de  fièvre  que  nous  ne  croyions.  Il  est  d'avis  d'une 
saignée,  à  quoi  le  malade  a  peine  à  se  résoudre.  J'aurai 
bien  soin  qu'il  ne  manque  de  rien. 

Petilpied  à  Mïle  de  Joncoux 

Amsterdam,  5  janvier  1707. 

Je  suis  toujours  en  parfaite  santé.  Nous  avons  eu  ici 
quelques  jours  de  gelée  assez  forte,  mais  qui  n'a  pas 
duré.  C'est  un  amusement  de  ce  pays,  dont  nous  avons 
été  témoins,  que  de  courir  et  de  glisser  en  patins  sur 
la  rivière  et  sur   les  canaux  glacés.  Il  n'y  a  point  de 


278  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

pays  plus  propre  que  celui-ci  à  celte  sorte  d'exercice. 
Les  femmes  glissent  aussi  bien  que  les  hommes  et  se 
tiennent  fermes  sur  la  glace  en  glissant  avec  une  vitesse 
incroyable. 


Petitpied  à  M[]c  de  Joncou./1 

24  janvier  1707. 

J'ai  différé  depuis  huit  jours  à  vous  écrire,  espérant 
toujours  vous  pouvoir  apprendre  la  guérison  entière  de 
M.  Dupuis  [Qtiesnel],  Mais  sa  maladie  tire  en  longueur. 
Il  ne  paraît  cependant  aucune  raison  de  s'inquiéter. 
C'est  aujourd'hui  le  trente-troisième  jour  qu'il  a  la 
lièvre,  presque  sans  relâche.  Il  a  pris,  pendant  trois 
semaines,  du  quinquina  qui  n'a  produit  aucun  soula- 
gement. Le  médecin  a  jugé  a  propos  de  l'interrompre 
pendant  quelques  jours.  Au  reste,  la  lièvre  n'est  pas 
grande;  elle  est  sans  frisson,  sans  mal  de  tête,  sans 
fluxion  sur  la  poitrine,  en  un  mot  sans  aucun  accident, 
sinon  un  petit  dévoiement  qui  dure  depuis  dix  ou 
douze  jours.  Les  accès  sont  toujours  accompagnés  de 
sueur.  Le  malade  est  fort  tranquille,  fort  résigné,  fort 
édifiant.  11  avait  dessein  de  faire  son  testament  et  m'a 
consulté  en  secret  sur  les  dispositions  qu'il  devait  faire. 
J'avoue  que  je  n'ai  pas  assez  de  lumière  pour  résoudre 
certaines  difficultés  dont  il  vous  écrira  quand  il  se  por- 
tera mieux. 

Nous  n'avons  point  encore  de  maison  arrêtée.  Nous 
tachons  d'en  avoir  une  extrêmement  agréable  et  bien 
située,  accompagnée  d'un  très  grand  et  très  beau  jar- 
din que  nous  louerions  à  M.  Aub...  que  vous  avez  à 
Paris,  nous  réservant  seulement  la  maison  pour  faire 
moins  de  dépense,  avec  la  permission  de  nous  promener 

1.  Bibl.  nat.,  ins.  11)736. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  279 

dans  le  jardin.  Il  n'y  a  rien,  dans  tout  le  pays,  plus 
agréable  que  cette  demeure,  et  le  loyer  en  serait  mé- 
diocre. 


Quesnel  à  MUii  de  Joncoux1 

27  janvier  1707. 

Me  voilà,  Dieu  merci,  en  état  de  vous  écrire,  mon 
très  cher  ami.  Il  a  plu  à  la  bonté  divine  de  me  rendre 
la  santé  après  un  mois  entier  de  fièvre  presque  conti- 
nue, avec  des  redoublements  en  double  tierce  et  une 
fluxion  sur  la  poitrine.  J'ai  plus  de  sujet  qu'un  autre 
d'attribuer  à  Dieu  ma  guérison;  car  les  remèdes  qu'on 
m'a  donnés  ne  paraissent  pas  y  avoir  eu  beaucoup  de 
part.  Après  une  saignée  et  plusieurs  purgations,  le 
médecin,  déclarant  ma  fièvre  intermittente,  me  fit 
prendre  du  quinquina2,  à  trois  prises  par  jour,  et  puis 
quatre.  Je  n'en  ai  ressenti  aucun  soulagement  qui  ait 
été  bien  marqué.  Il  chasse  la  fièvre  aux  autres;  il  parais- 
sait l'irriter  et  l'entretenir  en  moi.  Les  autres  disent 
qu'il  leur  cause  un  appétit  dévorant,  et  il  me  donnait  un 
grand  dégoût;  au  moins  il  m'ôtait  l'appétit.  Enfin  il 
me  causait  une  diarrhée,  au  lieu  qu'il  ne  fait  rien  de 
tel  aux  autres.  Samedi  dernier,  ayant  représenté  tout 
cela  au  médecin,  il  consentit  que  la  nature  fût  laissée 
à  elle-même  pour  quelque  temps.  C'était  à  onze  heures 
du  matin,  heure  à  laquelle  on  me  donnait  la  seconde 
prise  de  quinquina,  et  les  deux  jours  précédents,  après 
cette  prise,  j'avais  eu  un  accès  de  plus  de  douze  heures. 
Mais,  dès  le  moment  que  ce  remède  fut  congédié,  ma 
fièvre  prit  congé  de  moi  fort  honnêtement;  la  diarrhée 
cessa,  l'appétit  me  revint,  et,  depuis  ce  temps-là,  j'ai 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19736. 

2.  Quesnel  écrit  :  Kinkinna. 


280        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIÈR  QUESNEL 

toujours  été  de  mieux  en  mieux,  de  sorte  qu'il  semble 
que  Dieu  ait  voulu  avoir  tout  l'honneur  de  ma  guéri- 
son  indépendamment  des  remèdes.  Louez-en  donc  avec 
moi  le  Seigneur,  mon  cher  ami,  et  priez-le  de  vouloir 
bénir  de  telle  sorte  le  don  qu'il  me  fait  de  la  santé  que  je 
n'en  fasse,  dans  ce  reste  de  vie,  aucun  usage  que  pour 
sa  gloire,  que  selon  sa  volonté  et  ses  desseins,  et  que 
par  la  direction  et  le  mouvement  de  son  esprit.  Je 
demande  la  même  grâce  à  tous  mes  amis,  de  l'un  et 
l'autre  sexe,  que  je  salue  tous  avec  beaucoup  de  respect, 
tant  les  timides  que  les  courageux,  les  froids  que  les 
chauds,  ceux  qui  plient  que  ceux  qui  sont  fermes.  Je 
parle  par  rapport  à  ce  que  vous  me  dites  dans  votre 
lettre  du  6  de  ce  mois,  qui  me  fut  un  régal  dans  le  cours 
de  ma  maladie,  comme  tout  ce  qui  me  vient  d'un  ami 
si  fort,  si  tendre,  si  fidèle,  si  attentif  et  si  ardent  pour 
tout  ce  qui  me  regarde. 


Petit-pied  à  MUe  de  Joncoux1 

10  février  1"07. 

Nous  avons  tout  sujet  de  croire  que  M.  Dupuis 
[Quesnel]  est  entièrement  guéri,  quoiqu'il  ait  de  temps 
en  temps  quelques  émotions.  Ce  ne  sont  que  de  légers 
restes  dune  fièvre  qui  a  toujours  paru  plus  obstinée 
que  dangereuse.  Il  a  bon  visage;  il  dort  bien;  il  mange 
bien  ;  il  n'est  ni  changé  ni  affaibli.  Le  médecin  qui  l'a 
vu  ne  s'appelle  point  Sauvage.  Nous  ne  connaissons 
personne  de  ce  nom.  Son  médecin  est  un  Français  réfu- 
gié, docteur  à  Montpellier,  parent  et  portant  le  nom 
d'un  célèbre  philosophe  cartésien,  mortdepuis  quelque 
temps.  Il  est  aussi  médecin  de  M.  Aubert.  Il  connaît 
M.  Dupuis,  el  il  n'y  a  point  d'apparence  qu'il  ait  rien 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19730. 


COKKESP-ONDANCE   DE    PASQElEK    QUESiNEL  28l 

écrit  à  Paris  sur  ce  sujet.  Au  reste  M.  Dupuis  est  connu 
ici  de  tout  le  monde  ;  il  n'y  a  pas  le  moindre  secret.  On 
connaît  aussi  ceux  qui  demeurent  avec  lui,  et  on  con- 
jecture assez  juste  sur  ce  qu'ils  sont,  quoiqu'ils  n'en 
demeurent  jamais  d'accord. 


Quesnel  à  M.  Schort,  à  Londres 

Février  1707. 

Je  ne  me  suis  pas  donné  l'honneur  de  vous  écrire, 
Monsieur,  au  commencement  de  la  nouvelle  année, 
pour  vous  la  souhaiter  heureuse  :  c'est  que  j'ai  été 
malade,  depuis  le  22  de  décembre  jusqu'au  23  de  jan- 
vier, où  je  me  suis  trouvé  quitte  d'une  fièvre  qui  avait 
commencé  par  un  rhume  ou  fluxion  sur  la  poitrine  et 
qui  était  assez  bizarre;  car  elle  ne  me  quittait  guère, 
et  elle  avait  des  redoublements  en  double  tierce,  mais 
assez  irrégulièrement.  Un  médecin  français,  nommé 
M.  Régis,  me  traitait.  Je  me  fis  saigner  une  fois,  pur- 
ger, etc.,  et  enfin  il  me  fit  prendre  du  quinquina  du- 
rant dix-huit  jours.  Il  me  paraissait  qu'il  ne  me  fai- 
sait pas  de  bien  et  qu'au  lieu  de  chasser  la  fièvre  il 
l'irritait  et  l'entretenait;  il  me  donnait  du  dégoût,  au 
lieu  de  l'appétit  qu'on  dit  qu'il  donne,  et  il  me  causa 
môme  une  espèce  de  dévoiement.  Je  crus  donc  le 
devoir  quitter,  et  le  médecin  jugea  aussi  qu'il  fallait 
laisser  la  nature  à  elle-même  pour  quelque  temps. 
Gela  réussit.  Les  deux  jours  précédents,  j'avais  eu 
chaque  jour  un  accès  de  douze  heures.  Dès  que  j'eus 
quitté  le  quinquina,  la  fièvre  ne  revint  plus;  je  man- 
geai avec  appétit,  et  le  dévoiement  cessa.  J'eus,  de 
fois  à  autres,  quelques  bouffées  de  fièvre  qui  n'eurent 
point  de  suite.  Gomme  on  vit  ces  retours,  on  me  vou- 
lut faire  prendre  d'un  quinquina  qu'un  médecin  fran- 


282        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

çais,  réfugié  à  Rotterdam,  prépare  d'une  manière  par- 
ticulière; un  ami  en  fit  venir  une  grosse  bouteille.  On 
dit  qu'il  ne  manque  point  d'avoir  son  effet  et  de  gué- 
rir; mais,  grâce  à  Dieu,  je  n'en  ai  pas  eu  besoin.  On 
dit  que  ce  médecin,  qui  se  nomme  Duchemin,  jette  du 
quinquina  dans  une  pièce  de  bon  vin  et  qu'il  l'y  laisse 
longtemps,  et  que,  par  ce  moyen,  ce  remède  réussit 
mieux.  Je  n'en  sais  pas  assez  les  circonstances  pour 
vous  les  dire,  et  je  crois  que  le  médecin  garde  pour 
lui  son  secret.  On  prétend  que  le  succès  est  imman- 
quable. 

Je  vous  avais  demandé,  Monsieur,  s'il  y  avait  quelques 
mesures  à  prendre  pour  faire  arriver  sûrement  des 
livres  chez  vous,  surtout  des  livres  qui  sont  faits  par 
des  catholiques  et  qui  viennent  de  France  originaire- 
ment. Gomme  je  n'ai  point  reçu  de  réponse,  j'ai  pris 
le  parti  d'envoyer  la  caisse  de  livres  à  M.  van  Rhyn,  à 
Delft,  au  lieu  que  je  l'aurais  pu  faire  embarquer  à 
Amsterdam  sans  détour.  Quand  vous  aurez  besoin 
de  livres  ou  d'écrits  qui  se  trouvent  en  ce  pays  ou 
en  France,  adressez-vous  à  moi,  je  vous  en  prie. 
M.  Dubois  [Brigode]  mon  ami,  qui  demeure  avec  moi, 
fait  trafic  de  livres  et  a  commodité  pour  avoir  ceux 
qu'il  n'aura  pas.  Que  votre  générosité  ne  s'alarme 
point,  par  la  crainte  que  je  fasse  des  façons  pour  vous 
en  faire  présent.  Non,  j'en  userai  comme  vous  le  vou- 
drez. 


Quesnel  à  MIU  de  Joncoiix 


10  mars  1707. 


Il  n'y  a  guère   d'amitié  qui  ne  soit  sujette   à   colle 
vicissitude  de  joie  et  d'alarme  que  nous  avons  éprouvée, 


1.  Hibl.  nat,  ms.  19736. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  283 

l'un  et  l'autre,  depuis  peu.  Je  souhaite  que  l'alarme 
que  nous  avons  eue  à  votre  sujet  soit  aussi  aisée  à  se 
dissiper  que  celle  que  vous  a  causée  ma  maladie.  Les 
ressentiments  de  fièvre  que  j'ai  eus  n'ont  point  eu  de 
suite,  et  je  me  trouve,  grâces  à  Dieu,  très  bien  remis. 
Ce  sera  pour  autant  de  temps  qu'il  plaira  à  Dieu.  La 
course  ne  peut  plus  durer  longtemps,  et  je  vous  prie 
de  vous  souvenir,  ma  très  chère  cousine,  que  j'ai  droit 
de  passer  devant  vous.  J'ai  une  extrême  peine  de  vous 
voir  tirer  tant  de  sang.  C'est  ôter  les  forces  du  malade 
et  en  donner  à  la  maladie.  J'ai  été  plus  ménager  du 
mien.  Je  n'ai  été  saigné  qu'une  fois,  et  il  faut  que  je 
vous  fasse  rire  des  méchants  vers  que  ma  fièvre  me 
mettait  dans  la  tête,  lorsqu'on  m'ai] ait  tirer  du  sang. 
Les  voici  : 

Assez  de  sans  français  a  coulé  dans  les  plaines, 
A  Raraillie,  Hochstet,  Barcelone  et  Turin. 
Mais,  si  celui  qui  roule  encore  dans  mes  veines 
Peut  éteindre  le  feu  des  guerres  inhumaines, 
Qui  font  rougir  le  Pô,  le  Tage  avec  le  Rhin, 
Tirez,  je  n'en  puis  faire  un  usage  plus  saint. 

Reprenons  la  prose,  pour  vous  dire,  mon  unique 
amie,  que  j'ai  reçu  avec  beaucoup  de  reconnaissance 
tout  ce  que  vous  m'avez  envoyé.  Tout  est  fort  bien,  et 
je  vous  remercie  de  bien  bon  cœur  de  la  peine  que 
vous  vous  êtes  donnée.  Ne  pouvez- vous  point  faire  faire 
par  un  autre  la  commission  pour  consulter  le  cas?  Je 
serais  fâché  que  vous  vous  fatiguassiez  mal  à  propos  à 
mon  occasion. 

L'aîné  des  frères  du  chevalier  [Quesnel]  lui  a  écrit  par 
un  ami  de  cette  ville  qui  le  vit  à  Paris  dans  son  voyage, 
et  il  lui  mande  qu'il  entreprend  un  procès  au  parle- 
ment :  ce  qui  est  contraire  à  ce  que  vous  mandez.  Le 
chevalier  [Quesnel]  lui  a  mandé  qu'il  faisait  une  folie. 
Sa  lettre  était  du  8  février. 


284        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

J'ai  appris  d'un  ami  de  ce  pays-ci  que,  vers  le  com- 
mencement de  décembre  dernier,  le  P.  Gerberon  avait 
été  transféré  de  la  citadelle  d'Amiens  au  bois  de  Vin- 
cennes,  et  que,  quelques  semaines  après,  il  avait  été 
conduit  à  la  Bastille.  Il  est  à  craindre  que  de  là  on  ne 
le  mène  à  la  Conciergerie  ou  au  Ghâtelet.  Dieu  sur  tout. 


Petitpied  à  Mne  de  Joncoux 


14  mars  1707. 


J'ai  reçu  votre  lettre,  qui  nous  a  annoncé  une  triste 
nouvelle  à  laquelle  une  lettre  de  M.  de  La  Roche  [Petitpied 
de  Vaiibreitil]  nous  avait  déjà  préparés-'.  Mais  il  n'était 
point  entré  dans  ce  triste  détail  dont  vous  nous  ins- 
truisez. Nous  avions  ici  redoublé  nos  prières,,  et  nous 
les  continuerons  pour  ces  personnes  si  dignes  d'un 
meilleur  traitement.  Je  ne  doute  plus  de  la  ruine  entière 
de  cette  maison:  les  desseins  de  Dieu  sont  accomplis,  et 
le  siècle  est  achevé  sur  elle.  Voici  la  centième  année 
que  la  règle  y  avait  été  remise,  si  ce  que  je  lisais  hier 
est  vrai,  que  la  célèbre  Mère  Angélique  avait  réformé 
ce  monastère,  l'an  1608.11  y  aurait  une  belle  histoire  à 
faire  en  rendant  publics  tant  d'exemples  de  vertus  sin- 

1.  Bibl.  nat.,  ms.  19736. 

2.  Arrêt  du  conseil,  du  9  février  1707,  révoquant  l'ancien  arrêt  de  par- 
tage et  ordonnant  la  réunion  des  biens  de  Port-Royal-des-Champs  avec 
ceux  de  Port-Royal  de  Paris.  Pour  ce  qui  regardait  l'extinction,  l'affaire 
était  renvoyée  devant  le  cardinal  de  Noailles.  L'arrêt  n'autorisait  plus  que 
la  présence  de  trente-six  personnes  entretenues  aux  dépens  de  la  mai- 
son, tant  religieuses  que  converses,  ordonnant  de  faire  sortir  toutes  les 
autres  personnes  séculières.  La  résistance  désespérée  des  pauvres  filles 
était  approuvée  et  entretenue  par  le  P.  Quesnel,  consulté  de  loin,  et 
oracle  du  parti.  Il  leur  écrit  une  longue  lettre,  en  mai  1707  :  «  L'état  de 
mes  sœurs,  dit-il,  me  touche  et  m'édifie.  L'orage  paraît  inévitable.  Le 
moyen  qu'on  leur  propose  pour  le  détourner  est  spécieux.  11  semble 
qu'on  ne  leur  demande  presque  rien  pour  sauver  tout;  mais,  dans  la 
vérité,  on  leur  demande  tout,  et  on  ne  leur  promet  rien.  » 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIEK    QUESNEL  285 

gulières,  qui  y  ont  été  pratiquées  depuis  ce  temps-là, 
au  dedans  et  au  dehors  du  monastère. 

Je  n'ai  rien  caché  à  M.  Dupuis  [Qiœsnel]  de  ce  que 
vous  me  mandiez.  Je  ne  pouvais  m'empccher  de  lui 
faire  part  d'une  chose  à  laquelle  il  s'intéresse  si  fort. 
D'ailleurs  sa  santé  est  parfaitement  rétablie,  et  je  n'ai 
trouvé  de  ce  côté-là  aucun  inconvénient  à  lui  dire  ce 
que  je  lui  aurais  caché  pendant  sa  maladie,  pour  ne 
point  irriter  son  mal. 


Qnesnel  à  M.  de  Beaufortx 


Août  1707. 


Monsieur,  n'ayez  point  de  peur  de  moi,  je  vous  en 
prie  ;  mon  apparition  ne  sera  que  d'un  moment  et  ne 
pourra  vous  être  imputée  à  commerce  avec  moi,  ni  vous 
rendre  coupable  de  ce  nouveau  crime.  La  compassion 
que  j'ai  de  l'état  où  se  trouve  M.Vuillart  et  l'amitié  que 
je  lui  dois  me  font  chercher  dans  mon  esprit  s'il  n'y 
aurait  pas  moyen  de  le  secourir  et  de  lui  procurer  la 
liberté  qu'il  a  si  peu  mérité  de  perdre. 

J'ai  peine  à  croire  que  Msv  le  cardinal  archevêque 
de  Paris  ne  l'obtînt  pas  de  la  bonté  du  roi,  si  Son 
Eminence  voulait  sérieusement  entreprendre  cette 
bonne  œuvre;  et,  n'osant  pas  prendre  par  moi-même 
la  liberté  de  solliciter  sa  charité  pastorale  pour  sa  brebis, 
je  m'adresse  à  vous,  Monsieur,  parce  que  je  sais  que 
vous  avez  beaucoup  d'accès  auprès  de  Monseigneur 
notre  archevêque,  et  que,  d'ailleurs,  je  ne  vous  crois 
pas  insensible  à  l'état  affligeant  où  est  cet  ami.  11  y  a 
trois  ans  qu'il  souffre  une  dure  captivité,  et  si  dure,  si 
étroite,  si  extraordinaire,  qu'à  peiue  est-on  assuré  delà 

1.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ras.  5781. 


286  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

prison  où  il  est.  Cependant  où  est  son  crime,  soit  contre 
l'Eglise  on  contre  l'Etat?  Qu'a-t-il  fait  qui  mérite  un 
traitement  si  cruel?  Et,  puisque  le  commerce  qu'il  a  eu 
par  lettres  avec  le  P.  Quesnel  est  son  crime,  qu'a-t-on 
trouvé  dans  ces  lettres  qui  soit  le  moins  du  monde 
criminel? 

On  y  a  trouvé  des  choses  qui  ne  font  pas  plaisir  aux 
jésuites,  parce  qu'elles  ne  leur  font  pas  honneur.  Le 
crime  n'est  grand  que  parce  que  ces  Pères  ont  grand 
crédit  parmi  les  grands.  Ce  serait  une  œuvre  méritoire, 
si,  dans  un  siècle  où  la  vérité  et  l'innocence  auraient 
plus  de  crédit,  non  seulement  on  disait  autant  à  un 
ami  dans  le  secret  d'une  lettre,  mais  même  si  on 
publiait  partout  à  haute  voix  toutes  les  abominations 
de  leurs  écoles,  comme  faisaient,  il  y  a  cinquante  ans, 
les  curés  et  les  évoques  avec  l'applaudissement  de 
toute  l'Eglise.  Mais  les  temps  sont  changés,  et  les  idées 
du  bien  et  du  mal  sont  changées  avec  le  temps.  Et  il 
est  permis  de  nommer  aujourd'hui  mal  ce  qui  s'appe- 
lait bien  en  ce  temps-là,  et  d'appeler  bon  aujourd'hui 
ce  qui  alors  était  criminel.  Eh  bien!  que  ce  soit  donc  un 
péché  d'écrire  et  d'envoyer  des  choses  qui  déplaisent 
aux  jésuites!  Mais  est-ce  un  crime  inexpiable,  et  trois 
ans  d'une  pénitence  aussi  rigoureuse  que  celle-là  ne 
sont-ils  pas  suffisants  pour  laver  un  crime  de  cette 
espèce? 

Je  suis  assuré  que  ceux  qui  ne  s'en  veulent  pas  con- 
tenter, parce  qu'elle  ne  satisfait  pas  leur  vengeance, 
traiteraient  de  cruel  rigorisme  et  de  conduite  déses- 
pérante celle  d'un  confesseur  qui  en  imposerait  une 
semblable  à  un  pénitent  chargé  des  plus  grands 
crimes.  Mais  les  règles  qu'ils  donnent  aux  autres  ne 
sont  pas  pour  eux,  quand  il  s'agit  de  faire  sentir  le 
poids  de  leur  colère  à  ceux  qui  ne  les  honorent  pas  à 
leur  gré.  Monseigneur  le  cardinal  est  trop  éclairé  pour 
croire  qu'il   soit   permis  à  un   évoque  de  laisser  ainsi 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  287 

l'innocence    en   proie   à  ses    ennemis,    sans  ouvrir  la 
bouche. 

Quand  même  ce  pauvre  prisonnier  serait  coupable, 
unévêque,  etsurtoutle  propre évêquequiestle  procureur 
et  le  solliciteur  des  malheureux,  n'est  pas  dispensé 
de  l'obligation  d'intercéder  pour  lui.  Mais  je  ne  crois 
pas  qu'il  soit  besoin  de  suggérer  à  notre  éminentissime 
archevêque  des  motifs  pressants  pour  rengager  à  flé- 
chir la  clémence  du  roi,  en  faveur  de  ce  cher  prison- 
nier; je  ne  cloute  pas  que  Son  Eminence  n'y  soit  portée 
d'elle-même.  Elle  a  seulement  besoin  dune  personne 
qui,  ayant  accès  auprès  délie,  la  fasse  souvenir,  au 
milieu  de  cette  foule  d'occupations  dont  elle  est  acca- 
blée, que  ce  pauvre  homme,  abandonné  de  tout  le 
monde  et  dans  l'impuissance  d'implorer  le  secours  de 
personne,  attend  que  son  pasteur  ouvre  la  bouche  en 
sa  faveur  et  frappe  pour  lui  à  la  porte  de  la  clémence 
du  roi.  Ce  grand  prince,  aussi  plein  de  bonté  qu'il  est, 
se  laissera  fléchir,  et  la  parole  du  pasteur  trouvera 
grâce  devant  Sa  Majesté,  parla  bénédiction  que  j'espère 
qu'y  donnera  celui  qui  tient  en  sa  main  le  cœur  des 
rois. 


Quesnel  à  MHe  de  Joncoax l 

8  août  1707. 

Dormez-vous?  Etes-vous  morte  et  ensevelie,  que 
vous  êtes  si  longtemps  sans  nous  donner  de  vos  nou- 
velles? Ne  savez-vous  pas  que  c'est  pour  nous  la  moi- 
tié de  la  vie  que  de  voir  de  votre  écriture  et  de  vous 
entendre  un  peu  jargonner?  Peut-être  êtes-vous  à  la 
campagne,  et  plût  à  Dieu  que  vous  trouvassiez  quelque 

1.  Bibl.  de  l'Arsenal,  ms.  5781. 


288  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

part  un  si  bon  air  que  vous  en  reçussiez  un  renouvel- 
lement de  forces  et  de  santé! 

Je  voudrais  savoir  tout  ce  qu'on  peut  savoir  d'un 
P.  Dubuc,  théatin1,  qui  est  à  Rome  professeur  de  con- 
troverses à  la  Propagande.  C'est  un  homme  outré  en 
toutes  manières,  ami  du  sieur  Cock,  de  Fabroni  et 
des  révérends  Pères.  Il  a  fait  soutenir  des  thèses  où 
il  donne  au  pape  toute  infaillibilité  pour  la  décision 
des  faits.  J'en  ai  un  extrait.  J'avais  autrefois  une  lettre 
qu'il  avait  écrite  à  l'abbé  de  la  Trappe  défunt  contre 
M.  Arnauld,  au  sujet  de  ce  que  cet  abbé  avait  écrit  à 
l'abbé  Nicaise  de  ce  docteur.  Je  voudrais  la  ravoir  et 
savoir  un  peu  l'histoire  secrète  de  ce  personnage.  On 
l'a  nommé  à  Rome  pour  examiner  l'apologie  que  M.  de 
Sébaste  a  fait  imprimer  en  latin  et  en  flamand,  et  qu'on 
imprimera  aussi  en  français.  Je  vous  laisse  à  penser  si 
cette  apologie  peut  éviter  d'être  condamnée  sur  l'avis 
de  ce  personnage. 


1.  Le  P.  Dubuc,  soutenu  par  le  pape,  était  en  rébellion  ouverte 
contre  le  roi  de  France,  qui  écrivait,  le  15  août,  au  cardinal  de  la  Tré- 
moille  :  «  J'apprends  que  le  P.  Dubuc,  religieux  théatin,  entre  dans 
plusieurs  affaires  dont  il  ne  devrait  pas  se  mêler.  Mon  intention  est 
que  vous  lui  ordonniez  de  ma  part  de  revenir  incessamment  dans  mon 
royaume.  »  Le  cardinal  répond,  le  24  septembre:  «  Le  P.  Dubuc  n'est 
point  encore  parti  »,  et  l'abbé  de  Polignac  ajoute  :  «  Il  n'obéit  plus,  le 
pape  lui  a  défendu  de  sortir  de  Rome  et  veut  le  soutenir.  »  Il  le  défen- 
dit si  bien,  en  effet,  pour  avoir  enseigné  l'infaillibilité,  que  Polignac 
assure  que  «  le  pape  se  croit  déshonoré  s'il  l'abandonne  ».  Clément  XI 
alla  jusqu'à  envoyer  un  courrier  en  France  pour  obtenir  du  roi  de  le 
lui  laisser.  Le  cardinal  de  la  Trémoille,  indigné,  écrit,  le  17  décembre,  à 
l'abbé  de  Pomponne  :  «  Ce  P.  Dubuc  mérite  tout  châtiment  de  la  part 
du  roi,  et  il  est  bien  fâcheux  de  voir  protéger  ici  ces  sortes  de  gens.  » 
Puis,  quelques  mois  après,  n'ayant  trouvé  aucun  moyen  de  faire  obéir 
le  moine,  il  propose  au  roi  de  l'enlever  secrètement.  Toutes  les  mesures 
sont  prises;  mais  le  pape  ayant  eu  soupçon  du  projet,  «  lui  a  donné  un 
appartement  au  collège  de  Propaganda,  qu'on  a  meublé  magnifique- 
ment ».  Et,  le  7  janvier  1710,  le  P.  Roslet,  agent  du  cardinal  de  Noailles 
à  Home,  écrit  en  manière  de  conclusion  :  «  Le  P.  Dubuc  ne  retournera 
de  sa  vie  en  France,  car  il  est  mort  à  Rome.  »  (AU*,  étr.,  Rome,  471 
à  487.) 


CORRESPONDANCE    DE    TASQCIER    QCESNEL  289 

N'a-t-on  donc  pas  copie  du  bref  du  pape  aux  évêques 
touchant  l'assemblée  dernière?  On  dit  que  Sa  Sainteté 
est  toujours  fort  en  colère  contre  eux  et  qu'il  veutabso- 
lument  en  avoir  satisfaction1.  Il  faut  qu'il  y  ait  des 
gens  qui  le  poussent  et  qui  pourraient  bien  l'engager  à 
quelque  mauvaise  démarche  dont  il  se  pourrait  repen- 
tir tout  à  loisir'-.  Mandez-moi  un  peu  de  vos  nouvelles. 

J'ai  lu  une  lettre  de  M.  de  Rosalie  aux  Pères  jésuites 
qui  est  de  l'année  passée.  Comment  est-ce  que  nou 
l'avons  si  tard?  Les  affaires  de  cette  Eglise  sont  tou- 
jours en  même  état.  M.  Daemen,  chanoine  de  Cologne 
et  natif  d'Amsterdam,  qui  avait  été  envoyé  pour  succé- 
der à  M.  de  Sébaste,  n'a  pu  être  admis  par  les  Etats, 
après  six  mois  de  sollicitations3.  Il  s'en  est  retourné  à 
Cologne;  mais  cela  n'avance  pas  les  affaires.  J'ai  peur 
que  le  pape  ne  s'obstine  à  n'en  vouloir  pas  donner 
d'autre,  ou  qu'il  n'en  présente  aucun  qui  soit  bien  dis- 
posé. 

Adieu,  ma    chère  personne,  je  ne  vous  prie  pas  de 


1.  Le  pape  prétendait,  écrit  l'abbé  de  Polignac  àTorcy,  que  «c'étaient 
les  jansénistes  qui  avaient  inspiré  les  évêques  de  France  »  (Aff.  étr., 
Rome,  476),  et  que  ce  clergé  «  voulait  le  réduire  comme  un  simple  curé  ». 
Le  bref  dont  parle  Quesnel  était  seulement  connu  officieusement  en 
France,  Louis  XIV  ayant  obtenu  que  le  pape  n'insistât  pas  pour  la 
remise  officielle  et  la  réception  de  cette  pièce. 

2.  Louis  XIV  semble  penser  comme  notre  P.  Quesnel,  à  propos  de  ce 
différend  avec  Rome.  Il  écrit  le  20  juin  1707,  au  cardinal  de  la  Trémoille, 
une  lettre  bien  curieuse,  où,  parlant  des  évêques  de  son  royaume,  il 
espère  «  que  le  pape  ne  prétend  pas  les  réduire  à  la  qualité  de  simples 
exécuteurs  de  ses  jugements  ».  11  assure  que,  si  le  bref  aux  évêques 
avait  été  remis,  «  il  aurait  excité  un  feu  difficile  à  éteindre  ».  Il  souhaite 
que  Sa  Sainteté  «  rejette  les  mauvais  conseils  »,  puis,  passant  aux 
menaces  :  <\  Il  est  de  son  intérêt,  dit-il,  de  vivre  avec  moi  dans  une 
étroite  union.  Les  Allemands  étant  aux  portes  de  Rome,  il  est  de  sa 
prudence  de  se  conserver  des  amis  pour  l'avenir.  »  (Aff.  étr.,  Rome.,  476.) 

3.  Le  nonce  de  Cologne,  Bussi,  ancien  internonce  de  Bruxelles, 
chargé  des  affaires  de  l'Eglise  de  Hollande,  avait  nommé  vicaire  apos- 
tolique M.  Adam  Daemen,  le  8  janvier  1707.  Le  chapitre  refuse  de  le 
reconnaître,  et,  le  25  décembre,  Bussi  le  sacre,  à  Cologne,  archevêque 
d'Andrinople. 

il.  19 


290        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

maimer  ;  mais  je  vous  remercie  de  ce  que  vous  le  faites. 
Je  sais  que  c'est  tout  de  bon,  et  je  vous  assure  que 
je  réponds  de  mon  côté  à  votre  amitié  de  tout  mon 
pouvoir. 

Quesnel  à  M.  Schort 

16  septembre  1707. 

Je  ne  sais  si  je  vous  ai  envoyé  la  requête  que  les 
religieuses  de  Port-Royal  ont  fait  présenter  au  roi.  A 
tout  hasard,  j'en  mettrai  dans  le  premier  paquet.  Les 
jésuites  veulent  abîmer  cette  maison,  la  plus  sainte 
qui  ait  été  dans  l'Eglise  depuis  beaucoup  de  siècles. 
Il  y  a  procès  devant  l'official  de  Paris;  mais  il  est  à 
craindre  qu'avant  que  l'on  ait  eu  la  sentence  décisive 
on  n'abrège  les  procédures  par  voie  de  fait,  en  décla- 
rant ces  bonnes  religieuses  excommuniées  et  en  réu- 
nissant leur  maison  des  Champs  à  celle  de  Paris. 

Vous  me  parlez,  mon  très  cher  Monsieur,  comme 
si  j'étais  un  grand  personnage;  ôtez-vous  cela  de  l'es- 
prit. La  réputation  est  une  lunette  bien  fausse,  et  elle 
ne  le  fut  jamais  plus  qu'à  mon  égard.  Le  mal  qu'on  m'a 
fait  et  qu'on  m'a  voulu  faire  afait  dire  du  bien  de  moi, 
beaucoup  plus  qu'il  n'y  en  a  ;  mais  tout  ce  qu'il  a  plu 
à  Dieu  d'y  en  mettre,  il  est  à  lui.  Je  prie  Dieu  qu'il  con- 
tinue de  répandre  sur  vous  ses  bénédictions.  C'est  une 
grande  grâce  que  d'être  appelé  à  la  connaissance  delà 
vérité  pendant  qu'elle  est  combattue  par  ceux  qui  la 
devraient  défendre. 


Quesnel  à  Mme  de  Maintenon 

1707. 

Madame,  vous  serez  surprise  qu'un  homme,   aussi 
décrié  que  je  le  suis,  prenne  la  liberté  de  vous  écrire 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  291 

et  ose  même  aspirer  à  l'honneur   de  votre  protection  ; 
car  je  ne    puis.  Madame,    ignorer  le  malheur  que  j'ai 
d'avoir  été  dépeint  aux  yeux  du  roi   avec  les   couleurs 
les  plus  noires,  et  l'amertume  que  je  sens   au   fond  du 
cœur  de  me  voir  si  mal  dans  l'esprit  de  mon  souverain 
ne  peut  être  adoucie  par  le  sentiment  de    mon    inno- 
cence. J'ai  fait,  dès  que  j'en  ai  eu  la  liberté,  ce  que  le 
respect  exigeait  de  moi  pour  effacer  les  fausses  impres- 
sions qu'on  a  données  à  Sa  Majesté  de  mes  sentiments 
et  de  ma  conduite.  Ne  pouvant  rien  faire  davantage, 
j'attends  en  paix  qu'il  plaise  à  la  bonté  divine  de  dissi- 
per ces  nuages,  et  cette  paix  me  tient  dans  le    silence. 
Aussi   est-ce  moins  pour  mes  propres    intérêts  que  je 
le  romps,  Madame,   qu'en    faveur  d'un   frère  presque 
septuagénaire,  prêtre  de  l'Oratoire  aussi  bien  que  moi, 
qui,  depuis  trois  ans  et  plus,  est  réduit  à  se  tenir  si  caché 
que  je   n'ai  aucun  commerce  avec  lui,  ignorant  même 
le  lieu   de  sa  retraite.  Pour  comble    de    disgrâce,    un 
nommé  Léger  Lallemand    vient  de  faire  saisir  le    peu 
de  bien  dont  nous  subsistions,  mon  frère  et  moi.  Vous 
comprenez  bien,  Madame,  quelle  extrémité  c'est  pour 
un  prêtre  de  son  âge  de  se  voir  enlever  sa  subsistance 
et   de  n'avoir  pas  même  toute  la  liberté,   comme  l'ont 
les  plus  misérables,  d'exposer  ses   besoins  à  ses  amis, 
ni  de    recevoir  d'eux  les   secours  les  pins  nécessaires. 
Car  il  est  vrai  que  la  calomnie  a  si  fort  prévalu  contre 
moi  que  c'est  presque  un  crime  d'être  mon  frère,  et  un 
autre  de  secourir  ceux  qui  portent   mon  nom.   Je  suis 
devenu  étranger  à  mes  propres    frères,  et  l'état  où  je 
me  trouve  me  rend  l'opprobre  de    mes  ennemis  et  un 
objet  de    crainte  h   mes  amis.  Grâces  à  Dieu,  qui   me 
donne  la  paix  qui   est  au-dessus  de   tout  sentiment,  je 
suis  content  de  mon  sort.  Je  ne  doute  point,  Madame, 
que   mon  frère   ne  soit  dans  les   mêmes    sentiments; 
mais,  puisqu'il  ne  souffre  qu'à  mon  occasion,  et  parce 
qu'il  a   fait  pour    moi    tout    ce  que    tout    autre  frère 


292  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

devrait  faire  dans  une  semblable  rencontre  et  dans  les 
mêmes  circonstances,  je  dois  à  mon  tour  le  secourir 
autant  par  reconnaissance  que  par  le  sentiment  de  la 
nature  et  de  la  charité,  et,  ne  pouvant  rien  de  plus,  je 
dois  au  moins  rendre  témoignage  à  son  innocence. 
Personne  n'est  plus  capable  que  vous,  Madame,  de  rece- 
voir avec  bonté  ce  témoignage  très  sincère  et  très  véri- 
table et  de  le  faire  valoir  auprès  du  roi  par  la  confiance 
dont  Sa  Majesté  honore  votre  sagesse  et  votre  vertu. 

J'ose  donc  vous  prier  très  humblement,  Madame,  de 
vouloir  bien  être  persuadée  de  deux  choses.  La  pre- 
mière, que  mon  frère  ne  s'est  jamais  mêlé,  ni  de  près 
ni  de  loin,  des  affaires  qui  m'ont  attiré  tant  d'ennemis. 
Je  sais  que,  pour  le  rendre  odieux  et  pour  pouvoir  aussi 
me  persécuter  dans  un  autre  moi-même,  ils  ont  assuré 
que  parmi  mes  papiers  on  avait  vu  des  lettres  de  sa 
main  fort  contraires  au  témoignage  que  je  lui  rends. 
Mais  permettez-moi,  Madame,  de  vous  dire  que  c'est 
une  pure  calomnie,  et  que,  si  l'on  fait  voir  des  lettres 
sur  ces  matières  qu'on  prétende  qu'il  m'ait  écrites,  ou 
elles  lui  sont  faussement  attribuées,  ou  elles  sont  entiè- 
rement fausses.  Qu'il  me  soit  permis  de  vous  faire 
remarquer,  Madame,  à  cette  occasion,  combien  il  est 
aisé  à  des  gens  malins  et  de  mauvaise  foi  de  rendre 
criminel  qui  il  leur  plaît  par  des  lettres,  ou  supposées 
par  calomnie,  ou  falsifiées  par  de  sinistres  interpréta- 
tions, ou  attribuées  à  ceux  qui  n'y  ont  aucune  part.  Ces 
artifices  ont  été  employés  contre  moi,  et  j'ai  sujet  de 
craindre  qu'on  ne  les  ait  aussi  employés  contre  mon 
frère  et  que  l'on  n'ait  peut-être  contrefait  son  écriture. 
On  a  sujet  de  tout  craindre  de  ceux  qui,  sans  aucune 
formalité  de  justice,  se  rendent  maîtres  des  papiers 
d'un  homme  qu'ils  ont  résolu  de  perdre  et  qu'ils  mettent 
en  état  de  ne  pouvoir  jamais  ni  les  contredire,  ni  se 
défendre,  comme  ils  croyaient  m'y  avoir  mis.  Vous  ne 
croirez  pas,  Madame,   ces  craintes  trop  téméraires,  si 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  293 

vous  voulez  bien  vous  souvenir  des  fameuses  fourberies 
de  Douai  et  de  Beauvais,  dont  la  mémoire  est  encore 
toute  fraîche.  Les  fausses  lettres  n'y  furent  pas  épar- 
gnées, et  un  fourbe  contrefit  si  bien  le  caractère  d'un 
des  dix  ou  douze  chanoines  accusés  d'avoir  conspiré 
avec  le  feu  prince  d'Orange  contre  le  roi  et  contre  l'Etat, 
que  ce  bon  chanoine  y  fut  d'abord  trompé  lui-même 
avant  que  d'avoir  lu  de  quel  crime  il  y  était  accusé. 
Souffrez,  s'il  vous  plaît  encore,  Madame,  que  je  vous 
fasse  faire  cette  réflexion,  que  d'un  grand  nombre  de 
calomnies  et  de  fourberies  formées  contre  les  préten- 
dus jansénistes,  celle  de  Beauvais  est  la  seule  que  l'on 
ait  examinée  et  jugée  par  les  formes  ordinaires  de  la 
justice.  Par  cette  voie,  qui  seule  est  sûre,  on  décou- 
vrit bientôt  la  vérité.  L'innocence  des  accusés  fut  recon- 
nue, et  en  môme  temps  qu'ils  firent  éclater  leur  charité 
envers  leur  calomniateur,  le  roi  fit  admirer  son  amour 
inflexible  pour  la  justice.  Un  semblable  jugement  aurait 
eu  le  même  succès  à  l'égard  des  autres  impostures,  si 
on  avait  pu  obtenir  qu'elles  fussent  approfondies  par 
une  procédure  régulière;  et,  au  lieu  qu'on  a  vu  cent 
fois  la  calomnie  triompher  de  l'innocence  des  plus 
gens  de  bien,  on  aurait  vu  les  impostures  découvertes 
et  les  imposteurs  humiliés. 

La  deuxième  chose  que  je  vous  supplie,  Madame,  de 
vouloir  considérer  par  rapport  à  mon  frère,  c'est  qu'il 
n'est  en  aucune  manière  dans  le  cas  des  édits  du  roi 
dont  Léger  Lallemand  fait  le  fondement  de  ses  préten- 
tions. Le  titre  du  dernier  marque  expressément  qu'il 
est  contre  ceux  qui,  étant  relégués,  s'absenteront  du 
royaume  sans  la  permission  de  Sa  Majesté,  et  les  deux 
autres,  qui  y  sont  rappelés,  n'ont  été  donnés  que  contre 
ceux  de  la  religion  prétendue  réformée  qui  sortaient  de 
France  pour  toujours,  et  contre  d'autres  gens  qui  pas- 
saient en  des  pays  étrangers  et  y  transportaient  avec 
eux  le  secret  des  arts  et  manufactures  du  royaume,  à 


294  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

son  grand  préjudice.  Rien  de  tout  cela,  Madame,  ne 
convient  à  mon  frère.  Il  n'a  jamais  été  relégué,  et  on 
ne  saurait  prouver  qu'il  soit  sorti  de  France,  ni  par 
conséquent  qu'il  soit  du  nombre  de  ceux  qui,  faute  de 
se  représenter,  sont  sujets  aux  peines  des  édits.  Il  y  a 
même,  à  l'égard  de  mon  frère,  une  circonstance  parti- 
culière qui  le  dispenserait  de  comparaître,  quand  il  y 
serait  d'ailleurs  obligé  :  c'est  qu'il  ne  pourrait  le  faire 
sans  exposer  sa  liberté  à  un  danger  évident.  Car  il  n'a 
pris  le  parti  de  se  cacher  que  par  le  conseil  d'une  per- 
sonne de  grande  considération,  qui  connaissait  son  inno- 
cence et  le  dessein  qu'on  avait  de  le  faire  arrêter.  Or 
je  ne  sais,  Madame,  si  on  aurait  pu  lui  donner  un  autre 
conseil,  ni  s'il  aurait  pu,  en  conscience,  se  jeter  lui- 
même  dans  le  péril  d'une  prison,  qui,  à  raison  de  son 
tempérament  et  de  son  âge,  n'aurait  pas  manqué  de 
lui   causer  la  mort  en  fort  peu  de  temps. 


Quesnel  à  Mme  de  Fontpertvis 

3  février  1708. 

Je  reçois  à  ce  moment,  ma  très  chère  so>ur,  votre 
lettre  du  13  de  cette  année,  et  je  vous  assure  que  c'est 
avec  bien  de  la  joie.  Je  ne  savais  que  dire  de  votre 
silence,  et,  dans  un  temps  où  l'on  voit  frapper  à  droite 
et  à  gauche  sur  des  gens  de  bien,  je  me  figurais  tou- 
jours que  ceux  qui  sont  de  ce  nombre  ont  reçu  quelque 
coup  qui  les  empoche  d'avoir  un  commerce  si  facile 
avec  les  mortels.  Mais  enfin,  vous  vivez,  vous  parlez, 
vous  écrivez,  et  je  suis  ravi  d'apprendre  que  vous  ne 
m'oubliez  pas,  que  vous  priez  Dieu  pourmoi  etquevous 
jouissez  de  sa  paix. 

Ces  pauvres  filles  que  nous  aimons  dans  le  Seigneur 
sont  dignes  d'une  grande   estime,   et  je   vois   avec  un 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  29$ 

plaisir  sensible  la  grâce  que  Dieu  leur  fait  de  porter 
leur  état  avec  une  si  grande  fermeté  et  une  si  grande 
paix.  On  avait  écrit  de  Rome  que  l'affaire  de  la  réunion 
souffrait  de  grandes  difficultés1,  et  peut-être  que  le 
différend  qui  paraissait  devoir  éclater  entre  le  pape  et 
les  évoques  et  le  mécontentement  de  Sa  Sainteté 
auraient  pu  faire  traîner  cette  affaire;  mais  on  sait  que 
tout  se  dispose  à  une  prompte  exécution.  Le  pape  a 
témoigné  beaucoup  de  mécontentement  de  la  conduite 
de  ces  filles  et  fort  loué  leurs  adversaires.  Le  cardi- 
nal Fabroni,  qui  était  fort  échauffé  contre  les  évêques 
de  France,  dit  maintenant  qu'il  faut  vivre  en  bonne 
intelligence  avec  l'Eglise  gallicane,  afin  de  s'opposer 
de  concert  aux  hérétiques,  c'est-à-dire  aux  jansénistes2. 
Sa  Sainteté  a  envoyé  au  roi  un  courrier  pour  pouvoir 
retenir  à  Rome  le  P.  Dubuc,  théatin,  qui  avait  ordre  de 
revenir  en  France.  C'est  une  trop  petite  chose,  pour  ne 
la  pas  accorder  à  Sa  Sainteté. 

1.  La  Trémoille  écrivait,  en  effet,  à  Torcy,  le  25  février  1708  :  «  L'af- 
faire du  Port-Royal  trouve  tous  les  jours  de  nouvelles  difficultés,  dont 
je  rends  compte  à  M.  le  cardinal  de  Noailles.  Je  ne  cesserai  point  d'en 
reparler  continuellement.  Je  suis  bien  fâché  de  n'avoir  pu  venir  à  bout, 
jusqu'à  cette  heure,  d'une  chose  qui  me  paraissait  si  aisée  à  faire.  » 
(Aff.  étr.,  Rome,  489.) 

2.  On  venait  de  nommer,  à  Rome,  une  commission  pour  l'examen 
des  Réflexions  morales  du  P.  Quesnel.  Nous  suivons,  jour  après  jour, 
dans  les  archives  des  Affaires  étrangères,  les  inquiétudes  du  pauvre 
cardinal  de  Noailles,  et  nous  trouvons  la  preuve  indéniable  que  cette 
condamnation  ne  fut  qu'une  vengeance  de  Fabroni  et  du  pape  contre 
l'archevêque  de  Paris.  Polignac  lui-même  écrit  à  Torcy,  le  3  avril,  qu'il 
a  supplié  Sa  Sainteté  «  de  ne  se  point  faire  le  ministre  de  la  haine 
particulière  et  surtout  de  celle  d'un  religieux  qui  venait  de  le  commettre 
si  mal  à  propos  avec  le  roi».  En  effet,  l'abbé  de  Polignac  avait  «appris 
que  le  livre  était  entre  les  mains  des  examinateurs  et  que  le  P.  Dubuc 
était  à  la  tête.  Vous  jugez  bien,  ajoute-t-il,  qu'il  ne  s'épargnera  pas  pour 
la  condamnation,  car  il  s'est  persuadé  que  M.  le  cardinal  de  Noailles  est 
le  principal  auteur  de  sa  disgrâce.  »  (Aff.  étr.,  Rome,  489.) 


296        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 


Quesnel  à  M.  Schort 


6  avril  1708. 


Votre  dernière  lettre  commençait  par  les  réflexions 
sur  les  bonnes  religieuses  de  Port-Royal  persécutées 
par  leurs  sœurs.  Il  faut  un  grand  miracle  pour  empê- 
cher leur  entière  ruine.  J'appelle  ruine  la  réunion  des 
deux  monastères.  Elle  est  résolue  à  Rome;  la  bulle  en 
est  expédiée,  signée,  envoyée,  comme  on  l'écrivait  de 
Rome,  il  y  a  un  mois1.  Cette  affaire,  qui  est  celle  du 
diable,  a  été  poussée  avec  fureur,  sans  donner  à  ces 
pauvres  filles  les  moyens  de  se  défendre,  et  en  leur 
ôtant  môme  les  personnes  qui  les  servaient.  Un  laïque 
de  bonne  famille,  et  qui  a  un  frère  chanoine  de  l'église 
cathédrale  de  Paris,  s'était  donné  à  elles  et  les  servait 
comme  un  ami  fidèle,  jusqu'à  mener  la  charrette,  et 
cela  par  esprit  de  pénitence,  par  l'estime  et  rattache- 
ment qu'il  avait  pour  leur  piété.  On  Tamis  à  la  Rastille, 
et,  pour  ne  pas  exposer  à  une  semblable  disgrâce  une 
autre  personne  qui  leur  rendait  aussi  de  bons  services, 
elles  s'en  sont  privées.  On  a  même  usé  de  menaces  à 
Rome  contre  ceux  qui  sollicitaient  leur  affaire.  Un  frère 
du  P.  Quesnel  a  été  obligé  de  se  tenir  caché  depuis 
que  ce  Père  est  sorti  de  prison,  parce  qu'on  le  soup- 
çonne d'avoir  eu  part  à  son  évasion,  et  un  frère  de 
M.  de  Rrigode  est  mort  en  prison,  au  bois  de  Vincennes, 

1.  Cette  bulle,  du  27  mars  1708,  ordonnant  la  réunion  de  la  maison 
des  Champs  à  Port-Royal  de  Paris,  quoique  instamment  réclamée  par 
Louis  XIV  au  pape,  est  mal  reçue  à  la  cour  de  France.  Torcy  malmène 
assez  rudement,  à  ce  sujet,  le  cardinal  de  la  Trémoille  :  «  Cette  bulle  est 
d'un  style  si  extraordinaire  que  je  ne  puis  me  résoudre  à  louer  Votre 
Eminence  en  cette  occasion.  »  Le  cardinal  est  «  un  peu  mortifié  »  et 
répond  «  qu'il  n'y  a  qu'à  la  renvoyer  et  qu'on  tâchera  de  la  faire  réfor- 
mer ».  Ce  qui  fut  fait. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  297 

depuis  un  mois1.  C'était  un  ancien  curé  qui  avait  été 
à  Bruxelles  solliciter  la  délivrance  de  son  frère,  qui 
avait  été  arrêté  avec  le  P.  Quesnel.  C'est  un  temps  de 
souffrance,  de  patience  et  de  prières. 


Quesnel  à  M.  Schorl 

7  août  1708. 

Je  reçois,  avec  toute  la  reconnaissance  et  avec  toute 
la  correspondance  que  je  dois  à  votre  précieuse  amitié, 
les  offres  si  obligeantes  que  vous  me  faites  de  votre 
maison.  Je  conçois  bien  que  ce  me  serait  une  grande 
douceur  d'achever  mes  jours  avec  une  personne  d'un 
si  bon  cœur  que  le  vôtre,  et  je  l'accepterais  sans  façon, 
si  la  Providence  n'avait  disposé  les  choses  d'une  ma- 
nière qu'il  ne  m'est  pas  permis  de  changer.  Mais,  si  elle 
ne  me  laisse  pas  la  liberté  d'aller  à  vous,  pour  vous 
être  uni  même  de  corps,  je  vous  assure  que  les  liens 
qui  munissent  à  vous  de  cœur  sont  beaucoup  fortifiés 
et  serrés  plus  étroitement  par  les  obstacles  mêmes 
qui  m'empêchent  de  passer  la  mer  pour  vous  aller 
embrasser.  J'entrai,  le  14  de  juillet  dernier,  dans  ma 
soixante-quinzième  année  ;  mais  ce  n'est  pas  ce  qui 
m'empêcherait  de  faire  le  voyage,  ma  santé,  grâce  à 
Dieu,  étant  bonne,  n'ayant  aucune  des  incommodités 
de  la  vieillesse.  Mais  il  ne  faut  pas  m'endormir  sur  les 
sentiments  des  forces  de  la  nature.  Le  Seigneur  nous 
avertit  qu'il  faut  veiller  et  attendre  l'époux  la  lampe 
à  la  main  et  avec  la  provision  d'huile.  S'il  le  faut  faire 

1.  M.  Anselme  deBrigode,  d'abord  enfermé  à  Amiens,  avait  été  trans- 
féré à  Vincennes,  où  il  mourut.  Son  seul  crime  était  ce  voyage  à 
Bruxelles,  entrepris  pour  défendre  son  frère.  La  mère  de  ces  deux  mes- 
sieurs de  Brigode,  marchande  à  Lille,  fut  tourmentée  au  même  sujet. 
Le  maréchal  Vauban  écrivit  à  Versailles  pour  la  défendre,  alléguant 
qu'une  pauvre  vieille  de  soixante-douze  ans  était  peu  à  craindre  et 
«  ne  songeait  à  rien  moins  qu'à  quitter  son  pays  ». 


298  CORRESPONDANCE    DE   PASQUIER    QUESNEL 

à  tout  âge,  combien  y  suis-je  plus  obligé  à  l'âge  où  je 
suis!  Priez  donc  pour  moi,  afin  que  je  rentre  sérieuse- 
ment dans  les  devoirs  de  la  vigilance  chrétienne  et  que 
le  voleur  ne  me  trouve  pas  endormi.  J'espère  aller  à 
Leyde,  vers  le  45  de  ce  mois,  passer  quelques  jours  à 
la  maison  de  campagne  de  M.  van  Hussen,  selon  ma 
coutume  annuelle. 

La  bulle  du  pape  pour  la  réunion  des  deux  maisons 
de  Port-Royal  n'a  pas  été  trouvée  en  France  comme  on 
la  voulait,  parce  qu'il  y  a  des  clauses  qui  laissent  les 
religieuses  en  possession  de  leur  monastère,  tant 
qu'elles  vivront  en  assez  grand  nombre  pour  faire  com- 
munauté, qu'elle  fournit  à  leurs  besoins  et  qu'elle  ne 
contient  aucune  mauvaise  note  contre  les  religieuses. 
On  ne  sait  si  on  en  demandera   et  obtiendra  une  autre. 

Il  y  a  à  Rome  (car  je  crois  qu'il  y  est  encore)  un 
théatin  français,  nommé  le  P.  Dubuc,  qui  est  dans  des 
sentiments  bien  différents  du  vôtre.  C'est  un  moliniste, 
le  plus  outré  et  le  plus  aveugle  infaillibiliste  qui  fut 
jamais.  Pour  avoir  soutenu  à  Rome  que  c'était  la  doc- 
trine du  clergé  de  France,  et  pour  son  humeur  inquiète, 
il  a  eu  ordre  de  retourner  en  France.  Le  pape  a  écrit  et 
fait  solliciter  en  sa  faveur.  Le  roi  était  demeuré  ferme; 
mais  il  y  a  toujours  des  ressources  pour  ces  gens-là. 


Petitpied  à  *** 

13  août  17081. 

Nous  avons  reçu  de  Rome  un  bref  foudroyant  contre 
les   Réflexions  morales'2.    Il  doit   faire  grand   bruit  en 

1.  Archives  d'Ainersfoort,  boîte  W. 

2.  Décret  du  pape  condamnant  au  feu  le  livre  des  Réflexions  moral  es. 
du  13  juillet  1708.  Le  cardinal  de  Noaillcs  s'en  plaignit  vivement  au  roi, 
disant  «  que  c'était  un  affront  qu'on  lui  Taisait  et  qu'on  flétrissait  ses 
deux  approbations,  pour  se  venger  de  ce  qu'il  avait  soutenu  les  inté- 


CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QUESNEL        299 

France,  parce  que  ce  livre  a  été  approuvé  par  plusieurs 
évoques  et  se  vend,  depuis  plus  de  trente  ans,  avec 
l'estime  et  l'approbation  de  bien  des  gens.  Gomment 
M.  le  cardinal  de  Noailles  pourra-t-il  accommoder  ce 
bref  avec  les  éloges  qu'il  a  donnés  à  ce  livre  dans  le 
mandement  qu'on  trouve  à  la  tête  de  l'ouvrage? 


Quesnel  à  MmG  de  Fontpertuis 

29  décembre  1708. 

Vous  avez  sans  doute  ouï  parler  de  la  condamnation 
du  Nouveau  Testament  de  Châlons.  et  des  Réflexions. 
L'auteur  n'est  point  fort  ému.  Il  attend  en  paix  ce  que 
Dieu  en  voudra  tirer  de  bien,  ou  permettre  le  mal  que 
les  hommes  en  voudraient  tirer.  On  dit  qu'on  travaille 
à  Rome  pour  extraire  les  propositions  qui  ont  donné 
lieu  à  la  condamnation,  selon  que  M.  le  cardinal  l'a 
demandé1. 


Nicolas  Petitpiedà  M.  de  Vaubreuil 

Amsterdam,  14  février  1709. 

Ce  que  vous  me  mandez  du  froid  rigoureux  qu'on  a 
senti  à  Paris  ne  me  surprend  point;  nous  l'avons  senti 
ici.  Les  gazettes  étaient  remplies  des  plaintes  qu'on 
faisait  de  tous  côtés  de  la  rigueur  de  la  saison.  Mais  je 
suis  bien  étonné  de  ce  que    vous  me  mandez   que  tant 

rets  de  Sa. Majesté,  en  renouvelant,  dans  l'assemblée  du  clergé,  les 
quatre  articles  de  l'Eglise  gallicane.  »  (Utrecht,  Lettres  manuscrites  à 
Quesnel,  I). 

1.  «  On  tient  pour  certain,  écrit-on  de  Paris  au  P.  Quesnel,  que  ce 
bref  ne  sera  pas  porté  au  parlement.  On  peut  dire  qu'on  l'a  en  horreur. 
Tout  le  inonde  s'empresse  d'acheter  Y  Abrégé,  et  ceux  qui  ne  l'avaient 
pas  le  veulent  avoir.  »  (Utrecht,  Lettres  manuscrites  à  Quesnel,  I.) 


300  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

de  personnes  soient  mortes  de  froid,  que  les  classes 
aient  été  fermées  et  que  personne  n'osait  sortir  de  chez 
soi.  Ici,  au  contraire,  je  n'ai  jamais  vu  tant  de  joie,  tant 
de  mouvement,  tant  de  inonde  à  la  promenade,  que 
pendant  ce  froid  excessif,  surtout  quand  il  fut  tombé 
un  peu  de  neige. 

La  rivière,  c'est-à-dire  l'Amstel,  large  comme  la 
Seine  l'est  à  Paris,  était  toute  couverte  de  monde.  On 
avait  balayé  la  neige,  pour  faire  une  route  d'environ 
une  lieue  pour  ceux  qui  glissent  avec  des  patins,  et  sur 
la  neige  on  voyait  une  infinité  de  traîneaux  tirés  fort 
vite  par  de  beaux  chevaux  qui  avaient  des  aigrettes  sur 
la  tête  et  des  grelots  sur  tout  le  corps.  Les  traîneaux 
sont  petits  et  bien  dorés,  et  les  dames  d'Amsterdam, 
qui  se  promènent  rarement  en  été,  étaient  ravies  de  se 
trouver  au  milieu  des  neiges,  dans  des  traîneaux  décou- 
verts et  exposés  au  vent.  Au  reste,  elles  n'ont  pas  froid  ; 
elles  ont  des  bonnets  de  velours,  des  masques,  de 
bonnes  robes  de  chambre,  des  couvertures  piquées  et, 
je  crois,  du  feu  dans  des  chaufferettes. 

J'avais  résolu  d'abord  de  rester  enfermé  pendant  le 
froid;  mais  il  passait  tant  de  monde  sous  nos  fenêtres 
que  la  curiosité  nous  prit  d'aller  voir  ce  qui  paraissait 
faire  plaisir  atout  ce  monde.  Nous  y  fûmes,  M.  Dupuis 
[Quesnel],  M.  de  La  Place  [Fouilloii]  et  moi,  et  nous 
nous  promenâmes  deux  heures  sur  la  rivière  même, 
qui  était  bien  chargée  d'hommes,  de  chevaux,  de 
charrettes,  mais  qui  était  assez  gelée  pour  soutenir  un 
si  grand  poids.  Le  spectacle  me  parut  bien  froid,  et  je 
n'y  trouvai  rien  de  plaisant  que  de  voir  tant  de  gens  se 
réjouir  au  milieu  des  glaces  et  des  neiges,  nonobstant 
un  vent  très  perçant. 

Je  fus  bien  heureux,  en  sortant  de  là,  d'entrer  chez 
un  ami  qui  avait  bon  feu  dans  une  chambre  bien  chaude. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  301 

Quesnel  à  M.  Schort 

12  mars  1709. 

On  a  vu  ici,  aussi  bien  qu'ailleurs,  le  décret  de  Rome 
contre  le  Nouveau  Testament  de  Chdlons,  approuvé  par 
M.  le  cardinal  de  Noailles.  C'est  l'effet  d'une  puissante 
cabale  d'une  part,  et,  de  l'autre,  du  chagrin  que  la 
cour  de  Rome  a  conçu  contre  ce  cardinal,  parce  qu'il 
était  président  de  la  dernière  assemblée,  en  1705,  où  la 
bulle  de  Clément  XI  fut  reçue.  Avant  que  de  la  rece- 
voir, on  établit  des  principes  qui  déplaisent  fort  à  la 
cour  romaine  :  1°  Que  les  évoques  ont  droit,  par  insti- 
tution divine,  de  juger  des  matières  de  doctrine;  2°  que 
les  constitutions  des  papes  obligent  toute  l'Eglise,  lors- 
qu'elles ont  été  acceptées  par  le  corps  des  pasteurs  ; 
3°  que  cette  acceptation,  de  la  part  des  pasteurs,  se  fait 
toujours  par  voie  de  jugement,  n'étant  pas  de  simples 
exécuteurs,  mais  jugeant  et  prononçant  avec  le  pape. 

Ils  ont  été  irrités,  à  Rome,  de  cette  doctrine.  Le  pape 
en  écrivit,  il  y  a  deux  ans,  une  lettre  au  roi  et  une 
aux  évoques,  où  il  fulmine  contre  les  prélats.  Comme 
M.  le  cardinal  était  président,  ils  s'en  sont  pris  à  lui, 
et  les  anciens  auteurs  du  Problème,  qui  peuvent  tout  à 
Rome,  y  ont  bien  contribué.  Ils  s'étaient  flattés  que  le 
décret  serait  porté  au  parlement  et  publié  de  l'autorité 
du  roi  ;  mais,  jusqu'à  présent,  ils  ont  été  trompés,  M.  le 
cardinal  ayant  fait  connaître  au  roi  que  c'était  un  effet 
de  la  colère  du  pape,  parce  qu'il  avait  soutenu  les  droits 
de  la  dignité  épiscopale,  défendu  les  libertés  de  l'Eglise 
gallicane  et  obéi  à  Sa  Majesté.  Cela  est  tombé;  on  n'en 
parle  plus,  et  il  en  est  de  ce  décret  comme  des  autres. 
Je  ne  sais  pas  si  le  nouveau  confesseur,  le  P.  Tellier1, 

1.  Le  P.  Tellier  avait  été  nommé,  en  février  1709,  confesseur  du  roi. 
11  fut  un  des   ennemis  les  plus  acharnés  des  jansénistes  et  du  cardinal 


302        CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QUESNEL 

aura  assez  de  crédit  pour  le  faire  publier;  je  ne  le  crois 
pas.  C'est  lui  contre  qui  ont  été  écrits  les  volumes  III, 
IV,  V  et  VI  de  la  Morale  pratique,  et  Y  Apologie  des  deux 
censures.  Jugez  par  là  comment  il  sera  disposé  à  favo- 
riser les  jansénistes 1. 


Nicolas  Petitpied  à  M.  de  Vauhreuil 

13  juillet  1709. 

M.  de  La  Place  [Fouillou]  est  malade.  Il  a  de  la  fièvre, 
un  mal  de  tête,  un  rhume  et  un  peu  d'oppression.  Je 
crois  que  ce  ne  sera  rien  ;  mais  je  suis  plus  touché  à 
son  égard  d'un  mal  habituel  qu'il  a  depuis  deux  ans 
et  qui  est  la  cause  du  mal  présent.  Il  est  toujours 
comme  enrhumé  du  cerveau,  et  il  éternue  continuelle- 
ment, jusqu'à  cinquante  ou  soixante  fois  par  jour, 
lorsque  le  temps  est  un  peu  plus  froid  et  plus  humide. 
Il  lui  coule  continuellement  par  le  nez  une  humeur 
acre  et  piquante,  qui  lui  écorche  les  narines  et  le  dessus 
des  lèvres.  Il  n'a  guère  eu  de  repos,  depuis  deux  ans, 
que  dans  certains  jours  fort  chauds,  mais  qui  sont  assez 
rares  en  ce  pays-ci,  où  le  vent  du  nord  règne  presque 
toujours.  Nous  ne  savons  quel  remède  apporter  à  ce 
mal.  Il  croit  que  l'air  humide  du  pays  lui  est  contraire. 

M.  Dupuis  [Quesnel]  se  porte  fort  bien.  Il  eut  hier 
soixante-quinze    ans  accomplis,    et    il  entre    dans    sa 

de  No  ailes,  voulant,  dit  Saint-Simon,  «  élever  l'école  de  Molina  contre 
celle  de  saint  Augustin  »,  et  «  ajoutant  à  la  haine  innée  de  son  habit 
contre  tout  ce  qui  s'appelle  jansénistes  et  jansénisme  la  haine  person- 
nelle d'un  écrivain  tant  de  fois  vaincu  par  eux.  Tel  était  le  P.  Tellier, 
lorsqu'il  devint  le  canal  unique  des  grâces  ecclésiastiques  et  le  suprême 
arbitre  delà  religion  en  France.  »  (Ecrits  inédits  de  Saint-Simon,  publiés 
par  Faugère,  t.  II,  p.  470.) 

1.  Du  Vaucel  écrit  à  ce  propos,  le  18  avril  1709  :  «  Arnauld,  le  grand 
Arnauld,  l'a  réduit  quelquefois  en  poudre;  il  ne  remporta  jamais  de 
plus  petite   victoire.  »  (Utrecht,    Lettres  de  du  Vaucet,  t.  X.) 


CORRESPONDANCE  DE  PASQU1ER  QUESNEL        303 

soixante-seizième  année,  en  bonne  santé  et  sans  aucune 
incommodité, 


Quesnel  à  M.  Schort 

19  octobre  1709. 

Ma  santé,  grâce  à  Dieu,  est  bonne,  et,  dans  la  soixante- 
seizième  année  où  je  me  trouve,  Dieu  m'a  préservé, 
par  sa  bonté,  des  incommodités  ordinaires  de  la  vieil- 
lesse. Je  suis  entré  en  même  temps  dans  la  cinquantième 
année  de  mon  sacerdoce. 

M.  Dubois  [Brigode]  vous  fera  tenir  quelques  nou- 
veaux écrits  de  ce  pays.  11  y  en  a  un  qui  contient  trois 
Entretiens1  au  sujet  du  décret  de  Rome  contre  les 
Réflexions  du  P.  Quesnel  sur  le  Nouveau  Testament, 
approuvées  par  M.  le  cardinal  de  Noailles.  On  attribue 
ce  livre  au  P.  Quesnel,  et  cela  me  paraît  assez  probable. 

On  dit  que  M.  l'archevêque  de  Cambrai  va  se  mettre 
à  traiter  le  dogme  sur  1'alïaire  du  jansénisme2.  Ce  pré- 
lat aura  peine  à  se  tenir  dans  de  justes  bornes  ;  il  s'est 
barbouillé  des  opinions  molinicnnes,  et,  s'il  suit  leurs 
idées,  il  se  rendra  digne  de  la  censure  des  plus  habiles 
théologiens;  car,  pour  celle  de  Rome,  les  jésuites,  ses 
bons  amis,  y  sont  trop  puissants  pour  avoir  à  craindre 
les  foudres  du  Vatican,  et    c'est  à   la  faveur  du  grand 

1.  Entretiens  sur  le  décret  de  Rome,  par  le  P.  Quesnel  (in-12, 
296  pages).  L'auteur,  parlant  du  bref  contre  les  Réflexions  morales,  le 
regarde  comme  «  un  attentat  scandaleux  qui  blesse  l'épiscopat  dans  le 
cœur,  un  ouvrage  de  ténèbres  et  l'entreprise  d'une  horrible  cabale  ». 

2.  Un  peu  avec  l'espoir  de  rentrer  en  grâce,  et  aussi  poussé  par  ses 
tendances  naturelles,  Fénelon  se  livre  complètement,  dès  1709,  au  nou- 
veau confesseur.  Il  lui  soumet  ses  ouvrages,  les  fait  même  sur  com- 
mande :  «  Je  travaille  actuellement  sur  le  mandement  de  M.  l'évêque 
de  Saint-Pons,  selon  le  désir  du  révérend  Père  [Tellier]  »  (Lettre  du 
23  novembre  1709.)  Et  plus  loin  :  «  Je  vous  envoie  ma  lettre  sur  la  théo- 
logie d'Habert,  et  je  vous  supplie  de  délibérer  avec  le  P.  Tellier  sur  ce 
qu'il  convient  d'en  faire.  » 


304  CORRESPONDANCE    DE    PASQTJIER    QUESNEL 

crédit  qu'ils  y  ont   qu'ils  lèvent  le  masque  plus  hardi- 
ment que  jamais  contre  la  doctrine  de  saint  Augustin, 


Quemel à  Ernest  Ruth  dyAns{ 

13  décembre  1709. 

Je  vous  suis  bien  obligé,  mon  très  cher  Monsieur, 
de  l'attention  que  vous  avez  eue  à  l'état  où  je  suis,  en 
parlant  aux  deux  personnes,  et  de  la  proposition  que 
vous  leur  avez  faite-,  et  je  suis  aussi  fort  obligé  à  celui 
qui  l'a  reçue  si  favorablement  et  si  obligeamment.  A 
dire  vrai,  l'offrande  ne  saurait  venir  que  très  à  propos; 
car  la  rareté  de  l'argent  et  toutes  sortes  de  misères  sont 
telles,  à  Paris  et  dans  toute  la  France,  qu'il  y  a  peu  de 
personnes  qui  aient  du  superflu,  et  une  infinité  qui 
n'ont  pas  le  nécessaire.  Les  dernières  lettres  qu'on  a 
reçues  de  Paris  en  font  une  peinture  déplorable.  De 
sorte  que  j'ai  peine  à  faire  souvenir  de  mes  besoins  la 
seule  personne  à  qui  j'écrive,  qui  est  Mlle  Petit  [Mlle  de 
Joncoux].  Et  j'y  suis  d'autant  plus  réservé  que  mon 
frère  est  encore  sur  leurs  bras,  étant  dans  la  même 
condition  que  moi.  Je  ne  sais  où  il  est  depuis  un  an 
qu'il  est  sorti  de  Picardie,  par  la  nécessité  où  il  s'est 
trouvé  de  changer  de  lieu.  Dieu  soit  béni!  La  petite 
sœur  a  bien  de  la  charité  et  de  l'amitié;  mais  la  ciainte 
qu'elle  a  (et  très  justement)  que  le  commerce  ne  la 
découvre  fait  que  ce  commerce  est  bien  maigre  et  que 
je  ne  sais  quasi  rien.  Je  n'ose  même  lui  adresser  des 
lettres  pour  l'épargner. 

Je  vous  prie,  Monsieur,  de  témoigner  ma  reconnais- 
sance à  la  personne  qui  est  si  bien  disposée.  Quand 
même,  par  quelque  encontre,  sa  bonne  volonté  n'aurait 

1.  Archives  d'Utrecht. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  305 

pas  son  effet,  je  ne  laisserais  pas  d'en  conserver  pré- 
cieusement le  souvenir. 

Nous  venons  d'apprendre  la  mort  de  Mlle  de  Brigode, 
sœur  de  notre  ami. 


Quesnei  à  Ernest  Rut  h  d'Ans 

16  janvier  1710. 

J'ai  recula  vôtre  du  13,  mon  cher  Monsieur;  j'écrirai 
à  M.  Valloni  [dit  Vaucel]1,  quand  je  saurai  sa  demeure 
fixe,  et  je  lui  toucherai  quelque  chose  des  papiers  ou 
lettres  qu'il  peut  avoir.  Il  en  a  déjà  envoyé  quelques- 
unes  par  Paris,  avec  beaucoup  d'autres  papiers  qui  sont 
ou  copies  des  actes  qu'il  a  faits  et  présentés  à  Rome 
dans  l'affaire  du  formulaire,  ou  des  copies  d'écrits  pour 
et  contre  VAmor  pœnitens.  Je  crois  qu'il  a  donné  à 
M.  de  Louvois  beaucoup  de  lettres  originales. 

Je  ne  doute  point  que  certaines  personnes  à  qui 
vt)us  écrivez  n'aient  retiré  de  la  famille  désolée  beau- 
coup de  papiers'2.  Ils  les  garderont  si  bien  qu'enfin  on 
mettra  la  main  dessus.  Il  n'y  a  plus  de  sûreté  qu'en  ce 
pays  où  il  faudrait  tout  envoyer.  On  en  ferait  usage 
ici,  et  on  n'en  fera  jamais  rien  là  où  tout  tremble. 

1.  Du  Vaucel,  sur  le  point  d'être  chassé  de  sa  résidence,  écrivait  à 
M.  de  Sébaste,  le  21  novembre  1709  :  «  Les  noirs  (les  jésuites)  ont 
dressé  une  nouvelle  machine  pour  faire  chasser  de  Padoue  un  prêtre 
français  qui  y  est  depuis  plus  de  six  ans.  »  C'était  là,  en  effet,  que  du 
Vaucel  s'était  fixé  après  son  départ  de  Rome,  et,  le  lor  décembre  de  la 
même  année,  il  écrit  de  Ferrare  :  «  Je  suis  parti  de  Padoue  lundi,  sur 
un  ordre  portant  que  j'eusse  à  sortir  de  la  ville  dans  vingt-quatre 
heures  et  de  tout  l'état  de  la  République  dans  trois  jours.  Ce  coup,  selon 
toutes  les  apparences,  vient  de  la  Cour  de  France,  à  la  suggestion  du 
Père  confesseur.  »  (Utrecht,  Lettres  de  du  Vaucel,  t.  X.) 

2.  Nous  trouvons,  dans  le  Journal  inédit  du  marquis  de  Torcy 
(1884,  p.  65),  que  «  le  roi  ordonna  que  l'on  remît  à  M.  le  cardinal 
de  Noailles  tous  les  livres  et  tous  les  papiers  trouvés  dans  le  monas- 
tère de  Port-Royal,  dont  M.  d'Argenson  lui  avait  envoyé  quatre 
charrettes  pleines  ». 

il.  20 


306        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

Je  suis  fort  content  qu'on  commence  l'action  contre 
nos  geôliers  et  nos  pillards.  Faudrait-il  pour  cela  beau- 
coup d'écritures?  Faut-il  présenter  d'abord  une  requête 
sommaire  où  l'on  renverrait  à  une  plus  ample  déduc- 
tion dans  la  suite?  C'est  que,  présentement,  je  suis  un 
peu  occupé  à  repondre  aux  deux  Quesnel,  séditieux  et 
hérétique,  pour  laisser  au  moins  quelque  chose  à  la 
postérité.  J'avais  commencé,  il  y  avait  longtemps,  et 
obligé  de  quitter,  un  demandant  une  chose,  un  autre 
en  demandant  une  autre,  outre  des  revisions.  Et  depuis 
même  que  je  m'y  suis  remis,  je  suis  encore  obligé  de 
le  quitter  pour  des  choses  qui  surviennent.  Quand  on  a 
une  fois  commencé  à  plaider,  on  entre  dans  un  chan- 
gement d'écritures  sur  écritures,  et  cela  demande  tout 
le  temps. 

J'ai  vu  ce  que  le  P.  Hardouin  ]  dit  sur  saint  Pierre 
contre  moi;  cela  ne  me  fera  pas  grand  mal.  Je  m'en- 
durcis aux  injures.  Cependant,  en  chemin  faisant,  je 
pourrai  bien  lui  dire  un  mot. 


Quesnel  à  Ernest  Ruth  d'Ans 

14  février  1710. 

J'ai  reçu,  mon  très  cher  Monsieur,  votre  lettre  du  28 
que  l'ami  a  envoyée  de  la  Haye.  Je  vous  remercie  de 
nouveau  de  tout  le  soin  que  vous  avez  bien  voulu 
prendre  pour  l'exécution  du  présent  que  me  fait  mon 
bienfaiteur  invisible.  Voilà  un  mot  de  remerciement 
que  je  vous  prie  de  lui  donner.  M.  Maille,  appa- 
remment, n'aura  que  la  peur2.  Au  moins  il  semble  que 

1.  Le  P.  Jean  Hardouin,  célèbre  par  ses  paradoxes.  Celui-ci  entre 
autres  :  il  prétendait  que  YEnéide  n'était  pas  de  Virgile,  et  qu'Horace 
n'était  pas  l'auteur  des  Odes. 

2.  Déjà,  en  1709,  du  Vaucel,  écrivant  qu'on  était  «  plus  entêté  et 
plus  échauffé  que  jamais  contre  le  prétendu  jansénisme  »,  ajoutait  : 
«  C'est  une  providence  particulière  que  M.  Maille  puisse  se  maintenir 


CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL  307 

les  mémoriaux,  qu'il  a  fait  présentera  la  congrégation 
et  au  pape,  ont  radouci  les  affaires.  On  verra  si  c'est 
une  espérance  trompeuse. 

Je  ne  crois  pas  que  vous  deviez  rien  renvoyer  en 
France.  C'est  se  moquer  d'y  garder  même  ce  qui  y  est. 
Ils  devraient  au  moins  faire  faire  des  copies  bien  corri- 
gées et  les  envoyer  ici;  car  jamais  on  n'aura  tant  de 
commodité  d'en  faire  usage,  comme  jamais  on  n'en 
aura  tant  de  besoin.  J'ai  dressé  une  courte  requête;  je 
pourrai  vous  l'envoyer  la  semaine  prochaine.  On  mande 
que,  dans  la  prochaine  assemblée  du  clergé,  qui  com- 
mencera le  10  du  mois  prochain,  on  prendra  des  mesures 
pour  faire  le  procès  à  M.  de  Saint-Pons,  qu'on  y  résou- 
dra une  signature  universelle;  et  qu'on  condamnera  le 
Nouveau  Testament  du  P.  Quesnel,  en  acceptant  le 
décret  de  Rome.  Dieu  sur  tout. 


Quesnel  à  M.  Sckort 

12  septembre  1710. 

La  pauvre  Eglise1  est  toujours  dans  la  désolation, 
toujours  divisée,  toujours  sans  gouvernement.  Il  n'y  a 
que   Dieu   qui    puisse   la    secourir,    car    les    Romains 

à  Rome.  »  (L'trecht,  Lettres  de  du  Vaucel,  t.  X.)  Cette  providence  semble 
l'abandonner  quelques  mois  plus  tard,  et  l'agent  de  Noailles,  le 
P.  Roslet,  annonce  au  cardinal  que  «  M.  de  la  ïrémoille  demande  à  Sa 
Sainteté  qu'elle  fasse  sortir  de  Rome  le  sieur  Maille  ».  «  11  le  mérite, 
s'écrie-t-il,  carc'est  un  véritable  brûlot  dejanséniste,  qui  commet  beau- 
coup d'honnêtes  gens  en  les  citant  mal  à  propos  »;  puis,  à  sept  jours 
de  date,  le  12  juillet  1710  :  «  M.  Maille  fut  arrêté  avant-hier  et  conduit 
au  château  Saint-Ange.  Il  était  cru  l'agent  de  la  cabale  jansénienne 
avec  assez  de  fondement  Je  m'en  suis  toujours  défié  comme  d'un 
homme  dangereux.  »  (Ait",  étr.,  Rome,  487.) 

1.  Il  s'agit  de  l'Eglise  de  Hollande,  «  où  les  brouilleries  sur  le  jansé- 
nisme, écrit  Petitpied,  sont  pires  qu'en  France.  Là,  les  théologiens  seu- 
lement s'en  mêlent  ;  ici,  les  enfants  de  sept  ans  en  parlent  selon  les 
préjugés  de  leurs  parents,  et  les  paysans  composent  des  livres.  » 
(Amersfoort,  Lettres  de  Petitpied.) 


308  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

demeurent  insensibles  à  ses  maux  et  inflexiblement 
attachés  au  dessein  de  la  gouverner  despotiquement  et 
comme  une  Eglise  de  la  Chine.  En  France,  le  feu  est 
plus  violemment  que  jamais.  Le  confesseur  du  roi  très 
chrétien,  le  P.  Tellicr,  qui  est  l'apologiste  des  cultes 
chinois,  contre  qui  ont  été  faits  les  six  derniers  volumes 
de  la  Morale  pratique  des  jésuites,  ce  Père,  dis-je,  est 
tout-puissant;  il  fait  introduire  partout  la  signature  du 
formulaire1.  Depuis  la  mort  de  l'archevêque  de  Reims2, 
en  vertu  d'une  lettre  de  cachet,  on  a  fait  signer  tous 
ceux  de  l'Université  et  delà  cathédrale.  Deux  chanoines, 
frères  et  très  vertueux,  ont  abandonné  leurs  canonicats 
et  ont  disparu.  Vous  savez  la  destruction  de  Port-Royal- 
des-Champs3;  on  a  abattu  les  bâtiments  et  enlevé  toutes 
les  religieuses,  qui  ont  été  dispersées  en  divers  monas- 
tères étrangers.  L'abbesse  de  Port-Royal  de  Paris,  qui 
avait  poursuivi  chaudement  cette  destruction  et  s'était 
fait  adjuger  les  biens  et  les  meubles  de  Port-Royal-des- 
Ghamps,  est  morte  depuis  peu,  subitement,  sans  rece- 
voir le  saint  viatique4. 

On  a  mis,  à  Rome,  à  l'Inquisition  deux  vertueux 
ecclésiastiques  de  nos  amis,  sans  qu'on  sache  pourquoi. 
L'un  est  M.  Maille5,  Français  exilé  pour  l'affaire  des 
Filles  de  l'enfance;  l'autre  un  monsieur  Deschamps, 
Liégeois,  chassé  par  les  jésuites  du  séminaire  de  Liège. 


1.  On  écrivait  de  Paris  au  P.  Quesnel  :  «  On  menace  beaucoup  l'Ora- 
toire; on  craint  fort  qu'on  y  demande  une  signature  générale  ;  on  donne 
partout,  plus  que  jamais,  la  chasse  aux  livres  de, ces  messieurs.  »  (Amers- 
foort,  Lettres  au  P.  Quesnel.) 

2.  Charles-Maurice  Le  Tellier,  mort  en  février  1710. 

3.  Le  29  octobre  1709. 

4.  M,,,c  de  Château-Renaud  mourut,  en  effet,  moins  d'un  an  après  la 
destruction  de  Port-Royal,  le  25  août  1710. 

5.  «  11  s'est  parfaitement  bien  défendu,  écrit  du  Vaucel,  le  24  sep- 
tembre 1710;  son  premier  interrogatoire,  qui  fut  fait  par  l'assesseur, 
dura  six  heures  le  matin  et  six  heures  l'après-dîner.  On  dit  que  l'asses- 
seur fut  obligé  de  changer  de  chemise  trois  ou  quatre  fois.  »  (Utrecht, 
Lettres  de  du  Vaucel,  t.  X.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  309 

Petitpied  à  M.  de  Vaubreuil 

17  novembre  1710. 

M.  de  La  Place  [Fouillou]  est  toujours  dans  le  même 
état,  ou  plutôt  il  est  plus  mal  que  Tannée  passée.  Le 
rhume  est  continuel,  et  toutes  les  nuits  il  a  une  oppres- 
sion de  poitrine1.  Les  médecins  disent  que  c'est  le  scor- 
but, maladie  presque  universelle  dans  ce  pays-ci,  et 
dont  peu  de  gens  sont  exempts.  Si  cela  est,  il  ne  gué- 
rira jamais  à  l'air  d'Amsterdam.  Le  fond  de  cette  mala- 
die est  une  salure  dans  le  sang,  qui  produit,  selon  les 
sujets,  une  infinité  d'effets  différents.  Le  plus  ordinaire 
est  d'attaquer  les  gencives  et  les  dents.  Ici,  c'est  une 
eau  acre  et  salée  qui  coule  par  le  nez  et  qui  se  jette 
sur  la  poitrine.  Je  ne  m'étonne  pas  que  les  Hollandais 
aient  ce  mal-là,  car  ils  mangent  toujours  de  la  viande 
salée  et  fumée;  mais,  pour  nous,  nous  n'en  usons  jamais; 
toujours  de  la  soupe  et  de  la  viande  fraîche  à  la  fran- 
çaise. M.  Dupuis  [Quesnel]  s'en  trouve  fort  bien,  et  moi 
aussi;  nous  n'avons  pas  la  moindre  incommodité  de 
l'air  de  ce  pays-ci.  Je  ne  sais  pourtant  pas  si  les  méde- 
cins ont  raison  de  traiter  de  scorbut  la  maladie  de  M.  de 
La  Place.  Pour  lui,  il  souffre  avec  patience  et  ne  veut 
faire  aucun  remède.  Il  se  porte  mieux  le  jour  que  la 
nuit  et  n'a  ni  fièvre,   ni  mal  de  tête. 


Quesnel  à  su  sœur,   religieuse  de  Luxeuil 

[Ordre  de  Cîleaux) 

27  décembre  1710. 

Vous  savez  peut-être,  ma  très  chère  sœur,  que,  pour 
me  rendre    hérétique,   on  a    été  chercher  des   erreurs 

1.  Fouillou  souffrait  d'un   asthme  chronique. 


310  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

dans  mes  Réflexions  sur  le  Nouveau  Testament.  C'est 
assurément  où  ils  doivent  moins  espérer  d'en  trouver, 
après  l'approbation  de  trois  évoques  de  Chàlons  et  sur- 
tout d'un  archevêque,  M.  le  cardinal  de  Noailles,  et 
après  que  les  plus  savants  hommes  de  l'Eglise  n'y  ont 
rien  trouvé  que  de  catholique  et  d'édifiant.  Gela  me  suf- 
fisait, et  au  delà  ;  mais  Dieu  a  bien  voulu  y  ajouter 
depuis  peu  un  nouveau  témoignage,  et  qui  est  d'un 
grand  poids.  Il  y  a  onze  ans  que  feu  M.  Bossuet,  évêque 
de  Meaux,  fit  une  apologie  de  mes  Réflexions,  aussi 
avantageuse  qu'on  la  peut  désirer,  et  je  n'y  vois  qu'avec 
confusion  les  louanges  qu'il  donne  à  cet  ouvrage. 
Cette  apologie  était  demeurée  ensevelie  dans  ses  papiers  ; 
mais  il  est  arrivé  qu'une  copie  de  l'écrit  de  ce  savant 
prélat  a  été  découverte,  m'a  été  mise  entre  les  mains 
et  qu'elle  est  devenue  publique  par  l'impression1.  Je 
ne  sais  qui  pourra  être  assez  hardi  pour  m'opposer 
son  jugement  à  celui  d'un  évêque  qui  était  regardé, 
dans  toute  l'Eglise,  comme  un  des  plus  savants  hommes 
qu'elle  eût  et  comme  celui  qui  défendait  la  foi  et  la  fai- 
sait triompher  de  ses  adversaires.  Je  n'aurais  pas  désiré 
pour  moi  une  apologie  plus  éclatante;  mais  ceux  qui 
ne  cèdent  à  aucune  autorité  ne  céderont  point  à  celle- 
ci.  Je  m'attends  bien  à  leur  voir  continuer  leurs  calom- 
nies, et  je  continuerai,  avec  le  secours  de  Dieu,  de  les 
souffrir  en  paix  et  d'attendre  celui  qui  doit  venir  éclai- 
rer les  ténèbres  les  plus  épaisses  et  mettre  en  évidence 
les  secrets  des  cœurs. 

Comme  les  consolations  de  cette  vie  ne  sont  pas  par- 
faites, mais  toujours  entremêlées  de  quelque  amertume, 


\.  Cette  publication  fut  un  coup  de  maître  et  reste  assez  inexplicable. 
D'où  Quesnel  tenait-il  le  manuscrit?  Le  cardinal  de  Noailles,  ou  l'abbé 
Boileau,  son  homme  de  confiance,  ne  sont-ils  pas  intervenus  dans  l'im- 
pression d'un  ouvrage  si  utile  à  leur  cause  et  d'une  portée  si  considé- 
rable ?  Toujours  est-il  que  Quesnel,  seul,  en  prend  la  responsabilité  et 
va  ainsi  lier  étroitement  sa  cause  à  celle  de  l'archevêque  de  Paris, 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  311 

celles  que  j'ai  reçues  des  louanges  de  M.  de  Meauxont 
été  tempérées  par  la  douleur  de  perdre  le  plus  solide 
et  le  plus  illustre  ami  que  j'eusse  en  ce  pays'.  C'est 
M.  l'archevêque  de  Sébaste,  vicaire  apostolique  dans 
ces  provinces.  C'était  un  prélat  fort  sage  et  attaché  à 
la  vérité,  d'un  cœur  bien  droit,  et  qui  avait  un  grand 
soin  d'établir  l'ordre  et  la  discipline  dans  l'Eglise.  Il  a 
été  opprimé  par  la  calomnie,  et  il  a  porté  avec  beau- 
coup de  douceur,  de  fermeté,  d'humilité  et  de  courage, 
l'humiliation  et  les  vexations  qu'on  lui  a  procurées, 
et  il  n'a  jamais  voulu  s'en  délivrer  par  aucune  démarche 
qui  pût  faire  préjudice  à  la  vérité,  à  son  innocence  et  à 
la  justice. 

Son  Eglise  est  encore  dans  la  désolation,  et  ceux  qui 
ont  ruiné  la  religion  dans  le  vaste  empire  de  la  Chine 
la  ruinent  aussi,  autant  qu'il  est  en  eux,  dans  cette 
portion  de  l'Eglise  qui  subsiste  parmi  ses  ennemis. 

Je  ne  dis  rien  de  la  destruction  de  la  plus  sainte 
maison  de  votre  ordre.  11  vaut  mieux  n'en  rien  dire  et 
n'en  parler  qu'à  Dieu. 


Quesnel  à  M.   Hugo  van   Httssen2 

8  avril  1711. 

L'invitation  que  vous  avez  la  bonté  de  nous  faire, 
pour  aller  prendre  l'air  dans  votre  agréable  campagne, 
est  une  rente  que  vous  payez  toujours,  Monsieur,  avec 
de  nouvelles  marques  de  votre  amitié.  Nous  vous  en 
remercions  très  humblement,  et  nous  l'acceptons  avec 
une  parfaite  reconnaissance  envers  vous,  Monsieur,  et 

1.  Pierre  Codde,  archevêque  de  Sébaste,  mort  le  18  décembre  1710, 
à  soixante-deux  ans.  Il  fut  jugé  indigne  de  la  sépulture  ecclésiastique 
par  rinquisitionde  Rome  ;  mais  on  l'enterra  près  de  Leyde,  à  Warmond, 
avec   honneur. 

2.  Archives  d'Utrecht,  t.  II,  625, 


312  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

envers  Mademoiselle  votre  sœur.  Mais  il  faut  donner  le 
temps  à  l'air  de  se  réchauffer,  à  la  terre  de  se  revêtir 
d'herbe  et  de  fleurs,  et  à  votre  jardin  de  reprendre  sa 
première  beauté.  J'aurai  l'honneur  de  vous  demander 
le  temps  de  votre  commodité,  quand  nous  serons  en 
état  de  jouir  de  vos  offres  si  obligeantes.  Nous  allons 
avoir  l'embarras  d'un  déménagement.  Nous  ne  faisons 
que  passer  le  canal  pour  aller  demeurer  dans  la  mai- 
son qui  est  vis-à-vis  de  la  nôtre.  Nous  avions  encore 
un  an  de  bail;  mais  un  M.  Muysaërt,  échevin  de  cette 
ville,  gendre  d'un  bourgmestre  défunt,  et  neveu  d'un 
autre  vivant,  M.  de  Haze,  ayant  eu  besoin  de  notre 
maison  pour  ses  desseins,  il  l'a  achetée  et  nous  a  priés 
de  sortir  dès  cette  année,  en  cas  que  nous  trouvassions 
une  autre  maison  qui  nous  accommodât;  nous  n'avons 
pu  nous  en  défendre.  C'est  un  homme  fort  honnête, 
qui  sera,  l'année  prochaine,  député  de  cette  ville  à  la 
Haye,  et  que  nous  aurions  [désobligé  si  nous  ne  lui 
avions  donné  cette  satisfaction.  La  maison  où  nous 
allons  ne  nous  est  pas  si  commode  pour  l'étendue, 
quoiqu'elle  soit  beaucoup  plus  chère;  mais  elle  a  un 
long  jardin.  Nous  irons  vous  demander  de  quoi  l'em- 
bellir. 

Peut-être  aurons-nous,  cet  été,  M.  Valloni  [du  Vau- 
cel]  chez  nous.  Je  le  crois  en  France  à  l'heure  qu'il 
est;  il  est  bon  de  n'en  point  parler  encore  à  personne. 


Quesnel  à  M.  Schort 

5  mai  1711. 

Grâces  à  Dieu,  Monsieur,  il  ne  nous  est  arrivé  aucun 
malheur  ;  nous  sommes  en  bonne  santé  et,  si  on  pou- 
vait oublier  les  maux  de  l'Eglise,  qui  croissent  de  jour 
en  jour,  on  pourrait  dire  que  l'on  est  content. 

Nous  avons  eu  l'embarras  d'un  déménagement  dans 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  34  3 

lequel  j'ai  perdu  ou  égaré  un  cahier  de  lettres,  entre  les- 
quelles étaient  les  vôtres,  de  sorte  que  je  ne  sais  encore 
si  je  me  pourrai  souvenir  de  votre  adresse.  Nous  ferons 
un  petit  paquet  au  plus  tôt,  où  je  ferai  mettre  la  Réponse 
de  Messieurs  des  Missions  étrangères  à  la  protestation 
des  jésuites.  C'est  une  pièce  accablante  pour  eux.  On  y 
joindra  le  septième  et  le  huitième  volume  du  Cas  de 
Conscience ,  quelques  écrits  pour  Port-Royal  détruit,  une 
Réponse  aux  deux  lettres  de  M.  l'archevêque  de  Cambrai 
au  P.  Quesnel\  et  tout  ce  qu'il  y  aura  prêt  à  être  en- 
voyé. Il  y  aura  aussi  le  Mahomètisme  toléré  par  les 
jésuites  dans  les  îles  de  F  Archipel.  Les  jésuites,  dont 
le  crédit  et  l'abus  qu'ils  en  font  croissent  de  jour  en 
jour,  ont  engagé  plusieurs  évêques  de  leur  façon  à 
faire  des  ordonnances  contre  les  Réflexions  morales. 
Ceux  de  Luçon  et  de  la  Rochelle  en  ont  fait  une  en 
commun,  où  le  pur  molinisme  et  le  demi-pélagianisme 
sont  établis  sans  ménagement2.  Ce  sont  des  évêques 
sans  lumière  et  sans  science,  et  que  récrit  justificatif 
de  feu  M.  de  Meaux  doit  couvrir  de  confusion.  Ces  Pères 
ont  engagé  ces  mêmes  évêques  à  écrire  au  roi  une 
lettre  lapins  insolente  contre  M.  le  cardinal  de  Noailles, 

1.  Réponse  aux  deux  lettres  de  M.  V archevêque  de  Cambrai  au 
P.  Quesnel.  (1711,  140  pages.)  «  Ecrit,  dit  le  Dictionnaire  de  Patouillet, 
qui  porte  sur  le  front  l'empreinte  de  l'erreur  et  de  l'insolence.  »  L'erreur, 
non  pas;  mais  l'insolence,  vis-à-vis  de  la  compagnie  de  Jésus,  nous 
vaut  l'admirable  éloquence  de  certains  passages  :  «  Je  vous  l'ai  déjà 
dit,  je  n'ai  ni  école,  ni  disciples.  Je  ne  suis  chef  d'aucun  parti;  je  n'en 
connais  aucun,  j'ai  en  horreur  tout  parti,  soit  dans  l'Etat,  soit  dans 
l'Eglise.  Mon  nom  est  chrétien,  mon  surnom  est  catholique,  mon  chef 
est  Jésus-Christ,  ma  loi  c'est  l'Evangile,  les  évêques  sont  mes  Pères-,  et 
le  Souverain  Pontife  est  le  premier  de  tous.  »  (P.  81.) 

2.  Cette  ordonnance  de  MM.  de  Lescure,  évêque  de  Luçon,  et  de 
Champflour,  évêque  de  la  Rochelle,  est  du  15  juillet  1710,  et  fut  élaborée 
par  Fénelon  et  les  jésuites.  L'archevêque  de  Cambrai  chargea  l'abbé 
de  Langeron  de  voir  et  de  pousserM.de  Champflour,  tout  en  lui  recom- 
mandant de  rester  dans  la  coulisse  :  «  Il  est  capital  que  ni  vous,  ni 
aucun  de  nos  amis  ne  puisse  être  soupçonné,  ni  de  discourir,  ni  de 
s'intriguer  dans  cette  affaire.  11  faut  ôter  tout  prétexte  de  dire  que 
nous  nous  donnons  du  mouvement  contre  les  jansénistes.  » 


314  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

où  ils  se  plaignent  de  ce  que  cette  Eminence  a  obligé 
deux  de  leurs  neveux  à  se  retirer  du  séminaire  de 
Saint-Snlpice  de  Paris,  et  où  ils  demandent  au  roi  qu'il 
veuille  révoquer  le  privilège  donné  pour  l'impression 
des  Réflexions* .  Tout  le  monde  en  est  indigné;  on  verra 
ce  qui  en  arrivera.  Il  y  a  un  Deuxième  Gémissement 
sur  la  destruction  de  Port-Royal1.  La  mort,  qui  a  enlevé 
M.  le  dauphin3  et  Mme  la  princesse  de  Gonti  douairière, 
fille  naturelle  du  roi,  parait  à  bien  des  gens  un  effet  de 
la  justice  de  Dieu  sur  cette  destruction,  et  la  part  que 
le  cardinal  archevêque  de  Paris  y  a  eue  fait  qu'on  ne 
le  plaint  guère  dans  les  insultes  qu'il  souffre  de  la  part 
des  jésuites  et  de  leurs  créatures. 

Nous  avons  de  la  joie  de  ce  que  le  pape  a  rendu 
témoignage  à  l'innocence  et  à  la  catholicité  de  votre 
Eglise  et  de  ses  pasteurs. 


Quesnel  à  Mme  de  Fontpertnis 

10  août  1711. 

Nous  revenons  de  la  campagne,  et  une  de  mes  pre- 
mières pensées  est  de  vous  écrire,  Madame,  car  il  y  a 
longtemps  que  je  ne  l'ai  fait,  quoique  mon  inclina- 
tion y  soit  tout  entière;  mais,  comme  il  ne  me  faut  pas 
beaucoup  d'affaires  pour  m'occuper,  elles  suffisent 
aussi  pour  remplir  tout  mon  temps. 

1.  MM.de  Ghampflour,  de  Lescureet  de  Malissoles,  évêque  de  Gap  (qui 
avait  fait  aussi  son  petit  mandement  contre  les  Réflexions  morales,  le 
4  mars),  s'indignent  de  l'ordonnance  du  cardinal  de  Noailles,  qui  rom- 
pait ouvertement  avec  la  cour  et  Mmc  de  Maintenon  et  interdisait  dans 
le  diocèse  de  Paris  la  lecture  des  trois  mandements. 

2.  Second  Gémissement  d'une  âme  vivement  touchée  de  la  destruction 
du  saint  monastère  de  Port-Royal,  1710,  par  l'abbé  Le  Sesned'Etemare. 
C'est  une  sorte  de  lamentation,  d'un  style  étrange  et  symbolique,  bien 
particulier  à  cet  abbé,  dont  nous  nous  occuperons  plus  tard,  à  propos 
des  convulsions. 

3.  Monseigneur  mourut,  à  Meudon,  de  la  petite  vérole,  le  14  avril  1111, 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  315 

Mais  parlons  un  peu  devons,  ma  très  honorée  sœur. 
Gomment  va  votre  santé?  Car  vos  dernières  lettres  ne 
me  donnaient  pas  contentement  sur  cet  article,  en  me 
faisant  connaître  de  si  fréquentes  rechutes.  Je  veux  espé- 
rer que  la  belle  saison  vous  aura  donné  une  nouvelle 
vigueur;  mais  je  comprends  bien  que  vous  portez  tou- 
jours dans  le  cœur  une  source  d'affliction  qui  ne  se  tarira 
pas  si  tôt,  ni  si  facilement.  Les  sujets  de  douleur  aug- 
mentent de  jour  en  jour;  mais  aussi,  de  jour  en  jour, 
nous  approchons  du  terme  où  toutes  les  larmes  de  nos 
chères  amies  seront  essuyées  de  la  main  de  Dieu  même, 
et  quelles  retrouveront  dans  Dieu  même  l'Eglise,  la 
maison,  les  biens  de  la  sainte  communauté,  qui  leur 
ont  été  enlevés. 

Nous  vîmes,  cet  hiver,  chez  nous  M.  Paulin  [Ernest 
Rnth  d'Ans].  Il  nous  est  encore  venu  voir,  il  n'y  a 
que  trois  ou  quatre  jours,  chez  un  ami  commun1,  à 
trois  lieues  de  la  Hâve.  11  est  encore  dans  cette  dernière 
ville  pour  l'affaire  de  son  nouveau  bénéfice  de  Tournai. 
Je  ne  connais  point  de  ses  amis  qui  ne  voulussent  qu'il 
ne  se  fut  point  engagé  dans  cette  affaire,  où  l'on  s'ima- 
gine qu'il  sollicite  les  puissances  protestantes  contre 
celles  de  l'Eglise;  mais  l'engagement  est  pris,  et  il  est 
difficile  de  le  rompre. 

Nous  avons  ici  l'ancien  ami  de  Rome2,  qui  s'estretiré 
d'Italie  pour  ne  pas  tomber  entre  les  mains  de  ceux  qui 
n'épargnent  personne. 

Les  deux  seuls  ecclésiastiques  qui  étaient  à  Rome, 
de  notre  connaissance,  y  sont  en  prison,  il  y  a  plus  d'un 
an.  L'un  des  deux  a  agi  pour  les  religieuses  extermi- 
nées. C'est  sans  doute  un  de  ses  crimes. 

1.  M.  van  Hussen. 

2.  Du  Vaucel. 


316  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 


Quesnel  à  M.  Schort 

G  septembre  1111. 

On  a  publié  la  mort  du  cardinal  de  Tournon  ;  on  ne 
sait  si  cette  nouvelle  est  vraie.  C'est  d'Angleterre  que 
l'a  apprise  l'abbé  Passionei,  qui  est  à  la  Haye  pour  veil- 
ler sourdement  aux  intérêts  de  la  cour  de  Rome.  Je 
vous  prie  de  tâcher  d'avoir  quelque  habitude  avec  une 
personne  qui  soit  informée  des  vaisseaux  qui  viennent 
de  temps  en  temps  delà  Chine,  et  d'apprendre  des  capi- 
taines ou  des  passagers,  ou  du  cardinal,  s'il  est  encore 
en  vie,  ou  de  ce  qui  se  passe  dans  cette  pauvre  Eglise 
désolée  et  ravagée1.  Les  Portugais  ou  les  Anglais  en 
peuvent  apporter  là  des  nouvelles.  Les  Romains,  et 
surtout  le  misérable  cardinal  Fabroni,  font  une  cruelle 
persécution  aux  ecclésiastiques,  qu'ils  soupçonnent 
d'être  jansénistes  ou  d'avoir  quelque  commerce  avec 
ceux  de  France  ou  de  Hollande,  s'il  y  en  a.  Ils  ont  mis 
à  l'Inquisition,  il  y  a  déjà  plus  d'un  an,  deux  prêtres 
démérite;  un,  nommé  M.  Maille,  qui  a  enseigné  autre- 
fois la  théologie  dans  le  séminaire,  sous  le  cardinal 
Grimaldi,  et  qui  avait  à  Rome  un  bénéfice  et  une  chaire 
d'histoire  ecclésiastique;  l'autre,  un  M.  Deschamps,  qui 
enseignait  dans  le  séminaire  de  Liège,  avant  que  les 
jésuites  l'eussent  envahi.  Depuis  un  mois  ou  six  semaines 
ils  ont  fait  arrêter  à  Florence  un  M.  Alberti,  ou,  de  son 

1.  Nous  avons  sous  les  yeux  une  lettre  écrite  de  «  Canton,  au 
royaume  de  la  Chine,  le  20  février  1711  »,  parle  P.  Mugnoz,  mission- 
naire dominicain  et  docteur  de  la  faculté  de  Paris,  donnant  les  détails 
les  plus  précis  et  les  plus  douloureux  sur  la  captivité  et  la  mort  du  car- 
dinal de  Tournon  :  «  La  rage  et  la  fureur  de  ses  ennemis  se  porta  jus- 
qu'à lui  refuser  les  aliments  nécessaires  à  la  vie.  Enfin  le  pauvre  To/o- 
la-o-ve  (c'était  le  nom  chinois  de  M.  le  cardinal),  succombant  aux 
ennuis  et  aux  persécutions,  tomba  malade.  Et,  L'apoplexie  qui  survint 
lui  ayant  ôté  l'usage  de  ses  membres,  il  mourut  le  jour  de  la  Pentecôte. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        317 

vrai  nom,  l'abbé  Tourreil1,  ecclésiastique  de  mérite  et 
de  qualité,  qui  était  professeur  en  droit  canon,  à  Tou- 
louse, et  avait  été  obligé  de  sortir  de  France  pour  avoir 
rendu  service  aux  Filles  de  l'enfance.  Il  est  fils  d'un  pro- 
cureur général  du  parlement  de  Toulouse,  et  il  trou- 
verait de  la  protection  dans  sa  famille,  qui  est  considé- 
rable, si  ces  vexations  ne  se  faisaient  pas  à  Rome,  de 
concert  avec  les  jésuites  de  France. 

Je  ne  sais  si  vous  lisez  les  gazettes  françaises  d'Ams- 
terdam ;  elles  ont  parlé  assez  amplement  du  différend 
qui  est  entre  M.  le  cardinal  de  Noailles  et  les  évoques 
de  Luçon,  de  la  Rocbelle  et  de  Gap.  Elles  ont  même 
publié  plusieurs  pièces  qui  concernent  cette  affaire,  et 
qu'on  vient  de  mettre  tout  ensemble  avec  des  réflexions 
sur  quelques-unes2.  L'affaire  a  fait  un  très  grand  éclat; 
on  a  tâché  de  l'accommoder;  cela  n'est  pas  encore  fini. 
La  faiblesse  de  M.  le  cardinal  de  Noailles  lui  a  fait  perdre 
de  grands  avantages,  dont  il  pouvait  se  prévaloir  pour 
humilier  ses  ennemis,  qui  sont  les  jésuites3.  Il  en  a 
interdit  trente,  de  quarante-huit  qui  confessaient  ou  prê- 
chaient, de  la  seule  maison  professe  de  Saint-Louis,  et 
a  restreint  le  pouvoir  même  du  P.  Tellier,  confesseur 
du  roi,  en  lui  continuant  son  pouvoir  exceptis  monia- 
li/)tts'[.  On  croit  que,  quand   on  viendra  à  vouloir  faire 

1.  Voir  la  noie  du  9  septembre  1688. 

2.  Relation  de  ce  qui  s'est  passé  dans  le  différend  de  MM.  de  Luçon, 
de  la  Rochelle  et  de  Gap  (1711,  52  pages),  par  Louis  Tiberge,  abbé 
d'Andrès,  savant  et  pieux  ecclésiastique,  celui-là  même  qui  jouera  un 
rôle  si  touchant  dans  le  roman  de  l'abbé  Prévost,  Manon  Lescaut. 

3.  Le  malheureux  cardinal,  poursuivi  et  traqué,  adresse  au  roi  ces 
plaintes  prophétiques  :  «  Au  surplus,  Sire,  quand  ceux  qui  me  tour- 
mentent depuis  si  longtemps,  c'est-à-dire  les  jésuites,  voudront  me 
laisser  en  repos  et  se  tenir  à  leur  place,  tout  ira  bien.  Mais,  s'ils  con- 
tinuent, ils  troubleront  tout;  ils  exposeront  l'Eglise  de  votre  royaume 
à  un  schisme  et  aux  plus  grandes  extrémités;  car  je  puis  assurera 
Votre  Majesté  qu'il  y  a  ici,  et  dans  les  provinces,  plusieurs  prélats  très 
impatients  du  joug  qu'ils  veulent  nous  imposer,  et  qu'ils  me  pressent 
d'agir  pour  les  en  défendre.  »  11  mai  1711.  (Bibl.  nat.,  ms.  23484.) 

4.  Excepté  la  faculté  de  prêcher  en  public. 


318  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

continuer  les  pouvoirs  à  ceux  du  collège  et  du  noviciat, 
Son  Eminence  en  retranchera  encore  beaucoup,  si  toute- 
fois il  en  a  le  courage.  Il  a  été  fort  sollicité,  surtout  du 
côté  du  nonce,  de  retirer  son  approbation  du  livre  des 
Réflexions  du  P.  Quesnel,  ou  môme  de  les  condamner1. 
Jusqu'à  présent  il  a  tenu  bon;  je  ne  sais  ce  qui  en  sera. 
Je  suppose  que  vous  savez  la  découverte  qui  a  été  faite 
de  l'intrigue  des  jésuites,  par  l'interception  d'une  lettre 
et  d'un  modèle  de  lettre  au  roi  que  ces  Pères  envoyaient 
aux  évêques2.  Gela  a  fait  un  grand  éclat. 


Petit  pied  à  *** 

22  octobre  1711. 

M.  le  cardinal  fait  paraître  pour  la  vérité,  quand 
il  y  va  de  son  honneur,  une  fermeté  que  je  voudrais 
qu'il  eût  fait  paraître  en  faveur  de  la  vérité  seule.  Ce 
que  vous  me  mandez  de  Son  Eminence  et  du  courage 
qu'elle  a  témoigné  depuis  peu  nous  a  fait  beaucoup  de 
plaisir.  Il  paraît  un  petit  ouvrage  ici  sur  cette   affaire, 


1.  L'évêque  de  Mirepoix,  La  Broue,  qui  tiendra  ferme  jusqu'à  la 
mort  devant  les  prétentions  romaines,  inquiet  de  la  faiblesse  déjà  con- 
nue du  cardinal  de  Noailles,  lui  écrit,  le  2  août  1711  :  «  Quelques  efforts 
qu'on  fasse  contre  la  doctrine  du  livre  que  vous  avez  approuvé,  j'es- 
père bien  que  vous  ne  révoquerez  point  l'approbation  que  vous  lui 
avez  donnée.  ■>>  (Amersfoort,  carton  58.)  Golbert  de  Groissy,  le  grand 
évêque  de  Montpellier,  lui  écrit  aussi,  le  25  novembre  1711,  à  propos 
de  la  révocation  du  privilège  du  livre  en  question  :  «  Il  est  moins  le 
livre  du  P.  Quesnel  que  le  vôtre,  Monseigneur,  et  vous  devez  le  soute- 
nir, non  pas  tant  parce  qu'il  vous  appartient  que  parce  que  c'est  le  plus 
excellent  ouvrage  qu'on  puisse  mettre  aux  mains  des  ecclésiastiques 
et  de  tous  les  fidèles.  » 

2.  Par  l'entremise  de  l'abbé  Bochard  de  Saron,  le  P.  Tellier  faisait 
parvenir  aux  évêques  un  modèle  de  lettre  au  roi  contre  le  cardinal 
de  Noailles.  «  Le  secret  est  promis,  ajoutait-on,  à  tous  ceux  qui  écri- 
ront. »  Cette  lettre  tomba  miraculeusement  entre  les  mains  de  Noailles, 
qui  en  fit  un  grand  bruit,  mais  ne  sut  pas  en  profiter  adroitement. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  319 

qui  a  pour  titre  :  F  Intrigue  découverte^.  Je  ne  sais  s'il 
est  passé  jusqu'à  Paris. 

M.  l'abbé  de  Saint-Tropez,  qui  parle  de  sept  per- 
sonnes réfugiées  chez  un  libraire,  est  mal  informé  de 
ce  fait. 

Ce  prétendu  libraire  est  M.  Dubois  [Brigode],  qui  fait 
imprimer  et  vend  des  livres  ;  mais  il  n'a  point  de  bou- 
tique, et  il  n'est  point  du  corps  des  libraires  de  cette 
ville.  Ces  sept  réfugiés  se  réduisent  à  deux:  M.  Dupuis 
[Quesnel]  et  M.  Gallois  [Petitpied].  M.  de  La  Place 
[Fouillou],  qui  était  le  troisième,  est  présentement  à 
Anvers.  Quant  à  la  dépense,  elle  est  beaucoup  plus  forte 
qu'on  ne  le  suppose.  100  écus,  c'est-à-dire  300  francs 
de  France,  ne  sont  pas  ici  200  florins,  et  nous  en  dépen- 
sons chacun  au  moins  600  par  an,  parce  que  tout  est 
fort  cher,  et  surtout  depuis  que  nous  avons  été  obligés 
de  prendre  une  maison  de  700  florins,  moins  commode 
que  celle  que  nous  avions  à  plus  bas  prix,  mais  plus 
apparente,  ce  qui  a  été  cause  qu'on  nous  a  augmenté 
la  taxe  de  tous  les  droits  qu'il  faut  payer. 

Pour  la  dépense  qu'il  suppose  que  nous  faisons  en 
livres,  elle  est  nulle.  Nous  n'en  achetons  aucun.  Nous 
nous  contentons  de  ceux  de  M.  Dupuis  et  de  M.  Du- 
bois, et  nous  en  empruntons.  Du  reste,  il  est  vrai 
qu'on  vit  en  commun  et  qu'on  récite  ensemble  l'office. 

Quesnel  à  M.  Petitpied l 

Amsterdam,  15  novembre  1711. 

Je  reçois,  Monsieur,  votre  lettre  avec  l'incluse.  Je 
vous  en  remercie,  quelque  mauvaise  que  soit  la  nou- 

1.  VIntrique  découverte,  ou  réflexions  sur  la  lettre  de  M.  Vabbé 
Bochard.  (1711,  128  pages.) 

2.  Petitpied  avait  accompagné  du  Yaucel,  qui  quittait  Amsterdam, 
jusqu'à  Delft.  Il  demeurait  quelques  jours  malade,  pendant  ce  court 
voyage,  «  d'une  fièvre  double  tierce  »,  écrit  du  Vaucel  au  P.  Ruiïin,  le 
23  décembre  1711.  (Amersfoort,  Lettres  de  du  Vaucel,  copies.) 


320  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

velle  qu'elle  contient.  Je  ne  suis  guère  surpris  de  ces 
sortes  de  démarches.  Il  n'y  a  rien  à  quoi  je  ne  me  sois 
toujours  attendu.  C'est  l'affaire  des  jésuites  :  c'est  tout 
dire1.  Je  n'ai  guère  le  courage  de  rien  faire,  parce  que 
je  suis  assuré  que  tout  cela  ne  fera  rien  changer  aux 
projets.  Le  parti  est  pris;  l'autorité  est  engagée;  l'oppo- 
sition est  faible,  et,  quelque  raisonnable  que  soit  un 
écrit,  il  n'y  a  personne  pour  le  faire  valoir.  Je  verrai 
si  je  pourrai  faire  quelque  chose;  mais,  comme  à  Rome  ils 
ne  voudront  pas  paraître  examiner  un  livre  qu'on  doit 
avoir  déjà  examiné  pour  le  décret,  il  ne  s'agira  là  que  de 
donner  une  nouvelle  forme  à  la  condamnation,  et  cela 
ira  vite,  tant  par  cette  raison  que  pour  ne  pas  donner 
au  prélat  le  temps  de  se  reconnaître.  Il  aurait  dû  faire 
agir  les  gens  du  roi  et  empêcher  qu'on  ne  portât  à 
Rome  immédiatement  les  causes  que  les  évèques  de 
France  doivent  juger  en  première  instance3.  On  cla- 
baude  pour  les  règles  et  contre  les  abus,  et  on  agit 
contre  ses  propres  principes.  Je  me  porterais  par  moi- 
même  à  ne  rien  faire  et  à  attendre  en  paix  tout  ce  qu'on 
voudra  faire,  parce  que  cela  ne  servira  qu'à  donner 
plus  de  poids  à  la  condamnation,  en  faisant  dire  qu'on 

1.  Arrêt  du  roi,  du  11  novembre  1711,  par  lequel,  «  pour  grandes  et 
sages  considérations  »,  il  révoque  le  privilège  qu'il  a  accordé  pour 
l'impression  du  Nouveau  Testament  du  P.  Quesnel.  «  Voilà  l'arrêt  que 
l'abbé  Bochard  promettait,  dit  Mathieu  Marais  (décembre  1711).  On 
attendait  de  Rome  une  constitution;  le  pape  a  tardé,  et  le  roi  a  fait  le 
pape.  C'est  un  genre  de  martyre,  pour  notre  cardinal,  autre  que  celui 
du  cardinal  de  Tournon;  mais  c'est  toujours  un  martyre.  » 

2.  Le  roi,  sous  l'influence  du  P.  Tellieret  des  jésuites,  demande  enfin 
au  pape  une  constitution  visant  directement  le  livre  du  P.  Quesnel.  Il 
écrit  de  Versailles  à  la  Trémoille,  le  16  novembre  1711  :  «  Je  veux  au- 
jourd'hui que  vous  demandiez  de  ma  part  au  pape  une  constitution 
contre  le  livre  du  P.  Quesnel,  que  Sa  Sainteté  a  déjà  condamné  par  son 
bref  du  13  juillet  1708.  Je  m'engagea  faire  accepter  cette  nouvelle  cons- 
titution par  les  évèques  de  France  avec  le  respect  qui  lui  est  dû.  » 
(Aff.  étr.,  Rome,  514.)  Voilà  un  engagement  un  peu  bien  prématuré,  et 
dont  Louis  XIV  pourra  reconnaître  lui-même  la  légèreté,  alors  que  la 
constitution  Unic/enitus  produira  de  si  misérables  elfets  dans  tout  le 
royaume. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUÎER    QUESNEL  321 

a  été  écouté,  qu'on  n'a  rien  eu  de  bon  à  dire,  que  le 
jugement  a  été  contradictoire.  Enfin  je  doute  fort 
qu'on  reçoive  aucune  justification.  On  dira  :  «  Qu'il  se 
retire  d'un  pays  hérétique,  qu'il  signe  le  formulaire,  et 
puis  on  verra!  C'est  un  homme  noté,  un  fugitif,  un 
homme  qui  a  une  sentence  sur  le  corps,  qui  est  contu- 
mace, qui  ne  s'est  point  purgé.  Un  tel  homme  ne  doit 
pas  même  être  écouté.  »  La  partie  est  trop  forte;  le 
meilleur  parti  serait  de  porter  en  silence  l'humiliation 
et  d'attendre  le  jugement  de  Dieu,  qui  réformera  ceux 
des  hommes.  Si  vous  voulez  queje  fasse  quelque  chose, 
ayez  la  bonté  de  revenir  le  plus  tôt  que  vous  pourrez. 


Que  sue  l  au  P.  Ruffin 


15  janvier  1712. 


Dieu  sait  à  quoi  il  veut  faire  aboutir  tout  ce  qui  se 
passe  en  France,  au  sujet  du  livre.  Tantôt  on  le  regarde 
comme  abîmé,  tantôt  on  le  voit  comme  revenir  sur  l'eau. 
Tout  ce  qu'il  y  a  de  bon  vient  de  Dieu  et  est  à  Dieu,  il 
ne  saurait  périr.  Ce  que  les  hommes  charnels  ont  con- 
damné au  feu  en  peut  être  consumé;  mais  la  vérité, 
dont  le  papier  n'est  que  l'enveloppe,  demeurera  éter- 
nellement, et,  si  les  hommes  la  bannissent  de  la  terre, 
ils  ne  sauraient  la  chasser  du  ciel  où  nous  la  retrouve- 
rons toujours.  C'est  une  chose  admirable  que  le  sort 
de  ce  petit  ouvrage.  Qui  n'aurait  cru  que,  sous  la  pro- 
tection d'un  archevêque  de  Paris,  d'un  cardinal,  d'un 
homme  de  la  faveur,  il  était  à  couvert  de  l'orage?  Et 
c'est  cette  protection  même  qui  a  attiré  sur  lui  l'orage 
et  la  tempête.  Si  j'avais  mendié  et  recherché  cette  pro- 
tection, j'en  aurais  du  scrupule;  mais  elle  s'est  pré- 
sentée d'elle-même.  Je  ne  laisse  pas  d'avoir  sujet  de 
craindre  d'y  avoir  trop  mis  ma  confiance.  Si  l'humilia- 
ii.  21 


322  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QllESNËL 

tion  que  les  hommes  me  procurent  sert  à  me  purifier 
et  à  expier  toutes  les  fautes  que  j'ai  faites  par  rapport 
à  ce  livre,  je  serai  trop  heureux. 


Quesnel  à  M.  van  Hussen 

24  février  1712. 

Voilà  de  tristes  événements  pour  la  France.  En  moins 
d'un  an  perdre  deux  Dauphins  et  une  Dauphine,  après 
avoir  perdu  la  première!  Voici  une  circonstance  curieuse 
de  la  mort  de  Mmc  la  Dauphine,  dernière  morte.  Le  P.  de 
La  Rue ] ,  jésuite,  son  confesseur,  était  à  Pontoise  lorsque 
cette  princesse  tomba  malade.  On  l'alla  quérir  en 
poste,  mais  assez  inutilement;  car,  quand  ce  Père  lui 
eut  annoncé  qu'il  fallait  se  confesser  et  que  le  médecin 
lui  eut  confirmé  que  cela  était  nécessaire,  elle  se  tourna 
du  côté  des  femmes  qui  étaient  autour  d'elle  et  ordonna 
qu'on  allât  chercher  M.  Bailli,  vicaire  de  la  paroisse. 
On  lui  dit  qu'il  était  à  Paris  depuis  deux  jours.  Sur 
quoi  le  P.  de  La  Rue  lui  dit  :  «  Madame,  il  ne  faut 
point  que  vous  vous  contraigniez.  Quoique  cet  ecclésias- 
tique ne  soit  pas  ici,  il  y  a  d'autres  confesseurs;  choi- 
sissez qui  il  vous  plaira,  et  je  serai  le  premier  à  l'aller 
quérir.  »  Elle  demanda  le  gardien  des  récollets  de  Ver- 
sailles, à  qui  elle  s'est  confessée,  et  ensuite  on  lui 
donna  les  sacrements.  C'est  une  petite  mortification 
pour  les  bons  Pères.  Quant  à  M.  le  cardinal  de  Noailles, 
il  demeure  ferme  jusqu'à  présent  sur  les  jésuites  inter- 
dits et  ne  paraît  pas   vouloir  abandonner  le  Nouveau 

1.  Le  P.  Charles  de  La  Rue,  un  des  meilleurs  prédicateurs  de  la  com- 
pagnie de  Jésus.  «  Son  éloquence  touche  au  sublime  »,  dit  un  écrivain 
de  la  même  compagnie,  le  P.  Gibert.  Mais  l'abbé  Trublet  y  trouve  «  du 
vide,  de  la  stérilité,  de  la  sécheresse.  A  tout  prendre,  ses  sermons 
sont  médiocres  ». 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  323 

Testament1.  Cette  dernière  affaire  avait  été  remise  par 
le  roi  à  M.  le  Dauphin,  et  ce  prince  s'appliquait  à  trou- 
ver moyen  de  l'accommoder.  On  dit  même  qu'il  y  a 
deux  évêques  qui,  sous  son  aveu,  examinent  le  livre 
par  rapport  à  l'ordonnance  de  Luçon  et  de  la  Rochelle  ; 
mais  la  mort  de  ce  prince,  qui  donnait  tant  d'espé- 
rances par  son  équité  et  ses  bonnes  dispositions,  ren- 
versera peut-être  toutes  ces  mesures. 

Je  veux  croire  que  le  bruit  qui  court  de  la  mort  du 
roi  ne  se  trouvera  pas  véritable.  Ce  serait  un  grand 
malheur  pour  la  France. 

M.  du  Vaucel  est  chez  M.  Ernest  Ruth  d'Ans,  à 
Rruxelles.  Il  ne  s'est  pas  accommodé  de  l'air  de  la 
Hollande. 


Quesnel  au  P.  Ruffin 

20  mai  1712. 

Je  ne  sais  si  je  vous  ai  remercié  de  votre  remercie- 
ment; mais  j'aime  mieux  le  faire  deux  fois  que  d'y 
manquer. 

En  vous  remerciant,  je  ne  prétends  pas  me  dispenser 
de  vous  gronder,  car  vous  répandez  les  louanges  avec 
profusion. 

Je  mentirais  si  je  disais  que  je  ne  suis  pas  bien  aise 
qu'un  écrit  fait  pour  la  défense  de  la  vérité  soit  approuvé; 
mais  cette  approbation  ne  doit  pas  être  flatteuse.  Je 
m'attends  bien  à  recevoir  d'un  autre  côté  du  rabat-joie 

1.  Ses  amis  veillent  toujours,  craignant  une  défaillance.  L'évêque 
de  Mirepoix,  La  Broue,  le  met  en  garde  :  «  M.  le  cardinal  de  Rohan  et 
M.  Tévêque  de  Meaux  [Bissy]  chercheront  certainement  à  affaiblir  Votre 
Eininence,  et  je  vous  avouerai,  Monseigneur,  que  je  crains  pour  elle  le 
désir  qu'elle  aurait  de  rentrer  dans  les  bonnes  grâces  du  roi.  Je  vous 
demande  pardon,  Monseigneur,  si  je  vous  parle  avec  cette  liberté.  Je 
suis  assuré  que  M.  de  Montpellier  pense  sur  cela  comme  moi.»  (Bibl. 
nat.,  ms.  23216.) 


324  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

plus  qu'à  foison,  si  la  constitution  qu'on  demande  à 
Rome  arrive  enfin.  Les  uns  disent  que  le  nouveau  nonce 
Bentivoglio1  en  apportera  une;  d'autres,  qu'il  vient 
dire  qu'il  n'y  en  aura  point- .  Vous  verrez,  par  les  réponses 
de  M.  le  cardinal  au  roi,  que  Son  Eminence  est  prête 
à  plier  le  cou  sous  le  joug  d'une  constitution  romaine 
sans  condition3. 

Il  y  a  un  Mémoire  adressé  à  feu  Monsieur  le  Dauphin 
par  Messieurs  les  cvêques  ducs  de  Laon  et  deLangres, 
où  ils  se  plaignent  fort  de  ce  qu'on  demande  à  toute 
occasion  des  constitutions  et  qu'on  enlève  aux  évoques 
la  connaissance  des  causes  dont  ils  sont  les  juges  natu- 
rels en  première  instance.  Bienheureux  qui  aujourd'hui 
n'est  point  évoque  !  Heureux  qui  n'est  rien  et  qui,  fidèle 
à  la  vérité  et  à  ses  devoirs,  passe  les  moments  si  courts 
de  cette  vie  fugitive  dans  un  coin  de  la  terre  et  y  sait 
gémir  pour  l'Eglise  et  pour  lui-même  ! 


1.  «L'infâme  nonce  »,  dit  Saint-Simon;  «celui  dont  les  jésuites 
sont  plus  les  maîtres  ».  {Anecdotes  secrètes,  11,  p.  vin.)  «  Il  n'avait 
nulle  teinture  de  théologie,  ni  expérience  dans  les  affaires  »,  ajoute 
l'abbé  Legendre.  (VI,  312.) 

2.  Le  P.  Roslet,  correspondant  du  cardinal  de  Noailles  à  Rome,  lui 
écrit  le  l<r  mai  1712  :  «  La  constitution  est  toujours  en  même  état. 
Fabroni  continue  de  la  promettre  à  la  Trémoille,  mais  il  ne  lui  montre 
rien.  Les  plus  sages  et  les  plus  habiles  sont  toujours  d'avis  que  cette 
constitution  peut  avoir  de  fâcheuses  suites.  »  Et  il  déclare,  quoique 
ennemi  des  doctrines  du  livre  du  P.  Quesnel  :  «  Une  condamnation 
faite  par  vous,  dans  les  circonstances  présentes,  serait  inutile  pour 
l'Eglise  et  déshonorante  pour  vous.  »  (Bibl.  nat.,  ms.  23227.) 

3.  Quesnel  se  montre  un  peu  injuste  envers  le  cardinal,  qui  est 
encore  plein  de  zèle  pour  la  vérité  et  d'indignation  contre  les  jésuites. 
Nous  voyons,  dans  la  correspondance  de  Noailles  avec  le  roi,  qu'il  le 
conjure  de  veiller  à  la  sûreté  de  sa  conscience  :  «  Je  crois  devant  Dieu, 
dit-il,  qu'elle  n'est  pas  en  bonnes  mains  »,  et  plus  loin  :  «  Il  ne  m'est 
pas  permis,  Sire,  de  craindre  le  crédit  redoutable  du  P.  Tellicr.  11  ne  doit 
pas  m  empêcher  de  parler,  quoi  qu'il  m'en  puisse  arriver.  Je  ne  puis 
me  dispenser  d'avertir  Votre  Majesté  du  mauvais  usage  que  les  jésuites 
font  de  leur  crédit.  Oui,  Sire,  ils  en  abusent  manifestement.  Il  faut  se 
livrer  absolument  à  eux  pour  être  à  l'abri  de  leurs  mauvais  offices,  et 
l'on  peut  dire  sans  exagération  qu'il  y  a  chez  eux  une  boutique 
ouverte  de  simonie.»  (13ibl.  nat.,  ms.  23484.) 


CORRESPONDANCE    DR    PASOUIER    QUESNEL  325 

Quesnel  au  P.  Ruffin 

10  mars  1713. 

Je  me  recommande  à  vos  prières,  mon  cher  Père; 
j'en  ai  grand  besoin.  On  dit  que  l'affaire  de  la  consti- 
tution s'avance  à  Rome1.  11  faut  que  ceux  qui  y  ont  un 
particulier  intérêt  se  disposent  à  tout  événement. 
La  difficulté,  en  ces  occasions,  est  de  savoir  quel  parti 
on  doit  prendre,  pour  ne  pas  manquer  à  des  devoirs 
différents  qui  semblent  opposés  les  uns  aux  autres.  Detts 
illuminet  vultum  suutn  super  nos  et  misereatur  nostri. 


Petitpied  à  M.  Petitpied  de  Vaubreuil 

Lundi  18  mai  1713. 

Nous  sommes  tout  accoutumés  au  Prinse-Gracht,  et 
notre  maison  est  plus  commode  que  je  ne  l'avais  cru 
d'abord.  Sans  y  faire  beaucoup  de  dépense,  nous  l'avons 
rendue  propre  et  logeable.  Je  n'ai  jamais  été  si  bien 
logé  que  je  le  suis.  L'endroit  où  je  me  suis  mis,  et  qui 
ne  convenait  point  aux  autres,  paraissait  peu  commode 
aux  amis  qui  nous  venaient  voir;  c'était  une  partie  du 
magasin  fort  malpropre.  J'en  ai  fait,  à  peu  de  frais,  une 
chambre  bien  carrée  et  bien  commode,  sur  le  devant, 
avec  la  vue  du  canal.  M.  Dupuis  [Quesnel]  est  logé 
près  de  moi,  sur  le  derrière.  Nous  lui    avions   donné, 

1.  Le  P.  Quesnel  avait  tenté  un  dernier  effort,  le  22  juillet  1712,  en 
écrivant  au  pape  «  une  lettre  fort  soumise  et  pleine  d'esprit  »,  selon  les 
propres  termes  du  cardinal  de  la  Trémoille.  «  Je  ne  crois  pas,  ajoute 
notre  ambassadeur,  qu'elle  fasse  aucune  impression  sur  son  esprit.  » 
(AIT.  étr.,  Rome,  526.)  Du  reste  l'impression,  si  elle  fut  bonne,  sera  effacée, 
au  commencement  de  1713,  lorsque  Quesnel  publiera  les  Vains  efforts 
des  jésuites.  «  Ce  dernier  ouvrage  fera  plus  de  mal  que  de  bien,  écrit 
du  Vaucel  à  Petitpied,  le  16  février  1713  ;  j'entends  à  Rome,  où  l'on  a 
les  oreilles  si  délicates  sur  la  plupart  des  maximes  qu'on  débite  dans 
cet  écrit.  »  (Amersfoort,  boite  R.) 


326  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

comme  il  était  bien  juste,  la  plus  belle  chambre  de  la 
maison  et  la  plus  commode  au  premier  étage,  avec  la 
vue  sur  le  canal  ;  mais  il  n'y  a  passé  qu'une  nuit.  Dès 
le  matin,  il  me  vint  dire  qu'il  y  mourrait,  si  on  ne  le 
plaçait  ailleurs.  Il  est  très  sensible  au  bruit,  et  le  canal 
est  fort  tumultueux.  Il  a  donc  mieux  aimé  se  placer  sur 
le  derrière,  dans  une  chambre  haute  où  l'on  n'entend 
aucun  bruit.  M.  de  La  Place  [Fouillou]  ne  craint  point 
le  bruit;  il  a  pris  la  belle  chambre  sur  le  canal,  et  moi 
je  suis  logé  au-dessus  de  lui.  M.  Dubois  [Brigode]  est 
au  premier  étage  sur  le  derrière,  dans  la  plus  grande 
chambre  qui  ne  l'est  pas  encore  assez  pour  toutes  les 
affaires  qu'il  a.  Nous  avons  une  chambre  séparée  pour 
la  chapelle,  des  chambres  pour  les  domestiques,  et, 
sans  déplacer  personne,  nous  pouvons  encore  recevoir 
deux  amis  et  les  loger,  l'un  dans  la  salle  d'entrée  où 
l'on  reçoit  le  monde,  et  l'autre  dans  la  salle  à  manger. 
Quoique  nous  n'ayons  qu'une  très  petite  cour  sur  le 
derrière,  cependant  il  y  a  une  grande  échappée  de  vue, 
et,  parce  que  les  maisons  sont  basses  de  ce  côté-là,  on 
a,  sur  le  derrière,  assez  d'air  et  de  jour.  Ainsi,  à  tout 
prendre,  nous  sommes  contents  et  logés  à  meilleur 
marché  que  sur  le  Keysert-Gracht.  Mais  notre  canal 
est  fort  offensé  de  se  voir  comparé  à  la  halle  de  Paris, 
où  les  herbes  pourrissent  dans  la  boue  et  exhalent  une 
mauvaise  odeur.  Il  n'y  arien  ici  de  semblable;  le  canal 
est  beau  et  large,  planté  d'arbres  des  deux  côtés,  et  si 
long  qu'on  a  peine  à  aller  d'un  bout  à  l'autre  en  une 
heure  de  temps.  Il  est  vrai  qu'il  n'est  point  bordé 
de  belles  maisons  et  qu'il  n'est  point  orné  comme  le 
Keysert-Gracht.  Nous  n'avons  ici  que  des  artisans  et 
du  menu  peuple;  mais  c'est  une  sorte  d'agrément  de 
voir  bien  du  monde  et  d'être  averti  par  le  bruit,  et  par 
le  grand  nombre  de  gens  qui  passent,  qu'on  est  logé 
dans  une  grande  ville,  au  lieu  que  nous  étions  comme 
dans  une  belle  campagne  sans  bruit. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  327 

Le  Groèn-Marck  n'est  point  incommode  ;  au  contraire, 
il  me  paraît  fort  agréable,  surtout  en  ce  temps-ci.  Il 
est  toujours  lini  à  huit  heures  du  matin,  et  à  peine  nous 
en  apercevons-nous.  Il  commence  à  cinq  heures  par 
l'arrivée  de  cent  ou  six  vingts  bateaux  chargés  de  toutes 
sortes  de  salades  et  d'herbes  très  fraîches  et  très  vertes. 
Tout  cela  est  rangé  fort  proprement  dans  des  petits 
paniers;  toutes  les  herbières  se  fournissent  là  et  vont 
vendre  en  détail  dans  la  ville.  À  huit  heures,  tous  les 
bateaux  disparaissent,  et  il  n'y  a  plus  aucune  appa- 
rence de  marché 


Qiœsnel  à  *** 

2  juin  1713. 

Il  y  a  bien  ongtemps,  Monsieur  mon  très  cher  ami, 
que  je  n'ai  eu  la  consolation  de  vous  écrire.  Nous  avons 
eu  l'embarras  d'un  déménagement  et  d'autres  petites 
occupations,  qui  ne  m'ont  guère  donné  de  loisir.  J'admire 
comme  une  partie  de  la  vie  s'emploie  à  se  ranger,  à 
se  déranger,  à  se  ranger  de  nouveau,  à  changer  de 
demeure,  de  situation,  d'habitudes.  Ce  sont  les  néces- 
sités de  la  vie  qui  nous  causent  beaucoup  de  dissipa- 
tions, et  souvent  l'arrangement  des  choses  extérieures 
fait  dans  l'âme  des  dérangements  qu'il  n'est  pas  facile 
de  remettre  dans  l'ordre. 


Que  me  l  au  P.  Rufftn 

23  juin  1713. 

On  me  mande  de  Liège  qu'une  personne,  qui  avait 
écrit  à  Rome  pour  s'informer  de  l'état  où  était  l'affaire 
de  la  constitution  demandée,  en  a  reçu  pour  réponse 
qu'on  lui  mande  que  cette  affaire  embarrasse  beaucoup 


328  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

la  cour  de  Rome1  ;  qu'il  y  avait  grande  apparence  qu'on 
ne  la  poursuivrait  point  et  qu'elle  s'assoupirait. 

On  m'a  mandé  à  peu  près  la  même  chose  de  Paris; 
mais  il  ne  faut  pas  chanter  triomphe  avant  la  victoire. 
On  cabale  encore  à  Liège  pour  faire  censurer  six  propo- 
sitions d'un  écrit  de  l'abbé  de  Bolduc.  Voilà  comme  on 
attaque  de  tous  côtés  la  vérité. 


Réception  de  la  constitution  Unigenitus 
chez  le  P\  Quesnel2 

Lorsque  le  P.  Quesnel  reçut  en  Hollande  un  exem- 
plaire de  la  constitution  Unigenitus3,  il  était  à  table,  à 
dîner  avec  M.  Petitpied,  M.  Fouillou  et  M.  de  Brigode, 
chez  qui  il  demeurait.  Ils  lurent  ensemble  la  nouvelle 
bulle.  Pendant  la  lecture,  le  P.  Quesnel,  assis,  possé- 
dait son  âme  avec  beaucoup  de  tranquillité,  sans  parler, 
mais  en  versant  des  larmes.  M.  Petitpied  se  prome- 
nait dans  la  chambre,  sans  dire  mot,  et  M.  Fouillou  se 
récriait,  à  chaque  proposition  condamnée  qu'on  lisait, 
et  marquait  son  indignation  par  ses  mouvements  et 
ses  transports  en  frappant  du  pied.  Quand  la  lecture 
fut  finie,  ils  se  séparèrent  sans  presque  se  parler.  Le 
P.  Quesnel  monta  dans  sa  chapelle  domestique,  où  il 
fut  quatre  heures  en  prière.  M.  Petitpied  s'alla  prome- 
ner sur  le  port,  sans  penser  à  rien  faire,  quoiqu'il  n'eût 
que  la  constitution  dans   l'esprit,  et  M.   Fouillou  alla 

1.  M.  de  la  Chausse  écrivait,   en  effet,  de   Rome,   le  11  mars   1713  : 
«  Le  pape  et  les  cardinaux  ne  sont  pas  peu  embarrassés    et   craignent 

les  mômes  difficultés  qui  se  rencontrèrent  clans  l'exécution  de  la  der- 
nière. 11  paraît  que  si  cette  cour  n'avait  pas  entrepris  cette  affaire, 
elle  ferait  de  sérieuses  réflexions  avant  de  s'y  engager.  »  (Aff.  étr., 
Rome,  527.) 

2.  Archives  d'Amersfoort,  Ecrits  manuscrits  du  P.  Quesnel,  liasse  1713. 
3    La  constitution  Unigenitus,  condamnant  101  propositions  du  livre 

des  Réflexions  morales  du  P.  Quesnel,  est  du  8  septembre  1713, 


CORRESPONDANCE    DE    PASQL'IER    QUESNEL  329 

d'un  autre  côté,  étant  presque  dans  la  môme  agitation 
qu'il  avait  montrée  du  temps  de  la  lecture.  Ils  se  ras- 
semblèrent le  soir,  ne  parlant  que  de  la  constitution  et 
continuant  chacun  de  montrer  son  caractère.  Ce  ne  fut 
qu'au  troisième  jour  que  M.  Petitpied  dit  qu'il  était  temps 
de  faire  quelque  chose  pour  la  défense  de  la  vérité. 


Petitpied  à  M.  Petitpied  de  Vaubreuil 

2  novembre  1713. 

Je  souhaite  de  tout  mon  cœur  que  le  soulèvement  de 
tous  les  honnêtes  gens  contre  la  bulle  produise  un  bon 
effet  et  donne  du  courage  aux  évoques,  pour  soutenir  la 
vérité  et  la  religion  qui,  assurément,  est  en  danger,  si 
la  constitution  a  lieu  dans  toute  son  étendue.  On  mur- 
mure et  on  se  plaint  de  tous  côtés1. 

Pendant  que  les  gens  de  bien  gémissent,  deux  sortes 
de  personnes  triomphent  dans  ce  pays-ci  :  les  jésuites 
et  les  protestants. 

Petitpied  à  *** 

22  janvier  1714. 

M.  Gandidus  [de  Witte)  espère  bien  des  évoques  de 
France.  Pour  moi,  je  n'en  ai  pas  si  bonne  opinion.  On 

1.  L'apparition  de  la  bulle  souleva  un  immense  mouvement  de 
révolte.  «  Ce  monument  éternel  de  la  faillibilité  du  pape  »,  suivant 
l'expression  de  d'Aguesseau,  mit  en  émoi  tout  le  clergé  de  France. 
Soanen,  évêque  de  Senez,  appelle  ce  nouveau  décret  «  une  vraie  tem- 
pête ».  <<  Elle  est  affreuse  et  horrible  »,  gémit  du  Vaucel,  et  Gaston  de 
Noailles,  évêque  de  Ghàlons,  écrit  à  son  frère  :  «  La  constitution  fait 
ici  beaucoup  de  bruit;  elle  y  révolte  les  esprits.  »  (Bibl.  nat.,  ms. 
23206  )  L'évêque  de  Pamiers  dit  que  «  la  constitution  est  mauvaise  ». 
MM.  de  Mirepoix,  de  Boulogne  et  de  Montpellier,  poussent  des  cla- 
meurs. Seuls  les  trois  consultants  du  parti  moliniste,  Tellier,  Bissy 
et  le  secrétaire  d'Etat  Voysin,  puis  Fénelon,  «  l'ange  Gabriel  de  la 
bulle  »,  selon  le  joli  mot  de  Michelet,  se  déclarent  ses  champions  dès 
le  premier  jour. 


330  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

m'a  mandé1  qu'ils  devaient  s'assembler  le  45,  et  que 
M.  le  cardinal  de  Rohan  ferait  son  rapport,  ce  jour-là  et 
les  suivants.  On  m'écrit  en  même  temps  qu'on  a  mis 
pour  une  seconde  fois  à  la  Bastille  le  P.  dom  Thierry 
de  Viaixne2. 

On  envoie  aujourd'hui,  par  la  poste,  aux  évoques  et 
aux  magistrats,  la  lettre  du  P.  (Juesnel  à  rassemblée3. 
Elle  est  imprimée;  mais  l'auteur  l'a  signée  de  sa 
main. 

La  dissertation  du  P.  Daniel,  qui  nous  est  venue 
peut-être  par  votre  canal,  est  très  mauvaise.  C'est  un 
sophisme  continuel,  un  tissu  de  faux  raisonnements, 
d'injustices  contre  Jansénius  et  contre  ceux  à  qui  on 
donne  le  nom  de  jansénistes,  et  de  calomnie  contre  eux, 
jusqu'à  leur  imputer  d'être  dans  la  disposition  de  cau- 
ser une  révolte  en  France.  Cette  dissertation,  en  forme 
de  lettre,  est  adressée  à  M.  Dumas.  M.  Tournély  en  est 
l'approbateur. 

1.  Lettre  de  son  frère,  M.  Petitpied  de  Vaubreuil,  du  13  janvier. 
(Amersfoort,  boîte  R.) 

2.  «  Dom  Thierry  de  Viaixne,  qui  fut  mis,  il  y  a  plusieurs  années,  à  la 
Bastille  et  depuis  relégué  à  une  abbaye  près  de  Saumur,  a  encore  été 
enlevé.  C'est  pour  le  jansénisme,  car  un  docteur  m'a  dit  que  c'est  pour 
un  méchant  libelle  qu'a  fait  cet  incorrigible  bénédictin  et  qui  s'appelle 
Vidée  f/énérale  de  la  bulle.  »  (Même  lettre  de  M.  de  Vaubreuil.)  Ce  béné- 
dictin fut  un  des  premiers  appelants  de  la  bulle  Unigenilus;  car  nous 
trouvons  aux  Archives  nationales  (Hisl.  ecclés.,  L  17,  jansénisme)  une 
lettre  de  lui,  du  21  octobre  1713,  ainsi  conçue  :  «  La  nouvelle  consti- 
tution me  cause  d'étranges  distractions.  J'ai  pris  mon  parti  et  j'en 
appelle  au  futur  concile  général,  qui  est  le  souverain  tribunal  de 
l'Eglise,  le  supérieur  du  pape,  là  où  seulement  l'infaillibilité  se  ren- 
contre. » 

3.  Cette  lettre  du  P.  Quesnel  aux  évêques  est  fort  belle;  mais  elle  a 
été  imprimée  et  ne  trouve  pas  sa  place  parmi  ces  documents  absolu- 
ment inédits.  Elle  est  datée  du  25  décembre  1713  et  se  termine  par  cette 
apostrophe  :  «  Ce  n'est  quedepuis  cette  année-là  (1696)  que  les  Réflexions 
morales,  après  avoir  été  lues  pendant  vingt-cinq  ans  comme  un  livre 
pieux  et  catholique,  sont  devenues  impics  et  hérétiques.  On  sait  par 
qui  et  par  quelles  vues!  Et,  sans  m'en  apercevoir,  je  suis  devenu  plus 
que  suspect  en  la  foi,  afin  que  mon  archevêque  le  fut  avec  moi  et  moi 
avec  lui  !  » 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        331 

Quesnel  à  Soanen,  évêque  de  Senez 

2a  janvier  1714. 

Mon  très  honoré  Seigneur, 

Positifs  in  medio,  qno  me  vert am  nescio.  Que  ferai-je 
le  premier?  Vous  sauterai-je  au  cou  pour  vous  em- 
brasser, ou  me  jetterai-je  à  vos  pieds  pour  les  baiser1? 
Mon  cœur  me  presse  d'un  côté  et  me  dit:  Osculetur  me 
osculo  oris  sut.  Il  en  sait  le  chemin,  et  il  n'en  a  pas 
perdu  l'habitude.  Car  combien  de  fois  a-t-il  grimpé  sur 
ces  montagnes  pour  vous  aller  embrasser,  mon  cher 
Seigneur,  en  la  manière  qu'il  le  pouvait!  Mais  ce  môme 
cœur,  revenu  de  son  transport,  rentré  dans  son  devoir, 
se  jette  à  vos  pieds  et  crie  avec  le  transport  d'une 
sorte  de  joie  :  Qitam pulchri  super  montes  pedes  annnn- 
tianlis  et  prœdicantis  pacem,  annuntiantis  bonmn,  prœ- 
dicantis  salntem,  dicentis  sicut  regnabit  Deus  tuus.  11 
est  vrai,  Monseigneur,  qu'il  semble  que  vous  quittiez 
plutôt  la  paix  de  vos  montagnes  et  la  douceur  d'un 
diocèse  tranquille  pour  vous  venir  jeter  au  milieu  de 
la  guerre.  Vous  venez  vous  engager  dans  un  rude  com- 
bat contre  le  monde  et  l'esprit  du  monde. 

Il  serait  à  souhaiter  que    votre    métropolitain2  eût 

1.  La  commission,  nommée  par  l'assemblée  du  clergé  pour  recevoir 
la  bulle,  ayant  présenté  son- rapport  et  déclaré  qu'elle  acceptait  la  cons- 
titution avec  respect  et  soumission,  le  22  janvier,  n'avait  été  suivie  que 
de  quarante  évêques,  tandis  que  huit  autres,  MM.  de  Noailles,  arche- 
vêque de  Paris,  d'IIervault,  archevêque  de  Tours,  Soanen,  évèque  de 
Senez,  de  Béthune,  évêque  de  Verdun,  de  Langle,  évêque  de  Boulogne, 
Desmarets,  évêque  de  Saint-Malo,  Dreuillet,  évêque  deBayonne,  Gaston 
de  Noailles,  évêque  de  Chàlons-sur-Marne,  s'étaient  opposés  à  la  récep- 
tion sans  explications  préalables.  M.  Petitpied  de  Vaubreuil,  en  donnant 
ces  détails  à  son  frère,  parle  de  l'union  des  huit  évêques  comme  d'une 
v<  sainte  conjuration  »  et  cite  le  mot  du  cardinal  de  Noailles  :  «  Ce 
n'est  pas  moi  qui  ferai  le  schisme,  et  la  vérité  est  préférable  à  l'unité.  » 

2.  Charles  Brulart  de  Genlis  était,  à  cette  époque,  le  plus  ancien  des 
archevêques,  ayant  été  nommé  à  Embrun  en  1608.  Il  mourut  au  cours 
de  cette  même  année  1714. 


332  CORRESPONDANCE    DE    PASQDIER    QUESNEL 

été  en  état  de  venir  au  secours  de  la  vérité.  Il  avait 
fait  espérer  de  laisser  sortir  quelque  chose  de  ses  mains 
pour  sa  défense.  Cela  aurait  été  d'une  grande  consola- 
tion et  d'un  grand  secours.  Son  âge,  ses  infirmités,  peut- 
être  d'autres  raisons,  l'auront  empêché  d'exécuter  son 
dessein.  11  me  semhle  au  moins  qu'il  aurait  pu,  et  j'ose 
dire  dû  donner  une  procuration  à  un  de  ses  comprovin- 
ciaux,  ou  en  envoyer  une  à  un  des  prélats  de  l'assem- 
blée en  qui  il  aurait  eu  confiance,  pour  donner  en  son 
nom  son  suffrage  qui,  je  suppose,  était  conforme  au  sen- 
timent de  ceux  qui  ne  cherchent  que  Dieu.  D'autres, 
qui  ne  peuvent  venir,  en  auraient  dû  user  de  même. 
Que  de  choses,  mon  très  cher  Seigneur,  se  sont  passées 
depuis  trente  ans!  Me  voilà  arrivé  à  un  âge  où  je  dois 
attendre  de  jour  à  autre  que  le  Seigneur  vienne  frap- 
per à  ma  porte,  et  je  ne  devrais  point  avoir  d'autre 
affaire  que  celle  de  me  préparer  à  le  recevoir.  Cepen- 
dant la  Providence  permet  que  je  me  voie  engagé  à 
bien  d'autres  choses. 

Dieu  merci,  je  suis  en  bonne  santé,  et  je  ne  me  sens 
d'aucune  des  infirmités  de  la  vieillesse,  et  je  lis  la  plus 
petite  lettre  sans  lunettes.  Dieu  m'épargne  de  ce  côté- 
là  par  sa  bonté,  et,  pour  le  reste,  il  me  fait  la  grâce 
d'être  tranquille.  Je  suis  devenu  le  loup-garou  pour 
beaucoup  de  gens;  mais,  pourvu  que  Dieu  ne  me  rejette 
pas  de  sa  miséricorde,  comme  je  l'espère,  tout  le  reste 
n'est  rien. 

Quesnel  au  P.  Ruffin 

26  janvier  1714. 

Je  vous  suis  très  obligé,  mon  très  cher  ami,  de  votre 
lettre  de  l'onzième  et  de  tous  les  souhaits  et  les  vœux 
([ne  vous  faites  pour  moi,  à  l'entrée  du  nouvel  an. 
Nous  en  avons  tous  grand  besoin.  Voilà  une  affaire  qui 
est  d'une  grande  conséquence  pour  l'Eglise  et  pour  la 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL       333 

vérité,  et  la  démarche  que  M.  le  cardinal  de  Noailles 
vient  de  faire,  avec  sept  ou  huit  autres  évoques,  en  se 
déclarant  positivement  contre  la  constitution,  est  la 
semence  de  beaucoup  de  grands  événements  pour  le 
cours  de  cette  année,  et  il  semble  que  Dieu  veut  con- 
soler les  amis  de  la  vérité  en  lui  donnant  des  témoins 
fidèles  et  des  défenseurs,  qui  paraissent  disposés  à  tout 
sacrifier  pour  elle1. 

On  fait  un  grand  nombre  de  beaux  écrits  et  ou  en 
envoie  autant  qu'on  peut  en  France.  Ceux  que  fait 
Fauteur  des  Réflexions  sont  les  moindres  et  viennent 
un  peu  tard;  mais  les  autres  suppléent  atout.  Son 
premier  mémoire  a  été  fait  avec  trop  peu  de  soin;  le 
second  est  un  peu  meilleur.  On  dit  qu'il  continuera 
sans  se  presser.  Il  paraît  une  lettre  qu'il  a  écrite  à  l'as- 
semblée du  clergé  et  que  Ton  espère  qui  y  sera  lue. 
Mais  il  n'en  faut  pas  attendre  un  grand  succès. 

L'évêque  de  Senez,  le  P.  Soanen,  arriva,  le  13,  à 
Paris,  à  une  portière  de  la  diligence  de  Lyon  où  il  était 
incognito.  Il  dit  qu'il  serait  venu  à  pied,  son  bâton  à 
la  main,  s'il  n'avait  point  trouvé  d'autre  voie.  Il  est 
bien  résolu  de  défendre  la  vérité  aux  dépens  de  tout. 
Gomme  il  a  le  don  de  la  parole,  il  sera  utile  à  la  cause 
de  Dieu-.  Il    ne  faut    pas  douter  qu'il   ne  se  joigne  à 

1.  Louis  XIV,  écrivant  à  la  Trémoille  le  25  janvier  1714,  atï'ecte  de 
traiter  légèrement  le  désaccord  des  évèques  de  l'assemblée  :  «  Puisque 
le  pape  est  impatient,  je  dépèche  donc  un  courrier  pour  vous  faire 
savoir  que  le  cardinal  de  Rohan,  ayant  l'ait  le  rapport  aux  évéques 
assemblés  du  projet  qu'il  a  dressé  pour  l'acceptation  de  la  bulle,  ce 
projet  a  été  accepté  par  quarante  évèques  de  l'assemblée.  Les  autres, 
au  nombre  de  neuf  seulement,  ont  différé  à  donner  leur  avis.  Ce  délai 
ne  sera  que  de  peu  de  jours,  et  je  suis  persuadé  que  j'aurai  bientôt  la 
satisfaction  de  les  voir  tous,  d'un  sentiment  unanime,  accepter  la 
constitution.  »  (Atl*.  étr.,  Rome,  53o.) 

2.  Il  fut  le  seul  qui  parla  dans  l'assemblée  pour  la  défense  du 
P.  Quesnel.  Un  évoque  marquant  sa  surprise  de  lui  voir  prendre  le 
parti  d'un  homme  abandonné  de  tout  le  monde:  «  C'est  le  parti  d'un 
innocent  que  je  prends,  lui  répondit  ferme  M.  de  Senez.  »  (Lettre  de 
Petitpied  de  Vaubreuil,  du  12  février  1714,  Amersfoort,  boîte  R.) 


334  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUE^NEL 

M.  l'archevêque  de  Paris.  J'aurai  bien  de  la  joie  qu'il 
se  serve  de  cette  occasion  pour  réparer  les  défauts  de 
sa  vocation  et  ceux  de  la  dispensation  de  la  parole  de 
Dieu,  car  je  l'aime  tendrement,  et  je  crois  qu'il  m'aime 
de  même.  Je  laisse  à  M.  Petitpied  le  soin  de  vous  dire 
tout  le  détail  qu'on  lui  a  mandé  et  dont  on  m'a  aussi 
informé. 


Petitpied  de  Vaubreuil  à  M.   Petitpied 

Paris,  4  février  1714. 

La  fermeté  de  M.  le  cardinal  et  de  ses  amis  leur  fait 
beaucoup  d'honneur;  elle  est  sage  et  mesurée1.  N'ayant 
point  été  trop  avant,  ils  ne  sauraient  être  obligés  de 
reculer,  et  ils  sont  en  état  d'aller  plus  loin,  s'il  le  faut. 
Ils  n'ont  point  fait  signilier  dans  les  formes  leur  oppo- 
sition et  ne  se  sont  point  retirés  de  l'assemblée,  le  roi 
l'ayant  ainsi  souhaité  et  les  en  ayant  fait  prier.  Ce  qu'ils 
disent,  dans  les  circonstances  présentes,  les  met  hors  de 
toute  atteinte  et  ferme  la  bouche  à  leurs  lâches  con- 
frères et  à  leurs  adversaires  les  plus  animés.  Quarante 
évêques  admettent  la  bulle,  il  est  vrai,  mais  avec  une 
explication  concertée  eutre  eux.  Donc  elle  a  besoin 
d'explication,  et  voilà  des  gens,  soi-disant  très  soumis, 
qui  se  mêlent  d'expliquer  la  doctrine  d'un  pape  plein 
de  vie  et  qui  peut  parler  lui-même!  Cette  prétendue 
soumission,  qui  accepte  en  faisant  la  leçon  au  docteur 
par  excellence,  est  plus  offensante  que  le  simple  refus 
de  M.  le  cardinal  de  Noailles  et  des  huit  prélats.  Leur 
procédé  est  net,  et  leur  soumission  sincère.  Ils  sup- 
plient le  Saint-Père   de   s'expliquer  lui-même   sur    la 

1.  Le  iïùre  de  M.  Petitpied  lui  écrivait,  le  21  février  1714:  «  M.  le 
cardinal  de  Noailles  est  tranquille  et  donne  ses  audiences  avec  un 
front  serein  et  une  grande  liberté  d'esprit.  On  y  a  reçu  des  jésuites,  des 
évéques  des  quarante,  etc.  »  (Amersfoort,  boîte  11.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASOU1ER    QUESNEL  335 

constitution  et  d'en  éclaircir  les  difficultés,  qui  causent 
tant  de  mouvements. 


Petit  pied  à  M.  Petitpiecl  de  Vaubreuil 

19  mars  1714. 

C'est  un  vrai  brigandage  que  les  trois  assemblées  de 
Sorbonne  pour  l'enregistrement  de  la  bulle  i.  J'y  vois, 
d'une  part,  la  fureur  et  la  violence  portées  à  l'excès,  et, 
de  l'autre,  une  excessive  lâcheté.  Les  uns  se  retirent  ou 
n'osent  paraître  pour  donner  leur  avis;  d'autres  cèdent  à 
la  crainte  et  se  laissent  plutôt  arracher  leurs  consente- 
ments qu'ils  ne  les  donnent;  d'autres,  après  avoir  opiné 
en  faveur  de  la  vérité,  l'abandonnent  et  se  rétractent. 
Il  faut  que  M.  Blouin,  M.  Hideux,  le  P.  Alexandre, 
M.  Garson2  aient  été  de  ce  nombre,  puisque  je  ne  les 
trouve  point  parmi  les  vingt  ou  vingt-deux  qui  ont 
tenu  ferme.  Jamais  il  n'y  eut  d'enregistrement  plus 
irrégulier.  La  nullité  est  visible  ;  mais  la  bulle  est  dans 
les  registres,  et  elle  y  demeurera.  On  aura  beau  dire  et 
beau  représenter  (si  pourtant  on  ose  le  faire),  la  cabale 
et  la  violence  feront  toujours  valoir  la  bulle,  de  sorte 
que  je  ne  puis  m'empêcher  d'en  regarder  l'enregistre- 
ment comme  un  grand  mal,  et  apparemment  irrépa- 
rable. Je  ne  puis  excuser  ceux  qui  se  sont  absentés  ;  je 
compte  que  MM.  Thomassin  sont  de  ce  nombre. 

1.  M.  de  Vaubreuil  écrivait  de  Paris,  à  son  frère  M.  Petitpied,  le 
10  mars  1714  :  «  Les  gens  sensés  disent  que  ce  beau  règlement  de  la 
faculté  deviendra  rien  par  la  suite.  On  convient  qu'il  n'y  eut  jamais  de 
pareilles  intrigues.  On  a  été  atout  le  monde  en  particulier,  ou  caresser, 
ou  jeter  des  craintes,  ou  menacer.  Heureux  qui  a  pu  demeurer  ferme, 
battu  de  tant  de  vents!  »  (Amersfoort,  boîte  R.) 

2.  Nous  trouvons  cependant,  dans  les  Archives  du  Vatican  {Francia 
I,  2074),  ce  mot  de  M.  Garson,  «  que,  puisque  la  constitution  défendait 
la  lecture  de  l'Ecriture  Sainte,  il  se  contentait  de  citer  Cicéron,  qui  dit 
qu'il  ne  faut  pas  opiner  où  il  n'y  a  pas  de  liberté  ». 


336  CORRESPONDANCE    DE   PASQUIER    QUESNEL 

Autant  que  j'en  puis  juger  par  les  variations  et  les 
incertitudes  de  ceux  mômes  qu'on  pouvait  regarder 
comme  des  colonnes,  je  vois  que  la  tête  a  tourné  à  la 
plupart  des  docteurs1.  C'est  l'effet  des  lettres  de  cachet, 
qu'on  a  bien  fait  d'enregistrer  pour  servir  de  preuve 
du  peu  de  liberté  qu'on  a  eu  dans  cette  affaire. 

Il  faut  que  M.  le  cardinal  de  Rohan  soit  bien  changé, 
depuis  le  temps  que  je  le  voyais  si  familièrement  et  que 
je  l'entendais  souvent  se  plaindre  des  jésuites  de  Stras- 
bourg. Je  n'aurais  jamais  pu  croire  alors  qu'il  dût,  un 
jour,  se  portera  de  tels  excès.  Mais  me  serais-je  aussi 
attendu  à  voir  Vivant  et  Le  Moine  joints  à  Dumas  et 
Tournély  contre  M.  le  cardinal  de  Noailles? 


Qiiesnelan  P.  Ruffin 

19  avril  1714. 

Je  vous  suis  bien  oblige,  mon  cher  Père,  de  ce  que  vous 
levez  au  ciel  les  mains  et  le  cœur  pour  moi.  J'en  ai 
grand  besoin,  car  je  n'ai  aucune  consolation,  ni  aucun 
secours  à  attendre  des  hommes.  Quand  vous  aurez  vu 
l'instruction  pastoraleet  les  lettres  des  quarante  évoques 
au  pape  et  à  leurs  collègues,  vous  verrez  avec  quelle 
cruauté  ils  traitent  le  livre,  en  le  chargeant  de  tous  les 
mauvais  sens  qu'ils  ont  pu  imaginer  pour  le  rendre 
odieux  et  pour  en  justifier  la  condamnation.  Et,  d'un 
autre  côté,  M.  le  cardinal  et  ses  huit  consorts  traitent 
ce  livre  comme  s'ils  le  croyaient  effectivement  rempli 
de  toutes    les    erreurs    qu'on  lui  impute 2.   Ils  le  con- 

1.  Les  relations  de  ces  assemblées  de  Sorbonne  nous  montrent  que 
«  ce  fut  une  confusion  horrible  et  sans  exemple;  cris,  menaces,  em- 
portements, visages  pâles  et  défigurés,  mêlés  parmi  d'autres  allumés 
de  colère  et  furieux.  La  salle  de  Sorbonne  était  aujourd'hui  l'enfer  ». 
(Amcrsfoort,  boîte  R.) 

2.  Le  malheureux  cardinal  avait  cherche  à  se  donner  les  apparences 
d'avoir  devancé  la  constitution  Unigenitus.  Le  28  septembre,  obtenant  que 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  337 

damnent,  le  proscrivent  et  en  défendent  la  lecture,  sous 
peine  d'excommunication  et  sous  les  peines  de  droit. 

Lévêque  d'Angoulême  *,  qui  n'est  pas  des  huit,  ne 
reçoit  pas  la  bulle,  et  il  défend  le  livre  pour  raisons  à 
lui  connues.  C'est  le  moins  mauvais.  Vous  avez  peut- 
être  vu  la  lettre  pastorale  de  M.  le  cardinal.  Le  mande- 
ment de  M.  l'archevêque  de  Tours  est  le  premier  qui 
a  paru2.  Ces  deux  pièces  sont  arrivées  de  Rome,  et  par 
les  lettres  venues,  hier  au  soir,  de  Rouen,  on  apprend 
que  l'un  et  l'autre  est  condamné  par  un  décret  de  l'In- 
quisition3. Ils  crieront  bien  plus  haut,  quand  ils  auront 
vu  les  deux  lettres  des  neuf  au  roi,  où  il  y  a  des  clauses 
qui  leur  feront  bien  plus  mal  au  cœur.  Nous  les  avons 
reçues  en  manuscrit.  La  faculté  de  Paris  est  fort  brouil- 
lée. Le  syndic  a  lu  en  faculté  une  rétractation  du 
P.  Alexandre  de  l'avis  qu'il  avait  donné  assez  bon.  C'est 

la  publication  officielle  delà  bulle  fût  retardée  de  quarante-huit  heures, 
il  fit  paraître  un  mandement  qui  révoquait  son  approbation  du  livre  de 
Quesnel.  Il  désavoue  ainsi  toute  la  première  partie  de  sa  carrière  épisco- 
pale  et  ouvre  la  seconde,  semée  de  faux  pas,  d'écarts  et  de  regrets. 
Cependant,  malgré  l'abandon  du  livre,  l'archevêque  n'accepte  pas  la 
constitution  du  pape  et  protestera  durant  quelques  années  avant  de 
faiblir. 

1.  Benard  de  Rezay  ne  publia  pas  la  bulle  dans  son  diocèse  et  fut 
appelant,  en  1717.  Une  de  ses  lettres  inédite  au  cardinal  de  Noailles,  du 
17  juillet  1715,  défend  chaudement  le  P.  Quesnel  :  «  11  a  clairement  jus- 
tifié, par  quantité  de  passages  de  son  livre,  avoir  enseigné  sur  plu- 
sieurs sujets  tout  le  contraire  de  ce  qui  lui  est  imputé.  Ce  qui,  à  la 
vérité,  saute  aux  yeux.  »  (Bibl.  nat.,  ms.  23216.) 

2.  Isoré  d'Hervault,  archevêque  de  Tours,  «  un  homme  doux,  étroite- 
ment uni  au  cardinal  de  Noailles,  un  vrai  gentilhomme  debien  et  d'hon- 
neur, et  un  excellent  et  courageux  évêque  »  (Saint-Simon,  VIII,  418),  est 
le  premier  qui  fit  mention  de  la  constitution,  pour  déclarer  qu'il  ne 
l'acceptait  pas.  Exilé  dans  son  diocèse  le  8  février,  il  dut,  dit  Dorsanne, 
faireson  mandement  en  route,  car  il  le  publia  le  15  février. 

3.  Le  pape  condamna,  par  un  décret  du  28  mars  1714,  les  mandements 
du  cardinal  de  Noailles  et  de  l'archevêque  de  Tours.  Le  premier  fut  qua- 
lifié beaucoup  plus  fortement  que  le  second,  comme  redolens  schisma 
et  in  illud  inducens.  Le  roi,  peu  satisfait  de  ce  décret,  écrit  le  23  avril 
au  cardinal  de  La  Trémoille  :  «  Le  mieux  que  je  puisse  faire,  c'est  de 
l'ignorer.  »  Et  l'ambassadeur  se  demande  «  si  la  condamnation  du  man- 
dement du  cardinal  contribuera  à  le  ramener».  (Aff.  étr.,  Rome.  536.) 

ii.  22 


338  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNKL 

un  écrit  supposé.  Ce  Père  s'enplaignit  au  premier  men- 
ais dernier,  et  plusieurs  se  plaignirent  aussi  qu'on  les 
avait  confondus  parmi  les  partisans  de  l'enregistrement. 
11  viendra  sans  doute  des  ordres  de  la  cour  pour  arrê- 
ter le  cours  et  les  effets  de  ces  plaintes.  Sans  cela  on 
jouerait  un  mauvais  tour  au  syndic,  au  premier  mensis 
prochain. 

Vous  savez  sans  doute  qu'il  y  a  ici  deux  de  vos  bons 
amis1.  Nous  les  avons,  il  y  a  déjà  huit  jours.  Ce  sont 
deux  excellents  amis  de  la  vérité.  Ils  sont  du  nombre  de 
ceux  qui  la  servent  avec  beaucoup  de  lumière,  de  cou- 
rage et  de  fidélité.  Je  prends  part  à  la  joie  que  vous 
aurez  de  les  embrasser  quelque  jour,  à  leur  retour.  Ce 
sera  le  plus  tard  que  nous  pourrons,  car  leur  séjour  ici 
nous  est  d'une  grande  consolation. 

Voici  un  grand  fracas  :  lettre  de  cachet  à  M.  Witasse2, 
professeur,  relégué  à  Noyon;  une  autre  à  M.  Habert3, 
relégué  à  Blois.  M.  Vitasse  ne  s'est  pas  trouvé  à  Paris; 
on  ne  croit  pas  qu'il  y  revienne.  A  MM.  de  Bragelone4, 
Navarre,  Garson,  Gourcier,  des  Moulins,  Begon,  défense 
de  se  trouver  aux  assemblées  et  ordre  au  syndic  de 
faire  passer  la  conclusion  de  la  faculté  pour  l'enregis- 
trement et  de  ne  plus  parler  de  cette  affaire.  Un  bref  du 
pape  aux  quarante,  qui  est  d'une  grande  hauteur. 

1.  MM.  Poncet  et  d'Etemare. 

2.  Witasse,  docteur  et  professeur  de  théologie,  plein  de  droiture  et 
d'une  profonde  érudition. 

3.  Louis  Habert,  docteur  deSorbonne,  auteur  delà  fameuse  Théologie 
si  violemment  attaquée  par  Fénelon.  Opposant  à  la  bulle,  il  fut  exilé  et 
ne  revint  à  Paris  qu'à  la  mort  de  Louis  XIV.  «  C'était,  dit  Lichtenberger, 
un  homme  distingué  par  son  savoir  et  par  ses  vertus.  » 

4.  M.  de  Bragelone,  chanoine  de  Paris  et  docteur  de  Sorbonne,  déjà 
suspectpour  son  attachement  à  Port-Royal,  fut  exilé,  après  sa  protesta- 
tion contre  l'enregistrement  de  la  bulle. 


CORRESPONDANCE    DE    PASOUTER    QUESNEL  339 

Qaesnel  à  M.  van  Hussen 

27  avril  1714. 

Les  nouvelles  publiques  vous  ont  appris,  Monsieur, 
comment  l'affaire  de  la  constitution  a  été  terminée  en 
Sorbonne.  Dans  la  dernière  assemblée,  on  lut  une  lettre 
de  cachet   qui  défendait  de  délibérer  davantage  sur  la 
conclusion    de  la  faculté.  Ainsi  personne  n'osa  parler 
delà  conclusion  qui,  étant  déjà  imprimée,  a  été  rendue 
publique.  La  violence  est  toute  déclarée,  et  elle  est  si 
visible  qu'il  y  aurait  lieu  d'y  revenir  et  de  la  faire  cas- 
ser, si  le  temps  devenait  plus  favorable  l;  mais  il  n'y  a 
guère  d'apparence  que   ce    soit  si  tôt,  à  moins  que  la 
Providence  ne  fasse  un  coup  de  sa  droite  toute-puissante. 
C'est  une  affaire  toute   pleine  de  nullités,  et  dont  les 
conséquences  seront  fort  pernicieuses  à  la  saine  doc- 
trine par  le  crédit  énorme  qu'ont  les  noirs  [les  jésuites] 
pour  faire  valoir  cette  constitution  et  l'enregistrement 
qui  s'en  est  fait  en  Sorbonne.  C'est  une  grande    perte 
pour  cette  école  que  celle  du  professeur  qui  s'est  absenté 
pour  éviter  la  lettre  de  cachet2.  On  mettra  en  sa  place 
un  homme  dévoué  à  la  morale  de  la  constitution  et  aux 
jésuites,   et  il  n'enseignera  qu'une  mauvaise  doctrine. 
Mais   Dieu  a  des  ressources  que  nous  ne  connaissons 
pas  et  qu'il  saura  bien  faire  valoir,  quand  il  lui  plaira. 
Nous  voyons  l'événement  de  la  prédiction    que    fit  le 
cardinal  Noris  en  sortant  du  conclave  où  ce  pape  fut 
élu.  Il  dit  que  la  bonne  doctrine  souffrirait  beaucoup 
sous  ce  pontificat.  Nous  le  voyons. 

On  écrit  de  Paris  que  douze  cardinaux  ont  écrit   à 

1.  C'est  ce  qui  eut  lieu  après  la  mort  de  Louis  XIV.  Dans  une  assem- 
blée du  4  janvier  1716,  le  syndic  Ravechet  fit  déclarer  nulle  l'accepta- 
tion de  la  constitution  Unigenitus,  intervenue  en  1714. 

2.  M.  Witasse. 


340  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QL'ESNEL 

M.  le  cardinal  de  Noailles  pour  lui  représenter  le  tort 
qu'il  se  fait  de  ne  se  soumettre  pas,  et  ils  l'exhortent  à 
le  faire.  S'il  n'y  en  a  que  douze,  c'est  une  marque  qu'on 
n'en  a  pu  engager  davantage  à  souscrire  à  cette  lettre 
commune.  Cependant  ce  cardinal  est  ferme  jusqu'à  pré- 
sent, et  on  espère  qu'il  le  sera.  11  y  a  pourtant  toujours 
sujet  de  craindre,  parce  qu'il  est  d'un  naturel  fort  doux 
et  qu'on  emploie  toute  sorte  de  moyens  pour  l'amolli r1. 


Quesnel  au  R.  P.  Dehvardc,  oratorien,  à  Mons 

30  août  1714. 

Je  me  suis  bien  attendu  que  le  prélat2  [Fénelon]  ne 
m'épargnerait  pas.  Il  se  croit  autorisé  par  la  constitu- 
tion pour  m'outrager,  et  ses  calomnies  lui  paraissent 
apostoliques,  en  ayant  le  modèle  dans  une  bulle  sur 
laquelle  il  s'imagine  voir  reluire  la  lumière  infaillible 
de  la  vérité  éternelle.  Je  lui  pardonne  volontiers,  et  je 
le  plains,  le  voyant  dans  un  aveuglement  si  déplorable. 
Je  suis  peu  touché  de  ses  déclamations,  que  je  n'ai  pas 
encore  vues,  n'ayant  pas  reçu  avant-hier,  avec  votre 
lettre,  le  mandement  que  vous  avez  la  bonté  de  m'en- 
voyer.  Nos  amis   l'auront  retenu   pour  en   prendre  la 

1.  Mmo  de  Maintenon  s'emploie  très  activement  à  attendrir  le  cardi- 
nal. «  C'est  une  expression  de  ma  peine,  Monseigneur,  lui  écrit-elle 
le  27  avril  1714,  qui  m'a  fait  vous  demander  si  vous  vouliez  miner  le 
roi;  car  je  suis  persuadée  que  vous  voudriez  prolonger  ses  jours.  Je 
n'ai  rien  à  dire  sur  le  reste  de  votre  lettre:  mon  ignorance  et  mon  res- 
pect pour  vous  m'empêchent  d'y  répondre.  Mais,  Monseigneur,  vous 
avez  l'avis  du  pape  et  de  bien  des  évêques  contre  vous,  et  c'est  en  ce 
cas-là  que  le  nôtre  nous  peut  être  suspect.  Je  n'en  voulais  pas  tant 
dire.  » 

2.  Fénelon  fit  pour  l'acceptation  de  la  bulle  Unujcnilus  «  un  mande- 
ment qui  lui  ressemble  parfaitement;  il  y  a  du  roman,  comme  dans 
tous  ses  ouvrages;  l'illusion  et  le  sophisme  y  régnent  partout». 
(Lettre  inédite  du  cardinal  de  Noailles  à  M.  de  Boulogne,  19  août  1714, 
Amersfoort,  boîte  i.) 


CORRESPONDANCE  DÉ  PASQU1ER  QUESNEL        341 

lecture,  et  je  m'attends  à  le  recevoir  demain.  J'attendrai 
jusque-là  à  vous  envoyer  cette  lettre,  pour  vous  pou- 
voir mander  que  je  l'aurai  reçu.  Je  suis  bien  fâche, 
mon  très  cher  Père,  d'être  en  partie  l'occasion  de  Fin- 
justice  que  vous  fait  ce  prélat  et  du  décri  qui  en  revient 
à  la  congrégation  dans  votre  pays.  Je  n'y  vois  guère  de 
remède,  ni  de  consolation  du  côté  des  hommes.  C'est 
un  grand  malheur  qu'une  communauté  utile  à  l'Eglise 
soit  décriée  et  lui  devienne  inutile  par  ce  moyen,  qu'elle 
soit  môme  en  péril  de  périr.  Mais,  si  on  ne  la  peut 
conserver  sans  blesser  la  vérité,  sans  agir  contre  sa 
conscience,  sans  préférer  les  intérêts  du  repos  et  de  la 
conservation  d'un  corps  sans  lequel  l'Eglise  a  subsisté 
durant  seize  cents  ans;  si,  dis-je,  on  ne  peut  servir  ni 
conserver  la  communauté  sans  préférer  tout  cela  à  la 
vérité,  que  la  communauté  périsse  plutôt  que  de  faire 
une  préférence  si  injurieuse  à  Dieu  et  à  sa  vérité  ! 
C'est  pourquoi  je  ne  parle  pas  volontiers  de  ces  sortes 
de  vérités  à  des  personnes  de  communautés.  Ils  n'en- 
tendent point  ce  langage,  et  il  n'y  a  guère  de  personnes 
que  je  plaigne  davantage  que  ceux  qui  sont  à  leur  tète 
et  qui,  pour  la  conserver,  se  croient  obligés  à  ce  qu'ils 
appellent  des  ménagements.  L'exemple  de  la  destruc- 
tion de  Port-Royal  les  effraie,  et  ils  devraient  plutôt 
considérer  la  fidélité  des  saintes  vierges,  qui  ont  tou- 
jours regardé  leur  devoir,  indépendamment  de  toutes 
les  disgrâces  humaines.  Elles  ont  vu  comme  on  ten- 
dait par  degrés  à  les  ruiner.  Elles  n'ont  rien  omis  pour 
l'éviter.  Elles  ont  employé  tous  les  moyens  compatibles 
avec  leur  conscience,  et  Dieu  a  permis  que  tout  ait  été 
inutile. 

Pour  ce  qui  est  d'avoir  recours  au  Conseil  royal  de 
Bruxelles,  c'est  une  chose  impraticable.  Les  noirs  [les 
jésuites]  y  sont  tout-puissants.  Ce  Conseil  lia  les  mains 
au  Conseil  de  Brabant,  il  y  a  trois  ou  quatre  ans,  lorsque 
le  P.  Ouesnel  y  présenta  requête  pour  avoir  raison  des 


342  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 

injustices  de  M.  van  Susteren  ;  et,  dans  le  décri  où  l'on 
a  mis  ce  Père,  quelle  apparence  qu'il  fût  seulement 
écouté!  Et  puis  je  ne  vois  pas  que  Notre-Seigneur  ait 
conseillé  à  ses  disciples  de  plaider  devant  les  tribu- 
naux de  la  terre,  pour  avoir  justice  des  calomnies  et 
des  injures  dont  on  les  chargeait.  Il  faut  attendre  le 
souverain  juge;  il  est  à  la  porte.  11  faut  avoir  un  peu 
de  patience.  Je  ne  condamne  pas,  néanmoins,  ceux  qui, 
dans  quelques  occasions,  ont  recours  aux  tribunaux  de 
la  justice  humaine,  encore  moins  ceux  qui  se  défendent 
devant  celui  du  public,  pour  remédier  au  scandale  des 
calomnies. 

Quesnel  à  Roi  lin  x 

30  septembre  1714. 

On  ne  saurait  être  plus  agréablement  surpris  que  je 
l'ai  été  en  recevant  votre  lettre,  Monsieur  mon  très  cher 
et  très  fidèle  ami.  Votre  cœur  s'y  est  répandu  tout  en- 
tier, et  le  mien  s'est  trouvé  inondé  des  douceurs  que 
vous  avez  laissé  couler  du  vôtre. 

Vous  n'avez  pas  voulu  que  je  perdisse  rien  par  un 
silence  de  dix  ans,  et  tout  ce  que  vous  aviez  retenu, 
forcé  par  la  digue  du  temps  où  nous  sommes,  vous  me 
Tavez  fait  retrouver  dans  une  seule  lettre.  Vous  avez 
rompu  la  digue,  et  un  fleuve  d'amitié  est  venu  fondre 
sur  moi.  Rien  ne  fait  un  plus  grand  bien  et  ne  donne 
plus  de  consolation  à  des  amis  que  l'iniquité  du  siècle 
a  séparés  de  corps,  que  d'être  assuré  qu'elle  n'a  pu  sépa- 
rer les  cœurs  l'un  de  l'autre,  qu'au  contraire  ils  sont 
d'autant  plus  unis  ensemble  que  la  liaison  est  devenue 
plus    spirituelle,  les  sens  n'y  ayant  plus   de    part,    et 

1.  Charles  Rollin,  l'auteur  du  Traité  des  études,  avait  été  privé  de  sa 
place  de  coadjuteur  au  collège  de  Beauvais,  dès  1712,  comme  suspect 
de  jansénisme.  Cette  accusation  datait  de  loin,  car  il  fut  sur  le  point 
d'être  arrêté,  en  1703,  en  même  temps  que  M.  Vuillart. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        343 

n'étant  plus  présents  l'un  à  l'autre  que  par  l'esprit  et 
la  pensée,  ne  faisant  plus  de  pas  l'un  vers  l'autre  que 
par  les  mouvements  du  cœur,  et  surtout  n'y  ayant 
point  d'autre  lien  qui  les  unisse  que  le  Saint-Esprit, 
ce  sacré  lien  qui  unit  ineffablementles  personnes  divines 
dans  l'éternité. 

J'ai  confiance,  mon  précieux  ami,  que  c'est  lui  qui 
nous  a  donnés  l'un  à  l'autre  et  qui  a  formé  notre  amitié. 
Elle  est  née  de  l'amour  de  la  vérité;  elle  se  nourrit  et 
se  fortifie  par  la  part  que  nous  avons  en  commun  à  la 
haine  du  monde. 

Si  Dieu  a  permis  que  je  sois  en  butte  aux  ennemis 
de  la  vérité  et  que  ma  cause  se  trouve  liée  avec  la  sienne, 
ce  ne  doit  pas  être  à  mes  amis  une  occasion  de  me 
flatter,  et  c'est  à  moi  un  vrai  sujet  de  m'humilier, 
ayant  grand  lieu  de  craindre  que  mes  péchés  à  l'égard 
de  Dieu  et  mes  imprudences  envers  les  hommes  n'aient 
attiré  sur  ce  livre  et  sur  les  vérités  qu'il  contient  l'orage 
qui  s'est  élevé  contre  elles. 

J'ai  reçu  votre  lettre,  Monsieur,  en  voyage,  ou  plutôt 
en  promenade.  J'y  fais  réponse  de  même,  el  comme 
en  volant.  Je  l'ai  commencée  à  Leyde,  continuée  à  Delft, 
et  je  crois  que  je  vas  l'achever  à  la  Haye,  où  je  suis 
depuis  hier  au  soir.  Je  n'y  suis  pas  venu  pour  voir  le 
roi  Georges,  et  il  est  parti,  en  effet,  ce  matin  27,  sans 
que  je  l'aie  vu. 

Je  n'ai  point  encore  reçu  la  préface  que  vous  nous 
avez  fait  l'amitié  de  nous  envoyer.  Adieu,  mon  très  cher 
ami,  et  que  sais-je  si  je  serai  en  état  de  vous  le  dire 
encore  une  fois?  Vous  savez  mon  âge,  et  si  on  peut 
promettre  deux  jours  de  vie  à  cet  âge.  Ce  m'a  été  une 
très  grande  consolation  de  recevoir  votre  lettre,  lettre 
si  cordiale,  si  chrétienne,  si  digne  d'un  disciple  de  la 
vérité,  et  ce  m'est  une  sensible  satisfaction  d'avoir  eu 
occasion  de  vous  faire  un  nouveau  serment  de  fidélité 
dans  l'amitié  que  je  vous  dois. 


344  CORKESPONDA.NCE    DE    PASQUIER    QÙESNEL 

Quesnel  au  P.  Ru f fin 

24  janvier    1715. 

Voilà  un  grand  changement  arrivé  dans  votre  dio- 
cèse. Ce  pauvre  prélat  aura  trouvé,  en  l'autre  monde, 
le  grand  livre  de  la  vérité  ouvert  à  ses  yeux  et  aura 
reconnu  bien  du  mécompte  dans  ses  systèmes1.  Dieu 
veuille  qu'avant  que  de  quitter  ce  pays  d'erreurs  et 
d'égarements  il  ait  fait  des  réflexions  efficaces  sur  sa 
conduite  et  qu'il  ait  prévenu  le  jugement  de  Dieu!  Son 
diocèse  sera  peut-être  plus  agité  qu'il  ne  l'a  été  de  son 
vivant,  si  on  lui  donne  un  successeur  selon  les  vœux 
des  révérends  Pères2.  M.  le  cardinal  de  la  Trémoille 
ne  le  troublerait  pas  comme  on  croit,  s'il  était  votre 
archevêque,  comme  on  l'a  écrit,  mais  sans  doute  par 
pur  souhait  ou  simple  conjecture,  car  on  n'en  arien  dit 
depuis. 

Tout  est  calme  sur  la  constitution,  et  on  attend  ce 
que  les  premières  nouvelles  de  Rome  nous  apprendront 
de  la  négociation  de  M.  Amelot  et  de  M.  de  Targny3. 
Cependant  on  ne  laisse  pas  en  repos  ceux  qui  parlent 

1.  Fénelon  était  mort  le  7  janvier  1715.  Voici  comment  le  cardinal  de 
Noailles,  auquel  il  avait  fait  tant  de  mal,  s'exprime  à  son  sujet  :  «  Je 
regrette  fort  les  grands  talents  que  Dieu  lui  avait  donnés;  il  n'en  a  pas 
fait  assez  bon  usage.  t>  (Amersfoort,  boîte  /.) 

2.  On  nomma  à  Cambrai  Jean  d'Estrées,  neveu  du  cardinal  de  ce 
nom.  Saint-Simon  nous  le  montre  de  belle  prestance,  galant  et  connu 
pour  ses  mauvaises  mœurs  ;  mais,  «  avec  de  l'honneur  et  une  grande 
envie  de  bien  faire,  il  se  méprenait  souvent  et  se  faisait  moquer  de  lui  ». 

3.  Après  les  négociations  vaines  d'un  certain  P.  Timothée  de  La  Flèche, 
appelé.  «  le  courrier  de  la  bulle  »,  en  février  1714,  le  roi  crut  que  le  meil- 
leur parti  était  d'envoyer  au  pape  un  homme  sage  et  entendu,  pour  en 
finir  de  manière  ou  d'autre.  On  choisit  M.  Amelot  de  Gournay,  conseil- 
ler d'Etat,  qui  avait  déjà  mené  à  bien  diverses  négociations  en  Espagne. 
Saint-Simon  nous  le  dépeint  «  ami  des  jésuites,  mais  homme  d'hon- 
neur ».  Le  principal  objet  de  sa  mission  était  d'obtenir  du  pape  la  convo- 
cation en  France  d'un  concile  national.  L'abbé  de  Targny  lui  était 
adjoint  en  qualité  de  théologien. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    OUËSNEL  34t) 

ou  écrivent  contre  la   constitution,   quand  on  vient  à 
en  savoir  des  nouvelles. 

M.  Fouillou  a  été  rudement  attaqué  de  son  asthme; 
mais  il  se  porte  assez  bien  maintenant. 


Quesnel  au  P.  Raffin 

17  juin    1715. 

Les  affaires  de  la  constitution  sont  toujours  en  môme 
état.  Le  roi  demande  au  pape  de  consentir  à  rassem- 
blée d'un  concile  national,  et,  si  Sa  Sainteté  n'y  donne 
pas  les  mains,  Sa  Majesté  le  fera  assembler  de  son 
autorité  royale  ;  et  assurément  elle  n'a  pas  besoin  de 
Rome  pour  cela1. 

Il  est  certain  qu'on  soutient  en  Sorbonne  les  pro- 
positions de  1682.  Il  faut  qu'il  y  ait  raison  pour  cela, 
et  on  dit  que  c'est  que  M.  Amelot  a  mandé  au  roi  qu'on 
se  moque  de  lui,  à  Rome,  et  qu'on  n'en  veut  la  qu'aux 
libertés  de  l'Eglise  gallicane  :  ce  que  je  crois  sans 
peine2. 

1.  M.  Amelot,  à  peine  arrivé  à  Rome,  discerne  la  parfaite  inutilité  de 
sa  mission.  Le  cardinal  Fabroni,  maître  absolu  de  l'esprit  du  pape,  ne 
veut  rien  entendre  et  demande  la  dégradation  de  M.  le  cardinal  de 
Noailles.«  11  n'y  a  rien  à  espérer  du  pape.  Le  roi  ne  doit  compter  que 
sur  ce  qu'il  jugera  à  propos  de  faire  lui-même.  11  n'y  a  ici  ni  cardinal, 
ni  prélat,  ni  ecclésiastique  de  toute  espèce,  qui  n'ait  le  concile  en  hor- 
reur. Si  l'on  vous  en  écrit  autrement,  on  vous  trompe.  »  (29  mai  1715, 
Correspondance  diplomatique  de  M.  Amelot,  Arch.  Nat.,  F10  60.) 

2.  M.  Amelot  écrit,  en  effet,  à  M.  le  chancelier,  le  9  avril  1715: 
«  Cette  cour  est  uniquement  occupée  de  ce  qui  intéresse  son  autorité 
et  de  trouver  des  moyens  d'étendre  sa  juridiction  en  sapant  les  libertés 
et  les  usages  de  l'Eglise  gallicane.  »  (Correspondance  diplomatique  de 
M.  Amelot,  Arch.  Nat.,  F1(l  GO.) 


346  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 


Qûesnel  au  P.  Dubois1 

25  juillet  1715. 

Mon  révérend  Père,  je  vous  souhaite  de  tout  mon 
cœur  la  grâce  deNotre-Seigneur  Jésus-Christ  pour  vous 
éclairer,  vous  conduire  et  vous  faire  faire  sa  sainte 
volonté  dans  la  conjoncture  où  vous  vous  trouvez.  Mes 
lumières  sont  trop  courtes  pour  vous  être  d'un  grand 
secours,  dans  le  conseil  que  vous  me  faites  l'honneur  de 
me  demander,  et  il  me  semble  même  que  je  devrais 
me  récuser  moi-même  dans  une  affaire  où  je  suis  inté- 
ressé. J'espère,  néanmoins,  que  je  ne  me  laisserai  ni 
aveugler,  ni  corrompre  par  la  vue  de  la  part  que  j'ai 
dans  la  cause  dont  il  s'agit.  Et  d'ailleurs  il  ne  faut  que 
savoir  un  peu  son  catéchisme  pour  voir  tout  d'un  coup 
qu'on  ne  peut  adhérer  aux  décisions  de  la  bulle  en 
question,  sans  condamner  une  partie  des  dogmes  de  la 
foi,  et,  par  conséquent,:  sans  faire  à  sa  conscience  une 
plaie  mortelle,  ni  sans  s'exposer  à  se  perdre  éternel- 
lement. Cela  supposé,  ayant  à  régler  la  conscience 
d'une  personne,  dont  l'âme  vous  était  confiée  de  la  part 
de  Dieu  et  qui  vous  consultait  sur  ce  qu'elle  avait  à  faire, 
vous  n'avez  pu  lui  donner  d'autre  conseil  que  celui  de 
ne  prendre  aucune  part  à  cette  constitution,  ni  par  elle- 
même,  ni  par  ses  religieuses;  etcette  supérieure,  ayant 
fait  sur  cela,  une  démarche  contraire  à  sa  lumière  et  à 
sa  conscience,  et  ayant  par  là  donné,  autant  qu'il  était 
en  elle,  quelque  approbation  et  quelque  autorité  à 
des  décisions  préjudiciables  à  la  doctrine  de  l'Eglise, 
à   sa  morale,   à  sa   discipline,  et  à  un   grand  nombre 

1.  Le  P.  Dubois,  de  l'Oratoire  de  Mons,  confessant  une  abbesse  de  la 
ville,  la  blâma  d'avoir  accepté  la  constitution  et  l'engagea  à  se  rétrac- 
ter. Elle  le  répéta.  L'affaire  fît  un  éclat  terrible.  Le  sieur  Goulart,  offi- 
ciai de  Hombrai.  exigea  l'evclupion  du  P.Dubcis. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  347 

de  maximes  évangéliques,  le  moins  qu'ait  pu  exiger 
d'elle  son  confesseur  a  été  çle  la  porter  à  s'en  humi- 
lier devant  Dieu  et  à  réparer  par  ses  gémissements 
une  faute  qu'elle  avait  faite,  peut-être  par  une  complai- 
sance trop  humaine  envers  ses  supérieurs,  par  une 
timidité  d'amour-propre,  par  la  crainte  des  vexations 
qu'on  pourrait  lui  faire,  par  attachement  ou  à  sa  charge 
ou  à  quelque  autre  avantage  temporel  ou  spirituel.  Je 
suis  donc  très  persuadé  que  le  confesseur,  ayant  par 
la  grâce  de  Dieu  fait  son  devoir  en  cette  occasion,  ne 
pourrait,  ni  sans  ingratitude,  ni  sans  offenser  Dieu,  se 
repentir  et  se  rétracter,  et  il  doit  s'exposer  plutôt  à  la 
colère  des  hommes  qu'à  la  colère  du  Dieu  des  hommes. 

Pour  moi,  je  ne  comprends  pas  avec  quelle  confiance 
un  prêtre,  qui  est  le  ministre  de  la  vérité  et  de  la  justice, 
pourra  paraître  devant  le  juge  qui  s'est  livré  à  la  mort 
et  à  l'ignominie  pour  la  vérité  et  pour  la  justice,  dans 
ce  moment  terrible,  s'il  se  trouve  chargé  et  accusé 
d'avoir  trahi  la  vérité  et  violé  la  justice,  en  approuvant, 
d'une  part,  la  condamnation  et  la  proscription  de  cent 
vérités  et,  de  l'autre,  en  livrant  à  ses  ennemis  un  prêtre 
qui  a  eu  le  courage  de  faire  son  devoir  à  cet  égard. 
C'est  concourir  aune  double  conspiration,  l'une  tramée 
contre  la  vérité,  et  l'autre  contre  ceux  qui  la  défendent. 
Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  de  le  prouver.  Le  cri  public  des 
fidèles,  une  infinité  d'écrits  convaincants,  quinze  ou 
seize  évoques  qui  sont  l'élite  de  l'épiscopat  et  qui  seuls 
se  sont  trouvés  à  l'épreuve  des  craintes  et  des  espérances 
de  ce  monde,  et  qui  se  sont  exposés  à  tout  plutôt  que  de 
recevoir  la  constitution,  toutes  ces  preuves  suffisent 
pour  prouver  qu'elle  est  si  énorme  qu'on  s'est  cru 
obligé  de  s'exposer  à  la  colère  des  puissances  les  plus 
respectables  plutôt  que  de  souffrir  qu'elle  soit  reçue 
dans  l'Eglise. 

Je  finis,  mon  révérend  Père,  en  louant  Dieu  de  vous 
avoir  rendu  fidèle  à  sa  vérité  et  a  son  Evangile,  et  en  le 


348  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QLESNEL 

priant  de  vous  continuer  sa  miséricorde  et  sa  protec- 
tion. Tout  ce  que  vous  pourrez  faire  sans  blesser  votre 
conscience  pour  vous  conserver  dans  la  congrégation  à 
laquelle  Dieu  vous  a  appelé,  vous  le  devez  faire.  S'il 
faut  sortir,  abandonnez-vous  à  Dieu,  qui  vous  accom- 
pagnera et  vous  protégera  partout. 


Quesnel  au  P.  Rit/fin,  à  Mans 

Amsterdam,  25  juillet  171o. 

J'apprends  par  vos  deux  lettres,  la  vôtre  et  celle  du 
P.  Dubois,  l'extrémité  où  ce  bon  Père  est  réduit.  J'en 
suis  fort  touché  En  considérant  devant  Dieu  ce  qu'il  a 
fait  à  l'égard  de  l'abbesse,  je  ne  crois  pas  qu'il  puisse  se 
rétracter.  Il  n'a  rien  dit  que  ce  qu'il  devait  dire,  et  il  a 
même  traité  cette  religieuse  avec  beaucoup  d'indul- 
gence en  la  portant  seulement  à  s'humilier  devant  Dieu, 
et  néanmoins  il  a  fait  prudemment  en  n'en  exigeant  pas 
davantage,  pour  tâcher  de  conserver  la  paix  dans  la 
communauté. 

Si  ces  bons  Pères  voulaient  un  peu  s'aider,  ils  trou- 
veraient moyen  de  faire  passer  le  P.  Dubois  dans  un 
autre  diocèse.  Le  révérend  Père  général  pourrait  aussi 
lui  assigner  une  maison  en  France,  dans  une  province 
un  peu  éloignée,  où  il  pourrait  demeurer  inconnu  en 
changeant  de  nom,  et  il  pourrait  en  échange  donner  un 
autre  sujet  aux  maisons  wallonnes.  Ce  Père  pourrait 
toujours  disparaître  et  aller  faire  la  retraite  dans  le  lieu 
où  il  a  dessein  de  la  faire;  j'entends,  s'il  est  poussé  à 
bout  et  qu'il  soit  obligé  de  se  retirer. 

Quand  on  a  affaire  à  des  lilles  dont  le  naturel  est 
timide  et  inconstant,  il  ne  faut  traiter  de  ces  affaires-là 
que  dans  le  secret  de  la  confession,  parce  qu'alors  on  a 
la  langue  liée  et  qu'on  a  droite!  obligation  de  dire  aux 
supérieurs  mômes  que  c'est  une  affaire  du  secret  sacra- 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        349 

mentel,  qu'on   n'a  rien  à  leur    dire,  qu'on  a  fait   son 
devoir  en  conscience. 

Je  ne  désapprouverais  pas  qu'après  sa  retraite  il  allât 
travailler  dans  un  diocèse  dont  l'évêque  soit  tel  qu'il  n'y 
ait  rien  à  craindre  de  sa  part.  Arras  est  un  peu  trop  près, 
et  peut-être  que  ce  préJat  serait  plus  diflicultueux.  Bou- 
logne ou  Châlons  en  Cham pagne  seraient  bons.  Je  crains 
que  le  contre-coup  ne  tombe  sur  vous l.  Il  faut  s'attendre 
à  tout  et  pratiquer  l'ordre  que  Notre-Seigneur  a  donné 
à  ses  apôtres  :  «  Quand  ils  vous  persécuteront  dans 
une  ville,  fuyez  dans  une  autre.  »  Le  Fils  de  l'homme 
viendra  avant  que  l'on  ait  parcouru  toutes  les  villes 
d'Israël.  La  Providence  ne  vous  manquera  pas,  ni  à 
l'un,  ni  à  l'autre.  J'ai  entre  mes  mains  quelque  argent, 
dont  une  partie  m'a  été  donnée  pour  de  semblables 
usages.  Ainsi  le  révérend  P.  Dubois  peut  compter  qu'il 
aura  de  quoi  subsister  jusqu'à  ce  qu'il  ail  trouvé  un 
établissement.  Je  ne  mettrai  rien  de  cela  dans  la  lettre 
que  je  vas  avoir  l'honneur  de  lui  écrire,  afin  que,  si 
elle  venait  à  tomber  en  mains  étrangères,  ces  gens-là 
n'en  sachent  rien. 


Quesnel  à  M.  Vuillart [ 

19  septembre  1715. 

Je  vous  embrasse  avec  toute  la  tendresse  de  mon 
cœur,  mon  très  cher  frère,  mon  précieux  ami,  la  vic- 

1.  Le  P.  Collart  et  le  P.  Denis-Ruffin  refusèrent  de  voterl'expulsion  du 
P.  Dubois.  Aussi  le  P.  Ruffin.s'attendant  atout,  écrivait,  le  9  août  1715, 
à  M.  Petitpied  :  «  En  voilà  déjà  un  dehors,  je  ne  sais  à  quoi  je  tiens  à 
un  cheveu.  »  (Amersfoort.  boite  \V.) 

1.  A  la  mort  de  Louis  XIV.  arrivée  le  l,r  septembre,  les  malheureux 
jansénistes,  pour  un  temps  bien  court,  voient  leurs  affaires  prendre  en 
France  une  tout  autre  allure.  Le  régent  reçoit  le  cardinal  de  Noailles 
et  le  place  à  la  tête  du  Conseil  de  conscience.  Aussitôt  M.  de  Montpel- 
lier, Colbert  de  Croissy,  lui  écrit  :  «  J'espère  que  le  premier  usage  que 


350  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

time  de  ma  liberté  et  le  successeur  de  mes  chaînes,  si 
ce  n'est  pas  parler  trop  fastueu  sèment  d'un  séjour  de 
trois  mois  dans  un  palais  archiépiscopal.  Au  lieu  de 
prendre  la  confiance  de  vous  embrasser,  je  devrais  plu- 
tôt me  jeter  à  vos  pieds,  pour  vous  demander  pardon 
d'avoir  été  comme  la  cause  de  votre  emprisonnement 
par  mon  peu  de  précaution  et  de  prudence. 

Je  n'ai  pas  été  trouvé  digne  de  souffrir  pour  la  vérité. 
Vous  avez  été  substitué  à  ma  place,  et  la  couronne,  qui 
m'avait  été  montrée  et  comme  destinée,  a  été  transfé- 
rée à  vous,  mon  cher  frère,  et  je  ne  dois  pas  vous 
envier  cette  grâce  dont  vous  avez  été  trouvé  digne  et 
que  je  ne  méritais  pas.  Cependant  souffrez,  mon  cher 
ami,  que  je  vous  soupçonne  un  peu  d'avoir  eu  part  à 
l'enlèvement  de  cette  grâce  et  de  vous  l'être  attirée  par 
une  fraude  et  une  surprise  dignes  d'un  Jacob.  Car  la 
connaissance  que  j'ai  de  votre  bon  cœur  et  de  votre 
piété,  jointe  à  la  facilité  que  vous  aviez  de  prévenir 
votre  détention,  m'ont  fait  croire  que  vous  vous  étiez 
offert  à  Dieu  pour  être  misa  ma  place  et  que  Dieu  vous 
avait  pris  au  mot.  Je  me  tiens  au  moins  assuré  que 
c'était  la  disposition  de  votre  cœur.  J'espère  que  Dieu 
nous  conservera  tous  deux  assez  longtemps  pour  que  je 
puisse  vous  en  témoigner  de  vive  voix  ma  reconnais- 
sance et  que  nous  ayons  la  consolation  mutuelle  de  nous 
embrasser.  C'a  été  pour  moi  un  rabat-joie  d'apprendre 
que  l'émotion  d'un  changement,  auquel  je   crois   que 

Votre  Eminence  fera  de  son  crédit  et  de  son  autorité  sera  de  faire 
ouvrir  la  porte  des  prisons  où  sont  renfermés  tant  de  gens  de  bien,  qui 
n'y  ont  été  mis  qu'en  haine  de  la  vérité.  Et,  pour  qu'elles  ne  demeu- 
rassent pas  tout  à  fait  vides,  on  aurait  pu  y  mettre  un  seul  homme, 
le  P.  Tel  lier,  qui  Ta  bien  mieux  mérité  que  ceux  qu'il  y  a  fait  mettre.  » 
(Bibl.  nat.,  ms.  23216.)  En  effet,  le  confesseur  est  exilé,  le  nonce  Benti- 
voglio  renvoyé  à  Rome,  et  un  grand  nombre  de  prisonniers  sont  rendus 
à  la  liberté.  M.  Vuillart  après  douze  ans  de  Bastille,  M.  Duplessis  après 
onze  ans,  l'abbé  Servien,  le  P.  d'Albissy,  le  marquis  d'Aremberg,  plu- 
sieurs docteurs  de  Sorbonne,  reviennent  d'exil.  C'est  «le  triomphe  de 
Mardochée  »,  selon  le  mot  de  Duclos. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        351 

vous  vous  attendiez  peu,  a  causé  quelque  altération  dans 
votre  santé.  J'espère  que  ce  ne  sera  rien.  Vous  êtes 
maintenant  entre  les  mains  de  nos  deux  chères  sœurs 
et  vous  respirez  avec  elles  un  air  libre  et  naturel,  et 
avec  tout  cela  vous  avez,  en  la  personne  de  M.  Hec- 
quet,  un  Esculape  chrétien  qui  vous  aime  et  qui  ramas- 
sera toutes  les  lumières  et  tous  les  secrets  de  son  art 
pour  vous  conserver  à  vos  amis,  si  c'est  la  volonté  du 
souverain  médecin,  qui  est  en  môme  temps  le  maître 
de  la  santé  et  de  la  maladie,  de  la  vie  et  de  la  mort.  Je 
voudrais  être  en  état  de  partager  avec  eux  les  soins 
qu'ils  auront  tous  de  votre  chère  personne.  Vivez  donc, 
mon  cher  ami,  pour  la  consolation  de  ceux  qui  vous 
aiment  et  que  vous  aimez  en  Jésus-Christ. 


Quesnel  à  ïabbé  tVEtemare 

4  octobre  1715. 

Depuis  que  je  vous  sus,  Monsieur,  entré  dans  le  pays 
d'inquisition,  je  n'osai  plus  me  donner  l'honneur  de 
vous  écrire.  Maintenant  qu'il  semble  être  devenu  une 
terre  de  promission,  je  reprends  la  confiance  de  vous 
faire  souvenir  de  moi;  car  je  craindrais  enfin  que  mon 
nom  ne  s'effaçât  de  votre  mémoire,  surtout  dans  un 
temps  où  l'on  va,  comme  je  l'espère,  commencer  à  n'en 
plus  parler. 

Voilà,  Monsieur,  d'heureux  changements  et  qui  pro- 
mettent quelque  chose  de  plus  heureux  encore.  Il  faut 
rendre  grâces  à  Dieu  de  ce  qu'il  a  déjà  daigné  faire  et 
tâcher  de  ne  nous  pas  rendre  indignes  des  autres  misé- 
ricordes qu'il  nous  prépare;  j'entends  à  son  Eglise,  car, 
pour  chacun  de  nous  en  particulier,  peut-être  que  l'état 
où  nous  étions  nous  était  plus  avantageux.  Pour  moi, 
je  vous  avoue  que  Paris  me  fait  peur,  quoique  je  ne 
le  voie  encore  que  de  loin.  Cependant  on  nous  dit,  de 


352  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

tous  côtés,  qu'il  faut  retourner,  et  il  semble  qu'on  nous 
chante  avec  feu  M.  Racine: 


Les  chemins  de  Sion  à  la  fin  sont  ouverts  : 

Rompez  vos  fers,  tribus  captives, 

Troupes  fugitives  ; 

Repassez  les  monts  et  les  mers, 

Rassemblez-vous  des  bouts  de  l'univers. 

Si  nous  en  avions  cru  l'ardent  chanoine  de  Bruxelles1, 
nous  serions  déjà  à  Paris  ;  mais  nous  ne  nous  pressons 
pas  si  fort.  11  y  a,  pour  un  de  nous,  quelques  formali- 
tés à  observer  et  des  ordres  à  attendre,  et,  quoique  je 
n'aie  sur  le  corps  ni  ordre  ni  lettre  de  cachet,  la  figure 
({Lie  mon  nom  a  faite  dans  cette  affaire  m'oblige  à  tem- 
poriser, pour  voir  quelles  mesures  on  prendra  pour  la 
terminer. 

Les  Romains,  voyant  bien  qu'il  ne  faut  plus  penser 
à  pousser  M.  le  cardinal  à  bout,  ni  à  faire  recevoir  la 
constitution  par  des  voies  violentes,  tenteront  des  voies 
d'accommodement.  C'est  ce  que  l'on  écrit  de  Rome,  par 
les  lettres  arrivées  hier2.  On  y  savait  la  mort  du  roi, 
dès  le  10  du  mois,  et  l'on  en  était  fort  consterné.  Que 
si  l'on  écoutait  à  la  cour  des  propositions  d'accommode- 
ment, je  ne  sais  si  les  conseils,  composés  de  gens  du 
monde  qui  n'ont  souvent  que  des  vues  politiques,  ne 
pourraient  pas  donner  les  mains  à  des  conditions  pré- 
judiciables à  la  vérité,  à  l'Eglise,  à  l'honneur  et  à  la 
conscience.  Ils  peuvent  croire  que  le  respect  dû  à  l'au- 
torité du  Saint-Siège  demande  qu'on  ait  certaines  con- 
descendances; que  le  pape,  poussé  à  bout,  pourrait  se 


1.  Ernest  Huth  d'Ans. 

2.  M.  de  la  Chausse,  conservateur  des  archives  à  Rome,  écrivait  au 
maréchal  d'Huxelles  :  «Les  démarches  de  Son  Altesse  Royale  en  faveur 
de  M.  le  cardinal  de  Noailies  ont  consterné  cette  cour,  et  on  pourrait 
profiter  de  la  confusion  où  elle  est  pour  terminer  cette  affaire.  »  (Ait. 
étr.,  Rome,  549. ; 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  353 

porter  à  des  démarches  violentes;  que  presque  tous  les 
évoques  de  France,  engagés  à  recevoir  la  constitution, 
ne  peuvent  pas  reculer.  Le  nonce,  les  deux  cardinaux 
acceptants,  toute  la  cabale  des  jésuites,  pousseront  à  la 
roue,  pour  tirer  le  pape  avec  honneur,  et  eux-mêmes 
avec  lui,  de  ce  bourbier.  Quelque  bien  disposé  que  soit 
M.  le  cardinal,  vous  savez  combien  son  naturel  doux 
et  pacifique  est  à  craindre.  Il  a  déjà  sacrifié  le  livre,  et 
ses  consorts  l'ont  fait  avec  lui;  ils  pourraient  bien,  dans 
une  négociation,  abandonner  aussi  l'auteur  et  l'obliger 
à  quelque  démarche  fâcheuse,  sans  lui  faire  d'ailleurs 
aucune  justice1.  Si  on  en  venait  là  et  que  je  le  pusse 
prévoir,  j'aimerais  mieux  le  voir  de  loin  que  de  près, 
et,  sous  prétexte  d'aller  voir  mes  amis  et  mourir  dans 
le  sein  de  ma  patrie,  j'irais  me  jeter  entre  les  bras  des 
ennemis  démon  honneur  et  de  ma  liberté. 

Il  faut  pourtant  vous  dire,  Monsieur,  avec  confiance, 
qu'une  personne  qui  devait  venir  ici,  et  qui  y  est  venue 
en  effet,  ayant  vu  M.  le  cardinal  à  Gonflans,  où  elle 
avait  été  comme  mandée,  Son  Eminence  lui  donna 
ordre  de  dire  à  l'auteur  plusieurs  choses  qui  marquent 
sa  bonté  pour  lui  et  la  disposition  où  elle  est  de  le 
protéger,  et,  entre  autres  choses,  de  l'assurer  qu'elle 
ne  songeait  point  du  tout  à  donner  aucunes  explications 
et  qu'elle  demeurerait  inséparablement  unie  avec  ses 
confrères  opposants.  L'auteur  ne  fut  pas  peu  surpris 
de  ce  compliment,  et  d'autant  plus  que  c'était  plusieurs 
semaines  avant  la  mort  du  roi.  Il  semble  que  c'en  est 
assez  pour  nous  rassurer;  mais  je  comprends  fort  bien 
que,  les  conjonctures  étant  changées,  il  pourrait  bien 
changer  avec  elles.   Résolu  alors  de  se  laisser  écraser 

1.  Le  P.  Quesnel  raisonnait  fort  sagement,  car  le  maréchal  cTHuxelles 
écrit  de  Rome  à  la  Trémoille,  le  19  novembre  1715  :  «  Le  P.  Quesnel 
n'a  pas  eu  la  permission  de  rentrer  dans  le  royaume,  et  moins  encore 
celle  de  venir  à  Paris.  On  est  bien  éloigné  de  vouloir  donner  aucune 
protection  à  son  livre.  »  (Aff.  étr.,  Rome,  549.) 

ii.  23 


3j4  correspondance  de  pasqcier  quesxel 

par  ses  ennemis  qui  ne  lui  laissaient  aucune  espérance 
d'échapper  à  leur  violence,  il  avait  pris  la  résolution 
d'en  avoir  le  mérite  tout  entier.  Maintenant  qu'il  a  le 
dessus,  il  craindra  peut-être  que  ce  ne  soit  en  user  trop 
durement  et  avec  trop  de  hauteur  que  de  ne  rien 
relâcher.  J'espère  pourtant  plus  que  je  ne  crains. 

Mais,  supposé  que  tout  aille  bien,  je  suis  encore 
assez  embarrassé  à  me  déterminer  au  parti  que  je  dois 
prendre  et  en  quelle  situation  je  me  mettrai.  Je  ne  me 
suis  jamais  senti  d'autre  inclination  que  celle  de  retour- 
ner à  mon  premier  poste.  Dieu  m'y  a  appelé,  et  je  ne 
me  suis  séparé  qu'à  regret  du  corps  dont  je  faisais  par- 
tie. J'y  ai  toujours  été  uni  de  cœur,  et  cette  disposition 
ne  mourra  qu'avec  moi;  mais,  comme  je  n'ai  jamais 
cru  me  trouver  en  liberté  de  retourner  à  cette  commu- 
nauté, je  ne  me  suis  aussi  jamais  fait  aucune  objection. 
Maintenant  que  le  chemin  est  ouvert  d'un  côté,  je  com- 
mence à  douter  s'il  le  serait  aussi  de  l'autre.  Les  supé- 
rieurs, qui  étendent  leurs  vues  et  leurs  réllexions  dans 
l'avenir  et  qui  sont  encore  pleins  des  craintes  où  ils  se 
sont  trouvés  par  le  passé,  craindront  peut-être  de 
déplaire  à  Rome  en  recevant  un  homme  qu'elle  a  rendu 
si  noir  et  si  hideux.  Ils  craindront  les  reproches  du 
nonce,  l'indignation  du  pape,  celle  desdeux  cardinaux1, 
des  évêques  de  leur  parti.  Le  prince  régent  peut  mou- 
rir; en  ce  cas,  les  affaires  reprendraient  peut-être  la 
première  face,  et  les  jésuites  le  même  crédit.  Nouvel 
embarras  alors,    et  pour  les  supérieurs  et  pour  moi. 

Il  est  vrai  qu'à  l'âge  où  je  suis  c'est  une  crainte,  de 
mon  côté,  qui  ne  doit  pas  faire  beaucoup  d'impression. 
De  plus,  quand  ils  ne  s'opposeraient  pas  ouvertement 
à  me  voir  rentrer  avec  eux,  ils  n'y  consentiraient  peut- 
être  qu'avec  répugnance  et  comme  à  regret,  et  je  ne 


1.  Les  cardinaux  de  Rohan  et  de  Bissy,   acharnés  à  la  réception  de 
la  bulle. 


CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL        355 

voudrais  pas  vivre  avec  des  gens  qui  ne  me  verraient 
pas  volontiers.  Onm'allègue.aussi  mon  âge,  comme  trop 
avancé  pour  suivre  le  train  d'une  communauté;  l'in- 
commodité d'être  sans  perruque,  après  y  avoir  été 
accoutumé  durant  trente  ans.  Enfin  je  n'aurais  pas, 
apparemment,  assez  de  liberté  pour  continuer  à  traiter, 
comme  j'ai  fait,  avec  les  amis  de  la  vérité,  de  ses  inté- 
rêts, et  je  serais  éclairé  de  trop  près  par  des  gens  qui 
n'ont  pas  les  mêmes  vues,  ni  les  mêmes  engagements 
que  moi,  de  la  part  de  la  Providence. 

Ce  n'est  pas,  Monsieur,  sans  dessein  que  je  prends 
la  liberté  de  vous  faire  ce  détail  problématique.  C'est 
afin  que  vous  ayez  la  bonté  de  peser  tout  devant  Dieu 
et  de  me  dire  ce  qu'il  vous  aura  mis  dans  le  cœur.  Je 
me  sens  une  confiance  particulière  pour  vos  avis  ;  vous 
n'êtes  pas  dans  cette  communauté;  mais  vous  êtes  à 
portée  d'en  connaître  la  disposition  par  rapport  à  moi, 
et  dans  une  espèce  de  neutralité  qui  vous  exempte  de 
toute  prévention. 

Conservez-moi,  s'il  vous  plaît,  l'honneur  de  votre 
amitié.  Si  l'estime  que  j'en  fais  m'y  peuldonner  quelque 
droit,  je  m'en  tiens  assuré  ;  vous  ne  voudriez  pas  me 
faire  injustice.  J'en  demande  autant  àM.  Poncet.  Quoique 
je  ne  vous  aie  pas  beaucoup  parlé,  ni  à  l'un,  ni  à 
l'autre,  je  n'ai  pas  laissé  de  conserver  pour  tous  deux 
l'estime  et  l'attachement  que  mérite  le  bien  que  Dieu  a 
mis  en  vous. 

P. -S.  —  4  octobre  au  soir. 
Ma  lettre  était  écrite,  quand  nous  avons  reçu  la  triste 
nouvelle    de  la   perte    que   nous  avons  faite    de  notre 
chère  et  incomparable  amie1.  Dieu  l'a  voulu  ainsi,  et  sa 

1.  Ml,c  de  Joncoux  était  morte  le  27  septembre  1715,  n'ayant  pu  résister 
probablement  à  l'excès  de  son  zèle  et  aux  fatigues  endurées  pour  arra- 
cher de  prison  les  victimes  des  jésuites.  Ce  fut  elle,  en  effet,  qui,  «  par- 
courant Paris  brouettée  dtxus  sa  vinaigrette»,  suppliant,  discutant,  allant 


356        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

volonté  est  la  sagesse  et  la  bonté  môme.  Qu'il  soit  adoré 
et  loué  pour  les  secours  qu'il  nous  a  donnés  par  sa 
fidèle  servante,  et  qu'il  daigne  lui  en  donner  la  récom- 
pense abondante  pour  tout  le  bien  qu'elle  a  fait  et  pour 
tout  celui  qu'elle  avait  désir  de  faire,  et  qui  était  déjà 
fait  devant  lui!  J'ai  eu  communication  de  la  lettre  que 
vous  avez  écrite,  Monsieur,  à  nos  deux  amis  d'ici.  Vous 
voyez  par  ma  lettre  que  nous  ne  sommes  pas  tentés  de 
nous  presser,  et  apparemmentnous  passerons  ici  l'hiver. 
J'enverrai  lundi  la  procuration.  Je  crois  que  mon  frère 
en  a  déjà  une;  mais  j'aime  beaucoup  mieux  que  ceux 
qui  ont  la  bonté  de  demander  celle-ci  agissent.  Ils  le 
feront  avec  plus  de  mesure  et  de  circonspection. 


Quesnel  à  une  personne  de  qualité,  attachée 
à  S.  A.  R.  le  duc  d'Orléans 

o  octobre  1715. 

Il  est  vrai,  Monsieur,  que  les  changements  que  nous 
voyons  dans  l'Eglise  et  dans  l'Etat  nous  obligent  de 
reconnaître  qu'il  y  a  un  Dieu  dans  Israël,  et  qu'il  y 
fait  éclater  sa  puissance  par  des  jugements  bien  diffé- 
rents, les  uns  de  justice,  les  autres  de  miséricorde.  Il 
appesantit  sa  main  surle  royaume,  en  lui  enlevant  un 
roi  auquel  sa  gloire  et  sa  félicité  temporelles  semblaient 
être  attachées  ;  mais  il  tire  de  cette  perte  un  grand  gain 
pour  l'Eglise,  en  ôlant  par  là  à  ceux  qui  abusaient  de 
la  confiance  dont  il  les  honorait  tout  leur  appui  et  toute 
l'autorité  dont  ils  se  servaient  pour  troubler  l'Eglise  et 
pour  vexer  des  personnes  dont  la  foi  atoujoursété  pure 
et  la  conduite  irrépréhensible;  mais  l'Eglise,  Monsieur, 
n'est  pas  seule  à  sentir  combien  Dieu  est  puissant  pour 
tirer  le  bien  du  mal.  Le  grand  prince  qu'il  misait  gou- 

de  l'un  à  l'autre,  obtenait  du  régent  la  grâce  de  ses  amis,  moins  de  quinze 
jours  après  la  mort  du  roi. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  357 

vernail  de  ce  grand  Etat  y  va  faire  régner  l'ordre  et  la 
justice,  et  les  heureux  commencements  que  nous  voyons 
nous  font  espérer  de  voir,  sous  le  règne  de  Louis  XV, 
l'Etat  aussi  florissant  et  plus  paisible  qu'on  ne  l'a  vu 
sous  le  grand  prince  que  nous  pleurons. 

Parmi  les  différents  mouvements  que  cette  nouvelle 
face  des  affaires  excite  en  vous,  Monsieur,  vous  avez  la 
bonté  de  faire  attention  à  la  part  que  je  puis  avoir  dans 
ces  changements,  et  je  vous  ensuis  très  obligé.  Cepen- 
dant tout  ce  qui  m'en  peut  revenir  d'avantage  en  mon 
particulier,  c'est  que  j'aurai  la  liberté  d'aller  mourir 
dans  le  sein  de  ma  patrie.  Ce  n'est  pas  grand'chose; 
peut-être  y  perdrai-je  plus  que  je  n'y  gagnerai.  J'ai  tou- 
jours joui  d'un  grand  repos  dans  ces  provinces,  et  j'irai 
me  plonger  dans  un  chaos  et  dans  un  monde  où  je  ne 
serai  pas  à  moi.  Dans  l'exil  de  ce  monde,  il  importe 
peu  en  quel  coin  de  cette  terre  étrangère  on  passe  cette 
misérable  vie  ;  mais  il  importe  beaucoup  à  un  homme, 
qui  a  si  peu  de  teuips  à  y  demeurer,  d'avoir  un  lieu  de 
repos  où   il  puisse  se  préparer   à    aller   devant   Dieu. 


Qtœsnel  à  *** 

7  octobre  1715. 

Je  crois  que  la  peine  de  ne  pas  voir  où  M.  de  La  Place 
(Fouillou)  pourrait  se  retirera  Paris  peut  contribuer  à 
lui  donner  de  la  répugnance  pour  retourner  et  le  fait 
plutôt  penser  à  Bruxelles;  mais  nous  craignons  qu'il 
ne  s'y  ennuie,  ne  trouvant  pas  là  de  compagnie  sor- 
table.  Ayez  donc,  s'il  vous  plaît,  Monsieur,  la  bonté  de 
considérer  avec  les  amis  où,  sans  être  à  charge  à  per- 
sonne, il  pourrait  demeurer.  Il  faudrait  quelqu'un  qui 
pût  avoir  soin  de  sa  santé  et  lui  ménager  les  secours 
dont  il  pourrait  avoir  besoin.  Il  lui  faut  un  bon  air,  et 
quelqu'un  qui  puisse  s'accommoder  avec  lui  et  avec  qui 


358  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIKK    QIJESNEL 

il  puisse  vivre  commodément.  Si  Dieu  ne  nous  avait  pas 
enlevé  notre  chère  amie1,  ce  qui  est  pour  nous  une 
perte  irréparable,  elle  se  serait  chargée  de  ce  soin. 
J'écris  à  Mmede  Senlis  et  je  lui  en  dirai  un  mot,  quoi- 
qu'elle ne  soit  pas  en  état  d'agir,  étant  prête  à  faire  ses 
couches.  Une  autre  dame,  qui,  par  ordre  de  notre  chère 
défunte,  m'a  annoncé  sa  mort,  pourrait  se  donner  pour 
cela  quelque  mouvement.  C'est  une  Mrae  Mol,  dont  je 
n'avais  jamais  entendu  parler  et  qui  est  parente  de 
M.  Duguet  et  de  son  nom2.  C'était  la  bonne  amie  de 
Mlle  de  Joncoux,  et  elle  me  paraît  bien  pleine  d'affec- 
tion pour  servir  les  amis  de  la  vérité  en  ce  qu'elle  pourra. 
11  me  semble  qu'elle  est  veuve  et,  par  cette  raison,  plus 
libre  pour  se  donner  aux  bonnes  œuvres  dont  la  chère 
défunte  se  chargeait  et  qui  l'ont  tuée. 


Qnesnel  à  Vabbè  d'Etemare 

6  décembre  17 Jo. 

Je  vous  suis  bien  obligé,  Monsieur,  de  vos  soins  et  de 
votre  attention  pour  ce  qui  concerne  mes  affaires  par- 
ticulières. Nous  avons  toujours  communication  des 
nouvelles  qui  passent  parle  canal  de  M.  Fouillou,  et  il 
est  juste  qu'il  en  soit  informé  sans  que  les  lettres  soient 
multipliées.  On  lui  a  fait  de  nouvelles  instances  pour 
l'obliger  à  écrire  la  lettre  qu'on  lui  demande.  11  a  la 
générosité  de  ne  vouloir  pas  retourner  seul;  mais  il 
n'a  pas  la  même  raison  d'attendre  que  les  deux  autres, 
et  il  en  a  de  particulières  et  d'essentielles,  du  côté  de 

1.  M,u  de  Joneoux. 

2.  Cette  M""  Mol,  nièce  de  M.  Duguet,  ne  remplacera  pas,  bien  loin 
de  là,  MUo  de  Joncoux.  D'un  caractère  entier  et  impérieux,  «cette  Dalila», 
selon  le  mot  de  Soaneu,  prendra  sur  l'espritde  son  oncle  une  influence 
telle  que  ses  amis  et  son  parti  s'en  plaindront  amèrement  Ce  fut 
presque  la  séquestration  qu'elle  infligea  aux  dernières  nnnées  du 
savant  et  faible  docteur. 


CORRESPONDANCE  DE  PÀSQEIÉR  QUESNEL        3^ 

sa  santé,  pour  accélérer  son  retour,  indépendamment 
d'eux.  Car  je  ne  crois  pas  que  l'air  d'Anvers  soit  beau- 
coup meilleur  que  celui-ci  pour  son  incommodité,  qui 
demande  un  air  plus  pur  et  un  pays  plus  chaud  et  moins 
sujet  aux  vents  et  aux  brouillards.  Celui  de  Bruxelles 
lui  conviendrait  assez  ;  mais  je  doute  qu'il  y  pût  trouver 
facilement  un  logement  et  une  compagnie  qui  lui 
convint. 

Je  ne  sais  s'il  est  de  l'honneur  des  magistrats  de 
laisser  débiter  dans  Paris  les  Journaux  de  Trévoux,  qui 
sont  pleins  des  calomnies  les  plus  grossières.  M.  l'évêque 
de  Mirepoix  y  est  traité  fort  injurieusement.  Peut-être 
que  M.  le  duc  du  Maine  ne  donnerait  pas,  comme  il  fait, 
sa  protection  à  ces  journalistes,  s'il  faisait  réflexion  que 
ces  gens-là  ne  s'en  servent  que  pour  donner  cours  et 
autorité  aux  mensonges  et  aux  calomnies  qu'ils  y 
débitent.  Si  M.  le  premier  président  en  disait  un  mot  à 
ce  prince  qui  a  confiance  en  lui,  cela  ferait  impression 
sur  son  esprit  et  pourrait  lui  faire  comprendre  qu'il  ne 
lui  est  pas  honorable  de  servir  de  passeport  à  des  libelles. 
Tout  cela  soit  dit,  Monsieur,  pour  telle  fin  que  de  raison. 

J'ajoute,  touchant  les  Journaux  de  Trévoux,  que  la 
permission  et  la  liberté  qu'on  s'y  donne  dépend  plus  de 
M.  le  chancelier  que  de  l'intendant  de  la  police.  C'est 
pourquoi,  si  on  a  quelqu'un  qui  ait  accès  à  cette  Gran- 
deur, il  serait  bon  de  lui  faire  entendre  qu'il  est  de  son 
équité  et  de  l'intérêt  qu'il  doit  prendre  à  l'honneur  des 
évèques  de  ne  pas  souffrir  que,  sans  son  aveu,  des 
jésuites  les  traitent  avec  insolence  et  les  foulent  aux 
pieds. 

Quemel  au  P.   Rufpn 

février  1716. 

Vous  savez  déjà  que  M.  l'abbé  d'Estrées  sera  votre 
archevêque,  et  on  a  sujet  de  croire  qu'il  sera  pacifique 


360  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

et  qu'il  ne  fera  de  peine  à  personne1.  Je  ne  crois  pas 
qu'il  donne  sa  confiance  aux  Pères  jésuites;  car  ni  son 
oncle  ni  lui  n'ont  pas  eu  trop  sujet  de  se  louer  d'eux. 
Dans  l'impuissance  où  ils  sont  de  servir  et  de  nuire, 
sinon  peut-être  à  Rome, je  necroispas  qu'on  s'empresse 
à  leur  faire  la  cour.  Si  le  cardinal  d'Estrées  vivait 
encore,  je  crois  qu'il  aurait  engagé  son  neveu  à  mettre 
l'Oratoire  de  Paris  dans  son  séminaire. 

Je  vous  suis  bien  obligé,  mon  très  cher  Père,  de  tous 
les  souhaits  que  vous  faites  pour  moi  au  commence- 
ment de  cette  année.  Je  n'y  serai  pas  moins  disposé 
que  les  autres  à  vous  rendre  service  selon  mon  pouvoir, 
qui  est  très  petit  et,  s'il  se  rencontre  occasion,  de  vous 
dire  mes  sentiments  de  la  manière  la  plus  emmiellée 
qu'il  me  sera  possible;  car  vous  êtes  si  accoutumé  au 
miel  de  M.  Gallois  (Petitpied)  que  votre  goût  trouve  le 
reste  amer. 

P. -S.  — Je  viens  de  voir  le  grand  recueil  des  mande- 
ments de  Nosseigneurs  les  évoques.  Vous  l'avez  vu  sans 
doute,  Monsieur;  ainsi  je  n'ai  rien  à  vous  en  dire,  sinon 
que  c'est  une  sanglante  insulte  à  M.  le  cardinal  de 
Noailles.  Ce  bon  prélat  avale  tout  comme  l'eau. 


Quesnel  à  l'abbé  d'Eté  mare 

24  février  1716. 

On  nous  a  mandé,  Monsieur,  qu'au  commencement 
de  ce  mois  il  y  avait  eu  une  assemblée  chez  M.  l'arche- 
vêque de  Tours,  où  s'étaient  trouvés  cinq  évoques 
avec  ce  prélat,  et  que  là  étaient  venus  M.  le  maréchal 
d'Huxelles  et  M.  le  procureur  général,  pour  leur 
demander  quand  ils  pourraient  donner  leurs  difficultés 
sur  la  constitution  pour  être  envoyées  à  Rome,  et  qu'ils 

1.  Voir  la  note  de  la  lettre  du  24  janvier  I7ln. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  361 

avaient  promis  de  les  livrer  à  la  fin  de  ce  mois.  C'est 
une  grande  démarche  et  de  conséquence.  Si  elle  est  faite 
sur  le  plan  de  la  consultation,  je  ne  sais  ce  qu'on  en 
peut  attendre.  Je  ne  sais  si  on  y  aura  fait  quelque 
mention  de  l'auteur  du  livre,  ni  en  quels  termes;  mais 
je  vous  dirai,  Monsieur,  qu'on  me  mande  que  quelques 
évêques  sont  bien  étonnés  de  ce  que  cet  auteur  ne  leur 
a  point  écrit,  c'est-à-dire  à  ceux  qui  s'assemblent  avec 
M.  le  cardinal,  et  qu'il  paraissait  s'y  être  engagé,  je  ne 
sais  par  où.  On  ajoute  qu'il  ferait  bien  de  leur  écrire, 
pour  leur  demander  la  justification  de  sa  foi  et  de  son 
livre.  lia  peineà  faire  cette  démarche,  parce  qu'en  môme 
temps  qu'on  entre  en  négociation  et  qu'on  demande 
pi'otection,  on  s'expose  à  des  propositions  qui  peuvent 
être  telles  qu'on  ne  pourrait  pas  les  accepter  et  qu'en 
les  refusant  on  passe  pour  obstiné  dans  leur  esprit  et 
pour  suspect,  et  qu'on  se  trouve  par  là  noté  et  qu'on  se 
fait  un  titre  positif  d'exclusion  de  retour.  On  croirait  en 
faire  bon  marché  que  de  se  contenter  de  la  signature 
du  formulaire.  Ce  môme  ami  me  mande  que  l'auteur 
ne  doit  point  compter  sur  M.  le  cardinal  pour  son  retour, 
à  moins  de  signer  ce  formulaire,  et  lui  propose  de  le 
faire  demander  au  prince  régent  par  un  placet.  Mais  il 
ne  considère  pas  que  le  placet  sera  infailliblement 
envoyé  au  Conseil  de  conscience  et  que,  par  là,  on 
retombe  entre  les  mains  de  Son  Kminence.  Cet  ami 
me  dit  que  l'avis  qu'il  me  donne  d'écrire  promplemeut 
est  sur  ce  qu'il  leur  a  entendu  dire.  Je  crois  que  c'est 
à  M.  de  Mirepoix,  et  peut-être  encore  à  M.  de  Verdun, 
dont  il  me  marque  la  demeure,  rue  d'Enfer.  Mais,  si  on 
écrivait  à  ces  messieurs,  il  faudrait  que  quelqu'un  à 
Paris  reçût  les  lettres  pour  les  leur  présenter,  et  que  ce 
quelqu'un  môme  fût  en  état  déraisonner  avec  eux  sur 
la  matière.  Ce  dernier  prélat  croit  qu'il  y  a  des  proposi- 
tions bien  condamnées,  comme  tendantes  à  établir  une 
grâce  nécessitante.   Je   ne   suis  pas  éloigné  d'écrire  à 


3&2  CORRESPONDANCE    DE    PASQIIER    QtiÉSNËt 

M.  do  Mircpoix,  et,  s'il  faut  écrire  à  ces  évoques  en 
corps  (quoiqu'ils  ne  fassent  pas  de  corps),  il  faudra  bien 
le  faire.  Si  ce  promptement  est  dit  par  rapport  à  ce  qu'on 
doit  envoyer  à  Home,  je  crois  qu'il  est  trop  tard.  Si 
c'est  indépendamment  de  cette  circonstance,  j'aurai  le 
temps,  Monsieur,  de  recevoir  vos  sages  avis. 

J'ai  reçu,  par  la  vive  dame1,  copie  de  l'ordonnance  de 
M.  d'Argcnson,  qui  lève  la  saisie  pour  les  termes  échus. 
Je  ne  sais  si  je  dois  en  remercier  le  juge  par  une  lettre, 
pour  l'inviter  à  achever  ce  qu'il  a  commencé. 


Quesnel  à  l'abbé  d'Etemare 

19  mars  1716. 

Nous  avons  reçu,  Monsieur,  toutes  vos  lettres  depuis 
le  27  février  jusqu'à  présent,  et  nous  vous  sommes  bien 
obligés  du  soin  que  vous  avez  la  bonté  de  prendre  de 
nous  apprendre  ce  qui  se  passe.  C'est  encore  un  chaos. 
Les  ténèbres  couvrent  encore  la  face  de  l'abîme;  il  faut 
que  l'esprit  de  Dieu  se  porte  sur  les  eaux  et  qu'il  dise  : 
Fiat  lux.  J'ai  reçu  le  mandement  de  M.  de  Poitiers.  Il 
y  a  une  méprise  dans  cette  copie  ;  je  ne  sais  pas  si  c'est 
le  copiste  qui  l'a  faite  ou  si  elle  est  de  l'original  ;  car, 
dans  un  morceau  tiré  de  l'instruction  pastorale  où  les 
prélats  disent  que  la  lecture  de  l'Ecriture  sainte  est  très 
utile  et  très  salutaire,  il  y  a  dans  le  mandement  très 
utile  et  très  nécessaire.  Ce  mot  est  contraire  au  système 
du  prélat,  et  c'est  un  changement  considérable.  Cela  ne 
m'arrête  pas. 

M.  Petitpied  est  très  content  de  l'entretien  que  vous 
avez  eu,  Monsieur,  avec  M.  Duguet;  mais  nous  suspen- 
drons la  publication  de  son  écrit,  tant  qu'il  lui  plaira. 
11  lui  viendra  peut-être,  dans  l'intervalle, quelquesbonnes 

1.  MmeMol, 


CORRESPONDANCE    DE    PÀSQUIER    QUESxNEL  3o3 

pensées  qui  serviront  à  embellir  et  à  illustrer  la  pièce. 

Nous  n'avons  garde  de  trouver  à  redire  à  l'édition  des 
lettres  de  M.  de  Montpellier.,  Ce  sont  des  monuments 
qui  rendront  témoignage  de  ses  sentiments  à  la  posté- 
rité, quand  il  n'aurait  point,  dans  la  suite,  d'autre  occa- 
sion de  le  faire,  et  c'est  pour  lui  un  heureux  engage- 
ment qui  ne  laisse  pas  d'être  utile  dans  l'occasion.  Ce 
prélat  est  bien  estimable.  Une  trentaine  seulement  de 
ce  caractère  feraient  miracle.  Dieu  peut  changer  les 
prélats,  durs  ou  muets  comme  les  pierres,  en  des  évoques 
animés  de  la  foi  d'Abraham  et  prêts  à  sacrifier  leurévê- 
ché  à  la  vérité. 

Le  plan  de  doctrine  me  paraît  un  dessein  chimérique 
par  la  difficulté  de  l'exécution  et  la  diversité  des  sen- 
timents l. 

Je  suis  fort  content  de  ce  qu'on  juge  qu'il  n'est  pas 
à  propos  que  j'écrive  à  ces  Messieurs  en  corps.  Je  n'y 
ai  aucune  inclination.  Ils  doivent  prendre  pour  eux 
celle  que  j'écrivis  à  leurs  confrères,  il  y  a  deux  ans. 
S'il  y  en  avait  qui  n'en  eussent  pas  d'exemplaires,  j'en 
enverrais  volontiers.  J'ai  seulement  écrit  à  celui  qui 
demeure  dans  votre  auberge  ;  mais  c'est  une  lettre  pure- 
ment d'amitié,  et  d'une  amitié  très  étroite  depuis  trente 
ans.  Il  m'écrivait  en  même  temps;  nos  lettres  se  sont 
croisées.  J'espère  qu'il  demeurera  ferme.  Celui  qui 
m'avait  écrit  pour  me  conseiller  d'écrire  est  M.  le  mar- 
quis de  Téligny,  de  nos  bons  amis,  et  j'ai  compris  qu'il 
savait  de  la  bouche  des  évêques,  c'est-à-dire  de  M.  de 

1.  Le  cardinal  de  Noailles  et  les  évoques  opposants  avaient  obtenu 
du  récent  d'envoyer  en  mission  à  Rome,  pour  présenter  au  pape  une 
sorte  de  Corps  de  doctrine  ou  de  résumé  des  difficultés  soulevées  par 
la  constitution,  l'abbé  Chevalier  et  le  P.  de  La  Borde,  de  l'Oratoire.  La 
mission  échoua,  par  le  refus  de  Clément  XI,  d'avoir  même  une  entre- 
vue avec  l'abbé  Chevalier.  CcCorps  de  doctrine  ne  plaisait  qu'à  moitié, 
môme  au  parti;  car  M.  de  Montpellier  déclare  amèrement  que  «  la  ten- 
dresse de  M.  le  cardinal  de  Noailles  pour  ce  misérable  ouvrage  est 
pitoyable.  »  (Lettre  à  M.  Boursier,  17  avril  1717,  Archives  d'Amersfoort, 
carton  58,  n°  1.) 


364        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

Mirepoix  et  de  M.  de  Verdun,  ce  qu'il  m'écrivait.  lime 
marquait  que  ce  dernier  loge  dans  la  rue  d'Enfer,  sup- 
posant que  je  lui  écrirais  par  une  raison  particulière, 
qui  est  que  ce  prélat  est  persuadé  qu'il  y  a  dans  la  bulle 
des  propositions  qui  sont  bien  censurées,  attendu 
quelles  tendent  à  établir  une  grâce  nécessitante.  Je 
l'avais  déjà  compris  par  son  mandement.  Mais,  pour 
peu  que  ce  prélat,  dont  j'ignore  la  portée,  se  soit  ouvert 
de  cette  difficulté  ou  à  M.  de  Montpellier  ou  à  M.  de 
Mirepoix,  ces  prélats  lui  auraient  aisément  levé  ce 
scrupule. 

Le  sentiment  de  M.  du  Moulin  [Ditguet\,  de  non  scri- 
bendo,  me  déterminerait  seul  à  ne  le  pas  faire,  quand 
j'en  aurais  eu  l'envie.  Je  suis  bien  aise  de  vous  marquer, 
pendant  que  je  m'en  souviens,  que  votre  dernière  lettre, 
du  8  de  ce  mois,  avait  été  décachetée  et  que  le  cachet, 
dont  on  s'est  servi  pour  la  recacheter,  est  une  tête  en 
bosse  qui  n'est  pas  votre  cachet  ordinaire.  Il  est  bon 
d'observer  ces  petits  accidents  de  curiosité. 

La  Lettre  d'un  évêque  à  un  évêque1  nous  paraît  fort 
bonne  et  solide.  L'éveque  de  votre  auberge,  que  vous 
aviez  toujours  joint  aux  trois  autres  et  que  vous  ne  nom- 
mez point  dans  votre  dernière,  se  séparerait-il  donc? 
J'ai  peine  à  le  croire. 

Quesnel  à  M.  l'abbé  <P  Eté  mare 

8  mai  1716. 

Vous  nous  apprenez,  Monsieur,  beaucoup  de  bonnes 
choses.  Il  est  bon  que  le  peloton  des  demandeurs  d'expli- 
cations se  grossisse.  C'est  un  engagement  qui  lesarretc 
et  les  détache  des  acceptants  outrés  dont  ils  ramène- 
ront peut-être  une  partie  à  leur  sentiment. 

1.  Lettre  d'un  évêque  à  un  évêque  touchant  ce  qu'il  pense  d'un  écrit 
intitulé:  «Consultation  sur  la  constitution  de  N.  S.  P.  le  pape  Clé- 
ment XI.  »  (4  février  1716,  un  volume  in-12.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  365 

J'ai  vu  ici  un  Italien,  qui  est  présentement  secrétaire 
de  l'ambassadeur  de  Veniser  à  qui  j'ai  demandé  com- 
ment on  avait  reçu  à  Venise  la  constitution.  Il  m'a  dit 
que  le  nonce,  ayant  demandé  audience  au  Sénat,  avait 
été  introduit  dans  leur  assemblée  ;  qu'il  avait  présenté 
la  constitution,  qu'il  l'avait  laissée  sur  la  table,  et  que, 
sans  autre  cérémonie,  on  l'avait  mise  dans  une  armoire, 

On  ne  nous  a  point  mandé  pour  quel  sujet  les  deux 
docteurs,  M.  Gaillande1  et  M.  Eudes,  ont  été  relégués. 

La  Gazette  flamande  d'Amsterdam,  qui  a  paru 
aujourd'hui,  nous  donne  une  nouvelle  que  nous  ne 
voulons  pas  croire.  Elle  porte  que  M.  le  cardinal  de 
Noailles  et  celui  de  Bissy  avaient  eu  une  conférence  en 
présence  de  M.  le  régent;  que  ce  prince  les  avait  fort 
exhortés  à  s'accorder  sur  l'affaire  de  la  constitution; 
qu'il  en  voulait  voir  la  lin  ;  que  M.  le  cardinal  de 
Noailles  était  résolu  de  recevoir  la  constitution2  sous 


1.  Jean-Noël  Gaillande,  docteur  de  Sorbonne,  fut  exilé  à  Blois  à  la 
suite  de  ses  manœuvres  en  faveur  de  la  constitution.  Court  exil,  du  reste, 
d'où  il  reviendra  «  plus  redoutable  encore  par  sa  méchanceté  extrême, 
espion  habile,  délateur  infatigable,  calomniateur  sans  conscience  ». 
Que  si  le  portrait  semble  un  peu  noir,  venant  des  Nouvelles  ecclésias- 
tiques, un  de  ses  bons  amis,  le  cardinal  Fleury,  n'en  parle  guère  en 
meilleurs  termes  au  cardinal  de  Tencin  :  «  Il  a  trop  d'activité,  veut  se 
mêler  de  trop  de  choses.  Il  se  croit  chargé  de  la  sollicitude  de  toutes 
les  Eglises  et  se  rend  un  peu  odieux.  »  Puis,  dans  une  autre  lettre  : 
«  M.  Gaillande  a  mille  bonnes  qualités;  mais  Votre  Eminence  ne  peut 
ignorer  qu'il  écrit  trop  à  Rome.  »  Enfin  l'abbé  Legendre  le  montre  «  du 
matin  au  soir  par  voies  et  par  chemins  pour  fureter  et  pour  ramasser 
tout  ce  qui  se  dit  et  se  fait  »,  et  acquérant  un  nom  «  à  bon  marché, 
par  un  zèle  brûlant  pour  la  constitution,  beaucoup  plus  que  par  sa 
capacité  ». 

2.  Bien  au  contraire,  le  cardinal  de  Noailles,  plein  d'espoir  dans  la 
mission  de  l'abbé  Chevalier,  en  attendait  l'effet  avec  fermeté  11  ne  pou- 
vait, à  cette  époque,  revenir  en  arrière,  et  son  grand-vicaire,  Dorsanne, 
écrivait  à  Rome  à  M.  de  la  Chausse.  «  Si  M,  le  cardinal  voulait  aujour- 
d'hui accepter  la  constitution,  il  aurait  la  douleur  de  se  voir  aban- 
donné de  la  Sorbonne,  des  curés  de  Paris,  des  religieux  même  et  de 
presque  tout  son  peuple.  Toute  ma  douleur,  c'est  que  le  pape  ne  con- 
naît pas  toute  l'étendue  du  mal.  On  lui  déguise;  mais  j'espère  que 
M.  l'abbé  Chevalier  sera  écouté.  »  (Arch.  Nat.,  Jansénisme  L.  21.)  Cepen- 


3G6  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

certaines  conditions  ;  qu'il  aimait  mieux  renoncer  à  son 
propre  sentiment  que  de  voir  le  schisme  dans  l'Eglise; 
qu'on  allait  défendre  de  plus  écrire,  de  part  et  d'autre; 
que,  sous  prétexte  de  la  constitution,  on  savait  que  des 
gens  se  voulaient  joindre  pour  attaquer  le  pape  sur 
d'autres  matières.  Ces  nouvelles  ne  s'accordent  pas 
avec  les  mesures  que  les  prélats,  joints  à  Son  Emi- 
nence,  ont  prises  pour  la  négociation  de  Rome. 

J'ai  toujours  bien  cru  que  les  adversaires  de  la  grâce 
abuseraient  des  écrits  de  la  Grâce  générale;  mais  le 
prolit  qu'ils  en  retireront  sera  fort  médiocre.  M.  de  La 
Place  [Fouiliou]  s'étant  déterminé  à  donner  au  public 
ceux  de  M.  Arnauld,  on  ne  pouvait,  sans  être  accusé 
de  manquer  d'équité,  se  dispenser  de  donner  ceux  qui 
y  avaient  donné  occasion.  Ceux  qui  en  ont  des  copies 
n'auraient  pas  manqué  de  les  faire  imprimer.  M.  Nicole 
avait  chargé  feu  M.  le  curé  de  Saint-Jacques  de  les 
faire  présenter  à  M.  le  cardinal  de  Noailles  de  sa  part, 
après  sa  mort.  Ce  curé,  en  les  lui  mettant  entre  les 
mains,  lui  demanda  si  on  les  pouvait  faire  imprimer. 
A  quoi  Son  Eminence  répondit  :  «  Ah  vraiment!  ce  n'est 
pas  le  temps  d'exciter  de  nouveaux  sujets  de  dispute, 
nous  n'en  avons  que  trop.  » 

Nous  avons  reçu  le  monstrueux  mandement.  Il  ne 
faut  que  de  la  santé  à  un  certain  homme  pour  lui 
donner  moyen  de  l'examiner  de  la  bonne  manière. 

dant,  ce  bruit  étant  arrivé  jusqu'à  M.  de  Mirepoix,  il  adresse  au  car- 
dinal de  Noailles  cette  objurgation  :  «  Vous  allez  donc,  Monseigneur, 
accepter  la  constitution?  Votre  Eminence  connaît  mieux  que  personne 
les  manières  artificieuses  et  hautaines  de  la  cour  de  Rome.  Ainsi,  au 
nom  de  Dieu,  qu'elle  ne  s'expose  pas  à  en  être  le  jouet,  après  avoir  été 
un  sujet  d'admiration  à  toute  l'Eglise  par  sa  fermeté  et  son  courage  à 
défendre  la  vérité  !  »  (Amersfoort,  carton  58  bis.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  367 

Quesnel  à  M.  de  Beau  brun 

17  août  1716. 

Il  ne  faut  plus,  Monsieur,  parler  par  truchement  et 
par  énigmes,  puisqu'il  a  plu  à  Dieu  nous  rendre  une 
partie  de  notre  liberté.  Je  ne  sais  encore  ce  que  je  devien- 
drai. Je  n'ai  fait  faire  aucune  démarche  pour  avoir  la 
liberté  de  revoir  ma  pairie.  Je  ne  crois  pas  même  avoir 
besoin  d'en  faire  aucune,  n'ayant  jamais  eu  d'ordre 
qui  puisse  m'empêcher  de  rentrer  dans  mon  pays.  Cepen- 
dant il  y  a  des  personnes  qui  ne  sauraient  s'empêcher 
de  se  donner  des  mouvements  pour  me  faire  retourner. 
M.  Petitpied  doit  se  rendre  à  Troyes,  d'ici  à  trois  mois, 
et  M.  Fouillou  est  entièrement  rétabli  dans  tous  ses 
droits  et  dans  sa  liberté.  Quand  je  demeurerais  ici  tout 
seul,  je  n'en  aurais  aucune  peine,  et  j'appréhende  plus 
d'être  forcé  de  retourner  qu'un  ordre  qui  m'oblige  de 
demeurer  ici  et  d'y  finir  mes  jours. 

f  l  y  a  longtemps  que  je  n'ai  entendu  parler  de  M.  Cher- 
temps.  Je  le  suppose  toujours  dans  le  même  état  d'infir- 
mité. Dieu  épargne  ma  faiblesse,  et  il  lui  plaît  de  me 
laisser  jouir  d'une  parfaite  santé  sans  aucune  des  incom- 
modités de  la  vieillesse,  quoique  né,  non  le  15,  mais  le 
14  juillet  1634.  On  a  pris  le  jour  de  mon  baptême  pour 
celui  de  ma  naissance. 


Quesnel  à  M.  EeurteauxA 

1er  octobre  1716. 

Si,  parmi  les  protestants,  il  y  avait  beaucoup  de  per- 
sonnes de  votre  caractère,  Monsieur,  je  ne  désespérerais 
pas  de  voir  tomber  cette  muraille  de  séparation  qui  nous 

1.  Archives  cTUtrecht. 


368  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

divise,  et  de  nous  voir  lous  réunis  dans  le  sein  dune 
môme  bergerie  et  sous  la  houlette  d'un  môme  pasteur. 
L'affaire  de  la  constitution  n'est  pas  encore  finie,  et 
on  ne  voit  guère  d'apparence  qu'elle  finisse  sitôt1.  Les 
politiques  cherchent  des  moyens  d'accommodement  et 
achèvent  de  porter  les  parties  à  relâcher  quelque  chose, 
chacun  de  son  côté,  pour  se  rapprocher.  Comme  si  la 
vérité  se  pouvait  partager,  comme  si  les  hommes  en 
étaient  les  maîtres  et  qu'elle  se  pût  partager  de  la  même 
manière  qu'on  partage  une  terre  ou  un  royaume  pour 
avoir  la  paix!  Il  n'y  a  point  de  véritable  paix  que  dans 
la  vérité,  ni  de  vérité  vraiment  pacifique  que  dans 
l'unité.  Il  n'y  a  pas  sujet  d'espérer  que  la  cour  de  Rome 
recule  dans  cette  affaire,  et  d'ailleurs  M.  le  cardinal  de 
Noailles  est,  dit-on,  plus  ferme  que  jamais,  lui  et  les 
sept  évoques  qui  lui  sont  unis,  outre  qu'il  yen  a  encore 
plusieurs  qui  se  joindront  à  eux  et  qui  n'ont  point 
encore  voulu  publier  la  constitution.  Une  si  bonne 
cause,  et  qui  touche  de  si  près  les  intérêts  de  Dieu,  ne 
saurait  périr.  Mais  la  bonté  de  la  cause  vous  fait  juger, 
Monsieur,  trop  favorablement  de  celui  qui  y  a  donné 
occasion  par  les  Réflexions.  Je  suis  confus,  au  dernier 
point,  de  l'idée  que  vous  paraissez  en  avoir  par  les 
titres  magnifiques  que  vous  lui  donnez  et  par  les  louanges 
outrées  dont  vous  l'accablez.  Si  la  cause  n'était  défen- 
due que  par  un  si  faible  avocat,  elle  serait  bien  mal 
soutenue. 


1.  L'affaire  s'embrouillait  à  Rome  de  plus  en  plus.  Le  cardinal  delà 
Trémoille  soutenait  mollement  l'abbé  Chevalier,  combattu  par  le  jésuite 
Lafitau.  «  11  y  eut,  depuis  ce  temps,  deux  négociations  à  Rome  sur  l'af- 
faire de  la  bulle.  Une  plus  secrète  et  plus  vive,  et  qui  était  la  véri- 
table, dont  le  jésuite  Lafitau  avait  l'intrigue.  L'autre  publique,  mais 
languissante,  qui  servait  comme  de  voile  à  l'autre  :  c'était  celle  de  l'abbé 
Chevalier.  »  (Mémoire  sur  la  négociation  deVabbé  Chevalier,  Amersfoort, 
boîte  R.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUÈSNEL  369 

Quesnel  an  cardinal  de  Noailles 

30  novembre  1716. 
Monseigneur, 

Le  bruit  d'une  nouvelle  assemblée  de  Messeigneurs 
les  évoques,  qui  doit  se  tenir  à  Paris  au  sujet  de  la 
constitution,  est  venu  jusqu'à  ma  retraite,  et  l'on  espère, 
dit-on,  que  cette  grande  affaire  s'y  va  enfin  terminer 
par  un  bon  accommodement. 

S'il  était  possible  d'en  espérer  un  bon,  personne  ne 
le  désirerait  plus  sincèrement  que  moi,  et  je  sacrifie- 
rais volontiers  ce  qui  me  reste  de  vie,  pour  contribuer 
à  relever  les  ruines  de  la  vérité  et  à  réparer  les  brèches 
faites  à  l'unité  chrétienne  et  ecclésiastique  par  ceux  à 
qui  l'une  et  l'autre  sont  fort  indifférentes. 

Je  ne  doute  pas  qu'entre  les  conditions  d'un  bon 
accommodement  la  justice  ne  soit  comptée;  mais  je 
ne  sais,  Monseigneur,  si  celle  qui  m'est  due  en  parti- 
culier est  connue  de  tous  les  prélats  de  cette  assemblée, 
ni  si  tous  ceux  qui  la  connaissent  sont  bien  disposés 
à  me  la  rendre.  Si  ceux  qui  ont  approuvé  l'instruction 
pastorale  des  quarante,  ou  qui  ont  tait  des  mandements 
particuliers  pour  la  publication  de  la  constitution,  sont 
encore  dans  les  mêmes  sentiments,  je  n'ai  rien  à  attendre 
d'eux  que  des  malédictions.  Mais  vous,  Monseigneur, 
qui  êtes  mon  père  et  qui  m'avez  fait  autrefois  la  grâce 
de  me  bénir,  n'avez-vous  plus  de  bénédictions  pour 
moi?  D'un  Jacob  que  je  paraissais  être  à  l'égard  de 
Votre  Eminence,  il  y  a  quelques  années,  serais-je 
devenu  un  Esaù?  Suis-je  criminel,  parce  que  les  temps 
ont  été  malheureux,  et  mon  innocence  demeurera-t-elle 
opprimée,  parce  que  je  ne  plais  pas  aux  satrapes  ? 
Elle  n'est  ni  inconnue,  ni  indifférente  à  Votre  Eminence^ 
j'en  suis  assuré;  je  me  flatte  aussi  qu'elle  a  quelque 
bonté  pour  moi. 

U.  24 


370  CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QUESNEL 

Je  ne  vous  en  dis  pas  davantage,  Monseigneur.  Sur- 
fait si  noveris ;  non  enim  amas  et  deseris.  J'aurais  à 
souhaiter  que  tous  Messeigneurs,  qui  prendront  connais- 
sance de  cette  affaire,  fussent  aussi  bien  disposés  en  ma 
faveur.  Mais,  quoi  qu'il  en  soit,  on  m'a  fait  entendre 
qu'il  était  de  mon  devoir  que  je  me  donnasse  l'honneur 
de  leur  écrire,  pour  implorer  leur  justice  et  leur  pro- 
tection. Je  l'ai  fait  et  j'ai  cru,  Monseigneur,  que  Votre 
Eminence  ne  trouverait  pas  mauvais  que  je  prisse  la 
liberté  de  déposer  ma  lettre  entre  ses  mains,  pour  en 
faire  ce  que  sa  sagesse  trouvera  à  propos.  Il  ne  me 
reste  qu'à  supplier  Votre  Eminence  de  vouloir  bien  me 
donner  sa  sainte  bénédiction. 


Quesnel  à  Jean  Soanen,  évêqne  de  Senez 

Amsterdam,  1717. 

Je  ne  saurais,  mon  très  cher  et  très  honoré  seigneur, 
vous  exprimer  la  joie  que  ma  causée  votre  dernière 
lettre1.  La  tendresse  de  votre  aimable  cœur  s'y  était 
répandue  tout  entière,  et  la  respectueuse  tendresse  du 
mien  en  recevait  cette  effusion  cordiale;  il  s'en  est  fait 
un  mélange  de  douceur  que  je  sens  mieux  que  je  ne  le 
puis  dire.  Que  ne  suis-je  plus  proche  de  vous,  mon  cher 
seigneur?  J'irais  mourir  entre  vos  bras  et  avec  votre 
bénédiction  pastorale.  Je  crois  qu'il  ira  vers  vos  quar- 

1.  Voici  un  passage  de  cette  lettre  inédite  de  Soanen  au  P.  Ques- 
nel :  «  Que  Dieu  fortifie  toujours  et  votre  patience  contre  les  calomnies 
de  ceux  qui  vous  haïssent,  et,  encore  plus,  votre  humilité  contre  les 
louanges  de  ceux  qui  vous  aiment  !  Les  applaudissements  des  gens  de 
bien  sont  une  tentation  plus  dangereuse  que  tous  les  opprobres  des 
méchants.  11  vous  défendra  contre  les  uns  et  les  autres,  parce  que  sa 
cause  devient  la  vôtre.  Ni  les  flèches  lancées  contre 'vous  durant  le  jour, 
ni  les  souterrains  creusés  dans  les  ténèbres  ne  pourront  vous  nuire,  et 
sa  vérité  sera  votre  bouclier.  Aimons-la  jusqu'à  la  mort.  S'il  faut  périr, 
périssons  pour  elle.  Notre  perte  à  tous  sera  un  gain.  »  (Amersfoort, 
boîte  E,   Soanen  II,  a.) 


CORRESPONDANCE   DE    PASQUIER    QCESNEL  371 

tiers  deux  novices  du  même  ordre  que  ceux  qui  ont 
passé,  il  y  a  quelque  temps,  au  pied  de  votre  château; 
je  crois  qu'ils  sont  en  chemin.  Vous  aurez,  s'il  vous 
plaît,  charité  pour  eux,  en  cas  de  besoin.  On  m'a  fait 
une  description  de  votre  solitude,  qui  n'a  rien  de  char- 
mant selon  l'homme  ;  mais,  moins  l'homme  y  trouve 
de  satisfaction  humaine,  plus  il  y  en  a  pour  lui  selon 
Dieu. 

Je  suis  dans  une  grande  ville;  mais  j'y  suis  assez  soli- 
taire. Je  suis,  toute  la  semaine,  enfermé  dans  un  petit 
trou  de  cabinet;  j'en  sors  le  dimanche  et  les  fêtes,  pour 
aller  à  vêpres,  tantôt  chez  un  pasteur,  tantôt  chez  un 
autre  ;  car,  pour  la  messe  et  les  heures  canoniales,  nous 
avons  une  chapelle  domestique,  où  nous  récitons  en 
commun  chaque  office  à  son  heure.  Nous  recevons,  deux 
fois  la  semaine,  des  nouvelles  de  Paris,  et  nous  rece- 
vons les  nouvelles  et  les  nouveautés  assez  exactement. 
Elles  sont  tristes,  ces  nouvelles;  la  division  augmente 
et  éclate,  et  nous  sommes  à  la  veille  de  voir  un  grand 
scandale  dans  l'Eglise  de  Dieu,  si  lui,  qui  est  la  charité 
et  l'unité,  ne  fait  renaître  l'amour  de  l'une  et  de  l'autre 
dans  le  cœur  de  ceux  qui  prêchent  la  division  et  le 
schisme.  On  croit  qu'il  y  aura  bien  cinquante  évoques 
qui  suivront  cet  esprit.  Les  trois  Avertissements  de  M.  de 
Soissons1  sont  de  vrais  tocsins;  ils  ont  beaucoup  d'art 
et  d'artifices  ;  mais  le  fonds  en  est  très  faible.  On  fait 
une  nouvelle  impression  des  Hexaples,  mais  fort  augmen- 
tée, et  c'est  un  ouvrage  tout  nouveau,  de  quatre  ou  cinq 
volumes  in-4°.  Je  ne  sais  ce  qui  pourrait  empêcher 
que  les  quatre  évêques  appelants  ne  l'autorisassent  par 
un  témoignage  qui  serait  à  la  tête.  Cet  ouvrage  sera 
une  pleine  justification  du  livre  des  Réflexions  morales. 
Mais  de  ce  dernier,  Monseigneur,  ne  serait-ce  pas  une 
chose  utile    que  quelques  évêques  laissent  après  leur 

1.  Languet  de  Gergy,  plus  tard  archevêque  de  Sens. 


3l2  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

mort  une  approbation?  Il  serait  de  la  justice  que  ceux 
qui  l'ont  condamné,  et  qui  en  reconnaissent  présente- 
ment la  catholicité,  en  rendissent  quelque  témoignage 
au  public,  pour  effacer  la  flétrissure  qu'une  condamna- 
tion telle  quelle  laisse  sur  un  livre.  J'ai  ajouté  plu- 
sieurs réflexions  à  la  marge  de  mon  exemplaire  in-8°  ; 
je  pourrai  en  faire  faire  une  nouvelle  édition,  ou  on 
pourrait  la  faire  après  ma  mort,  qui  arrivera  peut- 
être,  selon  toutes  les  apparences,  dans  ce  pays.  Je  sais 
que  diverses  personnes  ont  parlé  en  plusieurs  occasions 
au  prince  régent  de  me  laisser  revenir;  il  répond  qu'il 
n'est  pas  encore  temps,  que  cela  n'est  pas  encore  mûr. 
Je  n'ai  donné  charge  à  personne  d'en  parler;  au  con- 
traire, j'ai  prié  mon  frère  de  n'en  point  parler.  Il  l'a  fait 
une  fois  à  mon  insu,  ayant  quelque  accès  auprès  du 
prince,  et  il  en  a  eu  la  réponse  que  je  viens  d'avoir 
l'honneur  de  vous  marquer,  mon  très  honoré  seigneur. 
M.  Gallois  [Petitpied]  m'écrit  qu'il  y  a  de  grandes  dif- 
ficultés. Je  ne  sais  d'où  elles  peuvent  naître.  Je  n'ai 
jamais  reçu  ni  lettre  de  bannissement  ou  de  relégation. 
J'ai  droit  de  rentrer  dans  ma  patrie  et,  si  j'avais  eu 
bien  envie  d'y  retourner,  j'y  serais  allé  sans  crainte. 
Mais  je  vous  dirai  sincèrement  que  j'appréhende  plus 
d'y  retourner  que  de  demeurer  ici;  au  moins  je  n'y 
voudrais  être  qu'incognito  et  en  état  de  n'être  point 
accablé  par  le  monde.  A  quatre-vingt-quatre  ans  dans 
six  ou  sept  mois,  ce  n'est  pas  la  peine  de  déménager; 
il  vaut  mieux  se  préparer  au  grand  déménagement,  et 
il  est  plus  avantageux  de  partir  d'ici  avec  la  consolation 
de  mourir  extorris  pro  Christo  qu'au  milieu  des  amis 
du  monde  et  des  douceurs  de  la  patrie. 

Si  on  vous  a  envoyé  l'appel  de  l'Université  de  Paris, 
vous  en  aurez  été  bien  content,  Monseigneur,  et  vous 
y  aurez  vu,  je  crois,  avec  plaisir  comment  elle  a  pris 
l'ait  et  cause  pour  moi.  De  plus  la  pièce  est  admirable, 
bien  faite,  et  fait  beaucoup  d'honneur  à  cette  Université. 


CORRESPONDANCE    DE    PASOUIER    QUESNEL  373 

Adieu,  mon  très  cher  et  très  honoré  seigneur,  je  me 
colle  à  votre  cœur  et  je  me  jette  à  vos  pieds,  et  je  baise 
avec  un  profond  respect  la  main  avec  laquelle  je  vous 
supplie  de  me  donner  votre  sainte  bénédiction.  Je  vous 
la  demande  aussi  pour  notre  petite  église  domestique, 
qui  est  pleine  d'une  tendre  vénération  pour  vous. 
M.  Fouillou,  dont  vous  avez  pu  entendre  parler,  n'y 
est  pas;  il  a  passé  l'hiver  à  Utrecht,  et  j'ai  passé  deux 
mois  de  l'automne  avec  lui. 


Quesnel  à  Colberi   de   Cronsy,  évêque  de  Montpellier1 

1 1  janvier  1717. 

La  réponse  que  vous  m'avez  daigné  faire  est  pour 
moi  un  monument  précieux  et  dont  j'aurai  toute  ma 
vie  une  vive  et  respectueuse  reconnaissance.  J'en  ai, 
Monseigneur,  un  sujet  particulier  dans  le  duplicata  que 
vous  avez  eu  la  bonté  d'y  faire  ajouter  :  précaution  trop 
obligeante,  et  que  je  dois  à  l'attention  que  vous  avez 
bien  voulu  avoir  à  ce  que  M.  de  Yerteuil  vous  a  dit  de 
la  faiblesse  de  mes  yeux.  Grâces  à  Dieu,  ils  ne  sont 
pas  si  mauvais  qu'on  l'a  cru,  et  le  plaisir  que  j'ai  à  lire, 
écrites  de  votre  main  vraiment épiscopale,  les  marques 
si  singulières  de  votre  bonté  pour  moi  et  de  la  part 
que  vous  prenez,  Monseigneur,  à  mes  intérêts,  me 
fait  préférer  votre  caractère,  d'ailleurs  si  beau  et  si  net, 
aux  plus  belles  copies  du  monde.  Mais  le  comble  de 
ma  consolation  et  de  ma  joie  est  que  votre  Grandeur 
ait  la  générosité  de  me  permettre  de  vous  regarder 
comme  le  défenseur  de  ma  cause  et  de  mon  honneur. 
Il  y  a  longtemps,  Monseigneur,  que  je  me  flatte  de  cette 
grâce,  et  les  témoignages  en  étaient  trop  publics  pour 
m'être  inconnus;  mais  vous  daignez  m'en  donner  vous- 

1,  Archives  cTAmersioort,  carton  39, 


374  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

môme  le  titre  et,  pour  ainsi  dire,  les  provisions  qui  me 
sont  plus  chères  que  celles  du  plus  riche  bénéfice  de 
France.  C'est  une  ample  compensation  pour  tous  les 
mauvais  traitements  et  toutes  les  injustices  que  m'ont 
faites  la  plupart  de  Messeigneurs  vos  confrères,  dans 
leurs  mandements,  ordonnances  et  lettres  pastorales, 
dont  apparemment  je  n'ai  aucune  réparation  à  espérer. 
J'ai  assez  mérité  d'ailleurs  d'être  humilié,  et,  quand  la 
vérité  et  la  justice  ne  le  seront  pas  en  ma  personne,  je 
n'aurai  pas  sujet  de  me  plaindre. 


Quesnel  au  R.  P.  abbé  de  Senones  (Dom  PetitdidierY 

12  février  1717. 

11  n'y  a  guère  de  grâce  que  j'estime  plus  que  celle 
que  vous  m'offrez  avec  une  bonté  si  prévenante,  et  il 
n'y  a  personne  à  qui  je  fusse  plus  aise  d'en  avoir  obli- 
gation qu'à  vous,  mon  très  révérend  Père.  J'en  ai  donc 
reçu  la  propositiou  avec  joie  et  avec  une  extrême  con- 
solation ;  et  cela  dans  le  temps  où  je  me  suis  senti  plus 
persuadé  que  jamais  que  les  puissances  ne  sont  pas 
disposées  à  me  souffrir  auprès  d'elles,  ou  dans  leur 
voisinage.  La  vérité  est  que  sur  cela  je  suis  fort  d'ac- 
cord avec  elles,  et  j'aurais  beaucoup  de  peine,  si  elles 
m'obligeaient  d'aller  m'établir  de  nouveau  à  Paris.  Je 
n'en  ai  jamais  été  banni.  Jamais  je  n'ai  eu  de  lettre  de 
cachet,  ni  été  relégué  en  province,  et  je  pourrais,  en 
bonne  justice,  retourner  dans  ma  patrie.  Mais  les  con- 
jonctures présentes  m'ordonnent  assez  de  ne  me  pas 
mettre  sous  la  main  de  ceux  qui  peuvent  disposer  de 
moi  contre  mon  gré,  en  cas  que,  dans  un  mauvais 
accommodement,  Home  ou  les  évoques  le  désirassent. 

Je   vous  suis  donc   très   obligé  de  ce   que  vous  avez 

1.  Voir  la  note  du  13  avril  1700. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQDIER    QUESNEL  375 

la  générosité  de  me  vouloir  recevoir  chez  vous.  Il  ne 
mefautqu'unc  cellule,  et  pour  la  nourriture  je  m'accom- 
mode de  tout.  Grâces  à  Dieu,  je  ferai  le  carôme  cette 
année,  comme  je  l'ai  fait  il  y  a  quarante  ans,  et  j'es- 
père que  je  n'en  serai  point  incommodé.  Mais  je  vous 
supplie,  mon  révérend  Père,  de  considérer  si  mon 
séjour  chez  vous  ne  vous  peut  point  faire  d'affaire, 
soit  du  côté  du  prince,  soit  du  côté  de  Rome,  et  si  enfin 
la  sûreté  y  sera  de  tous  côtés. 


Quesnel  à  M.  van  der  Schuren, 
chez  M.  Kemp,  à  Utrecht 

30  mars  1717. 

Vous  avez  su,  Monsieur,  le  généreux  appel  des  quatre 
évêques1  auxquels  ont  adhéré  les  universités  de  Paris, 
de  Nantes  et  de  Caen.  Les  évêques  de  Verdun  et  de 
Pamiers  y  ont  aussi  adhéré,  et  d'autres  suivront  sans 
doute  et  les  imiteront.  On  ne  cloute  pas  que  M.  le  cardi- 
nal de  Noailles  ne  parle  bientôt2,  et  il  en  entraînera  beau- 
coup d'autres  avec  lui.  Plusieurs  des  évêques  acceptants 
s'élèveront  contre  les  appelants,  et  M.  l'archevêque  de 
Reims  a  déjà  fait  une  ordonnance  par  laquelle  il  excom- 
munie ipso  facto  ceux  qui  ont  rétracté  leur  acceptation 
de  la  bulle  ou  qui  adhéreront  à  l'appel,  si  dans  huit 

1.  Le  l"  mars,  les  quatre  évoques  de  Montpellier,  de  Senez,  de  Mire- 
poix  et  de  Boulogne,  par  un  acte  authentique  passé  par-devant  notaire, 
firent  appel  comme  d'abus  au  futur  concile  général  de  la  constitution 
Unigenitus.  «  Nous  apprenons,  écrivent-ils  le  5  mars  dans  une  lettre 
collective,  que  tout  Paris  a  reçu  cette  nouvelle  avec  une  joie  infinie  et 
que  la  plupart  des  ecclésiastiques  du  second  ordre  se  préparent  à  y 
adhérer.  »  (Amersfoort,  carton  38,  n°  3.) 

2.  «  11  aurait  moins  de  chagrin,  s'écrie  M.  de  Montpellier,  s'il  avait  su 
prendre  son  parti  en  grand  capitaine  et  sortir  de  cet  état  flottant  où  il 
est  depuis  près  de  quatre  ans.  »  (Amersfoort,  carton  58,  n°  1.)  «  Qui  donc, 
écrit  aussi  M.  de  Boulogne  à  Boursier,  pourra  lui  donner  du  courage?» 
{Ibid.,  n°  3.) 


376        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

jours  ceux  de  la  ville  et  dans  trois  semaines  ceux  de  la 
campagne  ne  rétractent  leur  appel  et  ne  se  soumettent 
à  la  constitution.  Il  nomme  soixante-dix-huit,  tant  cha- 
noines que  curés  ou  autres  ecclésiastiques,  qu'il  soumet 
à  cette  censure.  Son  chapitre  métropolitain  et  les  curés 
de  la  ville  ont  adhéré  à  l'appel,  et  on  y  adhère  de  tous 
côtés.  Cette  conduite  de  ce  prélat  engagera  peut-être  le 
parlement  à  agir  avec  vigueur  pour  soutenir  les  appe- 
lants. Car  le  recteur  de  l'université  deReims  est  à  Paris, 
comme  député,  pour  porter  ses  plaintes,  appeler  comme 
d'abus  et  faire  les  autres  poursuites  et  sollicitations. 
Rome,  qui  a  déjà  fait  un  décret  fulminant  contre  les 
rétractations  et  les  déclarations  des  curés  que  l'Inquisi- 
tion a  fait  brûler  par  la  main  du  bourreau  apostolique, 
ne  manquera  pas  de  s'élever  fortement  contre  les  appels 
et  les  appelants.  Voilà  de  grands  troubles  qui  vont 
naître  de  tout  cela,  et  il  ne  faut  pas  cesser  de  prier 
Dieu,  afin  qu'il  impose  silence  aux  flots  orageux  qui 
vont  s'élever1. 


Quesnel  à  F  abbé  Bertiri2 

2  avril  1717. 

Voilà  donc  nos  quatre  braves  en  chemin,  chargés  de 
malédictions  par  les  uns  et  comblés   de  bénédictions 

1.  Quoique  le  régent  fût  certainement  favorable  aux  évoques  appe- 
lant, les  nécessités  de  la  politique  d'entente  avec  Rome  ramènent  les 
persécutions.  De  nouveau,  nous  entrons  dans  l'ère  des  violences,  par 
l'exil  des  quatre  évêques.  «  Cependant  quasi  tout  le  monde  allait  con- 
tinuellement voir  ces  évêques,  qui  se  sont  arrêtés  à  deux  lieues  de 
Paris,  en  différents  villages.  Même  plusieurs  de  nos  princes  et  princesses 
allèrent  les  voir.  »  (Archives  du  Vatican,  mémoire  du  15  mars  1717, 
collection  de  M.  Gazier.) 

2.  Probablement  M.  Nicolas  Bertin,  acolyte,  qui  était  très  attaché 
à  la  maison  de  Port-Royal  et  à  Golbert  de  Groissy,  évêque  de  Mont- 
pellier. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUÏER    QUESNEL  377 

par  les  autres1.  Ils  sont  heureux  d'avoir  mis  au  large 
leurs  consciences.  Je  vous  rends  grâces  de  la  peine 
que  vous  avez  prise  de  me  mander  le  détail  de  leur 
aventure.  On  a  achevé  la  seconde  édition  de  la  Protes- 
tation, sans  que  j'aie  eu  l'honneur  de  vous  en  donner 
avis,  par  rapport  à  la  lettre  que  j'avais  eu  la  pensée 
d'y  insérer,  mais  que  j'ai  cru  depuis  n'y  devoir  pas 
mettre,  ni  en  devoir  demander  la  permission  au  prélat. 
Elle  pourra  entrer  ailleurs  plus  naturellement,  et,  si 
vous  avez  occasion  de  pressentir  s'il  le  trouvera  hon, 
vous  me  ferez  plaisir,  et  nous  en  userons  comme  il 
l'ordonnera.  Ce  serait  dommage  de  laisser  ensevelir 
dans  l'oubli  ce  beau  monument  de  la  générosité  épis- 
copale. 

En  voilà  déjà  deux  qui  ont  suivi2.  On  verra  si  on 
s'empressera  de  les  imiter.  Celui  qui  aurait  dû  être  à 
la  tête  croira  faire  beaucoup,  s'il  se  meta  la  queue.  Je 
ne  comprends  pas  le  fin  de  cette  politique,  qui  ne  sert 
qu'à  décourager  les  autres  et  à  faire  voir  qu'on  ne  fait 
les  choses  qu'à  son  corps  défendant. 

J'attends  vos  lettres,  où  je  m'attends  d'apprendre  des 
nouvelles  consolantes.  Mais  que  fera  M.  le  cardinal  de 
Rohan  avec  sa  bande  d'expliquants,  après  le  décret  de 
l'Inquisition  qui  ne  veut   point  de  limitation?  Ils  dis- 

1.  Colbert  de  Croissy,  évêque  de  Montpellier,  Soanen,  évêque  de 
Senez,  La  Broue,  évêque  de  Mirepoix,  et  de  Langle,  évêque  de  Bou- 
logne, avaient  donné  lecture  de  leur  appel,  en  Sorbonne,  le  5  mars  1717. 
La  faculté  ayant  adhéré  avec  empressement,  le  régent  sévit  contre  les 
opposants,  et  Petitpied  peut  s'écrier  avec  indignation:  «  Les  quatre 
évêques  obligés  de  sortir  de  Paris,  le  syndic  exilé,  l'école  de  Sorbonne 
fermée,  les  notaires  à  la  Bastille!  Quoi  donc,  le  P.  Tellier  est-il  redevenu 
le  chef  du  Conseil  de  conscience  ?  Quel  mystère  y  a-t-il  dans  toute  cette 
conduite?  (Amersfoort,  boîte  Vv\  Lettre  de  Petitpied  à  Quesnel,  du 
9  mars  1717.) 

2.  M.  de  Béthune,  évêque  de  Verdun,  qui  adhère  «  à  cet  appel  si  sage 
et  si  nécessaire  »  (Bibl.  nat.,  Lettres  inédites  de  M.  de  Béthune, 
mss.  23207),  et  M.  de  Verthamon,  évêque  de  Pamiers,  qui  «  sera  ferme 
comme  un  rocher».  (Lettres  inédites,  recueil  LePaige,  1716-1717,  collec- 
tion de  M.  Gazier,) 


378  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

tingueront  sans  doute  entre  expliquer  et  limiter.  Mais  le 
pape  lui  a  assez  déclaré  qu'il  ne  veut  ni  l'un  ni  l'autre. 

Le  décret  de  l'Inquisition  et  l'ordonnance  de  Reims1 
donnent  beau  jeu  aux  parlements,  s'ils  veulent  faire 
leur  devoir, 

M.  Gallois  [Petitpied]  est  toujours  en  purgatoire2,  et, 
si  M.  le  cardinal  le  voulait,  il  en  sortirait  bientôt. 


Quesnel  à  dom  Louvard* 

Amsterdam,  16  avril  1717. 

Il  est  vrai  que  cette  année  je  suis  heureux  en  béné- 
dictins, et  que  je  m'y  suis  vu  prévenu  par  des  marques 
particulières  de  bienveillance  de  sept  ou  huit  de  votre 
ordre.  Un  môme4,  entre  les  autres,  m'a  offert,  par  le 
mouvement  d'une  charité  prévenante  et  pressante,  une 
retraite  dans  une  belle  solitude  dont  il  est  le  maître, 
ayant  regret  de  me  voir  finir  mes  jours  parmi  les  philis- 
tins qui  servent  des  dieux  étrangers. 

Il  est  vrai  qu'une  telle  retraite  me  conviendrait  mieux 
que  la  confusion  de  laBabylone  où  je  me  trouve  volon- 
tairement relégué,  quoique  par  un  choix  forcé.  L'attrait 
d'une  telle  solitude  me  l'avait  fait  d'abord  accepter  avec 

l.Le  parlement  condamne  au  feu  l'ordonnance  de  M.  de  Mailly,  arche- 
vêque de  Reims,  qui,  à  ce  sujet,  fonde  «  une  messe  en  actions  de 
grâces  ».  Le  chapitre,  l'université,  plus  de  cent  ecclésiastiques,  loin  de 
suivre  le  prélat,  protestent  et  adhèrent  à  l'appel  des  quatre  évoques. 

2.  A  Troyes. 

3.  Doin  Louvard,  bénédictin  de  Saint-Maur,  ami  fervent  des  jansé- 
nistes, fit  un  écrit  pour  prouver  que  «  recevoir  la  bulle,  c'était  aposta- 
sier  ».  Il  était  le  directeur  de  la  princesse  d'Orléans,  future  abbesse  de 
Chelles.  Cette  lettre  de  Quesnel  est  une  réponse  à  un  envoi  du  bénédic- 
tin, les  Effusions  du  cœur  de  lu  princesse,  au  moment  où  elle  prenait  le 
voile.  Après  son  appel,  en  1717,  dom  Louvard  fut  disgracié,  puis  rap- 
pelé et,  pendant  vingt  ans,  ballotté  de  prison  en  exil,  pour  mourir  en 
Hollande,  ou  il  trouva  asile,  en  1734. 

4.  Dom  Mathieu  Pelitdidier,  abbé  de  Senones,  de  la  congrégation  de 
Suint-Vanne. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  379 

ardeur;  mais  mes  amis  ne  jugent  pas  que,  dans  la  con- 
joncture présente,  je  doive  changer  de  situation.  Il  faut 
voir  les  suites  que  pourra  avoir  la  crise  où  nous  sommes, 
par  rapport  à  la  grande  affaire,  et  après  cela  examiner 
ce  que  Dieu  demandera  de  nïoi.  Si  la  politique  ne  s'op- 
pose point,  celle  de  la  cour  à  mon  retour  en  France,  et 
celle  des  supérieurs  de  l'Oratoire  à  m'en  rouvrir  la 
porte,  c'est  où  je  dois  aller  consommer  mon  sacrifice. 
Sinon,  Domini  est  terra,  etc. 

Vous  avez  eu,  mon  révérend  Père,  le  bien  de  posséder 
quelques  jours  le  généreux  évêque  de  Mi  repoix,  pour 
qui  tous  les  fidèles  disciples  de  la  vérité  doivent  avoir 
une  estime  singulière  et  un  respect  plein  de  recon- 
naissance1. Il  la  servie  à  découvert  et  sans  ménage- 
ment. Aussi  a-t-il  reçu,  le  premier,  la  récompense  qu'il 
devait  attendre  de  la  part  du  monde;  mais,  de  la  part 
des  gens  de  bien,  mille  et  mille  bénédictions  Font  suivi 
et  accompagné  dans  sa  retraite,  plus  glorieuse  mille  fois 
que  celle  des  Dix  Mille. 

Je  ne  suis  pas  moins  heureux,  cette  année,  en  béné- 
dictines qu'en  bénédictins.  Ce  que  vous  m'apprenez  de 
Mme  du  Fourni  m'est  un  sujet  de  joie  et  de  consolation, 
et  je  lui  suis  très  obligé  des  sentiments  que  sa  charité 
lui  inspire  pour  moi,  quoique  la  vérité  en  appelle  pour 
revendiquer  ses  droits  comme  contre  un  injuste  pos- 
sesseur. 

Mais,  pour  ce  qui  est  de  la  nouvelle  fille  de  Saint- 

1.  Les  sentiments  de  Quesnel  pour  M.  de  La  Broue,  évêque  de  Mire- 
poix,  étaient  payés  de  retour  par  ce  prélat,  qui  l'avait  en  haute  estime. 
Il  lui  écrivait,  le  20  janvier  1117,  pour  le  prier  d'examiner  la  doctrine 
des  lettres  pastorales  qu'il  allait  publier  :  «  Comme  je  n'ai  fait  cet  ou- 
vrage que  depuis  la  mort  de  feu  M.  l'évoque  de  Meaux  (Bossuet)  à  qui 
je  communiquais  tous  mes  sentiments,  je  n'ai  pu  savoir  s'il  les  aurait 
approuvées.  Mais,  sivousvoulez  m'en  écrire  votre  sentiment,  je  croirai 
n'avoir  rien  perdu  en  perdant  cet  illustre  ami.  Je  regarderai  le  juge- 
ment que  vous  en  porterez  comme  j'aurais  regardé  le  sien,  persuadé 
que  vous  n'êtes  pas  moins  instruit  de  la  doctrine  de  l'Eglise  que  l'était 
ce  savant  prélat.  >>  (Amersfoort,  boîte  G.) 


380  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

Benoît1,  aussi  humble  dans  ce  qu'elle  embrasse  qu'au- 
guste dans  ce  qu'elle  quitte,  je  ne  sais  où  trouver  des 
termes  pour  exprimer,  en  même  temps,  et  la  joie  dont 
je  suis  pénétré  pour  la  grande  et  ineffable  miséricorde 
quelle  vient  de  recevoir  de  la  main  de  Celui  qui  se 
glorifie  d'être  le  père  des  miséricordes,  et  l'étonne- 
ment,  l'estime,  le  respect,  la  reconnaissance  et  toutes 
les  autres  impressions  que  t'ait  sur  moi  la  bonté  de 
cette  illustre  princesse  de  faire  attention  à  ma  chétive 
personne.  Quoiqu'elle  ait  mis  un  voile  sur  son  visage 
et  sur  tout  ce  qu'elle  est  par  son  auguste  naissance, 
pour  en  cacher  l'éclat  et  la  gloire,  et  qu'elle  travaille 
même  à  l'ensevelir  avec  Jésus-Christ,  on  ne  saurait 
l'ignorer  ni  en  perdre  le  souvenir,  et  n'en  point  être 
ébloui  quand  on  est  né  comme  moi  et  élevé  dans  l'obs- 
curité. Cette  seule  raison  aurait  suffi  pour  réprimer  la 
pensée  que  j'aurais  pu  avoir  de  faire  par  moi-même 
mes  très  humbles  et  très  respectueux  remerciements  à 
cette  religieuse  princesse.  Mais  j'ai  appréhendé  de  plus 
que,  si  Son  Altesse  Royale  le  duc  d'Orléans  venait  à  le 
savoir,  elle  ne  trouvât  mauvais  qu'un  homme,  noté 
comme  je  le  suis,  eût  pris  cette  liberté.  Enfin  l'entrée 
dans  un  noviciat  est  un  temps  si  sacré  et  où  la  commu- 
nication avec  le  dehors  est  si  rigoureusement  interdite, 
que  j'ai  appréhendé  d'en  dérober  la  moindre  portion  à 
une  princesse  qui  ne  veut  point  d'exemptions  qui  ne 
soient  absolument  nécessaires,  quelque  droit  que  sa 
qualité  lui  en  donne.  Je  vous  supplie  donc,  mon  révé- 
rend Père,  de  vouloir  bien  vous  charger  de  mes  devoirs 
envers  Son  Altesse  Royale.  Vous  voyez,  par  ce  que  vous 
m'avez  fait  l'honneur  de  me  mander,  combien  ils  sont 
grands  et  que  je  ne  puis  mettre  de  bornes  à  ma  recon- 
naissance et  à  mon  attachement  inviolable  envers  la 
sérénissime  samr  Louise-Adélaïde. 

1.    MIU     de   Chartres,    fille    du    régent,    en    religion   sœur  Adélaïde 
d'Orléans, 


< 
CORRESPONDANCE    DE    PASOUIER    QUESNEL  381 

Pour  le  devoir  de  mes  vœux  et  de  mes  prières,  quelque 
faibles  qu'elles  soient,  je  ne  m'en  décharge  point  sur 
personne.  J'ai  déjà  commencé,  et  j'espère  de  m'en 
acquitter  tous  les  jours  de  ma  vie,  aussi  bien  que  pour 
son  auguste  père  Son  Altesse  Royale,  entre  les  mains  de 
qui  Dieu  semble  avoir  mis  le  bonheur  de  la  France  et 
de  l'Eglise  du  royaume.  Je  ne  sais  si  c'est  par  un  pres- 
sentiment de  ce  que  nous  voyons  aujourd'hui  que  la 
dernière  ou  pénultième  abbesse  de  Port-Royal  des  Champs 
disait  qu'il  fallait  beaucoup  prier  Dieu  pour  lui,  pré- 
voyant peut-être  qu'il  serait  un  jour  un  instrument  de 
la  miséricorde  de  Dieu  sur  notre  Eglise. 


Quesnel  an  P.  Ru ff in,  à  Douai 

19  avril  1717. 

Je  vois  bien  que  votre  maison  n'est  pas  encore  ce 
qu'il  me  faut  pour  trouver  une  retraite  sûre  et  sans 
inquiétude.  Je  ne  sais  point  si  le  prince  régent  trouve- 
rait bon  que  je  rentrasse  sous  la  domination  du  roi  sans 
sa  permission,  et  il  seraitdangereuxde  la  demander,  de 
peur  qu'il  ne  m'assignât  un  autre  lieu  qui  ne  m'accom- 
moderait pas;  2°  Le  prélat  pourrait  venir  à  savoir  mon 
séjour  et  à  ne  m'y  pas  souffrir  que  sous  des  conditions 
dont  ma  conscience  serait  blessée.  C'est  le  plus  faible 
des  hommes.  Il  ne  parle,  me  mande-t-on,  que  d'accep- 
tation; 3°  Dans  un  pays  aussi  ennemi  que  celui-là,  on 
serait  exposé  à  être  découvert;  trop  de  gens  sont  atten- 
tifs sur  la  maison,  et  il  n'est  guère  agréable  de  vivre 
toujours  dans  la  défiance  et  dans  l'inquiétude.  La  néces- 
sité d'avoir  encore  commerce  avec  les  amis  de  Paris  ne 
peut  souffrir  qu'on  soit  si  resserré  et  qu'on  soit  obligé 
de  se  comporter,  môme  avec  ceux  de  la  maison,  comme 
avec  des  inconnus.  Bref,  je  conclus  qu'il  n'y  faut  plus 
penser  et  que  ma  vision  est  vraiment  vision. 


382  CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL 

Le  révérend  P.  Petitdidier,  que  vous  connaissez  sans 
doute  par  réputation,  est  abbé  régulier  dune  riche 
abbaye,  en  Lorraine.  Belle  solitude,  appelée  Senones. 
C'est  là  qu'il  m'avait  invité  de  me  retirer  de  la  manière 
la  plus  obligeante.  M.  Gallois  (Petitpied)  n'en  est  point 
d'avis.  11  pourrait  néanmoins  arriver  telle  chose  que  j'y 
reviendrais.  Gela  seraittrop  solitaire  pour  vous.  J'espère 
que  le  printemps  rendra  votre  santé  meilleure.  Il  me 
semble  qu'il  vous  serait  aisé  de  vous  donner  de  l'occu- 
pation. Vous  pourriez,  par  exemple,  faire  connaissance 
avec  quelques  bons  curés  de  la  campagne,  dans  le  voi- 
sinage, et  les  aller  aider  à  instruire  leur  peuple. 

Au  moins  il  vous  faut  quelquefois  prendre  l'air  et 
faire  quelque  petit  voyage. 


Quesnel  à  M.  van  der  Schuren 

21  mai  1717. 

Je  reçus,  Monsieur,  en  son  temps  la  lettre  que  vous 
me  fîtes  l'honneur  de  m'écrire,  en  même  temps  que 
j'avais  celui  de  vous  rendre  ce  devoir. 

J'ai  fait  prier  M.  Helen  de  ne  point  parler  de  moi 
dans  ses  scandaleuses  prédications,  dont  je  lui  ai  fait 
témoigner  que  j'étais  effectivement  scandalisé. 

Je  vous  envoie,  pour  vous  divertir,  une  petite  pièce 
de  poésie1  qu'on  m'a  envoyée  de  Paris,  à  l'occasion  du 
choix  fait  de  M.  d'Aguesseau  pour  la  charge  de  chan- 
celier. Gomme  vous  êtes  maître  dans  cet  art,  vous  en 

1.  Probablement  celle  qui  se  trouve  dans  le  recueil  Olairambault-Mau- 
repas  (Régence,  t.  II,  p.  185).  D'Aguesseau  avait  reçu  du  régentla  charge 
de  chancelier  après  la  mort  de  Voysin,  le  2  février  1717.  II  fut  un  des 
plus  ardents  parmi  les  adversaires  de  la  bulle  Lhiigenilus.  Aussi  Qui- 
rini,  depuis  cardinal,  allant  lui  rendre  visite  dans  sa  propriété  de  Fresnes, 
lui  dit,  en  entrant  dans  son  cabinet  :  «  C'est  donc  ici  que  Ton  forge 
des  armes  contre  le  Vatican?  —  Non,  Monsieur,  répondit  le  chan- 
celier, ce  ne  sont  que  des  boucliers.  » 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  383 

jugerez  en  maître,   et  je   serai  bien  aise    d'en   savoir 
votre  sentiment. 

Je  ne  sais  si  vous  avez  vu  ce  recueil  de  cantiques 
que  M.  Ackoi  emporte  avec  lui.  Cette  sorte  de  poésie 
est  fort  simple  et  fort  naturelle,  et  est  fort  propre  à 
apprendre  aux  enfants  les  mystères  de  la  religion  et 
les  devoirs  du  chrétien.  Si  vous  en  faisiez  de  semblables 
en  flamand,  sans  trop  étudier  la  délicatesse  ni  vous 
trop  élever,  elles  pourraient  être  utiles  et  de  grand 
secours  pour  les  pasteurs  et  les  catéchistes. 


Quesnel  à  l'abbé  dEtemare 

A  Pozzo,   15  juillet  1717. 

Gomme  M.  le  cardinal,  dont  j'attendais  l'appel,  dif- 
fère toujours  de  le  faire  paraître  et  que  je  n'ai  pas 
lettres  de  vivre  jusqu'au  jour  qu'il  se  résoudra  de  le 
publier,  je  n'ai  pas  cru  devoir  attendre  plus  longtemps 
à  faire  le  mien.  Vous  en  trouverez  ici  l'acte,  tout  écrit 
de  ma  main1.  Je  n'y  fais  point  mention  de  l'appel  de 
M.  le  cardinal,  parce  qu'il  veut  qu'on  l'ignore  et  parce 
que,  quand  il  aura  publié  son  acte,  j'en  prendrai  occa- 
sion de  faire  un  second  acte  d'appel,  qui  est  tout  prêt 
et  qui  paraîtra  imprimé,  et  qui  sera  beaucoup  plus  long, 
accompagné  de  preuves  et  de  plusieurs  autres  motifs. 
Celui-ci  ne  doit  point  être  imprimé  et  doit  demeurer 
secret  pour  attendre  la  publication  de  celui  de  Son 
Eminence. 

Voici  une  procuration  sous  seing  privé.  Elle  suffira. 
Comme  il  est  assez  naturel  que  ce  soit  mon  frère2  qui 

1.  Le  premier  appel  du  P.  Quesnel  au  futur  concile  général  est  du 
15  juin  1717.  Le  second,  du  15  juillet  de  la  même  année,  n'est  qu'un  pré- 
cis et  un  abrégé  du  premier,  pour  en  faciliter  l'enregistrement  dans 
les  greffes. 

2.  L'abbé  François  Quesnel.  (Voir  la  note  du  20  août  1668.) 


384  CORRESPONDANCE    DE    Î>ASQU1ER    QUESNEL 

fasse  en  cette  occasion  l'office  de  mon  procureur,  étant 
comme  mon  procureur-né,  et  qu'il  peut  attester  de  mon 
écriture,  j'aurais  pu  remplir  de  son  nom  ma  procura- 
tion; mais,  parce  qu'il  peut  survenir  des  raisons  ou 
des  événements  qui  obligeraient  d'en  prendre  un  autre, 
j'ai  laissé  la  place  en  blanc.  Vous  conduirez  ]e  tout, 
Monsieur,  selon  votre  prudence. 

Si  c'est  mon  frère  qui  aille  présenter  mon  acte,  il 
est  peut-être  à  propos  qu'il  y  soit  accompagné  de  quel- 
qu'un qui  puisse  parler,  répondre  et  répliquer  aux 
difficultés  qu'on  pourrait  faire. 

Si  on  refusait  de  donner  acte  de  la  réception  de 
celui  de  l'appel,  il  faudrait  demander  acte  du  refus;  et, 
si  on  ne  voulait  point  accorder  celui-ci,  peut-être  fau- 
drait-il faire  une  protestation  devant  notaire.  Cet  acte 
est  fait  de  manière  et  presque  tout  composé  des  paroles 
des  quatre  évoques,  de  sorte  que  je  ne  doute  pas  qu'on 
ne  le  reçoive;  et  je  l'ai  fait  ainsi,  parce  qu'on  voudra 
faire  voir  à  l'archevêché  l'acte  plus  long  cl  qu'on  pour- 
rait ne  vouloir  pas  en  donner  acte. 

J'ai  parlé,  dans  la  procuration,  du  nonce  du  pape, 
parce  que  feu  M.  Ravechet1,  en  partant  de  Paris,  avait 
marqué  dans  un  billet  que  je  devais  faire  signifier  l'acte 
à  un  ministre  du  pape.  Il  ajoutait  même  :  aux  agents  du 
clergé  de  France.  En  ce  cas,  il  faudrait  que  j'envoyasse 
deux  autres  copies,  ou  qu'on  en  fît  faire  à  Paris  des 
copies  collationnées  devant  notaires,  ou  bien  attendre 
l'acte  imprimé  et  par  moi  signé,  pour  faire  faire  ces 
deux  significations.  Vous  aurez,  s'il  vous  plaît,  Mon- 
sieur, la  bonté  de  faire  sur  tout  cela  vos  sages  réflexions. 

1.  Ravechet,  syndic  de  Sorbonne,  avait  été  exilé  à  Saint-Brieuc, 
au  mois  de  mars.  Il  mourut  dans  son  voyage  d'exil,  à  Rennes,  le 
25-  avril  1717,  en  renouvelant  au  lit  de  mort  son  appel  au  futur  concile. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QUESNEL  385 

Quesnel  à  dom  Lonvard 

19  août  1717. 

J'étais,  mon  révérend  Père,  tout  à  fait  en  peine  de 
vous  et  du  paquet  que  j'avais  eu  l'honneur  de  vous 
adresser  pour  la  sérénissime  personne  que  vous  savez  l. 
Craignant  que  ce  paquet  ne  fût  pas  venu  jusqu'à  vous, 
ni  jusqu'à  elle  par  conséquent,  je  n'osais  hasarder  le 
second.  Mais,  ayant  appris  avant-hier,  par  la  lettre  que 
M.  Duhois  [Brigade]  reçut  de  vous  ce  jour-là,  que  vous 
êtes  du  nombre  des  vivants  et  que  rien  ne  s'est  perdu, 
je  vous  renvoie  les  papiers  en  question2. 

J'ai  été  extrêmement  touché  des  sentiments  que  l'Es- 
prit-Saint  forme  dans  le  cœur  de  cette  princesse,  et 
surtout  de  l'humilité,  de  l'esprit  de  pénitence,  de  son 
amour  pour  les  vérités  saintes  de  l'Evangile,  de  sa  recon- 
naissance pour  les  miséricordes  ou,  pour  mieux  dire 
avec  le  prophète  royal,  pour  la  multitude  des  miséri- 
cordes que  Dieu  fait  éclater  sur  elle.  Le  seul  regard 
qu'il  a  jeté  sur  son  àme,  pour  la  tirer  de  cet  affreux 
tourbillon  du  monde  et  de  la  cour  qui  en  est  le  centre, 
et  dans  lequel  elle  roulait  comme  les  autres,  agitée  et 
emportée  par  les  vents  des  passions  qui  y  régnent,  ce 
seul  regard  sans  doute  la  ravit  d'admiration  delà  bonté 
de  Dieu,  de  cette  préférence  toute  de  grâce  qui,  la  met- 
tant au  rang  des  servantes  de  Jésus-Christ,  l'élève  plus, 
sans  comparaison,  au-dessus  de  toutes  les  grandeurs 
humaines  que  sa  naissance  ne  l'élevait  au-dessus  de  ce 
qu'il  y  a  de  plus  bas  et  de  plus  méprisable  dans  le  monde. 
Mais  quelle    humilité,  quel  abaissement  de   cœur  ne 

1.  Louise-Adélaïde  de   Chartres,   fille  du    régent,  future  abbesse  de 
Chelles,  se  préparait  alors  à  entrer  à  l'Abbaye-aux-Bois. 

2.  Il  s'agit  de  différents  papiers,  prières,  élévations  de  cœur,  que  la 
princesse  soumettait  au  jugement  et  à  l'approbation  de  Quesnel. 

u.  2b 


386  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

doit  point  produire  en  elle  cette  élévation  de  grâce  et 
de  miséricorde  î  Et  c'est,  en  effet,  de  ces  sentiments 
que  je  la  vois  pénétrée  dans  les  prières.  Une  telle 
humilité  est  le  ciment  de  la  charité  et  la  gardienne  de 
toutes  les  autres  vertus.  C'est  d'elle  que  naît  l'estime 
pour  la  grâce  du  Sauveur  et  la  fidélité  à  lui  rapporter 
tout  le  bien  qui  est  en  elle;  c'est  ce  qui  lui  inspire  des 
sentiments  de  bonté  pour  ceux  qui  combattent  pour 
elle.  J'ai  si  peu  de  part  à  ces  combats,  et  ce  que  j'ai  fait 
pour  la  vérité  est  si  peu  de  chose,  que  je  n'ai  pu  lire 
sans  rougir  et  sans  une  extrême  crainte  ce  que  cette 
religieuse  princesse  pense  de  ma  petitesse.  C'est  cepen- 
dant pour  moi  une  vraie  consolation  de  voir  son  grand 
cœur  se  répandre  devant  Dieu  en  prières  pour  moi.  J'en 
ai  une  sensible  et  respectueuse  reconnaissance. 


Quesnel  au  P.  de  La  Tour, 
supérieur  général  de  l'Oratoire 

9  septembre  1717. 

Mon  révérend  Père,  je  vous  supplie  très  humblement 
de  me  bénir,  au  nom  de  Jésus-Christ,  comme  un  des 
plus  soumis  enfants  de  la  congrégation  dont  il  vous  a 
confié  la  conduite. 

Peut-être,  mon  révérend  Père,  que  vous  me  jugerez 
indigne  de  la  qualité  que  j'ose  prendre,  si  vous  consi- 
dérez que  trente-deux  ans  et  demi  se  sont  passés,  sans 
que  j'aie  résidé  dans  aucune  des  maisons  de  l'Oratoire  ; 
que  je  m'en  suis  absenté  sans  ordre  et  sans  permission, 
et  que,  depuis  ce  temps-là,  j'ai  vécu  sans  dépendance 
de  l'autorité  de  la  congrégation  ou  de  la  vôtre.  Mais, 
si  vous  avez  la  bonté  de  faire  attention  à  la  nécessité  où 
je  me  suis  trouvé,  par  le  malheur  des  temps  et  par  les 
différentes  conjonctures  des  affaires,  d'en  user  comme 
j'ai  fait,  et  qu'une    des  raisons  que  j'en  ai  eue  a  été 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    oUESNEL  387 

d'épargner  à  mes  supérieurs  des  démarches  fâcheuses 
et  désagréables  où  ils  auraient  pu  être  engagés,  j'es- 
père que  vous  ne  me  jugerez  pas  à  la  rigueur.  D'ail- 
leurs, j'ai  donné  des  témoignages  publics  de  mon 
tendre  et  inviolable  attachement  à  l'Oratoire;  j'ai,  en 
toutes  rencontres,  fait  profession  d'y  être  uni  d'esprit 
et  de  cœur,  et  le  public  m'en  a,  pour  ainsi  dire,  donné 
acte,  en  me  traitant  toujours  de  prêtre  de  l'Oratoire, 
pour  me  maintenir  dans  la  possession  de  cette  qualité 
où  j'ai  commencé  d'entrer  il  y  a  soixante  ans. 

J'ai  toujours  espéré,  mon  révérend  Père,  qu'un  jour 
viendrait  où  j'aurais  la  consolation  de  me  voir  réuni  à 
mes  frères,  et  j'en  sens  le  désir  s'augmenter  de  jour  en 
jour,  à  mesure  que  le  dernier  des  miens  s'approche 
davantage. 

Il  ne  tiendrait  pas  à  moi  que  ce  désir  ne  fut  rempli 
au  plus  tôt,  et  rien  de  ma  part  n'en  retarderait  l'accom- 
plissement. Je  me  flatte  qu'il  ne  tiendrait  pas  non  plus 
à  vous,  mon  révérend  Père,  et  que  vous  seriez  le  pre- 
mier à  aplanir  les  difficultés  qui  pourraient  naître  des 
statuts  et  des  règlements  de  la  congrégation  ;  car,  d'un 
autre  côté,  je  ne  sais  s'il  s'en  rencontrerait  quelques- 
unes.  Il  est  vrai  que,  par  la  conduite  de  la  Providence, 
je  me  trouve  engagé  dans  l'affaire  de  la  constitution, 
qui  fait  aujourd'hui  tant  de  bruit  dans  l'Eglise  et  dans 
l'Etat;  mais,  grâces  à  Dieu,  je  n'ai  rien  fait  contre 
l'une  ni  contre  l'autre,  dans  la  part  que  j'ai  été  forcé 
de  prendre  dans  cette  affaire,  non  plus  que  dans  le  reste 
de  ma  vie  et  de  ma  conduite.  Si  j'ai  souffert  quelques 
vexations  par  le  crédit  de  mes  ennemis,  je  ne  crois  pas 
qu'on  voulût  me  les  imputer  à  crime,  ni  ajouter  à  mes 
peines  de  nouvelles  afflictions. 

Vous  voyez  bien,  mon  révérend  Père,  à  quoi  tend 
l'exposé  que  j'ai  l'honneur  de  vous  faire  :  c'est  à  vous 
supplier  très  humblement,  et  par  vous  tous  nos  révé- 
rends Pères  présentement  assemblés  auprès  de  vous,  de 


388  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

vouloir  bien  n'avoir  point  d'égard  ni  à  l'irrégularité  de 
ma  retraite  forcée,  ni  à  ma  longue  absence,  ni  au  silence 
que  j'ai  gardé  depuis  tant  d'années,  mais  me  faire  la 
grâce  de  me  tenir  toujours  pour  un  de  vos  enfants, 
comme  un  membre  de  la  congrégation  dans  le  sein  de 
laquelle  j'ai  été,  quoique  indigne,  ordonné  prêtre,  il  y 
aura  cinquante-huit  ans  le  21  de  ce  mois,  et  où  je  tien- 
drai à  une  singulière  bénédiction  de  finir  mes  jours. 

Au  reste,  quand  je  vous  fais  souvenir,  mon  très  révé- 
rend Père,  de  l'ancienneté  de  mon  entrée  dans  la  con- 
grégation et  dans  le  sacerdoce,  je  ne  prétends  nullement 
m'en  prévaloir  pour  aspirer  au  rang  qu'elle  m'aurait 
acquis,  si  j'avais  toujours  résidé  dans  les  maisons  de 
l'Oratoire.  Je  n'en  prétends  aucun  autre  que  celui 
qu'elle  voudra  m'assigner.  Le  dernier,  que  je  recevrai 
comme  une  grâce,  me  sera  le  plus  avantageux,  parce 
qu'il  me  tiendra  dans  l'humiliation  qui  m'est  due  en 
toute  manière,  et  que  celle-ci  pourra  contribuer  à  me 
faire  consommer  mon  sacrifice,  in  spiritu  humilitatis 
et  in  animo  contrit o.  Que  si  des  raisons  de  ménage- 
ments, par  rapport  aux  affaires  publiques,  ne  permet- 
taient pas  encore  qu'une  maison  de  l'Oratoire  me  fût 
ouverte,  j'attendrai  sans  murmurer  que  le  moment 
marqué  pour  cela  dans  l'ordre  de  la  Providence  soit 
arrivé,  et  je  me  consolerai  du  délai,  par  la  confiance 
que  j'ai  qu'en  quelque  lieu  que  je  sois  je  serai  toujours 
réputé  membre  de  la  congrégation. 

Comme  elle  est  présentement  assemblée  par  les 
députés  de  toutes  ses  maisons,  mon  inclination  m'aurait 
porté  à  lui  rendre  mes  devoirs  par  une  lettre  où  je  lui 
aurais  ouvert  moi-même  mon  cœur  et  expliqué  les 
sentiments  de  vénération,  de  soumission  et  d'amour, 
que  j'ai  toujours  conservés  pour  elle,  comme  ma  très 
chère  et  ma  très  honorée  mère.  Mais,  outre  que  j'ai 
voulu  éviter  tout  ce  qui  pourrait  avoir  quelque  éclat 
et  tenir  de  la  singularité,  j'ai  été  persuadé  que  je  ne 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER   QUESNEL  389 

pouvais  avoir  un  interprète  de  mes  sentiments  qui  lui 
fût  plus  agréable  que  celui  qu'elle  a  jugé  digne  de  la 
gouverner  et  à  qui  elle  a  confié  toute  son  autorité.  J'ai 
cru  aussi,  par  la  confiance  que  j'ai  en  votre  bonté  pour 
moi,  que,  vous  ayant  pour  père,  je  ne  pourrais  man- 
quer de  vous  avoir  pour  protecteur  et  pour  avocat. 


Quesnel  au  P.  Ruffin,  à  Douai 

21  octobre  1717. 

Je  reçus  mardi  votre  lettre  du  13.  et  j'y  apprends 
avec  joie  que  vous  avez  appelé  avec  quatre  autres  de 
nos  révérends  Pères,  c'est-à-dire  les  PP.  Bosson,  Le  Roi, 
Le  Prévôt  et  David.  Je  vous  salue,  vous  embrasse  et 
vous  félicite,  tous  cinq,  de  la  grâce  que  Dieu  vous  a 
faite  de  vous  choisir  pour  rendre  témoignage  à  la  vérité 
et  de  ce  qu'il  vous  a  rendus  fidèles  à  sa  grâce.  Vous  êtes 
les  cinq  vierges  sages  qui  avez  eu  de  l'huile  dans  vos 
lampes.  Vous  êtes  venus  un  peu  tard,  et  il  s'en  est  peu 
fallu  que  vous  n'ayez  trouvé  la  porte  fermée,  comme 
elle  est  maintenant1;  vous  avez  bien  fait  de  taper  à  la 
porte  de  Pierre,  car  celle  de  Louis-Antoine  [de  Noailles) 
ne  vous  aurait  peut-être  pas  été  ouverte.  Je  crois  que 
le  meilleur  parti  est  d'en  demeurer  là,  sans  faire  son- 
ner la  trompette.  On  le  sait  à  Arras;  on  ne  manquera 
pas  de  le  savoir  dans  l'Oratoire;  cela  suffit. 

On  m'écrit  de  Paris  que  l'appel  de  M.  le  cardinal 
n'est  point  au  concile,  mais  au  pape  mieux  informé.  Je 
ne  le  croirai  pas  que  je  n'en  aie  confirmation,  quoique 
cela  soit  fort  de  son  génie. 


1.  Une  déclaration  du  roi,  du  7  octobre  1717,  imposait  le  silence  sur 
les  affaires  de  la  bulle.  Le  cardinal  de  Noailles  avait  fait  un  appel,  non 
rendu  public,  le  3  avril  précédent.  Cet  appel  fut  imprimé  et  répandu, 
vers  la  fin  de  Tannée,  puis  condamné  par  le  parlement,  comme  contre- 
venant à  la  loi  du  silence,  le  l6r  décembre  1717. 


390  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

L'oracle  de  la  porte  de  Richelieu  (Duguet)  est  cause 
que  je  n'ai  pas  publié  le  mien,  m'ayant  conseillé,  sans 
que  je  le  consultasse,  de  ne  pas  prévenir  mon  arche- 
vêque. 

La  déclaration  ne  contentera  ni  un  parti  ni  l'autre1. 
Tout  le  bien  qu'elle  fait,  c'est  qu'elle  arrête  la  fougue 
de  vingt-huit  évêques  acceptants,  qui  avait  comploté 
de  rompre  de  communion  avec  les  non-acceptants.  On 
en  est  bien  mécontent,  à  Paris,  aussi  bien  que  de  la 
lettre  de  M.  le  cardinal  au  pape2.  Il  y  a  sujet  de  croire 
qu'il  n'en  a  pas  été  tout  à  fait  le  maître. 


Qnesnel  à  dom  Louvard 

21  octobre  1717. 

J'ai  reçu,  mon  révérend  Père,  votre  lettre  du  6  de 
ce  mois.  Elle  m'a  mis  en  repos  à  l'égard  des  papiers,  en 
m'apprenant  que  vous  les  avez  reçus.  Je  ne  sais  pas  d'où 
pouvaient  venir  les  bruits  qui  avaient  couru,  touchant 
le  prétendu  commerce  de  lettres  avec    la   princesse1; 

1.  Le  cardinal  de  Noailles  en  était  satisfait  et  écrivait  à  son  frère,  le 

10  octobre  1717  :  «Je  m'attends  bien  qu'à  la  première  vue  vous  n'en 
serez  pas  content;  mais  suspendez  votre  jugement  jusques  après  quelques 
réflexions.  J'y  voulais  quelque  chose  de  plus,  mais  je  n'ai  pu  l'obtenir. 

11  n'y  a  rien  dans  cet  acte  qui  condamne  les  appels  et  les  appelants. 
Cet  acte  est  donc  très  bon;  aussi  n'y  a-t-il  que  les  esprits  outrés,  de 
part  et  d'autre,  qui  n'en  soient  pas  contents  »  (Bibl.  nat.,  ms.  23215.)  11 
paraît  que  Clément  XI  était  de  ceux-là,  car  le  cardinal  de  la  Trémoille 
écrit  de  Rome  au  régent,  le  2G  octobre  1717  :  «  Sa  Sainteté  ne  laissa 
pas  de  me  dire,  à  la  fin  de  la  lecture  [de  la  déclaration)  qu'elle  se  serait 
attendue  à  autre  chose  et  qu'au  premier  aspect  cette  déclaration  lui 
faisait  de  la  peine.  »  (Aff.  étr.,  Rome,  574.) 

2.  Du  2  juin  1717. 

3.  Dom  Louvard,  alors  le  directeur  et  l'ami  de  la  future  abbesse,  écri- 
vait, le  (i  octobre,  au  P.  Quesnel  :  «  Depuis  quelques  semaines,  il  s'était 
répandu  un  bruit  à  la  rour  et  à  la  ville  que  la  princesse  vous  avait 
écrit  et  que  vous  lui  aviez  répondu.  M.  le  cardinal  de  Noailles  et 
M,n0  la  duchesse  d'Orléans  étaient  allés  à  Chelles  en  demander  des  nou- 
velles à  Mademoiselle.  (Elle  expliqua  qu'elle  avait  seulement  échangé, 


CORRESPONDANCE    DE    PASQU1ER    QCESNEL  391 

mais  j'étais  bien  assuré  que  je  n'y  avais  donné  aucun 
lieu,  et  je  suis  ravi  que  l'éclaircissement  se  soit  fait, 
comme  vous  me  faites  l'honneur  de  me  le  mander.  Je 
me  tiendrai  si  bien  sur  mes  gardes  à  cet  égard  que  je 
serai  toujours  en  état  de  répondre  de  ma  fidélité  et  de 
mon  silence. 

Je  suis  bien  aise,  mon  révérend  Père,  d'avoir  plus  tôt 
appris  votre  guérison  que  votre  maladie,  et,  si  celle-ci 
vous  a  empêché  de  m'envoyer  plus  promptement  la  rela- 
tion du  combat  de  Chelles1,  votre  convalescence  vous 
aura  donné  moyen  de  la  faire  plus  à  loisir  et  de  la 
rendre  plus  complète.  J'ai  été  comblé  de  joie  par  la 
victoire  que  la  princesse  a  remportée  dans  ce  combat, 
et  j'en  ai  chanté  le  Te  Deam  de  bon  cœur.  La  gloire  en 
est  due  tout  entière  à  la  grâce  du  Sauveur.  C'est  par 
elle  que  la  princesse  a  vaincu.  C'est  par  elle  que  le 
prince  s'est  laissé  vaincre.  Le  père  est  heureux  d'avoir 
cédé  à  la  fermeté  de  sa  fille,  et  la  fille  plus  heureuse 
mille  fois  davoir  trouvé  dans  l'époux  céleste  le  secours 
tout-puissant  sans  lequel  elle  aurait  succombé.  C'est 
pourquoi  je  ne  doute  point  qu'à  tous  les  moments 
qu'elle  pense  à  la  miséricorde  qu'il  lui  a  faite  de  l'affer- 
mir dans  sa  vocation  aux  noces  de  l'Agneau,  elle  ne 
fonde  en  esprit  à  ses  pieds  pour  lui  rendre  hommage 
de  sa  victoire. 

Je  ne  savais  pas  que  la  princesse  eût  refusé  l'abbaye 
de  Montmartre.  Rien  de  plus  sage,  rien  de  plus  édifiant. 
Pour  la  tentative  de  Mme  la  duchesse  de  Berry,  elle  n'était 


par  intermédiaires,  quelques  réflexions  édifiantes.)  Sur  quoi,  je  deman- 
dai si  on  pouvait  en  parler  ainsi  dans  le  public,  et  on  me  répondit  que 
je  le  pouvais.  Il  reste  ainsi  pour  constant  que  la  princesse  a  pour  vous, 
mon  révérend  Père,  et  cela  est  public,  un  respect  et  un  attachement 
dignes  de  la  foi  dont  vous  êtes  le  principal  défenseur.  »  (Amersfoort, 
boîte  W.) 

1.  Entrevue,  le  8  septembre  1717,  entre  le  régent  et  sa  fille,  où  le 
prince,  qui  l'aimait  tendrement,  essaya,  durant  trois  heures  entières, 
d'ébranler  sa  résolution  de  prendre  le  voile. 


392  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

pas  si  fort  à  craindre,  après  que  le  sérénissime  prince 
avait  en  vain  épuisé  son  éloquence  la  plus  énergique  et 
toute  la  tendresse  paternelle. 


Quesnèl  à  F  abbé  Bertin 

29  octobre  1717. 

J'ai  reçu,  Monsieur,  la  lettre  que  vous  me  fîtes  l'hon- 
neur de  m'écrire  le  18  septembre,  en  partant  pour  aller 
voir  M.  Petitpied,  et  celle  que  vous  m'écrivîtes  au 
retour. 

Je  crois  sans  peine  que  vous  ne  l'aurez  pas  détourné 
du  dessein  qu'il  avait  de  nous  venir  voir;  mais  d'autres 
se  sont  opposés  à  notre  consolation.  On  a  tant  consulté 
qu'à  la  fin  on  a  attiré  un  conseil  qui  vaut  une  défense. 
Il  faut  s'accoutumer  à  se  priver  des  consolations  et  des 
douceurs  de  cette  vie.  Les  hommes  ont  soin  de  nous  en 
sevrer;  mais  c'est  Dieu  qui  l'a  ordonné  avant  que  les 
hommes  y  aient  pensé. 

Voilà  les  bouches  fermées  et  les  plumes  brisées  par 
la  déclaration1.  Je  ne  sais  qui  y  gagne  plus,  ni  qui  en 
est  plus  dolent;  car  les  acceptants  sont  arrêtés  en  beau 
chemin,  et  les  non-acceptants  mortifiés  de  ne  pouvoir 
pousser  leur  pointe.  M.  le  cardinal  en  sera  le  moins 
affligé.  On  dit  que  son  appel  invisible  n'était  qu'au  pape 
mieux  informé.  Ce  n'est  pas  un  appel,  où  l'on  rend  le 
pape  juge  en  sa  propre  cause. 

Nous  venons  de  recevoir  la  première  partie  de  YApolo- 

1.  «  Je  me  suis  enfin  déterminé,  écrit  le  roi  au  cardinal  de  la  Trémoille, 
à  donner  une  déclaration  pour  imposer  par  provision  un  silence  géné- 
ral dans  toute  l'étendue  de  mon  royaume.  Si,  contre  toute  vraisem- 
blance, vous  prévoyez  que  Sa  Sainteté,  accoutumée  à  se  plaindre  de  tout, 
voulût  témoigner  quelque  mécontentement  de  cette  déclaration,  vous 
devez  non  seulement  lui  faire  connaître  qu'elle  ne  contient  rien  qui 
puisse  lui  en  donner  le  moindre  sujet,  mais  qu'elle  estremplie d'expres- 
sions honorables  et  respectueuses  pour  elle.»  (Aff.  étr.,  Rome,  ri 74.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUES^EL  393 

gie  des  curés  de  Paris  *,  et  nous  avons  reçu  une  fort 
bonne  lettre  de  M.  l'évêque  d'Agen  à  M.  de  Bissy,  avec 
des  observations  sur  la  sienne  au  prince  régent.  11  aura 
à  essuyer  encore  quelque  écrit  dogmatique.  La  matière 
est  trop  sérieuse  pour  être  mise  en  chanson  et  en  méta- 
morphose. J'avoue  que  la  déclaration  était  nécessaire, 
mais  on  y  donne  un  coup  de  dent  aux  appelants  et 
aux  appels.  On  dit  même  qu'on  y  a  fait  plusieurs  chan- 
gements depuis  qu'elle  a  passé  sous  le  sceau,  et  cela 
sans  la  participation  de  M.  le  chancelier. 

M.  de  La  Place  (Fouillait)  est  revenu  ici  dès  la  Pente- 
côte, et  il  se  disposait  à  passer  l'eau  avant  l'hiver; 
cependant,  il  est  encore  ici  et  ne  peut  se  déterminer. 
Il  vous  assure  de  ses  respects,  aussi  bien  que  M.  Dubois 
(Brigode). 

Il  faut  quitter  la  plume,  je  ne  fais  plusque  griffonner. 

Quesnel  à  M.  Boursier 

Ce  dernier  jour  de  l'année  1717. 

Je  reçois  à  ce  moment  la  lettre  si  réjouissante  dont 
vous  m'avez  honoré.  Je  vous  en  rends  mille  grâces.  En 
me  réservant  d'y  répondre  plus  à  loisir,  je  crois,  pour 
avancer  les  affaires,  vous  pouvoir  répondre  qu'il  n'y 
aura  aucune  difficulté  pour  faire  agréer  le  changement 
que  vous  jugez  à  propos.  M.  van  Espen,  qui  a  dressé  la 
consultation,  est  docile  comme  un  enfant,  quoiqu'il 
soit  hardi  et  ferme  comme  un  lion  quand  il  s'agit  de  la 
vérité.  Vous  pouvez  donc  assurer  ces  messieurs  qu'ils 
peuvent  dresser  le  changement  comme  ils  Je  jugeront 
à  propos.  On  fera  un  carton  pour  l'endroit  fautif.  Il  est 
plus  nécessaire  que  jamais  d'avoir  des  prêtres. 

1.  Apologie  des  curés  de  Paris  contre  V ordonnance  de  Ms'  V archevêque 
de  Reims,  depuis  cardinal  de  Mailly,  condamnant  la  Lettre  des  curés 
de  Paris,  etc.  Cet  ouvrage  de  M.  Boursier  fut  condamné  par  le  parle- 
ment, le  23  octobre  1717. 


394  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

On  a  voulu  donner  ici  un  vicaire  apostolique,  un 
homme  très  indigne,  et  dont  l'indignité  est  si  connue 
que  des  magistrats  et  un  ministre  que  je  connais  nous 
ont  dit  qu'ils  auraient  honte  pour  nous  si  on  le  recevait. 
Cependant  il  est  nomme  par  le  pape. 

Quesnel  à  l'abbé  d'Étemare 

Dernier  jour  de  1717. 

J'ai  attendu  cette  occasion  du  nouvel  an  pour  me 
réjouir  avec  vous  de  votre  heureux  retour  et  pour 
souhaiter  en  même  temps  une  heureuse  entrée  dans  le 
nouvel  an.  Je  vous  y  souhaite  mille  et  mille  bénédic- 
tions et,  entre  celles-là,  celle  devoir  la  vérité  et  la  paix 
s'embrasser,  sans  que  la  paix  étouffe  la  vérité  en  l'em- 
brassant. Ce  qui  ne  sera  pas,  si  c'est  Dieu  qui  nous 
donne  la  paix,  et  non  pas  le  monde,  comme  il  se  vante 
de  nous  la  vouloir  donner. 

Il  y  a,  en  ce  pays,  un  abbé  de  La  Porte,  qui  est  de 
vos  quartiers  ou  d'auprès  de  Saumur.  Cet  homme  nous 
est  venu,  et  il  est,  de  son  aveu  même,  fort  violent.  Il 
faut  qu'il  ait  eu  quelque  affaire  qui  l'ait  obligé  de  sortir 
de  France.  Il  a  rôdé  l'Allemagne.  Quelqu'un  d'auprès 
de  Saumur  en  saurait  des  nouvelles. 

Mes  yeux  ne  sont  pas  meilleurs.  Je  ne  puis  du  tout 
lire  sans  lunettes;  mais,  avec  ce  secours,  je  metire  assez 
bien  d'affaire.  Je  me  recommande,  Monsieur,  à  vos  saintes 
prières. 

Quesnel  à  V ahhé  iï  Étemare 

27  janvier  1718. 

Le  sieur  Pozzo  [Quesnel],  dont  la  famille  n'est  pas 
pourtant  sortie  d'Italie,  mais  d'Ecosse,  a  fait  un  appel 
farci  de  qui  plus;  l'impression  en  est  si  avancée  qu'elle 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  395 

sera  finie  avant  que  vous  receviez  cette  lettre.  Il  y  aura 
huit  feuilles.  Je  ne  sais  si  cela  vaut  quelque  chose; 
mais  enfin,  puisque  les  frais  en  sont  faits,  il  faut  voir 
si  le  moment  est  bon  pour  en  faire  part  au  public.  M.  de 
La  Place  [Fonillou],  qui  l'a  lu,  a  toujours  été  assez  d'avis 
qu'on  le  donnât,  sinon  qu'il  me  disait  en  dernier  lieu  : 
«  Je  ne  sais  que  vous  dire  de  cet  acte.  »  Peut-être 
parce  que  je  lui  ai  mandé  que  M.  Gallois  \Petitpied]  me 
conseillait  de  ne  le  pas  publier.  «  L'auteur,  dit-il,  aura 
un  arrêt  sur  le  corps  et  sera  noté.  »  Mais  un  arrêt 
n'est  pas  capable  d'assommer  un  homme  qui  a  bon  dos. 
Et  puis  il  me  semble  que  h»  vent  est  changé  et  que 
peut-être  on  laissera  passer  sans  dire  mot  cette  petite 
nuée.  Si  on  tire  une  fusée  contre  huit  feuilles  impri- 
mées à  Batavia,  il  faut  tirer  un  canon  contre  l'in-folio 
qui  vient  de  sortir  de  laSapienza1.  J'ai,  à  la  vérité,  de 
la  peine  à  faire  une  chose  contre  l'avis  de  M.  Gallois  ; 
mais  il  peut  avoir  changé  depuis  que  la  scène  semble 
un  peu   changée.  J'attendrai,  Monsieur,  votre  avis. 


Qiiesnel  à  M.  de  Montempuis,  chanoine  d(j  Notre-Dame2 

6  février  1718. 

Monsieur,    le  jour  que  vous  m'écriviez,  il  se  faisait 
un    triste   changement  en  la  personne  de  M.  le  chan- 

1.  Il  veut  parler  d'une  tentative  d'accommodement,  basée  sur  un 
«  précis  de  doctrine  »,  présenté  au  pape  par  les  cardinaux  de  Rohan  et 
de  Bissw  et  renvoyé  en  France  fort  augmenté.  «  J'apprends,  écrit  le 
cardinal  de  la  Trémoille  au  roi,  que  le  cardinal  de  Rohan  prétend  qu'il 
y  a  quelque  différence  entre  ce  qui  a  été  présenté  ici  et  ce  qui  avait  été 
arrêté  en  France.  »  (25  janvier  1718,  A  If.  étr.,  Rome,  583.) 

2.  Petit  de  Montempuis,  professeur  de  philosophie  au  collège  du 
Plessis,  puis  recteur  de  l'Université,  grand  érudit  et  fervent  janséniste, 
aura,  en  décembre  1726,  une  notoriété  inattendue.  A  soixante  ans, 
l'envie  lui  vint  d'aller  à  la  Comédie.  Est-ce,  comme  le  prétend  Barbier 
(I,  448),  la  crainte  d'être  reconnu  qui  l'induisit  à  s'affubler  des  vête- 
ments de  sa  grand'inère,  jupe,  écharpe  et  cornettes,  retrouvés  dans  un 


396  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

celier.  Si  c'est  l'amour  de  la  vérité  et  de  la  justice  qui 
lui  a  attiré  cette  disgrâce,  il  lui  est  plus  honorable 
d'avoir  rendu  les  sceaux  que  de  les  avoir  reçus  ;  mais 
le  public  en  soutire,  et  c'est  ce  qui  est  déplorable1. 

S'il  est  vrai  que  M.  l'évêque  d'Apt2  ait  fait  publier, 
le  2  janvier  dernier,  un  mandement  dans  sa  cathédrale, 
il  est  difficile  qu'il  puisse  faire  croire  que  c'est  sans  sa 
participation  qu'il  s'est  imprimé.  Toutes  les  démarches 
qu'il  a  faites  depuis  qu'il  est  en  place  ne  marquent  pas 
un  grand  jugement.  Le  premier  mandement  épiscopal 
contre  les  Réflexions ,  c'est  le  sien.  Il  prime  en  tout.  Si 
c'était  pour  la  gloire  de  Dieu,  Userait  digne  de  louange. 

M.  de  La  Place  [Fouillou]  passe  l'hiver  à  Utrecht, 
pour  essayer  si  l'air  de  ce  pays-là  lui  sera  plus  favo- 
rable que  celui-ci. 

Je  vous  suis  bien  obligé,  Monsieur,  de  la  part  que 
vous   voulez   bien  prendre  à  ma  santé  :  celle  du  corps 

vieux  coffre,  extravagants  à  force  d'être  démodés?  Ou  bien,  suivant  le 
dire  de  Mathieu  Marais  (III,  466),  est-ce  l'avarice  poussée  jusqu'à  ce 
point  de  voler  les  bouts  de  chandelles  dans  les  lanternes  en  Sorbonne, 
qui  lui  fît  accepter  un  billet  de  vingt  sous,  valable  seulement  pour  une 
femme,  à  ce  que  lui  conta  quelque  mauvais  plaisant?  Campé  aux  troi- 
sièmes loges,  il  fut  montré  du  doigt  par  les  gens  du  parterre,  appré- 
hendé par  la  garde,  conduit  chez  le  lieutenant  de  police,  exilé  par 
Noailles  et  chansonné  par  les  jésuites.  Voici  le  moins  mauvais  des  in- 
nombrables couplets  qui  circulèrent  sur  le  chanoine  hermaphrodite  : 

Question  rare  et  nouvelle 
Pour  les  savants  de  Paris  ; 
Dira-t-on  Mademoiselle 
Ou  Monsieur  de  Montempuis? 
Hé!  allons,  ma  tourlourirette, 
Hé!  allons,  ma  tourlourirou. 

1.  D'Aguesseau,  ne  se  prêtant  pas  avec  assez  de  docilité  aux  desseins 
du  régent  dans  les  questions  de  finance,  fut  exilé,  le  28  janvier,  à  sa  terre 
de  Fresnes  ;  les  sceaux  furent  donnés  à  M.  d'Argenson,  lieutenant  de 
police.  Cet  exil  fut  l'apogée  de  la  grandeur  morale  de  d'Aguesseau. 
Trois  ans  plus  tard,  lorsqu'il  est  ramené  par  Law,  le  public  le  reçoit 
froidement  et  s'écrie,  nous  dit  Saint-Simon:  Et  homo  faclus  est. 

1.  Foresta  de  Colongue,  «  loué  par  les  jésuites  et  digne  de  l'être  », 
donnait  le  pape  pour  «  l'oracle  du  Saint-Esprit  sur  terre  ».  {Table  des 
Nouvelles  Ecçlésiast loues.) 


CORRESPONDANCE   DE    PASQU1ER    QUESNEL  397 

va  aussi  bien  que  je  le  puis  souhaiter  à  mou  âge.  Mes 
yeux,  avec  le  secours  de  lunettes  que  j'ai  prises  à 
quatre-vingt-trois  ans,  me  servent  encore  à  lire  et  à 
écrire.  De  temps  immémorial,  je  ne  pouvais  lire  de 
l'œil  gauche  en  aucune  manière,  mais  seulement  de 
l'œil  droit;  maintenant  l'œil  droit  ne  me  sert  de  rien 
pour  ces  deux  fonctions.  H  y  a  une  taie,  et  je  ne  vois 
plus  que  de  l'œil  gauche,  que  Dieu  m'a  rendu  en  même 
temps  qu'il  m'a  ôté  l'usage  de  l'autre.  C'est  une  grâce 
dont  je  vous  prie,  Monsieur,  de  le  remercier  pour  moi, 
et  plus  encore  de  le  prier  de  m'en  faire  faire  usage  uni- 
quement pour  sa  gloire  et  ses  desseins. 

Cette  imposition  de  silence  incommode  certaines  gens, 
qui  voudraient,  avant  que  de  mourir,  publier  leur 
appel. 

Quesnel  à  l'abbé  Berlin 

18  février  1718. 

A  vrai  dire,  Monsieur,  je  ne  savais  que  dire  de  votre 
silence.  Je  me  disais  quelquefois:  «  Le  pèlerin  soli- 
taire et  piéton  ne  sera-t-il  point  mort  au  coin  d'un 
bois,  ou  naura-t-il  point  été  mangé  par  les  loups1?  » 
Votre  lettre  a  heureusement  renversé  toutes  mes  con- 
jectures, et  la  raison  de  votre  silence  n'est  que  trop 
bonne.  Je  loue  Dieu  de  ce  qu'il  vous  a  délivré. 

Le  changement  subit,  qui  est  arrivé  du  coté  de  la 
cour,  ne  nous  a  pas  peu  surpris,  et  il  n'y  a  néanmoins 
rien  en  cela  qui  ne  soit  arrivé  comme  on  devait  s'y 
attendre.  Car  un  si  homme  de  bien  pouvait-il  s'em- 
pêcher de  faire  son  devoir2? 

1.  Allusion  aux  voyages  que  M.  Bertin  faisait  souvent  pour  voir,  con- 
soler et  secourir  les  amis  de  la  vérité. 

*2  Saint-Simon  prétend  que  le  chancelier  d'Aguesseau  «  n'avait  pas 
réussi  dans  cette  grande  place  »  et  surtout  que  «  ses  hoquets  conti- 
nuels à  arrêter  les  opérations  de  Law  déplurent». 


308        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

Quesnel  à  L'abbé  (PÉtemare 

31  mars  1718. 

Oui,  Monsieur,  vous  m'avez  fait  un  singulier  plaisir 
en  m'envoyant  l'extrait  de  la  lettre  d'un  évêque  [M.  de 
Pamiers]  qui  parle  en  évêque  parce  qu'il  aie  cœurépis- 
copal'1.  Plût  à  Dieu  que  l'Eglise  de  France  en  eût  un 
grand  nombre  de  ce  caractère  !  La  vérité  aurait  bientôt 
le  dessus,  et  ses  ennemis  seraient  forcés  à  lui  rendre 
justice. 

11  me  semble  que  si  quelques-uns  des  évoques,  qui 
ont  le  cœur  fait  à  peu  près  comme  celui  de  M.  de 
Pamiers,  écrivaient  à  M.  le  garde  des  sceaux  pour  lui 
demander  l'interprétation  de  la  déclaration  du  roi,  et 
principalement  à  l'égard  du  temps  que  doit  durer  la 
trêve  et  le  silence  imposé,  ils  pourraient  obtenir  quelque 
chose;  car  il  ne  faut  s'attendre  qu'on  obtienne  quelque 
chose  sans  le  demander. 

Si  nil,  China,  polis,  nil  libi,  Cinna,  dabo. 

Ce  magistrat  n'est  pas,  dit-on,  mal  intentionné,  et, 
si  plusieurs  évoques  le  pressaient  et  lui  représentaient 
combien  c'est  déshonorer  le  caractère  épiscopal  que  de 
lui  imposer  silence  sur  les  affaires  de  la  religion,  dans 
une  occasion  où  elle  est  si  violemment  et  si  indigne- 
ment attaquée  dans  cent  un  chefs  importants  de  sa 
doctrine,  il  se  piquerait  peut-être  d'honneur  pour  rendre 


1.  J.-B.  de  Verthamon  écrivait,  avec  une  pointe  d'amertume,  au 
magnifique  évêque  de  Montpellier,  qui  ne  répondait  guère  à  ses  lettres  : 
«  Je  vous  dirai,  Monseigneur,  que,  quoique  je  ne  fasse  pai  tant  de 
bruit  que  beaucoup  d'autres,  quand  j'ai  découvert  le  parti  de  la  vérité, 
personne  ne  le  soutient  avec  plus  de  fermeté  que  moi.  Je  ferai  mon 
devoir;  ni  menaces,  ni  espérances,  ne  ni  ébranleront.  »  (Amcrsfoort. 
carton  38.. 


CORRESPONDANCE    DE    P-ASQÙiER    QlJESNEL  399 

service   à  l'épiscopat   et   aux   évêques  de   mérite   qui 
défendent  l'Eglise  et  la  vérité. 

On  avait  dit  dans  le  monde  que  Son  Altesse  Royale 
ne  demandait  de  surséance  que  jusqu'à  Noël,  et  voilà 
trois  mois  entiers  que  Noël  est  passé  et  six  que  le  silence 
dure.  Sa  Majesté  avoue  et  reconnaît  quelle  n'a  pas  le 
pouvoir  d'imposer  un  tel  silence  pour  toujours;  mais  il 
y  a  des  conjectures  où  un  silence  et  une  léthargie  de 
six  mois  pourrait  être  aussi  pernicieuse  aux  affaires  de 
la  religion  que  si  elle  était  continuelle.  En  six  mois,  la 
vérité  peut  perdre  ses  principaux  défenseurs;  ceux  qui 
sont  en  cause,  et  ceux  qui  mettent  leur  fort  dans  la 
cabale  et  les  intrigues  peuvent,  en  six  mois,  faire  jouer 
de  si  puissants  ressorts  qu'au  lieu  delà  paix  qu'on  pré- 
tend que  cet  interstice  peut  procurer  on  verrait  l'Eglise 
dans  une  plus  grande  agitation  et  sa  paix  plus  déses- 
pérée que  jamais1.  C'est  une  grande  condescendance 
qu'ont  eue  les  évêques  de  donner  les  mains  à  une 
imposition  de  silence.  Comme  les  évêques  n'y  sont 
point  nommés,  ils  auraient  pu  supposer  avec  fondement 
qu'eu  égard  à  leur  dignité  Sa  Majesté  n'a  pas  eu  dessein 
de  les  y  comprendre. 


Quesnel  au  P.  Ru /fin,  à  Gand 

lorjuin  1718. 

Vous  savez  que  M.  Gallois  [Petitpied)  est  maintenant 
à  Paris,  et  fort  caressé  de  quelques  puissances.  M.   le 

1.  L'ambassadeur  à  Rome,  lui-même,  se  désole  et  écrit  au  roi,  le 
•29  mars  :  «  C'est  une  grande  mortification  pour  moi  de  voir  que,  dans 
le  temps  qu'elle  me  comble  de  ses  grâces,  je  ne  puisse  pas  me  voir  en 
état  de  lui  mander  une  seule  chose  agréable  de  ce  pays-ci.  J'ai  prié 
M.  Allamani  de  représenter  à  Sa  Sainteté  de  ma  part,  dans  les  termes 
les  plus  forts  et  les  plus  expressifs,  que  l'état  de  l'Eglise  de  France 
était  trop  violent,  qu'il  ne  pouvait  plus  demeurer  sans  un  remède  prompt 
et  efficace.  »  (Aff.  étr.,  Rome,  589. 


400        CORRESPONDANCE  DE  PASQUIER  QUESNEL 

cardinal  [de  Noailles)  a  consenti  très  volontiers  à  son 
retour,  et  il  Ta  vu  deux  fois1. 

M.  de  La  Place  (Fouillou)  vous  salue.   Il  a  été,   ces 
jours-ci,  incommodé  de  son  oppression,  et  il  Test  encore. 


Quesnel  à  M.  Martelly 1 

Amsterdam,  1er  juin  1718. 

Quand  on  compare  le  différent  caractère  de  ceux  qui 
suivent  les  cardinaux,  chefs  de  parti,  on  ne  balance 
pas,  pour  peu  qu'on  ait  l'esprit  bon  et  le  cœur  droit, 
de  reconnaître  qu'on  est  prêt,  du  côté  de  M.  le  cardi- 
nal de  Noailles,  de  sacrifier  tout  à  la  vérité.  Et  serait- 
il  possible  que  tant  d'honnêtes  gens,  que  tant  de  gens 
de  bien,  eussent  pu  conspirer  à  se  piquer  du  malheu- 
reux honneur  que  l'on  mettrait  à  ne  pas  céder,  mais  à 
vouloir  vaincre  pour  vaincre?  Une  conscience  tendre 
ne  concevra  jamais  un  soupçon  si  injurieux  du  pro- 
chain le  plus  vulgaire.  Combien  moins  de  tant  d'illustres 
et  vertueuses  personnes! 

J'ai  dix  volumes  in-4°  des  écrits  des  constitution- 
naires.  On  n'y  voit  partout  qu'aigreur  ou  prévention, 
même  dans  les  écrits  des  évoques.  Comparez-les  avec 
l 'instruction  de  Son  Eminence,  avec  le  mandement  de 

1.  Petitpied  écrit  au  P.  Q.uesnel,  le  14  mars  1718  :  «  J'ai  vu  deux  fois 
M.  le  cardinal  de  Noailles,  qui  m'a  reçu  d'une  manière  pleine  de  bonté. 
Je  fus  hier  une  heure  seul  avec  lui.  Il  me  dit  que  cinquante  évêques 
de  France  menaçaient  d'une  rupture  de  communion.  Il  me  parla  du 
P.  Quesnel  avec  beaucoup  de  bonté,  et  me  dit  :  «  Nous  nous  sommes 
fait  bien  des  affaires  l'un  à  l'autre,  sans  y  penser.  »  Il  ajouta  que  ce 
Père  lui  avait  écrit  depuis  peu,  et  que,  «  si  Son  Eminence  ne  répondait 
point,  c'était  par  certains  ménagements  que  sa  place  demandait  ».  (Amers- 
foort,  Lettres  de  M.  Petitpied.) 

■2.  Antoine  Martelly,  docteur  en  théologie,  chanoine  théologal  d'Agde, 
fut  interdit  après  ses  appels  et  plusieurs  fois  exilé.  Il  mourut,  privé  des 
sacrements,  en  1745. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQCIER    QUESNEL  401 

Bayonne  et  avec  la  célèbre  lettre  du  chapitre  de  Tours. 
Bon  Dieu  !  quelle  différence  ! 

Je  sais  qu'il  y  a  des  occasions  où  il  faut  reprendre 
durement.  Mais  il  faut  que  cette  dureté  soit  le  fruit 
de  la  charité,  et  la  charité  ne  saurait  être  où  n'est  pas 
la  vérité.  Nos  adversaires,  me  direz-vous.  tiennent  le 
môme  langage,  parce  qu'ils  croient  aussi  défendre  la 
vérité.  Qui  nous  jugera?  Dieu,  Monsieur,  nous  jugera 
dans  l'éternité,  et  l'Eglise  universelle  en  ce  monde. 

On  écrit  de  Rome  que,  depuis  quelque  temps,  on  n'y 
parle  plus  tant  de  la  bulle1.  On  me  mande  de  Soissons 
que  le  prélat  aux  Avertissements*  a  reçu  le  portrait  du 
pape,  enrichi  de  diamants,  et  le  premier  tome  de  l'ou- 
vrage du  maître  du  sacré  palais  pour  soutenir  la  cons- 
titution. 

Les  grandes  et  solides  réponses  à  M.  de  Soissons  se 
font  à  Paris.  Le  dernier  coup  doit  être  porté  par  une 
savante  main  épiscopale. 

Voilà  bien  de  l'écriture  pour  de  mauvais  yeux.  Mais 
il  est  permis  quelquefois  de  faire  une  de  ces  sortes  de 
débauches  avec  ses  fidèles  amis. 


Quesnel  au  P.  Ruffui 

"I  septembre  1718. 

Si  le  P.  Le  Prévôt  est  exclu  de  la  congrégation  pour 
avoir  appelé,  c'est  une  injustice  de  la  part  des  hommes 

1.  Le  cardinal  de  la  Trémoille  écrit,  en  effet,  le  24  mai,  au  maréchal 
d'Huxelles  :  «Nous  sommes  ici  dans  une  espèce  d'inaction,  sans  pouvoir 
encore  pénétrer  les  résolutions  que  le  pape  prendra.  11  se  pourrait  faire 
que  cette  inaction  durât  longtemps  de  sa  part.  »  (Atî.  étr.,  Rome,  586.) 

2.  Languet  de  Gergy,  prélat  livré  aux  jésuites,  est  connu  pour  une 
certaine  Vie  de.  Marie  Alacoque,  que  le  Dictionnaire  historique  appelle 
un  fatras  de  puérilités  et  d'indécences.  Il  fut  un  des  premiers  à  se  signa- 
ler en  faveur  de  la  bulle  par  ses  fameux  Avertissements  ou  Tocsins,  qui 
causèrent  scandale.  Ils  étaient  de  Tournély,  ce  qui  fit  dire  à  la  mort  de 
ce  docteur  de  Sorbonne  :  «  Tournély  a  emporté  l'esprit  de  l'évêque  de 
Soissons  et  ne  lui  en  a  laissé  que  la  coque.  » 

il  26 


402  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

et  un  sujet  de  mérite  devant  Dieu.  Mais  je  crois  que 
c'est  plutôt  pour  la  signification  de  l'appel  que  pour 
l'appel  môme.  Je  ne  vois  pas  qu'il  y  eût  nécessité  ni 
obligation  de  faire  une  telle  signification  à  son  propre 
évêque.  Il  aurait  suffi  de  faire  enregistrer  son  appel 
au  greffe  d'un  évoque  appelant,  comme  la  plupart  des 
autres  l'ont  fait.  Il  y  a  encore  d'autres  manières  de  le 
rendre  public.  Mais  quand  un  évêque,  fort  prévenu, 
voit  qu'un  particulier  lui  fait  signifier  en  personne  un 
appel  auquel  il  est  fort  contraire  et  contre  lequel  il  s'est 
déclaré,  il  prend  cela  pour  une  insulte,  et  il  s'en  tient 
offensé  et  s'en  aigrit  davantage.  On  peut  bien  avoir 
envers  son  évoque  cette  déférence  de  ménager  sa  déli- 
catesse et  de  ne  lui  pas  donner  occasion  de  se  roidir 
davantage  contre  la  vérité  et  contre  ceux  qui  la  sou- 
tiennent. 

J'attends  Y  Avertissement  adressé  par  M.  l'évêque  de 
Soissons  aux  appelants  de  son  diocèse.  On  l'a  emprunté 
pour  me  l'envoyer;  car  on  dit  qu'il  ne  se  vend  point, 
peut-être  de  peur  qu'on  y  réponde. 


Quesnei  à  dom  Thierry  de  Viaixne  , 

30  septembre  1718. 

Je  ne  sais  où  vous  êtes,  mon  cher  Père,  ni  ce  que 
vous  faites  ;  car  d'être  sans  rien  faire,  c'est  ce  que  vous 
ne  voudriez  pas. 

- 

1.  Bénédictin  de  Saint- Vanne  et  «chaud  janséniste  »,  dit  l'abbé  Legendre, 
dom  Thierry  de  Viaixne  subit  à  maintes  reprises  la  prison  et  l'exil  ; 
mais  son  caractère  intraitable  y  donnait  volontiers  prétexte.  «  C'est  un 
homme  d'un  commerce  bien  incommode  »,  écrivait  Quesnei  en  1703.  De 
fait,  dom  Thierry,  poursuivi  par  la  haine  des  jésuites,  pourra  mettre  à 
bon  droit  au  bas  de  son  testament  :  «  Dom  Thierry  de  Viaixne,  persé- 
cuté depuis  plus  de  quarante  ans  pour  la  vérité  et  la  justice,  et  réfugié 
depuis  plus  de  huit  ans  dans  l'n,glise  très  catholique  d'Utrecht.  » 
[ Archives  d'Utrecht.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  403 

Si  vous  êtes  vers  la  Lorraine,  dites-moi  un  peu  si 
Mg,s  les  évêques  de  Metz1,  de  Verdun2,  de  Châlons- 
sur-Marne,  etc.,  qui,  en  se  joignant  à  Msr  le  cardinal  de 
Noailles,  condamnèrent  le  livre  des  Réflexions  morales 
avec  cette  Eminence,  sont  encore  dans  la  même  dispo- 
sition à  cet  égard.  Depuis  le  temps  des  complaisances 
et  des  ménagements  qui  arrachèrent  cette  condamna- 
tion de  la  main  même  de  ceux  qui  approuvaient  l'ou- 
vrage dans  le  cœur,  n'ont-ils  point  été  satisfaits  des 
éclaircissements  qu'on  a  donnés  depuis  quatre  ans,  et 
qui  ont  dû  dissiper  ces  nuages  des  préventions  et  effa-' 
cer  les  soupçons  de  jansénisme  dont  ils  ont  noirci  ce 
pauvre  livre  si  infortuné? 

M.  l'évêque  de  Boulogne3  leur  a  donné  un  bel 
exemple  de  la  générosité  avec  laquelle  un  évêque  doit 
réparer  le  tort  qu'il  a  fait  à  un  prêtre  et  à  ses  écrits, 
par  une  condamnation  et  une  proscription  qui  laissent 
une  tache  sur  l'un  et  sur  l'autre.  S'ils  ne  se  rendent 
pas  à   la  lumière  qu'on  leur  a  portée  jusque   sous    les 


1.  Du  Gambout  de  Coislin,  évêque  de  Metz,  mandait  à  Gaston  de 
Noailles,  le  25  janvier  171o  :  «  Je  vous  jure  qu'il  n'y  a  rien  dans  le 
monde  qui  puisse  m'empêcher  de  soutenir  la  vérité  »,  et  le  28  mai  1717  : 
«  Je  suis  toujours  dans  les  mêmes  sentiments  et  prêt  d'en  donner 
toute  sorte  de  marques  les  plus  éclatantes.»  11  resta  favorable  aux 
appelants,  sans  appelerlui-même  (Bibl.  nat.,  ms. 23207)  :  «M.  de  Metz  est 
toujours  incompréhensible,  s'écrie  M.  de  Béthune,  évêque  de  Verdun; 
tout  le  fait  trembler.  »  (Amersfoort,  carton  38.) 

2.  M.  de  Béthune  demeurera  ferme  appelant  jusqu'au  dernier  jour. 
«  Avec  la  grâce  de  Dieu,  écrit-il  à  M.  de  Montpellier,  je  soutiens  la 
vérité  avec  force  et  ne  suis  pas  susceptible  de  la  peur.  »  Et,  quelques 
années  plus  tard  :  «  Je  vous  serai  uni,  Monseigneur,  jusques  au  dernier 
soupir  de  ma  vie.  »  (Amersfoort,  carton  38,  n°  H.) 

3.  M.  de  Langle,  évêque  de  Boulogne,  écrivit,  le  12  janvier  de  cette 
année  1718,  une  fort  belle  lettre  au  P.  Quesnel  :  «  De  quelque  estime, 
lui  dit-il,  que  je  fus  prévenu  pour  vous,  dès  il  y  a  longtemps,  Monsieur, 
vous  n'êtes  entré  cependant  dans  les  vues  que  j'ai  eues,  dans  ce  que  j'ai 
fait  en  dernier  lieu,  que  pour  réparer  l'injustice  que  je  vous  avais  faite, 
en  condamnant  par  des  motifs  trop  humains  un  ouvrage  que  j'avais 
toujours  estimé,  et  qui  mérite  aussi  tant  de  l'être  et  qui  est  si  utile  à 
l'Eglise.  »  (Amersfoort,  boîte  E.) 


404  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

yeux,  ils  sont  bien  à  plaindre,  et  ils  le  sont  encore  plus, 
si,  étant  convaincus  de  la  pureté  de  la  doctrine  du 
livre,  un  respect  humain  les  retient  et  les  empêche 
de  rendre  justice  à  qui  ils  la  doivent,  quelque  élevés 
qu'ils  soient  au-dessus  d'eux. 


Quesnel  à  dom  Louvard 

17  octobre  1718. 

Votre  lettre  du  27  septembre,  mon  révérend  Père,  m'a 
fort  réjoui,  et  tous  ceux  à  qui  j'en  ai  fait  part  en  ont 
tressailli  de  joie.  Vous  avez  pu  voir,  dans  les  nouvelles 
publiques,  que  toute  l'Europe  est  déjà  informée  de  cette 
conspiration  si  unanime  avec  laquelle  la  congrégation 
de  Saint-Maur  a  rendu  témoignage  à  la  vérité,  et  avec 
quelle  vigueur  elle  s'est  déclarée  contre  ses  ennemis1. 
On  ne  pouvait  rien  attendre  de  moins  d'un  ordre  dont 
les  maisons  sont  les  archives  de  l'Eglise,  qui  par  les 
travaux  de  ses  enfants  a  purgé  le  canal  des  vérités 
salutaires  de  la  foi,  et  qui  la  soutient  en  tant  de  manières 
et  avec  tant  de  bénédictions. 

Je  félicite  le  révérend  Père  prieur  du  succès  de  la 
journée  du  27,  qui  sera  mémorable  dans  les  annales 
de  l'ordre  et  dans  l'histoire  del'abbaye.  Je  lui  présente 
mes  très  humbles  respects  et  le  remercie  très  humble- 
ment d'avoir  fait  parler  en  ma  faveur. 

Le  23  d'août  a  été  aussi  une  grande  journée  pour 
Tordre  qui  a  arraché  au  monde  une  religieuse  prin- 
cesse et  l'a  reçue  dans  son  sein,  comme  un  dépôt,  jus- 

1.  Dom  Louvard  écrivait  au  P.  Quesnel  :  «  Je  me  hâte  de  vous  annon- 
cer notre  appel  capitulaire.  Nous  l'avons  fait  ce  matin,  27  septembre,  à 
huit  heures,  au  nombre  de  soixante  capitulants,  en  même  temps  que  la 
communauté  de  l'abbaye  de  Saint-Germainetcelle  des  Blancs-Manteaux. 
Jamais  unanimité  et  zèle  n'ont  été  pareils  à  celui  d'ici.  Les  malades 
sont  sortis  du  lit  pour  venir  au  chapitre;  ceux  qui  ne  l'ont  pas  pu  ont 
envoyé  dire  qu'ils  adhéraient.  »  (Amersfoort,  boîle  W.) 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUËSNËL  40o 

qu'au  jour  du  Seigneur.  Les  pieux  enfants  de  cet  ordre 
n'auront  garde  de  s'élever  contre  cet  exemple  d'humi- 
lité, et  on  ne  dira  pas  d'eux  ce  qu'un  grand  homme  de 
nos  jours  a  dit  d'un  certain  ordre,  qui  se  gloriliait  de 
la  retraite  d'un  prince  de  la  maison  de  Lorraine  qui 
était  entré  parmi  eux  (c'était  la  petite  société)  :  «L'hu- 
milité d'un  seul  les  rend  tous  orgueilleux.  » 

Votre  consolation  et  votre  joie,  mon  révérend  Père, 
est  d'avoir  fait  votre  devoir  en  contribuant  à  faire  con- 
naître ses  devoirs  à  cette  pieuse  princesse,  sans  en 
recevoir  des  hommes  la  récompense  et,  au  contraire, 
d'en  avoir  reçu  des  rebuts  et  des  désagréments1.  Tout 
cela  vaut  mieux  que  des  louanges,  des  caresses  et  des 
honnêtetés,  qui  ne  font  qu 'entier  et  qu'élever,  quand 
elles  viennent  de  la  part  de  personnes  fort  distinguées. 
Nous  nous  en  servons  nous-mêmes  pour  nous  distin- 
guer des  autres,  si  Dieu  ne  nous  fait  une  grande  grâce. 
Voilà  votre  mission  finie.  Ce  que  Dieu  n'a  point  fait  par 
votre  ministère,  il  faut  espérer  qu'il  le  fera  par  lui- 
même.  Je  suis  très  aise  qu'on  vous  ait  empêché  de  faire 
imprimer.  Je  n'en  serais  pas  content,  si  vous  y  aviez 
fait  entrer  dans  ce  dessein  quelque  chose  qui  fût  du 
mien.  Je  vous  prie  instamment  de  ne  rien  publier,  ni 
même  communiquer  ce  que  je  puis  avoir  dit  sur  le 
sujet  de  cette  personne  dans  mes  lettres.  Il  est  bon 
même,  dans  ces  circonstances,  de  garder  le  silence  à 
son  égard.  Ce  qui  peut  servir,  quand  on  a  ouverture  de 
cœur  pour  nous,  peut  nuire  quand  le  cœur  est  fermé. 
Ce  que  vous  lui  avez  dit  est  une  semence  et  un  grain 
qui  doit  pourrir  et  mourir,  pour  pousser  et  porter  du 
fruit.  Celui  à  qui  il  appartient  de   donner  l'accroisse- 


1.  Nicolas  Pelitpied  écrit  cTAsnières  au  P.  Qucsnel.  le  21  sep- 
tembre 1718  :  «  Je  vis  M.  Vivant,  le  chancelier,  qui  me  dit  que  le 
P.  Louvard  était  exclu  de  Ghelles;  que  la  religieuse  s'était  relâchée: 
quelle  s'était  dégoûtée  du  P.  Louvard.  On  lui  a  reproché  qu'il  était 
outré.  »  (Utrecht,  Epislolœ  ad  Quesnellum,  t.  III.) 


406  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

ment  en  est  le  maître.  Et  nous  n'avons  qu'à  nous  humi- 
lier de  ce  que  nous  n'avons  pas  été  jugés  dignes  de  ser- 
vir à  son  œuvre,  comme  nous  le  désirions. 

Vous  ne  sauriez  me  faire  plus  de  peine  que  de  lui 
faire  parler  de  mon  retour,  et  je  serais  très  affligé  de 
le  devoir  à  ces  voies  extraordinaires1.  Et,  si  vous  vous 
souvenez  des  alarmes  qu'on  a  prises  dans  la  famille, 
quand  le  bruit  se  répandit  que  j'avais  écrit  à  la  novice, 
vous  pouvez  aisément  conclure  que,  si  je  retournais 
à  sa  sollicitation,  ce  serait  à  condition  que  je  ne  la  verrais 
pas.  Pour  M.  de  La  Place  [FomMok],  il  a  toute  liberté 
de  retourner  quand  il  voudra.  Les  attaques  qu'il  a  eues 
de  son  oppression,  depuis  qu'il  est  à  Utrecht,  l'auraient 
peut-être  fait  partir,  si  la  saison  n'était  pas  si  mauvaise 
comme  elle  est  depuis  quelques  jours.  Mais  ce  n'est 
pas  tant  la  saison  que  son  obstination  qui  l'a  empêché 
de  se  rendre  aux  instances  de  ses  amis. 


Quesnel  à  dont  Thierry  de   Viaixne 

1er  décembre  1718. 

Je  vous  suis  très  obligé,  mon  très  révérend  Père,  de 
votre  lettre  du  18  octobre,  où  j'ai  trouvé  mille  bonnes 
choses  et  fort  agréables,  par  rapport  aux  affaires  de 
l'Eglise  ;  mais,  si  votre  caractère  était  plus  gros,  il 
m'accommoderait  mieux,  car  ma  vue  est  très  alfaiblie, 
et,  après  m'être  dispensé  de  lunettes  jusqu'à  quatre- 
vingt-trois  ans,   j'ai  été   trop   heureux   de  trouver  ce 

1.  Extrait  de  la  lettre  de  dom  Louvard,  du  27  septembre.  «  Je  ne  vois 
plus  qu'un  remède;  soutirez,  mon  révérend  Père,  que  nous  remployions: 
c'est  de  vous  faire  demander  par  la  princesse.  Elle  s'y  mettra  jusqu'au 
cou,  j'en  suis  sûr.  Car  sa  vénération  pour  vous  n'a  point  diminué.  Elle 
y  gagnera  son  âme,  et  nous  le  bien  de  votre  présence.  »  Malgré  l'avis 
formel  du  P.  Quesnel,  un  placet  fut  remis  entre  les  mains  de  Mllc  d'Or- 
léans, qui  le  donna  au  régent.  11  répondit  qu'il  aurait  bien  voulu  accor- 
der le  retour  demandé,  mais  que  des  raisons   d'Etat  l'en   empêchaient. 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  407 

secours.  Mais,  comme  je  ne  ménage  guère  mes  yeux, 
j'ai  encore  de  la  peine  avec  mes  lunettes  de  lire  de 
petits  caractères.  Le  vôtre  est  fort  net  et  fort  lisible, 
et  néanmoins  ce  n'est  pas  sans  peine  que  je  le  lis. 

Vous  avez  bien  fait  de  l'honneur  à  l'appel  du  P.  Ques- 
nel  de  le  lire  en  si  bonne  compagnie.  L'auteur  est 
bien  content  d'apprendre  qu'il  ne  vous  ait  pas  déplu.  Il 
ne  pouvait  manquer  de  valoir  quelque  chose  dans  votre 
bouche.  Ce  même  auteur  a  encore  adhéré  à  l'appel  de 
M.  le  cardinal  de  Noailles.  Vous  savez  qu'il  est  son 
archevêque.  Je  suis  ravi  que  vous  soyez  en  lieu  où 
vous  avez  toute  sorte  de  satisfaction.  Les  bons  offices 
que  vous  m'avez  rendus  de  tous  les  côtés  viennent  de 
votre  bon  cœur;  je  reçois  avec  une  respectueuse  recon- 
naissance les  témoignages  que  MRr  de  Verdun1  vous  a 
donnés  de  sa  bonté  pour  moi.  J'ai  toujours  ouï  faire 
de  ce  généreux  prélat  une  peinture  semblable  à  celle 
que  vous  m'en  faites.  Nous  devons  tous  prier  Dieu  qu'il 
nous  conserve  longtemps  des  évoques  de  son  caractère. 
Nous  avons  su  ce  qui  s'est  passé,  en  sa  présence,  au 
sujet  de  la  lecture  de  son  mandement,  le  jour  de  la 
Toussaint,  et  on  a  beaucoup  loué  la  tranquillité  et  la 
modération  avec  lesquelles  il  a  vu  l'échappée  de  ce 
jeune  conseiller  et  le  tumulte  du  peuple'2. 

La  proposition  de  faire  des  corrections  au  livre  des 
Réflexions  morales  est  dangereuse;  ce  serait  un  aveu 
que  ces  expressions  auraient  été  bien  condamnées  et 
donner  un  sujet  de  triomphe  aux  ennemis  de  la  vérité. 
Feu  M.  de  Meaux   les  a  défendues  et  justifiées  avec 

1.  Hippolyte  de  Béthune,  appelant  de  la  bulle  et  des  lettres  Pastoralis. 

2.  «Il  s'est  passé  une  scène  extraordinaire  dans  mon  église,  écrit  M.  de 
Verdun  à  M.  de  Montpellier,  en  ma  présence,  le  jour  de  la  Toussaint. 
Les  jésuites,  les  capucins,  les  récollets,  que  je  puis  traiter  d'hommes 
abominables,  ont  persuadé  au  menu  peuple  que  M.  le  cardinal  et  moi 
voulions  changer  la  religion  et  permettre  à  nos  chanoines  de  se  marier. 
J'ai  interdit  les  récollets,  qui  ont  fait  bien  du  mal  à  Verdun.  »  (Amers- 
foort,  carton  38,  n°  11.) 


408  CORRESPONDANCE    DE    PASQL'IER    QUEsNEt 

vigueur;  les  évoques,  qui  ont  envoyé  au  pape  le  corps 
de  leurs  difficultés,  les  ont  aussi  autorisées  et  justi- 
fiées; outre  tant  d'autres  écrits  qui  ont  fait  la  môme 
chose,  après  tant  de  revisions  de  ce  livre  faites  avec 
scrupule,  on  ne  peut  pas  croire  qu'il  y  soit  resté  quoi 
que  ce  soit  de  condamnable.  Ce  ne  sont  pas  mes 
expressions,  ce  sont  celles  de  l'Ecriture  et  de  la  tradi- 
tion; je  n'en  suis  pas  le  maître. 

Ce  m'est  une  grande  consolation  d'apprendre  les 
sentiments  si  favorables  et  les  bontés  qu'a  pour  moi 
Mgr  de  Chutons.  Je  me  suis  toujours  flatté  d'avoir 
quelque  part  à  l'honneur  de  sa  bienveillance. 

Il  faut  que  je  vous  parle  d'une  chose  que  j'ai  fort  à 
cœur.  Vous  n'ignorez  pas  l'état  déplorable  où  est 
l'Eglise  catholique  de  ces  provinces.  La  cour  de  Rome 
s'en  est  emparée  et  veut  la  gouverner  avec  une  verge 
de  fer.  Cependant,  il  y  a  deux  chapitres  qui  ont  tou- 
jours conservé  leur  autorité,  telle  que  l'ont  les  cha- 
pitres, sede  vacante.  Cette  autorité  est  très  bien  fondée, 
et  c'est  une  injustice  criante  que  de  prétendre  la  gou- 
verner comme  une  Eglise  de  la  Chine,  de  la  Perse  ou 
du  Tonkin. 


Quesnel  à  M.  Coffin 1 

5  janvier  1719. 

Monsieur,  quoique  je  n'aie   pas  eu   jusqu'à  présent 
l'honneur'  de  vous  être  lié  par  un  commerce  particu- 

1.  Charles  Coffin,  clerc  tonsuré,  principal  du  collège  de  Beauvais  à 
Paris,  et  recteur  de  l'Université  de  1718  à  1721,  composâtes  hymnes  du 
nouveau  bréviaire  de  Paris,  «  qu'on  peut  appeler,  dit  le  Dictionnaire  de 
Lichtenberger,  des  poésies  admirables,  joignant  la  simplicité  la  plus 
touchante  et  l'onction  la  plus  tendre  avec  une  latinité  exquise  ».  Voici 
un  passage  de  sa  réponse,  du  20  février  1719,  à  la  lettre  du  P.  Ouesnel  : 
«  J'ai  fait  lecture,  dans  notre  assemblée  des  députés,  de  la  lettre  que 
vous  avez  adressée  à  l'Université  et  de  celle  que  vous  y  avez  jointe 
pour  moi.  On  les  a  entendues,  l'une  et  l'autre,  avec  une  très  grande 


CORRESPONDANCE  DE  PÂSQUlER  QUESNËL        400 

lier,  je  n'ai  pas  laissé  de  connaître  par  plus  d'un 
endroit  le  mérite  qui  vous  distingue  si  particulière- 
ment, dans  le  célèbre  et  illustre  corps  à  la  tête  duquel 
vous  vous  trouvez  présentement.  Je  vous  assure,  Mon- 
sieur, que,  quand  j'ai  appris  que  notre  Université  vous 
avait  choisi  pour  son  chef,  j'en  ai  eu  une  véritable 
joie,  persuadé  qu'en  tout  temps,  et  surtout  dans  la  con- 
joncture présente,  cette  savante  compagnie  ne  pouvait 
mettre  en  des  mains  plus  sûres  et  ses  propres  intérêts  et 
ceux  de  la  vérité,  de  l'Eglise  et  de  l'Etat,  pour  lesquels 
elle  prévoyait  qu'il  faudrait  continuer  de  combattre  le 
combat  du  Seigneur.  Les  effets  ont  si  abondamment 
et  si  glorieusement  répondu  à  la  confiance  que  l'Uni- 
versité vous  a  témoignée,  Monsieur,  par  son  choix,  que 
ce  choix  ne  lui  fait  pas  moins  d'honneur  qu'à  vous. 

Après  Tappel  de  l'Université,  lequel  couronna  si 
heureusement  le  rectorat  de  M.  Godeau,  le  vôtre, 
Monsieur,  ne  pouvait  avoir  une  entrée  plus  glorieuse 
que  par  cette  belle  et  généreuse  déclaration  de  l'Uni- 
versité, où  les  motifs  de  son  appel  de  la  constitution 
Unigenitus  sont  expliqués  avec  tant  de  lumière  et 
d'érudition.  Vous  y  avez  ajouté  un  nouvel  éclat  par  le 
discours  que  vous  prononçâtes,  avec  une  égale  dignité, 
le  13  du  mois  dernier,  à  la  tête  d'une  des  plus  nom- 
breuses et  en  même  temps  des  plus  religieuses  assem- 
blées que  Ion  ait  vues  depuis  longtemps. 

Je  ne  méritais  pas,  Monsieur,  que  vous  me  donnas- 
siez une  part  si  singulière  dans  l'exposition  des  motifs 
de  l'appel   de  l'Université  ;  et,  dans  l'opprobre  (pour 

satisfaction,  et  nous  les  conserverons  à  la  postérité  comme  un  monu- 
ment authentique  de  votre  attachement  à  un  corps  dont  la  principale 
gloire  est  d'avoir  toujours  été  inviolablement  attaché  lui-même  aux 
intérêts  de  l'Etat  et  de  la  religion.  »  (Amersfoort,  boîte  des  papiers  de 
Quesnel,  liasse  II,  1700-1719.)  Au  lit  de  mort  de  Coffin,  on  lui  refusa 
les  sacrements,  comme  appelant  et  réappelant.  Son  rectorat  fut  illustré 
par  rétablissement  de  l'instruction  gratuite  auquel  il  prit  activement 
part. 


410  CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL 

parler  humainement)  et  le  dénûment  de  toute  protec- 
tion extérieure  où  je  me  suis  trouvé,  je  ne  pouvais 
recevoir  une  consolation  plus  sensible  que  celle  de  me 
voir  réclamé  par  cette  illustre  mère  à  qui  j'étais  devenu 
comme  étranger  et  inconnu,  mais  pour  qui  je  n'avais 
jamais  cessé  de  conserver  une  haute  estime,  un  pro- 
fond respect,  un  amour  filial  et  une  vive  reconnais- 
sance pour  tous  les  biens  dont  je  lui  suis  redevable. 
Je  suis  né  comme  dans  son  sein  et  au  milieu  des  livres 
et  de  la  littérature,  et,  durant  cinq  ans,  j'ai  sucé  le  lait 
de  cette  mère  des  sciences.  Après  soixante-cinq  ans 
d'oubli,  Dieu,  par  sa  providence,  l'a  fait  souvenir  de 
moi  au  jour  de  mon  aftliction.  Elle  m'a  accordé  sa 
puissante  protection  de  son  propre  mouvement,  et, 
lorsque  j'aurais  à  peine  osé  la  demander,  elle  a  pris  en 
main  ma  défense  et  a  fait  voir  ce  que  Dieu  dit  par  ses 
prophètes,  qu'une  mère  ne  saurait  oublier  son  enfant. 


Quesnel  à  M.  Powxhoi, 
syndic  de  V Université  de  Paris { 

Amsterdam,  5  janvier  1719. 

Monsieur,  puisque  vous  avez  eu  la  première  part  à 
l'honneur  que  l'Université  m'a  fait  de  me  reconnaître 
pour  un  de  ses  enfants  et  de  me  prendre  en  sa  protec- 
tion, je  vous  dois,  après  elle  et  après  son  digne  chef, 
mes  premières  reconnaissances2.  Gomme  je  reconnais 
dans  cet  événement  le  doigt  de  Dieu  et  une  attention 
particulière  de  la  providence  de  Dieu  sur  moi,  quelque 
indigne  que  j'en  sois,  je  dois  avoir  pour  vous,  Mon- 
sieur,   comme    à   l'instrument    qu'elle   a    choisi  pour 

1.  Archives  nationales,  Histoire  ecclésiastique,  jansénisme,  L  14. 
•2.  M.  Pourchot  fut  syndic  de  TUniversité  de  Paris  pendant  quarante  ans 
f!694-1734). 


CORRESPONDANCE    DE    PASQUIER    QUESNEL  411 

l'exécuti  on  de  ses  desseins  à  cet  égard ,  un  respect  particu- 
lier, accompagné  des  sentiments  d'une  sincère  gratitude. 
Je  n'ai  jamais  tant  estimé  qu'aujourd'hui  l'avantage  que 
je  possède  depuis  soixante-cinq  ans  d'être  membre  de 
l'illustre  Université  dans  laquelle  vous  avez,  Monsieur, 
un  rang  si  considérable.  Vous  m'avez  fait  revivre  cet 
avantage  qui  était  comme  enseveli,  dans  le  temps  où 
j'en  avais  plus  besoin  et  lorsqu'il  devait  mètre  plus 
utile.  Plût  à  Dieu  que  je  fusse  en  état  de  vous  témoi- 
gner, Monsieur,  combien  je  suis  sensible  à  la  grâce 
que  vous  m'avez  faite  en  me  procurant  la  protection 
d'une  mère  aussi  charitable  et  aussi  bienfaisante  qu'elle 
est  illustre  et  célèbre  par  tout  le  monde!  Ma  situation, 
qui  n'est  pas  de  mon  choix,  dans  la  vérité,  me  fait 
désespérer  de  me  trouver  jamais  dans  le  pouvoir  de 
vous  témoigner  ma  reconnaissance  autrement  que  par 
des  paroles.  Au  moins  elles  partent  du  cœur,  et  je 
tâcherai  d'otïrir  à  Dieu  mes  vœux  et  mes  prières  au 
saint  autel,  où  je  trouverai  dans  l'adorable  victime  que 
nous  y  sacrifions  un  riche  supplément  de  ma  pauvreté 
et  de  la  faiblesse  de  mes  prières.  L'estime  que  votre 
réputation,  Monsieur,  m'avait  fait  concevoir  pour 
votre  mérite,  s'est  beaucoup  augmentée  par  la  preuve 
que  j'ai  reçue,  en  cette  occasion,  de  votre  générosité; 
générosité  chrétienne  qui  naît  en  vous  de  votre  amour 
pour  la  vérité  et  de  votre  zèle  pour  la  justice.  Je  prie 
de  tout  mon  cœur  celui  qui  l'a  gravée  dans  votre  cœur 
de  l'y  faire  croître  de  jour  en  jour,  et  vous.  Monsieur, 
d'avoir  la  bonté  de  me  conserver  la  part  qu'il  vous  a 
plu  me  donner  dans  votre  bienveillance,  dont  vous 
m'avez  fait  sentir  des  effets  dans  cette  conjoncture. 

Je  suis  ravi  d'avoir  cette  obligation  à  un  si  honnête 
homme  et  si  célèbre  dans  la  première  Université  du 
monde,  par  les  leçons  qu'il  y  a  données  de  la  belle  et 
solide  philosophie. 


412  CORRESPONDANCE    DÉ    PASOUIER    QDËSNËL 

Quesnel  à  M.  Lenfant,  à  Rouen 

24  février  1719. 

J'ai  besoin,  mon  très  cher  et  cordial  ami,  d'une 
indulgence  plus  que  plénicre,  de  votre  part,  pour  un 
silence  aussi  long  que  celui  que  j'ai  gardé  à  votre 
égard.  Mais,  je  vous  prie,  n'en  accusez  pas  mon  cœur, 
car  il  n'y  a  aucune  part.  Il  mourait  d'envie  de  vous 
voir,  de  vous  remercier,  de  vous  souhaiter  la  bonne 
année,  mais  il  n'a  pu  l'exécuter.  Il  a  mis  à  part  un  tas 
de  lettres,  en  attendant  que  j'eusse  le  temps  d'y  ré- 
pondre, et  la  vôtre  a  attendu  avec  les  autres.  Mais 
enfin  je  trouve  un  peu  de  temps  pour  vous  parler, 
mon  cher  enfant,  car  je  suis  bien  aise  que  votre  nais- 
sance, qui  vous  a  donné  ce  nom,  me  donne  lieu  et  droit 
d'employer  un  nom  si  doux. 

Vous  aurez  vu,  sans  doute,  la  belle  instruction  de 
M.  le  cardinal  de  Noailles1.  Elle  est  fort  méthodique, 
fort  solide  et  convaincante.  La  vérité  y  parle  avec  la 
dignité,  la  modestie,  la  douceur  et  la  force  qui  lui 
conviennent.  Je  suis  sûr  que  si  Messieurs  de  votre 
parlement  prennent  la  peine  de  la  lire  ils  en  auront 
plus  de  courage  pour  repousser  les  desseins  et  les 
efforts  que  font  de  temps  en  temps  les  constitution- 
naires  pour  soutenir  leur  mauvaise  causé. 

Avez-vous  vu  l'appel  de  l'Université  et  la  déclara- 
tion des  motifs  qui  l'y  ont  engagée2?  C'est  une  pièce 
achevée  en  son  genre.  Si  vous  l'avez  lue,  vous  n'aurez 

1.  Mandement  du  24  septembre  1718,  dans  lequel  le  cardinal  de 
Noailles  déclare  lui-même  son  appel  de  la  bulle  Unigenitus,  en  date 
du  3  avril  1717.  Il  en  envoie  copie  au  parlement,  et  la  Sorbonne  y 
adhère  par  un  vote  de  quatre-vingt-dix-neuf  docteurs  contre  deux. 

2.  Il  s'agit  de  l'appel  du  mois  d'oc